Keynésianisme hydraulique

Le keynésianisme hydraulique est le nom donné à une interprétation de la théorie keynésienne originelle.

Concept

Controverse des chapitres 11 et 12

La publication de la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie en 1936 entraîne des débats parmi les économistes[1]. Le texte de John Maynard Keynes est en effet peu formalisé mathématiquement, et certains passages semblent se contredire[2].

Parmi les controverses exégétiques se trouve celle entre les partisans du chapitre 11 et ceux du chapitre 12. Keynes considère dans le chapitre 11 que les anticipations des agents sont données, ce qui permet une stabilisation facile de la situation macroéconomique par la puissance publique via ses politiques économiques. La stabilisation est donc quasi mécanique. Le chapitre 12, lui, souligne le rôle de l'incertitude irréductible de l'avenir et sur la difficulté pour la puissance publique d'influer sur l'état de la confiance[3].

L'approche du chapitre 11, qui est mécaniciste et tient pour simple la stabilisation de l'économie, est qualifiée d'« hydraulique »[4]. Dans une conception hydraulique du keynésianisme, les répercussions d'une injection supplémentaire de monnaie dans l'économie sont mécaniques, et la transmission est fluide. Les agents y sont passifs[5].

Interconnectivité de l'économie

Cette conception du keynésianisme est très répandue à partir de l'importation par les États-Unis du keynésianisme originel et de la création de la synthèse néoclassique, une version revue et améliorée qui tempère certaines conclusions keynésiennes par des apports de l'économie classique. Le premier grand manuel de cette école, celui de Paul Samuelson, utilise la métaphore de l'hydraulique pour désigner l'interconnexion entre toutes les parties d'une économie, et la manière dont l'action budgétaire a ainsi des conséquences sur l'ensemble de la boucle macroéconomique[6].

Elle est représentée, notamment, par les conseillers économiques du président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy, dont l'un d'eux, Walter Heller, avait affirmé que la science économique avait atteint un tel niveau grâce au keynésianisme que le gouvernement pouvait à tout instant faire revenir l'économie au plein emploi[7].

Critique

Conséquence des imperfections de la Théorie générale

Bruno Ventelou considère que l'hydraulisme est une conséquence directe de l'imperfection de la Théorie générale qui, en voulant être trop holiste, contient des incohérences et des contradictions qui doivent être comblées par les économistes postérieurs[8]. Plusieurs auteurs considèrent que le développement du keynésianisme et sa transformation jusqu'au nouveau keynésianisme lui ont permis de se défaire de ses conceptions hydrauliques[9].

Conception simpliste du keynésianisme

L'expression a changé de sens pour devenir, progressivement, péjorative. Alvin Hansen utilise l'expression pour critiquer les partisans du keynésianisme le plus strict, c'est-à-dire l'application directe des écrits de Keynes. Hansen soutient en effet la synthèse néoclassique, qu'il contribue à fonder[7].

De manière plus large, l'image d'un système de plomberie hydraulique permet de critiquer l'idée selon laquelle une augmentation des dépenses publiques dans le cadre d'une relance budgétaire aboutirait nécessairement à surmonter une crise économique ou à relancer l'économie[7]. L'expression a également servi à mettre en évidence le caractère parfois simpliste de la présentation des préconisations keynésiennes dans les manuels d'économie[10].

Le terme est aujourd'hui utilisé pour critiquer des programmes politiques ou des politiques publiques d'inspiration keynésienne ne disposant d'aucune assise structurelle ou de long terme[11],[12].

Passivité des agents économiques

Le caractère hydraulique d'une frange de l'école keynésienne est critiquée, à partir des années 1960, par les monétaristes et la nouvelle économie classique. Les économistes affiliés à ces écoles de pensée remarquent que l'hydraulisme du keynésianisme tient les agents économiques pour passifs, n'adaptant pas leurs comportements à l'afflux de liquidités permis par la relance keynésienne. Les néoclassiques mobilisent la théorie des anticipations et la théorie de l'équivalence néo-ricardienne pour infirmer le caractère hydraulique du keynésianisme[13].

Notes et références

  1. Économie appliquée, Librarie Droz, (ISBN 978-2-85898-117-5, lire en ligne)
  2. Marc Montoussé, Macroéconomie, Editions Bréal, (ISBN 978-2-7495-0610-4, lire en ligne)
  3. Gérard-Marie Henry, Keynes, Armand Colin, (ISBN 2-200-01505-4 et 978-2-200-01505-3, OCLC 36663823, lire en ligne)
  4. Gérard Marie Henry, Histoire de la pensée économique, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-24403-3, lire en ligne)
  5. Lucien Orio et Jean-José Quilès, Keynes: Les enjeux de la Théorie générale, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-24703-4, lire en ligne)
  6. János Kornai, Socialisme et économie de la pénurie, Economica, (ISBN 978-2-7178-0814-8, lire en ligne)
  7. Jean-Marc Daniel, La politique économique: « Que sais-je ? » n° 720, Que sais-je, (ISBN 978-2-13-080068-2, lire en ligne)
  8. Bruno Ventelou, Lire Keynes et le comprendre: Introduction à l'œuvre de Keynes. Guide de lecture et d'interprétation, Vuibert (réédition numérique FeniXX), (ISBN 978-2-311-39992-9, lire en ligne)
  9. Économie appliquée, Librarie Droz, (ISBN 978-2-85898-117-5, lire en ligne)
  10. Problèmes économiques, Documentation francaise., (lire en ligne)
  11. « Sénat - Compte rendu analytique officiel du 21 janvier 2009 », sur www.senat.fr (consulté le )
  12. « L'élection au crible de l'économie », sur Les Echos, (consulté le )
  13. Mouvements, Découverte, (ISBN 978-2-7071-3544-5, lire en ligne)
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