Colette Guillaumin

Colette Guillaumin (1934-2017) est une sociologue française et une militante antiraciste et féministe. Elle est une théoricienne importante des mécanismes du racisme, du sexisme et des rapports de domination[1]. Elle est aussi une figure importante du féminisme matérialiste[2].

Pour les articles homonymes, voir Guillaumin.

Elle a participé à la fondation de la revue Questions féministes, et est également une des cofondatrices de la revue Le genre humain.

Guillaumin propose une analyse en termes de construction sociale du genre. Ses théories recoupent celles des féministes radicales et posent les jalons de la critique du genre.

Biographie

Colette Guillaumin naît le à Thiers[3],[4]. Elle suit ses études à Paris en ethnologie et psychologie. Elle enseigne de façon sporadique en France et au Canada. Elle entre au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1959, dans un premier temps en tant que technicienne puis à partir de 1962 en tant que chercheuse. En 1969, elle soutient sa thèse dirigée par Roger Bastide et intitulée Un aspect de l'altérité sociale. L'idéologie raciste[3]. Guillaumin est docteure en sociologie au CNRS à partir de 1969[5].

Entre 1969 et 1972, elle participe au Laboratoire de sociologie de la dominance avec Nicole-Claude Mathieu, Colette Capitan et Jacques Jenny[3].

Elle fait donc d'abord des recherches sur le racisme : à la suite de Frantz Fanon, elle souligne l'infériorisation des non-blancs, et la hiérarchisation des personnes suivant leurs caractéristiques biologiques. Elle est l'une des premières dans l'étude du racisme à avancer que la notion de « race » n'a aucune valeur scientifique, ne renvoie à aucune réalité naturelle et que c'est un mode de classement arbitraire[3]. Elle a notamment travaillé à démonter les discours naturalisants et essentialistes qui légitiment les discriminations.

En 1972, les résultats de sa thèse sont publiés aux éditions Mouton sous le titre L'Idéologie raciste, genèse et langage actuel, ouvrage qui sera réédité en 2002 chez Gallimard[4]. Guillaumin y analyse le racisme comme un fait social, et y développe le concept de racisation déjà évoqué dans des études antérieures[6]. Selon Naudier et Soriano, ce livre (son unique ouvrage, mais qui représente aussi le cœur de sa réflexion) aurait dû marquer l'histoire de l'émergence des études sur les rapports sociaux de race en France, mais ce tournant ne s'opéra pas[4].

Dès la fin des années 1960, Guillaumin s'intéresse au féminisme. En 1972, on retrouve déjà dans L'idéologie raciste des analogies entre les notions de race et de sexe[4]. Elle fait partie du groupe de féministes qui ont fondé la revue Questions féministes en 1977[4] (bien qu'elle ne figure pas dans le comité de rédaction qui inaugure la revue), qui est la source et l'organe de publication du féminisme matérialiste. Elle y côtoie notamment Christine Delphy, Monique Wittig, Nicole-Claude Mathieu, Paola Tabet, Monique Plaza et Emmanuèle de Lesseps. En 1978, elle y publie un important article, Pratique du pouvoir et idée de nature (en deux parties), qui théorise l'appropriation des femmes[7] à travers les rapports sociaux matériels et l'idéologie naturaliste [8]. Elle fait le parallèle entre le racisme et le sexisme, et donne le nom de « sexage » à l'appropriation d'une classe de sexe par une autre[3].

Sur le terrain, Guillaumin a écrit plusieurs textes pour le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) et s'est également impliquée dans des groupes féministes se situant dans la continuité de Mai 68[4].

Guillaumin a tenu un séminaire à l'Université de Montréal au cours des années 1980[9].

En 1992, un recueil, Sexe, Race et Pratique du pouvoir, reprend les articles publiés dans les revues Sociologie et sociétés (Université de Montréal) ou Le Genre humain dont elle est la cofondatrice en 1981[4],[10]. Elle écrit également dans la revue Sexe et race (Université de Paris 7). Le terme « sexage » qu'elle crée est repris notamment par Michèle Causse, par Danielle Juteau et Nicole Laurin[11], ainsi que par Jules Falquet[12]. Un hommage est rendu à Colette Guillaumin en mai 2005 lors de journées d'études d'EFiGiES à l'IRESCO (« Le genre au croisement d'autres rapports de pouvoir »).

Elle meurt le [1] à Lyon[13].

Apports théoriques

Racisé

Dans son ouvrage L'idéologie raciste, genèse et langage actuel, Colette Guillaumin est la première personne à introduire le terme Racisé, afin de décrire les processus culturels et sociaux susceptibles d'assigner une personne à un groupe minoritaire en fonction de ce que des groupes majoritaires perçoivent d'elle (couleur de peau, religion, sexualité, ...), et ce, indépendamment de ce que cette personne est vraiment. Des discrimination découlent souvent de cette assignation à un groupe minoritaire[14].

Quand on refait le parcours de Guillaumin, alors qu’elle effectue des études en psychologie et en ethnographie, à la Sorbonne dans les années 50, on comprend mieux sa démarche. Elle y rencontre quelques années plus tard Nicole-Claude Mathieu et Noelle Bisseret et contribue avec elles à l’ouvrage collectif intitulé : La femme dans sa société. Son image dans différents milieux sociaux[15]. C’est aussi à cette époque qu’elle s’intéresse à la race et au racisme et publie sur ces propos. Sujet de sa thèse en 1969, le racisme est peu discuté en France à ce moment-là. Guillaumin parvient à s’entourer d’intellectuels anglophones (Franz Boas et Ruth Benedict), ainsi que d'auteurs anticoloniaux et anti-racistes comme Aimé Césaire et Malcolm X.

Sexage

Pour Guillaumin, c’est dans les rapports de domination et d’appropriation qu’on trouve la base du racisme. Poussant plus loin sa réflexion, elle étend le concept du racisme aux rapports de forces pouvant exister entre des groupes de dominants et de dominés. Par exemple, les rapports entre colonisateurs et colonisés, étrangers et nationaux, mais aussi homme et femme; ce qui la conduit à créer la théorie du sexage[16].

La notion de sexage réfère au rapport social par lequel la classe des hommes s’approprie, domine et exploite la classe des femmes. Le rapport de sexage se différencie du rapport de classe en ce qu’il repose sur une appropriation physique, c’est-à-dire que la classe des hommes s’approprie les corps de la classe des femmes en tant « [qu’] unité matérielle productrice de force de travail »[7] et non pas seulement leur force de travail comme c’est le cas pour les prolétaires. Dans un contexte sociopolitique où l’analyse des rapports d’exploitation s’appuie principalement sur la théorie marxiste, Guillaumin montre que l’idée selon laquelle « la force de travail [est] l’ultime chose dont on dispose pour vivre est inadéquate pour la classe entière des femmes »[7]. La spécificité du rapport d’exploitation qui produit les classes de sexe est qu’il n’existe « aucune sorte de mesure à l’accaparement de la force de travail […]. Le corps est un réservoir de force de travail, et c’est en tant que tel qu’il est approprié. Ce n’est pas la force de travail, distincte de son support/producteur en tant qu’elle peut être mesurée en ‘quantités’ (de temps, d’argent, de tâches) qui est accaparée, mais son origine : la machine-à-force-de-travail. »[7]. Par exemple, il n’y a dans le mariage, forme privée du rapport d’appropriation, aucune limitation prévue à l’emploi de l’épouse en termes de temps, de tâches, du nombre d’enfants à délivrer, etc. Il en est de même du travail domestique, que les femmes prennent encore massivement en charge[17], qui ne peut se mesurer : il n’y a pas de « punch-in » ni de « punch-out », mais bien une diversité de tâches qui peuvent survenir à tous instants et qui demandent une disponibilité permanente.

Les expressions plus particulières du rapport de sexage sont : l’appropriation du temps, l’appropriation des produits du corps, l’obligation sexuelle, la charge physique des membres invalides du groupe (enfants, vieillards, malades, infirmes) et des membres valides de sexe mâle.

Ouvrages

  • L'Idéologie raciste, genèse et langage actuel, Paris/La Haye, Mouton, 1972, 243p. Réédition : Gallimard, Coll. Folio essais (no 410), 2002, 384 p. (ISBN 2070422305).
  • Sexe, Race et Pratique du pouvoir. L’idée de Nature, Paris, Côté-femmes, 1992, 239 p. Réédition: Éditions iXe, 2016, 240 p., (ISBN 9791090062313)
Cet ouvrage reprend neuf articles publiés entre 1977 et 1990 ainsi qu’un article inédit, « Le corps construit ».
  • (en) Racism, Sexism, Power and Ideology, Londres, Routledge, 1995, 300 p. (ISBN 0415093856).

Références

  1. Nicolas Sallée et Valérie Amiraux, « Colette Guillaumin (1934-2017) », Sociologie et sociétés, vol. 49, no 1, , p. 153–154 (ISSN 0038-030X et 1492-1375, DOI https://doi.org/10.7202/1042810ar, lire en ligne, consulté le )
  2. Annie Bidet-Mordrel, Elsa Galerand et Danièle Kergoat, « Analyse critique et féminismes matérialistes. Travail, sexualité(s), culture », Cahiers du Genre, vol. HS4, no 3, , p. 5 (ISSN 1298-6046 et 1968-3928, DOI 10.3917/cdge.hs04.0005, lire en ligne, consulté le )
  3. Bard, Christine (1965-....). et Chaperon, Sylvie (1961-....)., Dictionnaire des féministes : France, XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Seuil, , 1699 p. (ISBN 9782130787204, OCLC 972902161, lire en ligne), p. 694
  4. Delphine Naudier et Éric Soriano, « Colette Guillaumin. La race, le sexe et les vertus de l'analogie », Cahiers du Genre, vol. 48, no 1, , p. 193-214 (ISSN 1298-6046 et 1968-3928, DOI 10.3917/cdge.048.0193, lire en ligne, consulté le ).
  5. Thèse sous la dir. de Roger Bastide : http://www.sudoc.fr/015429830.
  6. Notamment dans Claude Duchet, Patrice de Comarmond (dir.), Racisme et société, François Maspero, Paris, 1969, p. 323
  7. Colette Guillaumin, « Pratique du pouvoir et idée de Nature (1) L'appropriation des femmes ». Questions Féministes No. 2, les corps appropriés (février 1978), p. 5-30.
  8. Colette Guillaumin, « Pratique du pouvoir et idée de Nature (2) Le discours de la Nature ». Questions Féministes (février 1978).
  9. Voir https://www.labrys.net.br/labrys12/quebec/juteau.htm.
  10. Brigitte Lhommond, « Sexe, race, et pratique du pouvoir, l’idée de nature | multitudes », sur www.multitudes.net, (consulté le )
  11. DANIELLE JUTEAU et NICOLE Laurin, « Ľévolution des formes de ľappropriation des femmes: des religieuses aux ‘mères porteuses’ », Canadian Review of Sociology/Revue canadienne de sociologie, vol. 25, no 2, , p. 183–207 (ISSN 1755-618X, DOI 10.1111/j.1755-618X.1988.tb00102.x, lire en ligne, consulté le )
  12. Elsa Galerand, « Quelle conceptualisation de l’exploitation pour quelle critique intersectionnelle? », Recherches féministes, vol. 28, no 2, , p. 179–197 (ISSN 0838-4479 et 1705-9240, DOI https://doi.org/10.7202/1034181ar, lire en ligne, consulté le )
  13. Danielle Juteau, « La sociologue Colette Guillaumin est morte », sur lemonde.fr,
  14. « « Racisé », « privilège blanc », « intersectionnalité » : le lexique pour comprendre le débat autour des réunions non mixtes », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  15. Delphine Naudier, Éric Soriano, « Colette Guillaumin. La race, le sexe et les vertus de l'analogie », sur https://www.cairn.info/, (consulté le )
  16. Delphine Naudier, Éric Soriano, « Colette Guillaumin. La race, le sexe et les vertus de l'analogie », sur https://www.cairn.info/, (consulté le )
  17. Eve-Lyne Couturier et Julia Posca, « Tâches domestiques: encore loin d'un partage équitable », Institut de recherche et d'informations socioéconomiques, (lire en ligne)

Liens externes

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