Martha Desrumaux

Martha Desrumaux, née le à Comines (Nord) et morte le à Évenos (Var), est une figure emblématique du mouvement ouvrier et de la résistance intérieure française.

Ouvrière, militante syndicale de la Confédération générale du travail (CGT) et cadre du Parti communiste français (PCF), elle s'investit durant la première moitié du siècle dans de nombreuses luttes sociales afin d'améliorer les conditions de travail et de rémunération des ouvriers, en particulier dans le Nord. Durant la Seconde Guerre mondiale, entrée en Résistance, elle est déportée au camp de concentration de Ravensbrück pendant plus de trois ans. En 1945, elle est nommée déléguée représentante des déportés dans l'Assemblée consultative réunie par le général de Gaulle, devenant l'une des seize premières représentantes parlementaires en France[1]. Elle est également connue pour son engagement dans la défense des droits des femmes, leur reconnaissance et leur émancipation dans la société.

Biographie

Enfance, travail et militantisme

Martha Desrumaux naît le à Comines dans le Nord de la France[2]. Elle est le sixième des sept enfants d'une famille pauvre : son père Florimond Desrumaux, radical-républicain et laïc, est un employé du gaz qui a été licencié pour insolence ; sa mère, très pieuse, a une jambe amputée[2]. À 9 ans, elle perd son père, pompier volontaire écrasé lors d'une intervention par la charrette qui transporte la pompe à eau[3]. Elle quitte alors l'école et travaille au déchargement des betteraves pour une distillerie, puis est placée comme bonne d'enfants dans une famille bourgeoise dans la banlieue sud de Lille. Elle revient dans sa ville natale quelques mois plus tard et devient ouvrière du textile à l'usine Cousin de Comines[4]. Elle s'intéresse à la politique grâce à son grand frère Émile, libre-penseur et anarcho-syndicaliste. Consciente des conditions de travail difficiles auxquelles elle est confrontée, Martha Desrumaux adhère à la CGT à 13 ans[5],[6].

À l'âge de 15 ans, elle adhère aux Jeunesses socialistes, sensible aux discours de Jean Jaurès dont elle entend des témoignages autour d'elle. Pendant la Première Guerre mondiale, les civils et les usines sont évacués vers les zones éloignées du front. Elle part pour Lyon et trouve un emploi aux usines textiles Hassebroucq. En 1917, elle prend la direction des grévistes pour obtenir le retrait d'une caution logement dans les contrats de travail, qui empiète sur le salaire des ouvrières. C'est une première victoire pour la jeune syndicaliste, qui prend pleinement conscience du rôle du collectif dans le règlement des conflits[7],[6].

Responsabilités syndicales, politiques à l'échelle régionale et nationale

Martha Desrumaux devient membre du Parti communiste français dès 1921, juste après sa création (à l'issue du congrès de Tours). Elle s'implique dans les combats des communistes de cette époque, antimilitarisme, anticolonialisme, antifascisme, etc. Lors d'une réunion à Lille, à la demande de Maurice Thorez, elle rédige un télégramme à l'attention du président de la République Gaston Doumergue, dénonçant la guerre coloniale au Maroc[6]. En 1927 ou 1929 selon les sources, elle est la première femme élue au comité central du Parti communiste[8]. Elle est conviée au dixième anniversaire de la révolution d'Octobre à Moscou, où elle fera des rencontres fondatrices, comme celle de Clara Zetkin, l'initiatrice de la Journée internationale des droits des femmes[6].

À son retour, elle continue à s'investir syndicalement pour aider les ouvrières du textile à s'organiser dans les usines et les ateliers, pour obtenir de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. Elle crée le journal L'Ouvrière, qui permet l'information pour une meilleure défense des droits des femmes au travail. Pendant près de quinze ans, elle va être le fer de lance de grèves dans toute la région Nord-Pas-de-Calais, de Bailleul à Halluin, d'Armentières à Watten et à Lille, dans une région où le Consortium textile tente de réduire la main-d'œuvre féminine à une simple variable d'ajustement. En 1928, elle est arrêtée pour complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l'État et inculpée pour « violences et voies de fait », après avoir organisé des collectes pour la « grève des dix sous », lancée par la CGTU afin de demander une augmentation des salaires de 50 centimes de l'heure. En 1931, elle part pour un an et demi à Moscou étudier à l'École internationale Lénine ; les rapports soviétiques notent son « intelligence », son « enthousiasme » et son « dévouement illimité pour le parti ». C'est dans ce cadre qu'elle rencontre son futur mari, Louis Manguine, de huit ans son cadet ; ils ont un fils, Louis, né en 1937, et se marient officiellement en 1938. À son retour en France, elle intègre le bureau politique du PCF[6].

Son combat continue avec l'âpreté du chômage liée à la crise économique des années 1930. Dans le cadre de la CGTU, des comités de sans-travail naissent. Pour une meilleure protection des chômeurs et l'instauration d'une assurance-chômage, Martha Desrumaux va accompagner la Marche de la faim de , composée de chômeurs[6], qui reçoit un soutien populaire sur tout son parcours de Lille à Saint-Denis. Jusqu'en 1935, d'autres marches convergent vers les centres urbains. « Le mouvement des chômeurs fut un embryon des conditions d'union de la classe ouvrière », analyse-t-elle dans un entretien enregistré.

Lors de la scission entre la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), en 1922, Martha Desrumaux a en effet choisi d'aller vers le courant minoritaire. En 1924, elle crée la section CGTU de Comines[6]. À la suite des luttes communes et sous la pression des ouvriers, les deux syndicats fusionnent. Martha Desrumaux est reconnue comme militante syndicale de confiance. Elle est amenée à prendre de plus en plus de responsabilités. En 1935, c'est elle qui représente la CGTU au comité de fusion avec la CGT[8] et qui est chargée de leur réunification dans le Nord[6].

Elle devient une des grandes animatrices de la stratégie de Front populaire dans le Nord. En 1936, Jean Renoir la repère pour jouer son propre rôle dans le film La vie est à nous. La même année, elle participe avec Léon Jouhaux et Léon Blum aux victoires du Front populaire. Elle est la seule femme membre de la délégation ouvrière aux accords Matignon en 1936. Benoît Frachon s'appuie sur elle pour négocier des augmentations de salaires importantes face au patronat, qui refusait jusque-là le moindre geste. Cette même année 1936, elle est aux côtés de Danielle Casanova lors de la création de l'Union des jeunes filles de France, dont Martha Desrumaux prend la direction pour le Nord. C'est le pendant féminin des Jeunesses communistes, qui milite pour l'émancipation des jeunes femmes et l'égalité entre les sexes. L'année suivante, elle s'implique aussi pour aider les Républicains espagnols et faire partir les volontaires des Brigades internationales[6].

Au sujet du Pacte germano-soviétique (1939), elle déclare a posteriori : « Il fallait le faire » et ne critique pas Joseph Staline[6].

Seconde Guerre mondiale : Résistance et déportation

Menacée par la répression anti-communiste en , elle se réfugie en Belgique auprès du dirigeant de l'Internationale communiste Eugen Fried. Dès le mois de , le Nord-Pas-de-Calais est occupé par la Wehrmacht. Martha Desrumaux revient à Lille et réorganise le Parti communiste clandestinement. Dès le mois de juin 1940 dans la région de Lille, le groupe auquel elle appartient distribue des tracts en langue allemande[9]. Dès , elle impulse le projet d'une grève des mineurs. À partir de l'automne 1940, Auguste Lecœur et Julien Hapiot développent l'action dans le Pas-de-Calais. De à , plusieurs arrêts de travail et des manifestations de femmes mobilisent les familles de mineurs du bassin minier. Du au , cent mille mineurs sont en grève et la production est totalement arrêtée[8]. Elle devient une figure de la résistance intérieure française. Dénoncée par le préfet du Nord, Fernand Carles (1886-1945), elle est arrêtée par la Gestapo le à Lille. Mise au secret à la prison de Loos, elle est transférée dans les prisons allemandes puis déportée en au camp de Ravensbrück. Elle organise le soutien des plus faibles avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Marie-Claude Vaillant-Couturier. Malgré les conditions de vie extrêmes, les maltraitances, les privations, les maladies, les femmes trouvent des moyens de résister à leurs geôliers en sabotant leurs outils de travail ou encore en donnant un peu d'humanité aux nouvelles arrivantes. Martha Desrumaux est atteinte du typhus. Elle est libérée de Ravensbrück, rapatriée par la Croix-Rouge en [6]. Dès son retour, elle tient à participer à un meeting pour expliquer les horreurs du système concentrationnaire.

Élue du peuple, représentante des déportés et militante féministe

Le droit de vote est accordé aux femmes en 1944. Martha Desrumaux est élue aux élections de 1945 au conseil municipal de Lille. Celle qui était surnommée « la pasionaria du Nord » reprend ses responsabilités à l'Union des syndicats CGT du département. Elle en est co-secrétaire avec Marcel Tourbier. Nommée déléguée à l'Assemblée consultative en 1945, au titre des représentants des prisonniers et déportés, elle n'a pu y siéger bien longtemps, étant malade[6]. En 1950, elle est contrainte de se démettre de ses fonctions à l'Union départementale des syndicats CGT[8].

Après 1950, elle s'occupe de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes pour défendre les droits des anciens déportés résistants et faire connaître leurs valeurs. Ouvrière et féministe, elle a toujours milité afin que les jeunes filles et les femmes puissent prendre des responsabilités au sein du mouvement syndical et des organisations politiques. Durant les Trente Glorieuses, la société ne semble pas évoluer assez vite pour elle. Elle va donc continuer à militer pour l'émancipation des femmes, au sein de l'Union des femmes françaises, née en 1945, association qui évoluera sous le nom de Femmes solidaires.

Martha Desrumaux meurt le , le même jour que son mari Louis Manguine, lui-même ancien métallurgiste et syndicaliste. Ils sont enterrés à Évenos (Var), où ils s'étaient retirés à la fin de leur vie[6].

Hommage

En 2019, la ville de Paris honore la mémoire de Martha Desrumaux en donnant son nom à un espace vert, le jardin Martha-Desrumaux, dans le 12e arrondissement[10],[11].

Le , au collège Matisse de Lille, se tient l'inauguration du nouveau nom du collège, Martha Desrumaux, en présence des élus locaux, du président du département du Nord, de la rectrice de l'académie et de la petite fille de Martha Desrumaux.

Il existe une rue Martha-Desrumaux à Évenos (Var) depuis mars 2020[12].

Filmographie

  • Le Souffle de Martha, de François Perlier, 2020.

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Béatrice Gurrey, « Martha Desrumaux, figure du Front populaire, syndicaliste, résistante et féministe », Le Monde, 28 aout 2021, p. 18-19 [lire en ligne]
  • Michèle Cointet, Histoire des 16. Les premières femmes parlementaires en France, Fayard, 2017.
  • Catherine Lacour-Astol, Le genre dans la Résistance. La Résistance féminine dans le Nord de la France, Presses de Sciences Po., 2015.
  • Marie-Laure Le Foulon, Le procès de Ravensbrück. Germaine Tillion : de la vérité à la justice, Cherche-Midi, 2016.
  • Marc Leleux, Histoire des sans-travail et des précaires du Nord, Presses universitaires du Septentrion, 2013.
  • Jean-François Murraciole, Histoire de la Résistance en France, Presses universitaires de France, 2012.
  • Pierre Outterick, Martha Desrumaux : Une femme du Nord, ouvrière, syndicaliste, déportée, féministe, Le Geai Bleu éditions, (ISBN 978-2914670524). .
  • Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, Éditions de l'Atelier, 2006.
  • Bernard Pudal et Claude Pennetier, Le souffle d'Octobre. L'engagement des communistes français, Éditions de l'Atelier, 2017.
  • Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France, Publications de la Sorbonne, 1997.
  • Manie Philippe, Martha Desrumaux, femme, ouvrière, syndicaliste, communiste du Nord - Récit de vie , mémoire de Maîtrise de l'Université de Lille III - 1979
  • Louis-Pascal Jacquemond, L'espoir brisé. 1936, les femmes et le Front populaire., Belin, 2016.

Notes et références

  1. Laurent Decotte, « Martha Desrumaux racontée dans un livre », La Voix du Nord, .
  2. Pierre Outterick, p. 40.
  3. Pierre Outterick, p. 41.
  4. Guillaume Bourgeois, Yves Le Maner, Claude Pennetier, « Desrumaux Martha [Desrumaux Marthe, Chrysoline, dite] », sur maitron.fr.
  5. « Conférence-débat sur Martha Desrumaux, une femme d'engagements », La Voix du Nord, , p. LENS-LIEVIN_22
  6. Béatrice Gurrey, « Martha Desrumaux, figure du Front populaire, syndicaliste, résistante et féministe », Le Monde, 28 août 2021, p. 18-19 [lire en ligne].
  7. Pierre Outterick, p. 53.
  8. « Mort de Martha Desrumaux ancien député communiste », Le Monde, (lire en ligne).
  9. Cécile Denis, Continuités et divergences dans la presse clandestine de résistants allemands et autrichiens en France pendant la Seconde Guerre mondiale : KPD, KPÖ, Revolutionäre Kommunisten et trotskystes, (thèse de doctorat réalisée sous la direction d’Hélène Camarade, soutenue publiquement le 10 décembre 2018 à l’université Bordeaux-Montaigne) (lire en ligne)
  10. Julia Hamlaoui, « Mémoire. Le nom de Martha Desrumaux honoré à Paris », sur L'Humanité, (consulté le ).
  11. « Jardin Martha-Desrumaux », sur paris.fr, (consulté le ).
  12. « Inaugurations à venir Évenos », sur evenos.fr

Liens externes

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