Racisation

En sociologie, la racisation est le processus par lequel une personne est, en raison de certaines de ses caractéristiques, assimilée à une « race humaine » déterminée[1],[2],[3].

Ne doit pas être confondu avec Racialisme.

Définition

Le mot est entré en 2018 dans le Robert, qui le définit par « Personne touchée par le racisme, la discrimination »[4].

Concept sociologique

C'est en France, dans l'ouvrage L'idéologie raciste, publié en 1972 par la sociologue Colette Guillaumin, que le mot « racisation » apparaît[5],[6].

Alors que le mot race ne désignait jusqu'au milieu du XIXe siècle que des groupes « descendants d'un même ancêtre ou d'une même famille[7] », le racisme repose sur le postulat  reconnu aujourd'hui comme dénué de pertinence biologique  d'une division de l'espèce humaine en races bien distinctes et d'une hiérarchie entre elles. Cette idéologie raciste a disparu du champ scientifique, où elle n'avait fait qu'une courte apparition (Gaubineau, Hitler), ainsi que du discours politique dans la seconde moitié du XXe siècle[8]. Cependant, cette disqualification n'a pas signifié la fin du racisme[8]. Si les « races » humaines ont cessé d'exister, il n'en va pas de même pour le racisme et ses discriminations fondées sur une double logique d'hostilité et de domination[8].

En effet, selon Colette Guillaumin, la construction sociale qu'est le racisme est essentiellement le fait des groupes majoritaires, qui tendent à nier l'individualité de ceux qui appartiennent aux groupes minoritaires[9]. C'est à cet endroit précis que se situe le fondement de la racisation : la notion de race « est justement ce qui permet au majoritaire de s'auto-identifier et d'affirmer sa permanence »[9]. En ce sens, Colette Guillaumin écrit : « Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités »[10].

Les catégories raciales ont été créées de manière à justifier diverses formes d'exploitation et de discrimination envers des groupes perçus comme différents du groupe dominant au sein d'une société donnée[11]. Dans le processus de racisation, l'individu est racisé lorsqu'il est perçu comme appartenant à un groupe altérisé, celui-ci étant alors considéré comme homogène[8],[12].

Catégories dynamiques

Ces catégories étant des constructions sociales, elles sont susceptibles de se modifier. Ainsi, aux États-Unis, les immigrés irlandais ont d’abord été victimes de racisme, et donc racisés, puis progressivement incorporés au groupe dominant : ils sont donc « devenus blancs »[13].

Réductionnisme ethniciste

Pour la chercheuse Françoise Lorcerie, la racisation constitue une forme aggravée et biologisée de l'ethnicisation[14]. Une autre chercheuse, Véronique de Rudder, observe dans l'évolution du vocabulaire de la langue française une prégnance de plus en plus forte de la réduction de l'autre à son identité ethnique, puis raciale : elle estime que le slogan « black-blanc-beur »  malgré l'optimisme et l'euphorie qu'il exprimait à l'origine  illustre à sa manière ce phénomène, par lequel l'identité ethnique est réduite à une simple couleur. Elle voit dans ce processus le passage d'une ethnicisation à une racisation, ce qui ouvre la voie à un racisme basé sur la couleur de la peau humaine[15].

Médias

Le processus de racisation peut être alimenté par les médias, dans la mesure où ceux-ci contribuent à la diffusion de stéréotypes et influencent ainsi l’opinion publique, ou du moins l'opinion de certains groupes culturels. Ces opinions et stéréotypes peuvent devenir institutionnalisés, débouchant sur une forme de « racisme systémique »[16]. Par exemple, le sociologue Marcello Maneri s'emploie à montrer comment le discours médiatique italien essentialiserait l'immigré et renforcerait l’idée d’une « urgence sécuritaire » en publiant à intervalles réguliers des sondages sur le sentiment d’insécurité des Italiens. Il note aussi que le traitement médiatique de certains faits divers déclencherait des paniques morales qui auraient des effets bien concrets sur la criminalisation des étrangers comme le renforcement des activités policières visant à contrôler le territoire et une production législative qu'il juge « gravement discriminatoire vis-à-vis des étrangers »[17].

Utilisation politique du terme « racisé » et controverses

Dans les années 2010, le mot « racisé » a fait son apparition, utilisé comme adjectif ou comme substantif, dans le vocabulaire de divers groupes politiques français[18],[12], pour désigner les personnes qu'ils estiment victimes du « racisme systémique »[19].

La journaliste Louise Tourret souligne que ce concept est utilisé par des militants pour désigner simplement les non-blancs dans leur ensemble. Critiquant le terme, elle lui reproche notamment de ne pas prendre en compte le métissage et juge que le concept de personne « racisée » est à la fois mal défini et trop focalisé sur la couleur de peau, négligeant le fait que « le malheur, c’est essentiellement de naître pauvre et de vivre dans un quartier victime de ségrégation, pas avec certaines caractéristiques physiques »[20].

En octobre 2017, Anne Rosencher (de l'hebdomadaire L'Express) range l'expression « racisé » dans la même catégorie que « « inclusif » (qui garantit que personne ne soit exclu par la norme dominante), « intersectionnel » (au croisement de plusieurs luttes), « cisgenre » (dont le genre ressenti correspond à celui de sa naissance)… », et considère que ces termes « consacrent une nouvelle façon de voir la société comme un catalogue de minorités. Une sorte de saucissonnage identitaire, qui met à la question l'idéal républicain, lequel consiste au contraire à considérer le citoyen comme « l'homme sans étiquette », selon la formule de Régis Debray. » L'écrivaine d'origine iranienne Abnousse Shalmani, qui y voit une atteinte à l'universalisme, souligne : « Avant, on ne me demandait jamais ce que je pensais de telle ou telle chose en tant que 'femme racisée'. Aujourd'hui, la participation au débat de la cité est livrée avec test ADN. Votre genre, votre sexualité, votre religion et votre couleur de peau définissent si vous êtes ou non une minorité souffrante ayant voix au chapitre »[18].

Non-Mixité

Fin 2017, le terme a été médiatisé en France, notamment du fait de son emploi dans des ateliers organisés en « non-mixité »  réservés aux personnes non blanches  par SUD Éducation, et qui dénonçaient un « racisme d'État » en France. Dans le cadre de la polémique autour de ces ateliers, le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer classe le terme racisé parmi « les mots les plus épouvantables du vocabulaire politique »[21], qui « véhiculent un racisme »[22] et la LICRA a jugé que le mot est une « résurgence raciste qui vise à assigner à des groupes une identité victimaire »[21]. Libération publie peu après une tribune d'une « militante féministe et antiraciste » défendant le terme racisé ainsi que d'autres concepts condamnés par le ministre, car ils seraient des « outils intellectuels et politiques nécessaires à la lutte contre le racisme »[23] ; Le Figaro répond en publiant une tribune de Naëm Bestandji, « militant laïc et féministe », qui voit dans ce vocabulaire un symptôme de « l'invasion des thèses néoracistes, véhiculées par les Indigènes de la République, dans les universités françaises et défendues dans les colonnes de Libération »[24].

Novlangue

Sarah-Jane Fouda, dans une chronique pour Le Monde, classe le substantif « racisé » comme un élément de la « novlangue » du discours antiraciste, masquant la pluralité des trajectoires personnelles : « À l’origine, un concept sociologique, utile à l’étude du racisme structurel mais qui, une fois entré dans la novlangue ordinaire, brille de sa nouvelle indigence. Des « personnes racisées » aux « racisés », la novlangue substantive le lexique universitaire, essentialisant par là même le mot qui devait non seulement éviter ce piège mais rendre dicible la réalité sociale du racisme. De fait, dans sa nouvelle acception, le mot ne renvoie plus au processus de racisation mais réduit la personne à une identité fixe, à « l’être racisé.e ». Autrement dit, on ne se fait pas raciser, on est un ou une racisé.e »[25].

Notes et références

  1. Micheline Labelle, Un lexique du racisme : Étude sur les définitions opérationnelles relatives au racisme et aux phénomènes connexes, Montréal/Paris, CRIEC/UNESCO, , 49 p. (lire en ligne), p. 35 :
    « Racialization. The social processes by which a population group is categorized as a race. »
    .
  2. Christian Poiret, « Les processus d’ethnicisation et de raci(ali)sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et « Noirs » », Revue européenne des migrations internationales, vol. 27, , p. 107–127 (ISSN 0765-0752, DOI 10.4000/remi.5365, lire en ligne, consulté le ) :
    « Si les « races » humaines n’existent pas, des groupes racisés existent, constitués d’individus qui tendent à être traités comme l’incarnation de leur groupe d’appartenance et doivent donc apprendre à « faire avec » »
    .
  3. Jean-Luc Primon, « Ethnicisation, racisation, racialisation: une introduction », sur discriminations-egalite.cidem.org, (consulté le ).
  4. Queer, antisystème et rançongiciel entrent dans le dictionnaire, L'Obs, 14 mai 2018.
  5. Colette Guillaumin, « L'idéologie raciste. Genèse et langage actuel », Collection IDERIC, vol. 2, no 1, (lire en ligne, consulté le ).
  6. Asma Benazouz, « D’où viennent les mots "souchien" et "racisé" ? », sur neonmag.fr, (consulté le ).
  7. [https://www.littre.org/definition/race Littré, art. race.
  8. Mélusine, « «Blanchité», «racisé», «racisme d’État» : M. Blanquer, ces concepts sont légitimes dans le débat public », Libération, (lire en ligne).
  9. Delphine Naudier, « Colette Guillaumin. La race, le sexe et les vertus de l'analogie », Cahiers du Genre, no 48, , p. 193 à 214 (lire en ligne).
  10. Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir : L’idée de nature, Paris, iXe, , 240 p. (ISBN 979-10-90062-31-3), p. 211.
  11. Delphine Naudier, « Colette Guillaumin. La race, le sexe et les vertus de l'analogie », Cahiers du Genre, no 48, , p. 193-214 (lire en ligne).
  12. Anne Chemin, Marc-Olivier Bherer, Julia Pascual et Séverine Kodjo-Grandvaux, « « Racisé », « racisme d’Etat », « décolonial », « privilège blanc » : les mots neufs de l’antiracisme », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le ).
  13. (en) Noel Ignatiev, How the Irish Became White, Paris, Routledge, .
  14. Françoise Lorcerie, L'école et le défi ethnique : éducation et intégration, Esf Editeur, , 333 p. (ISBN 978-2-7101-1592-2, lire en ligne), p. 38.
  15. Véronique De Rudder, « Identité, origine et étiquetage », Journal des anthropologues. Association française des anthropologues, , p. 31-47 (ISSN 1156-0428, lire en ligne, consulté le ).
  16. (en) Herbert J. Gans, « Racialization and racialization research », Ethnic and Racial Studies, vol. 40, no 3, , p. 341-352 (DOI 10.1080/01419870.2017.1238497, lire en ligne).
  17. Marcello Maneri (trad. Carmela Lettieri), « Les médias dans le racisme consensuel », Italies, no 14, , p. 503-514 (DOI 10.4000/italies.3383, lire en ligne, consulté le ).
  18. Anne Rosencher, « Les risques du politiquement correct », sur lexpress.fr, (consulté le ).
  19. A Paris, un cortège de tête animé veut repolitiser la Marche des fiertés, Le Monde, 20 juin 2018.
  20. Louise Tourret, « Pourquoi je ne veux pas être racisée », sur Slate.fr, (consulté le ).
  21. "Ateliers en non-mixité raciale" : un syndicat d’enseignant crée la polémique, Europe 1, 21 novembre 2017.
  22. Blanquer porte plainte contre un syndicat qui a utilisé l'expression «racisme d’État» , Libération, 21 novembre 2017.
  23. Mélusine, militante féministe et antiraciste, « Blanchité”, “racisé”, “racisme d'État : M. Blanquer, ces concepts sont légitimes dans le débat public », Libération, 23 novembre 2017.
  24. Naëm Bestandji, « "Blanchité", "racisé", "racisme d'État" : ces concepts qui légitiment le néoracisme », Le Figaro', 27 novembre 2017.
  25. « Non-souchiens ou racisé.e.s : la novlangue des dévots de la race », Le Monde, 26 décembre 2017.

Voir aussi

Bibliographie

  • Didier Fassin (dir.) et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? : Représenter la société française, Paris, La Découverte, , 280 p. (ISBN 978-2-7071-5851-2)

Articles connexes

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