Loi de détrônement

La loi XLVII-1921, dite Loi de détrônement, est votée par le parlement de Budapest le . Elle rétablit le caractère électif du trône de Hongrie. Adoptée par une assemblée à majorité monarchiste, cette loi rompt avec plusieurs siècles d'histoire hongroise : elle annule les dispositions de la Pragmatique Sanction de 1713 et rompt de façon définitive les liens unissant les Habsbourg, famille régnante en Hongrie depuis le XVIe siècle, et la monarchie hongroise, restaurée en 1920, mais sans titulaire depuis le , date de la renonciation écrite du roi Charles IV à la participation aux affaires de l'État.

Contexte

Les Habsbourg, rois de Hongrie

Ferdinand est le premier roi de Hongrie appartenant à la maison de Habsbourg. Ses descendants règnent sur le royaume jusqu'au .

Depuis 1538, le roi de Hongrie est choisi systématiquement dans la famille des descendants du frère de l'empereur Charles Quint, Ferdinand, époux de la sœur du dernier roi de la dynastie des Jagellon, Louis II. Le désir de grandeur et d'autonomie du royaume incite les nobles hongrois à choisir un membre de la famille des Habsbourg, alors possessionnée dans toute l'Europe[N 1] : ainsi, le choix d'un membre de la famille de Charles Quint constitue le plus sûr moyen de garantir au royaume la place qui lui est due en Europe[1].

Lié depuis 1538 par une union personnelle avec l'Autriche, le royaume de Hongrie est progressivement intégré aux États de la branche autrichienne des Habsbourg ; puis, en 1687, la diète du royaume transforme la couronne de Hongrie, toujours élective, du moins en droit, en une couronne héréditaire, dévolue systématiquement à partir de ce moment, à un membre de la famille des Habsbourg[2].

Les liens entre le royaume de Hongrie et la famille des Habsbourg sont encore renforcés lors de la diète de Poszony, le  : lors de cette réunion, la noblesse hongroise affirme sa fidélité à Marie-Thérèse, fille unique du dernier roi, Charles III[1].

Mihaly Károlyi en 1918.

Durant l'automne 1918, à la faveur du processus final de dislocation de la double monarchie austro-hongroise, le roi Charles IV tente de conserver son trône. Ainsi, le 25 octobre, le lendemain de la démission du cabinet de Sándor Wekerle, Le roi confie à Mihály Károlyi la tâche de former un nouveau gouvernement[3]. Dans les jours qui suivent, au début du mois de , le royaume, sans renoncer au régime de l'union personnelle avec l'Autriche, remet en cause les liens définis par la Pragmatique Sanction : un ministère de la guerre et un ministère des Affaires étrangères hongrois sont constitués et confiés à des ressortissants hongrois, Béla Linder et Tivadar Batthyány[N 2],[4].

La révolution des Asters

Au mois d', les liens entre les deux parties de la double monarchie se distendent, en raison des programmes de réformes intérieures imaginées par l'empereur-roi Charles pour sauver son empire. Ainsi, entre le 28 et le 30 octobre 1918, Budapest, capitale du royaume, est le théâtre d'affrontements entre les forces de police, encore fidèles au roi, à des émeutiers partisans de la rupture des liens entre les deux parties de la double monarchie, encore solidaires[5].

Devant contenir la montée des désordres, Mihály Károlyi, nouveau premier ministre du royaume depuis le , contacte par téléphone le roi Charles IV le et lui décrit une situation incontrôlable[N 3] : il lui demande alors de le relever de son serment, ce que le roi accepte, puis, deux heures plus tard, lui demande de rédiger son acte d'abdication formelle, ce à quoi le roi se refuse[6]. Cependant, le , Charles, sans formellement abdiquer, renonce par écrit à toute participation aux affaires de l'État dans le royaume de Hongrie[7],[8].

La restauration de la monarchie en 1920

Miklos Horthy, régent du royaume, en 1923.

Le , à la faveur de l'écrasement de la République des Conseils, l'ancien représentant du roi en Hongrie, Joseph-Auguste, est restauré dans ses fonctions[N 4],[9]. Cependant, face à l'opposition des Alliés, et devant l'influence grandissante de Miklos Horthy, nommé le commandant en chef de l'armée hongroise, Joseph-Auguste est rapidement obligé de se démettre[7].

Face à cette situation, Miklos Horthy, principal héros hongrois de la guerre, se présente comme un recours. Toléré par les Français, il entre triomphalement dans Budapest le [7]. S'appuyant sur le précédent de Jean Hunyadi au XVe siècle, Horthy se fait élire régent du royaume par la nouvelle chambre hongroise élue en janvier suivant ; les Alliés font cependant pression sur le régent afin de maintenir vacant le trône de Hongrie[7]

Les tentatives de restauration de Charles IV

Charles IV passant en revue la garde d'honneur à Sopron le , lors de la seconde tentative de restauration.

À deux reprises, au printemps, entre le et le , puis à l'automne, entre le et le , le roi Charles IV, alors retiré sur ses terres à Eckartsau[10], tente de restaurer son pouvoir dans le royaume de Hongrie.

La première restauration est pacifique, le roi déchu tentant de convaincre le régent de lui céder le pouvoir ; celui-ci, alors soumis aux pressions des Alliés, refuse de le lui confier. Déçu, Charles est autorisé à quitter le territoire hongrois pour se rendre en Suisse[11].

La seconde tentative, à l'automne 1921, se solde par une défaite militaire des partisans de la dynastie déchue. En effet, partant de l'Ouest du pays le , les troupes fidèles au monarque sont arrêtées dès le lendemain aux portes de Budapest par les unités de l'armée hongroise fidèle au régent Horthy. Le 25, le roi se trouve prisonnier des troupes hongroises[12]. Rapidement, à la demande des Alliés, le sort de l'ancien monarque est définitivement fixé : il est alors exilé à Madère[13].

Réactions internationales

Edvard Beneš, ici en 1919, assimile toute tentative de restauration de la dynastie déchue des Habsbourg-Lorraine comme une agression contre la Tchécoslovaquie.

Ces tentatives suscitent l'opposition des Alliés, notamment celle de la France, hostile à la dynastie des Habsbourg-Lorraine, tandis que les voisins tchécoslovaque et yougoslave ne cachent pas leur opposition à toute restauration d'un membre de l'ancienne famille régnante dans le royaume restauré[13].

En effet, dès 1920, le gouvernement tchécoslovaque, par la voix d'Edvard Beneš, fait savoir qu'il assimile toute tentative de restauration des Habsbourg en Autriche, comme en Hongrie, à une tentative d'agression contre la Tchécoslovaquie[14].

Cependant, se targuant de l'appui de la France, Charles IV tente de duper le régent, qui se rapproche alors des représentants alliés ; ceux-ci font savoir sans ambiguïtés leur position, tandis que les gouvernements Tchécoslovaque et Yougoslave informent Horthy qu'ils envisagent des mesures militaires contre le territoire hongrois en cas de succès de Charles IV[12].

Conséquences

La déchéance des Habsbourg

Non soutenues, les tentatives de restauration du roi Charles accélèrent sa mise en à l'écart définitive, aussi bien la sienne propre que celle de ses descendants, en dépit du soutien du Saint-Siège[N 5],[14].

La Hongrie, un royaume sans roi

Régent au nom d'un roi non désigné, Miklos Horthy s'entoure rapidement d'une cour et organise ses apparitions de façon comparable à celles d'un roi ; dans le même temps, son épouse jouit des prérogatives d'une reine.

Ainsi, la Gare de Keleti, à Budapest, est rapidement érigée en lieu de la manifestation du pouvoir royal incarné par le régent, Miklos Horthy[15].

Istvan Horthy, le fils du régent, mort en 1942 dans un accident d'avion, bénéficie de funérailles comparables à celles du fils du roi de Hongrie[16].

Notes et références

Notes

  1. En 1530, les Habsbourg sont rois de Castille et d'Aragon, régnant également sur les dépendances italiennes et ultramarines ; de plus, par des mariages judicieusement négociés, ils ont recueilli une partie importante de l'héritage de Charles le téméraire, en Flandre, en Franche-Comté. Enfin, ils règnent sur leurs domaines héréditaires en Autriche.
  2. La pragmatique sanction définit les liens unissant les différents États monarchiques des Habsbourg d'Autriche : autonomes sur le plan intérieur, les différents royaumes, duchés, marquisats, comtés et seigneuries unis sous le sceptre des Habsbourg financent en commun la défense et la politique étrangère.
  3. À Budapest, la situation semble grave, mais les campagnes restent calmes.
  4. Son titre exact est Homo Regius, l'Homme du roi.
  5. Annie Lacroix-Riz insiste cependant sur le caractère formel du soutien du Saint-Siège dans la défense des droits de l'ancienne famille régnante.

Références

  1. Vajda 2011, p. 24.
  2. Tulard 1997, p. 328.
  3. Bled 2014, p. 421.
  4. Bled 2014, p. 423.
  5. Schiavon 2011, p. 238.
  6. Schiavon 2011, p. 239.
  7. Audoin-Rouzeau et Prochasson 2008, p. 202.
  8. Hohwald 2008, p. 1.
  9. Hohwald 2008, p. 2.
  10. Bled 2014, p. 424.
  11. Hohwald 2008, p. 3.
  12. Hohwald 2008, p. 4.
  13. Hohwald 2008, p. 5.
  14. Lacroix-Riz 1996, p. 141.
  15. Bán 2006, p. 305.
  16. Bán 2006, p. 306.

Voir aussi

Bibliographie

  • Stéphane Audoin-Rouzeau et Christophe Prochasson, Sortir de la Grande Guerre : Le monde et l'après-1918, Paris, Tallandier, , 496 p. (ISBN 978-2-84734-493-6, lire en ligne ). 
  • Dávid Bán, « La gare de l'Est de Budapest. Histoire et usages sociaux d'un espace urbain », Ethnologie française, vol. 2, no 36, , p. 299-309 (DOI 10.3917/ethn.062.0299, lire en ligne ). 
  • Jean-Paul Bled, L'agonie d'une monarchie : Autriche-Hongrie 1914-1920, Paris, Taillandier, , 464 p. (ISBN 979-10-210-0440-5). 
  • Christophe Hohwald, « La diplomatie française face à la crise royale en Hongrie (1921) », Revue historique des armées, no 251, , p. 78-84 (pagination de l'édition papier) (lire en ligne). 
  • Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, l'Europe et le Reich. : De la Première Guerre mondiale à la guerre froide, Paris, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-21641-2). 
  • Max Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre mondiale : La fin d'un empire, Paris, Éditions SOTECA, 14-18 Éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », , 298 p. (ISBN 978-2-916385-59-4). 
  • Jean Tulard, Les empires occidentaux, de Rome à Berlin, Presses universitaires de France, , 512 p. (ISBN 978-2-13-047852-2, lire en ligne ). 
  • Marie-Françoise Vajda, « L’œil du souverain ? Rôle et pouvoirs des représentants du souverain (főispánok) à la tête des comitats hongrois au XVIIIe siècle », Histoire, économie & société, vol. 1, , p. 23-38 (DOI 10.3917/hes.111.0023, lire en ligne ). 

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