Mikhaïl Toukhatchevski

Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski (en russe : Михаил Николаевич Тухачевский ; en polonais : Michaił Tuchaczewski) est un militaire russe puis soviétique (). Maréchal de Staline à l'âge de 42 ans, il est éliminé deux ans plus tard.

Mikhaïl Toukhatchevski

Naissance
province de Smolensk
Décès
Union des républiques socialistes soviétiques
Origine Empire russe
Allégeance Empire russe,
Union soviétique
Arme Armée rouge
Grade Maréchal de l'Union soviétique
Années de service 1914 – 1937
Conflits Révolution russe, Guerre russo-polonaise de 1920, Révolte de Kronstadt
Distinctions Ordre de Saint-Vladimir

Ordre de Sainte-Anne
Ordre de Saint-Stanislas

Un aristocrate rallié à la Révolution

Il est né le , dans le village d'Alexandrovskoïe (aujourd'hui Slednevo), dans le gouvernement de Smolensk, de Nikolaï Nikolaïevitch Toukhatchevski et Mavra Petrovna Toukhatchevskaïa au sein d'une famille d'officiers et de fonctionnaires.

Après avoir fréquenté l'académie militaire Alexandre, il devient sous-lieutenant de l'armée de l'empire russe en 1914. Il est fait prisonnier par les Allemands au cours de la campagne de Galicie en . Il est notamment détenu au fort d'Ingolstadt avec un jeune officier français, Charles de Gaulle et Rémy Roure, mais réussit à s'évader à la fin de l'été 1917, par la Suisse puis la France. Il arrive à Petrograd début , juste à la veille de la révolution russe[1].

Au début de 1918, resté dans l'armée, il devient membre du Parti bolchevique et on le nomme aussitôt commissaire militaire. Lors de la guerre civile qui s'ensuit, il mène alors toute une série de combats sur les différents fronts sans connaître aucune défaite. Le jeune commissaire a, sous son commandement, les armées entières, à la tête desquelles il entreprend avec succès les opérations de Simbirsk, Sizran, Bougourouslan, Bougoulma, Oufa, Tcheliabinsk, Caucase du Nord, etc[1].

En avril 1920, à la tête des armées du front de l’ouest, il commande l'offensive contre la Pologne et, pour galvaniser ses hommes, lance son fameux ordre du jour : « La route de l'incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne ! ». Il échoue cependant devant Varsovie et met ouvertement en cause Kliment Vorochilov et Staline pour avoir entravé son action et être responsables de cet échec. Toukhatchevski avait réclamé la 1re de cavalerie du général Boudienny en renfort, mais Staline le lui avait refusé car ce dernier bataillait à Lvov, dont il faisait de la prise une question de prestige. Staline, en retour, n'oubliera jamais cet affront.

En 1921, sur ordre du parti communiste, il écrase la révolte des marins de Kronstadt, qui fait plusieurs milliers de morts. En été de 1921, Toukhatchevski n'hésite pas à bombarder les populations aux gaz toxiques pour mater la grande révolte des campagnes de Tambov, appliquant ainsi l’ordre no 171 émanant du Politburo qui précisait que « les forêts où les bandits se cachent doivent être nettoyées par l'utilisation de gaz toxique. Ceci doit être soigneusement calculé afin que la couche de gaz pénètre les forêts et tue quiconque s'y cache.[2] »

La guerre civile terminée, il participe activement à la réorganisation de l'armée. Il est nommé commandant de l'Académie militaire de l'Armée rouge en . Il devient chef de l'État-Major général de 1924 à 1928, puis commandant de la région militaire de Leningrad. En 1931, il est ministre adjoint de la défense nationale et chef des armements de l'Armée rouge. Il est élevé au rang de maréchal en 1935, seulement âgé de 42 ans.

Cependant, Toukhatchevski doit affronter de nombreux ennemis, dont le futur maréchal Chapochnikov qui lui succédera, ou d’autres officiers qui le voyaient comme un arrogant aux plans grandioses. Cela arriva aux oreilles de Staline, qui avait une dent contre Toukhatchevski depuis la campagne de Pologne. En 1930, Staline fit travailler l’OGPU à des accusations contre lui : les enquêteurs de l’OGPU montèrent alors un dossier contre Toukhatchevski, mais Sergo Ordjonikidze, que Staline sonda, refusa d’aller plus loin. Staline fit alors machine arrière en reconnaissant son innocence et s’excusa auprès de lui, reconnaissant même la modernité de ses stratégies[3].

Mikhaïl Toukhatchevski est la plus connue des victimes des Grandes Purges ordonnées contre l'appareil militaire en 1936-1937, qui à la veille de la Secondaire Guerre mondiale décapita tout le haut commandement de l'Armée rouge en touchant la quasi totalité des généraux et tous les amiraux[4]. Devant l'imminence du péril des officiers survivants, restés prisonniers, furent néanmoins réhabilités en 1939-1940 et réintégrés à leur poste ou mis en retraite. Mais en ce qui concerne Toukhatchevski, Staline prit la décision de le faire exécuter sur la base d'un dossier de trahison monté avec Nikolaï Iejov, chef du NKVD.

Victime d'un complot Hitler-Staline

Très inquiet devant la montée en puissance de l'Allemagne, Toukhatchevski s'active, au cours de ses déplacements en Occident, notamment lors des obsèques de George V, à inciter les dirigeants qu'il rencontre à monter une coalition anti-allemande. Certes, inquiet lui aussi du danger allemand, Staline ne veut à aucun prix d'un affrontement avec le Reich, dont il redoute la puissance ; d'autre part, Staline souhaite garder deux fers aux feu et craint que les pays occidentaux ne tolèrent une guerre entre l'Union soviétique et le Reich, qui les épargnerait. Dans cet esprit, Staline retire son soutien aux Républicains espagnols en arrêtant les livraisons d'armes et commence à livrer à la Gestapo certains communistes allemands réfugiés en URSS dans le but de monter une alliance entre les deux pays.

Staline prit la décision de liquider Toukhatchevski quand, devant le Soviet suprême, celui-ci avait publiquement critiqué l'Allemagne et le danger qu'elle représentait. Il était en faveur d'une guerre préventive au vu du réarmement allemand. Conscient du prestige de sa cible, Staline procède prudemment. Un dossier de trahison est alors monté avec Nikolaï Iejov, chef du NKVD via, semble-t-il, la contribution du contre-espionnage (SD) nazi dirigé par Reinhard Heydrich, allié pour l'occasion. Son principe est le suivant : Staline veut se débarrasser de Toukhatchevski qui représente un danger pour son pouvoir absolu ; Hitler veut la même chose pour priver l'Armée rouge de son dirigeant le plus brillant. Une fausse information selon laquelle Toukhatchevski complote est alors transmise aux Allemands par Iejov qui manipule un russe blanc retourné ; ceux-ci l'amplifient en fabriquant des faux et les font passer aux Tchèques qui les relaient, en toute bonne foi, aux Soviétiques. Pour parachever leur œuvre, les services nazis font passer aussi une information par Paris[5].

Outre sa paranoïa, Staline, animé par la volonté de pouvoir s'entendre avec Hitler, fera signer le pacte germano-soviétique en et s'engagera dans des accords commerciaux en 1940 et 1941 avec l'Allemagne nazie, lui livrant des matières premières nécessaires à son effort de guerre. Encore en Molotov insistera au nom de Staline pour que l'URSS puisse adhérer à l'Axe. Certes, ce dernier craignait que la France et la Grande-Bretagne puissent ne pas réagir en restant à l'écart d'une guerre germano-soviétique : en ce sens, la liquidation d'un chef militaire, très anti-allemand, l'aiderait dans cette tentative.

Au défilé du , Toukhatchevski est encore au côté de Staline sur la place Rouge. Il est arrêté le , condamné et exécuté le .

Un stratège visionnaire

Dans les années 1920, Toukhatchevski a voulu transformer les unités irrégulières de l'Armée rouge en des troupes entraînées et disciplinées. Il poussait au remplacement de la cavalerie par les blindés, idée qui n'a commencé à être mise en pratique que dans les années 1930, quand Staline prit la décision d'industrialiser l'armée.

Il théorise le concept soviétique « d'opérations en profondeur », dans lesquelles des armées combinées sont utilisées pour détruire les arrières de l'ennemi et sa logistique. La doctrine est codifiée dans le livre d'instructions de l'Armée rouge de 1936 puis mise en pratique pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il s'agit d'une conception théorique 100 % offensive qui sera approfondie par sa mise en pratique au cours du conflit.

La réhabilitation par Khrouchtchev

En 1957, Nikita Khrouchtchev réhabilite Toukhatchevski au titre de la déstalinisation.

Le premier secrétaire du PCUS d’alors a affirmé que la Gestapo allemande avait fabriqué de toutes pièces des documents pour compromettre Toukhatchevski et d'autres et ainsi affaiblir l'Armée rouge à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La théorie du complot militaire contre Staline est ainsi définitivement enterrée.

Conséquences

L'élimination du maréchal Toukhatchevski a pour conséquences l'abandon de la stratégie des divisions blindées qu'il préconisait comme Guderian en Allemagne, Estienne et de Gaulle en France, Liddell-Hart et Fuller au Royaume-Uni, Patton et Eisenhower aux États-Unis. Cet abandon sera l'une des causes, sans être la seule, de la déroute soviétique de l'été 1941.

Notes et références

  1. De Gaulle et Toukhatchevski Marina Arzakanian, Revue historique des armées, 2012 : 1812, p. 91-101
  2. Collectif 1997, p. à préciser.
  3. Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I, p. 108.
  4. Reese 1993, p. à préciser.
  5. Carell 1963, p. 192.

Voir aussi

Bibliographie

  • V. Alexandrov, L’Affaire Toukhatchevsky (Laffont, 1962).
  • G. Bailey, soviétologue spécialiste de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide.
  • R. Baladin, S.Mironov, les Conspirations et la Lutte pour le Pouvoir. De Lénine à Khrouchtchev (Moscou, Veche, 2003).
  • Maréchal S. М. Budenny (à propos de la guerre soviéto-polonaise) :Пройдённый путь Moscou Воениздат t. I 1958, t. II 1965, t. III 1973. En ce qui concerne la campagne de 1920, voir t. II, chap. 2.
  • (de) Paul Carell (trad. Raymond C. Albeck), Opération Barbarossa, Robert Laffont, , 586 p..
  • (en) P.Carrel, Hitler moves East 1941-1943, New York: Little Brown, 1964.
  • G. Castellan, Le Réarmement clandestin du Reich, 1930-1935 (Plon, 1954).
  • Collectif, Le Livre noir du communisme : crimes, terreur, répression, Paris, éditions Robert Laffont, , 846 p. (ISBN 2-221-08204-4).
  • J B Duroselle, Les Relations germano-soviétiques de 1933 à 1939 (A. Colin, 1954).
  • M. Garner, Histoire de l'armée soviétique (Plon, 1959).
  • Sophie de Lastours, Toukhatchevski, le bâtisseur de l’Armée rouge, Albin Michel, Paris, 1996.
  • A. Martirosyan, La Conspiration des maréchaux (Moscou, Veche, 2003).
  • S. Minakov,  Staline et la Conspiration des généraux (Moscou, Yauza, 2005).
  • Simon Sebag Montefiore (trad. de l'anglais par Florence La Bruyère et Antonina Roubichou-Stretz), Staline : La cour du tsar rouge, vol. I. 1929-1941, Paris, Perrin, , 723 p. (ISBN 978-2-262-03434-4). 
  • (en) Roger R. Reese, « The Red Army and the Great Purges », dans J. A. Getty and R. T. Manning, Stalinist Terror [« L'Armée rouge et les Grandes Purges »], Cambribge, New Perspectives, .
  • (ru) M. N. Toukhatchevski, Поход за Вислу (La Marche vers la Vistule) Considérations sur la guerre soviéto-polonaise de 1920 (conférence prononcée à l'École de guerre de l'Armée soviétique du 7 au ).
  • Вопросы организации армий (Questions sur l'organisation de l'Armée).
  • Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Les Maréchaux de Staline, Perrin, 2021.
Sur la guerre soviéto-polonaise de 1920, on pourra lire également
  • Isaac Babel, Cavalerie Rouge (Disponible en édition de poche) : Souvenirs de guerre de l'auteur qui a participé à la campagne de 1920 dans les rangs de la 1re Armée soviétique. Il s'agit d'une œuvre polémique et les affirmations d'Isaac Babel ne peuvent pas être toujours considérées comme l'expression de la vérité historique ; elles ont en leur temps fait l'objet de vives contestations. Cet ouvrage constitue néanmoins un témoignage d'un intérêt certain.

Liens externes

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