Étude du petit monde

Le « phénomène du petit monde » (appelé aussi effet du petit monde également connu sous le vocable « paradoxe de Milgram » car ses résultats semblent contraires à l'intuition) est l'hypothèse que chacun puisse être relié à n'importe quel autre individu par une courte chaîne de relations sociales. Ce concept reprend, après l'expérience du petit monde, conduite en 1967 par le psychosociologue Stanley Milgram, le concept de « six degrés de séparation », formulé par le Hongrois Frigyes Karinthy en 1929. Celui-ci suggère que deux personnes, choisies au hasard parmi les citoyens américains, sont reliées en moyenne par une chaîne de six relations. En revanche, après plus de trente ans, le statut de cette idée comme description de réseaux sociaux hétérogènes reste une question ouverte. Des études sont encore menées actuellement sur le « petit monde », avec notamment le modèle mathématique de réseau « petit monde ».

Les six degrés de séparation.

Expérience menée par Milgram

Ne pas confondre avec l'expérience de Milgram en psychologie sociale.

Le protocole de la première expérience de Stanley Milgram sur le « petit monde », décrite dans un article non daté et intitulé Results of Communication Project, est le suivant : Milgram envoie soixante lettres à des recrues de la ville d'Omaha dans le Nebraska. Il leur demande de faire suivre cette lettre à un agent de change, vivant à une adresse fournie, dans la ville de Sharon dans le Massachusetts. Les participants pouvaient seulement passer les lettres, de main à main, à des connaissances personnelles qu'ils pensaient être capables d'atteindre l'objectif, directement ou via les amis des amis. Bien que cinquante personnes se soient prêtées à l'expérience, seulement trois lettres arrivèrent à destination. Le célèbre article de 1967 de Milgram décrit le fait qu'une lettre ne mit que quatre jours pour atteindre sa destination, mais négligea de mentionner que seulement 5 % des lettres réussirent à rejoindre leur cible.

Critiques

Une des difficultés dans la conduite de ces études tient à la supposition que les gens dans la chaîne sont compétents pour découvrir le lien entre les deux personnes servant de terminaux.

S'il y avait des doutes sur le fait que le monde entier soit un petit monde, il y a peu de doutes qu'il y ait beaucoup de petits mondes dans le monde global : depuis les chaînes dans l'université de l'État du Michigan jusqu'à celles du monde très uni de la communauté juive de Montréal.

Les recherches originales de Milgram ont été critiquées sur de nombreux points. Elles étaient conduites au travers de larges populations plutôt que sur des groupes restreints et habitués à collaborer tels que les mathématiciens ou les acteurs (cf. infra). Dans deux expériences ultérieures, le taux de succès (établissement de la chaîne) fut si faible que les résultats n'ont pas été publiés.

Observations

Des chercheurs ont montré que beaucoup de facteurs ténus peuvent modifier profondément les résultats d'une expérience de petit monde. Les études essayant de relier des gens de groupes ethniques ou de revenus différents montrent des asymétries significatives. Milgram lui-même a coécrit un article qui révèle un taux de réussite de 13 % lorsque la cible est de type africain et de 33 % pour le type caucasien, et ce, en dépit du fait que les participants ignorent l'ethnie du destinataire.

Malgré ces complications, une série de nouvelles découvertes émergèrent des recherches de Milgram. Après de nombreuses améliorations du protocole (la valeur perçue de la lettre est un facteur prépondérant dans la motivation des intervenants à la faire passer ou non), Milgram fut à même d'atteindre un taux de réussite de 35 %, et des chercheurs ultérieurs atteignirent 97 %.

À partir des chaînes ayant atteint leur destinataire, on constata que le nombre de cinq intermédiaires se dégageait. De cette constatation naquit l'expression « six degrés de séparation ». En plus, Milgram identifia un effet d'« entonnoir » par lequel la plupart des propagations étaient le fait d'un petit nombre de personnes ou étoiles qui avaient une connectivité nettement supérieure à la moyenne. Même dans l'étude pilote, Milgram constata que deux des trois chaînes avaient utilisé les mêmes personnes.

Mathématiciens et acteurs

On a constaté que de plus petites communautés, comme celles des mathématiciens ou des acteurs, sont fortement connectées par des chaînes personnelles ou d'associations professionnelles. Les mathématiciens ont créé le nombre d'Erdős pour décrire la distance depuis Paul Erdős, en se basant sur les publications communes. Un exercice semblable a été réalisé avec l'acteur Kevin Bacon pour les acteurs jouant dans les mêmes films.

On a constaté que le nombre de degrés de séparation de deux acteurs quelconques de Hollywood était rendu extrêmement faible en raison de la présence de seconds rôles dans un très grand nombre de films.

Influence

Médiatique

L'ouvrage The Tipping Point (le point de bascule, de déclenchement, de saturation) de Malcolm Gladwell, basé sur des articles publiés à l'origine dans The New Yorker, élabore le concept d'« entonnoir » (« funneling »).

Gladwell allègue que le phénomène des six degrés dépend d'extraordinairement peu de gens (les « connecteurs ») qui ont de larges réseaux de contacts et d'amis : ces points de convergences servent d'intermédiaires entre la grande majorité d'individus faiblement reliés.

Des travaux récents, portant sur les effets du phénomène du petit monde dans la propagation des épidémies, montrent, par contre, qu'à cause de la nature fortement reliée des réseaux sociaux pris comme un tout, retirer ces points de convergences d'une population n'a généralement que peu d'effet sur la longueur moyenne des chemins dans les graphes[1].

Modélisation de réseaux

En 1998, Duncan J. Watts et Steven H. Strogatz, tous deux du département de mécanique théorique et appliquée de l'université Cornell, ont publié le premier modèle de réseaux, dit modèle de Watts–Strogatz, concernant le phénomène du petit monde, c'est-à-dire un réseau « petit monde » (Small-world Network)[2]. Ils montrent que les réseaux des mondes naturel et artificiel comme les réseaux neuronaux des Caenorhabditis elegans et les réseaux électriques présentent les caractéristiques des petits mondes. Watts et Strogatz ont montré que, en commençant avec un treillis régulier, l'addition de quelques liens au hasard réduit la longueur du chemin direct entre deux nœuds depuis « très long » vers « très court ». Cette recherche tire son origine des efforts de Watts pour comprendre les stridulations des criquets. Ceux-ci montrent un grand degré de coordination sur de grandes distances comme si ces insectes étaient guidés par un conducteur invisible. Le modèle mathématique développé par Watts et Strogatz pour expliquer ce phénomène a été appliqué depuis dans une large gamme de champs d'application. À ce propos, Watts s’exprime en ces termes[3] :

« Je pense avoir été contacté par quelqu’un à peu près dans tous les domaines hormis la littérature anglaise. J'ai des lettres de mathématiciens, de physiciens, de biochimistes, de neurophysiologistes, d'épidémiologistes, d'économistes, de sociologues; de gens du marketing, des systèmes d'information, d'ingénieurs civils, ainsi que d'une entreprise d'affaires qui utilise le concept de petit monde à des fins de mise en réseaux sur Internet. »

De manière générale, leur modèle démontre le bien-fondé de l'observation du sociologue Mark Granovetter qui indique que c'est la solidité des liens faibles qui tient ensemble les réseaux sociaux. De nombreux autres modèles ont depuis été proposés pour générer des réseaux avec l'effet du petit monde, parmi lesquels un des plus cités est celui de Jon Kleinberg. Néanmoins, le sujet reste un cas d'étude dans le domaine des réseaux complexes.

À un niveau mathématique, l'effet petit monde a deux particularités :

  • la distance moyenne entre deux nœuds est proportionnelle au logarithme du nombre de nœuds, ce qui est par exemple le cas dans des graphes aléatoires ;
  • un grand nombre de structures sont proches de cliques, c'est-à-dire que les voisins d'un sommet donné seront souvent connectés entre eux. Cet effet n'est absolument pas présent dans les graphes aléatoires.

La particularité des modèles pour les petits mondes est ainsi la distance moyenne faible et les structures proches de cliques. Les modèles qui les génèrent ont suscité un grand enthousiasme en montrant que, pour une structure où la distance moyenne est proportionnelle au nombre de nœuds, tel un treillis, il suffisait de modifier quelques arêtes pour faire chuter fortement cette distance tout en conservant l'essentiel des cliques. Ce modèle a également été étudié dans des réseaux « sans échelle », où le nombre de connexions entre deux nœuds peut différer de plusieurs ordres de grandeur.

En informatique, le phénomène des petits mondes (sous une autre désignation) est utilisé dans la conception de réseaux de pair à pair sécurisé, pour de nouveaux algorithmes de routage pour Internet et les réseaux sans fil, et dans la recherche d'algorithmes pour toutes sortes de réseaux de communication.

Divers

Les modèles du petit monde ont été considérés comme l'une des 25 grandes idées qui ont changé le monde par l'historien des sciences Robert Matthews[4].

En , Facebook publie, en partenariat avec l'Università degli Studi di Milano, une étude traitant, en partie, du sujet du petit monde. Celle-ci est basée sur un échantillon de 721 millions de personnes (soit l'ensemble des utilisateurs du réseau social, à cette époque). On y apprend que, désormais, chaque personne est reliée en moyenne par une chaîne de 4,74 relations[5] à n'importe quelle autre.

Notes et références

  1. Barrett CL, Eubank SG, Smith JP. If smallpox strikes Portland. Scientific American 2005; 292: 54.
  2. (en) Duncan J. Watts et Steven H. Strogatz, « Collective dynamics of ‘small-world’ networks », Nature, vol. 393, no 6684, , p. 440–442 (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/30918, lire en ligne, consulté le )
  3. Polly Shulman, « From Muhammad Ali to Grandma Rose », Discover Magazine, (lire en ligne)
  4. Robert Matthews, 25 Big Ideas: The Science that's Changing our World
  5. "Anatomy of Facebook"

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Est-il possible que quiconque dans le monde puisse rejoindre n'importe qui d'autre avec une chaîne de juste six amis ? Des projets sont régulièrement menés pour valider cette hypothèse:

Article originaux:

Hypothèses et recherches sur les réseaux de petit monde:

  • (en) Knock, Knock, Knocking on Newton's Door Article publié dans le Defense Acquisition University's journal Defense AT&L, qui propose des modèles de réseaux sociaux reposant sur les petits mondes.
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