Kanji

Les kanjis[alpha 1] sont des signes issus des caractères chinois dont le rôle est d'écrire une partie de la langue japonaise, chaque kanji ayant une ou plusieurs expressions phonologiques possibles, appelées « lectures ».

Généralités

Nature et rôle

Le mot « kanji » est la romanisation du terme japonais 漢字 (API : /kaɲd͡ʑi/ ), lui-même issu de son homologue chinois 漢字[alpha 2] ; il signifie caractère (, ji) de l'ethnie han (, kan), donc « caractère chinois » ou « sinogramme ».

Les kanjis sont indispensables pour lire et écrire le japonais où ils sont associés aux kanas (les syllabaires[alpha 3] hiragana et katakana) ainsi que, dans une moindre mesure, aux rōmaji (lettres latines pour les sigles, etc.) et aux chiffres arabes. Ils sont parfois désignés par le vocable 真名 (mana), qui est un antonyme de kana.

Exemple d'un texte mêlant kanjis (soulignés) et hiraganas
元号は、政令める。元号は、皇位継承があった場合める。

Les caractères chinois sont à l'origine des logogrammes codant en règle générale un mot ou un morphème de la langue chinoise archaïque. Par exemple, le signe est utilisé pour représenter le mot chinois signifiant « cheval ». Les kanjis sont naturellement dotés de ces valeurs sémantiques primitives et de leur dérivés — auxquelles éventuellement s'ajoutent d'autres spécifiques à la langue japonaise —, l'ensemble étant regroupé sous le concept de 字義 (jigi), c'est-à-dire « sens du caractère » ; les termes 意味 (imi) et 意義 (igi) sont aussi fréquemment usités. Ces sens sont consultables à l'aide de dictionnaires.

Liste de sens liés à quelques kanjis[1]
année, époque, récolte
rencontrer, se réunir, occasion, compréhension, compter
soi-même, tout seul, commencement
ciel, astre, nature, empereur, climat, destin, kamis célestes

Face à un mot inconnu écrit en kanjis, il arrive qu'il soit possible d'en deviner la signification, au moins approximativement, à travers l'observation des sens de chacun des kanjis le composant. Par exemple, même sans connaitre le mot gogen, le voir écrit en kanjis (語源) tout en sachant que et signifient respectivement « mot » et « source », permet relativement aisément de comprendre que ce terme correspond à « étymologie ».

La nature logographique des kanjis conduit à les opposer aux syllabaires (kanas), puisque ces derniers ne représentent intrinsèquement que des sons dépourvus de valeur sémantique propre. Kanas et kanjis se combinent dans le modèle kanji-kana-majiribun[2] qui, schématiquement, consiste à utiliser les kanjis pour écrire les radicaux, tandis que l'habillage grammatical de la phrase (mots grammaticaux, désinences, etc.) est écrit en kanas. Par exemple, le verbe « parler » (話す, hana‧su)[alpha 4] voit son radical écrit avec le kanji [alpha 5] et sa terminaison avec le hiragana .

Néanmoins, pour lire et écrire le japonais, le plus important est de connaitre les lectures (読み, yomi)[3] des kanjis, qui chacune correspondent à une more du japonais (par exemple fu, bu) ou à une série de mores (par exemple kaze, kaza, ). Aussi, dans la pratique ordinaire de la langue, les mots ou le contexte dictent-ils directement les caractères à utiliser, sans qu'il soit nécessaire de se préoccuper systématiquement de leurs sens intrinsèques. Par exemple, face au mot 経済, on ne se soucie pas des sens respectifs de et , sauf à vouloir faire une recherche précise de son étymologie[alpha 6] ; 経済 est identifié comme une unité, à savoir le mot japonais keizai (qui signifie « économie »), impliquant de choisir la lecture kei pour [alpha 7] et la lecture zai pour .

En principe, chaque kanji possède une ou plusieurs lectures qui peuvent avoir en commun un ou des sens ; les liens étymologiques entre ces sens peuvent être anciens ou ténus, comme dans l'exemple ci-dessous.

Lectures et principaux sens du kanji


ふう
fu (bu[alpha 8])

ふ(ぶ)
kaze

かぜ
kaza

かざ
≈ « vent » 台風

tai‧fū[alpha 9]
屛風

byō‧bu[alpha 10]
風,北風

kaze[alpha 11], kita‧kaze[alpha 12]
風車

kaza‧guruma[alpha 13]
≈ « apparence » 風,風景

[alpha 14], fū‧kei[alpha 15]
- - -
≈ « charme » 風致

fū‧chi[alpha 16]
風情

fu‧zei[alpha 17]
- -
≈ « coutume »
ou « style »
風習,画風

fū‧shū[alpha 18], ga‧fū[alpha 19]
- - -

Avantages pratiques des kanjis

Malgré le fait qu'il soit possible, techniquement, de se passer des kanjis pour écrire la langue nipponne (en écrivant tous les mots en kanas), le japonais, dans sa pratique ordinaire, a recours à nombreux kanjis, en raison des multiples avantages qu'ils offrent. Fondamentalement, le lien visuel direct qu'il y a entre le signe et son ou ses sens renforce la capacité des textes japonais à transmettre du sens de manière rapide et intense, ce qui de surcroît contribue à limiter la dérive du sens des mots.

D'autre part, l'alternance de kanjis et de kanas aide à distinguer les mots malgré l'absence quasi-systématique d'espaces au sein des phrases, comme dans la phrase ci-dessous signifiant : « J'ai vu un chat blanc. ». Les kanjis 白, 猫, et 見 (respectivement « blanc », « chat » et « voir ») portent les principaux sens, tandis que les autres caractères (hiraganas) sont des éléments grammaticaux. Cet exemple illustre également le fait que les kanjis permettent généralement de réduire le nombre de signes et donc la place prise par le texte.

  • En kanas : しろいねこをみた。
  • En kanas et kanjis : 白い猫を見た。

En outre, il existe en japonais de nombreux homophones[alpha 20] qui seraient aussi homographes sans le recours à l’écriture en kanjis (un peu comme si « haut » et « eau » avaient la même orthographe en français).

Exemples d'homophones
Kanji Kana Romanisation Traductions

指揮
士気
しき
"
"
shiki
shi‧ki
"
Cérémonie
Direction
Motivation
行動
公道
講堂
こうどう
"
"
kō‧dō
"
"
Action
Voie publique
Amphithéâtre

かわ
"
kawa
"
Rivière
Cuir

Enfin, la polysémie de certains mots se traduit par des choix de kanjis différents en fonction de la nuance exprimée, comme dans les exemples ci-dessous :

Mot Nuance 1 Nuance 2
yo‧i Dans le sens de « de bonne qualité » ce mot s’écrit :
良い
Dans le sens de « bon moralement » ce mot s’écrit :
善い
fune Dans le sens de « embarcation de petite taille » ce mot s’écrit :
Dans le sens plus général de « bateau » ce mot s’écrit :

Inclusion des kanjis dans les caractères chinois

(Sakaki).

L'origine des caractères chinois remonte, selon les plus anciens documents connus, à l'écriture ossécaille de la fin de la dynastie Yin. C'est néanmoins plus tard qu'ils furent importés au Japon, à une époque qui n'est pas clairement établie ; le Kojiki (712) est le plus ancien livre japonais qui nous soit parvenu[alpha 21], mais de nombreuses monnaies, stèles ou sceaux témoignent d'une utilisation plus ancienne des sinogrammes dans l'archipel japonais. Par ailleurs, la tradition considère que l'on doit l'enseignement des caractères chinois auprès de la cour impériale japonaise au lettré Wani, venu du royaume de Baekje[alpha 22] (en japonais Kudara) situé au Sud-Ouest de la péninsule coréenne.

En raison des origines communes des signes utilisés au Japon et en Chine et des profondes similitudes qui demeurent aujourd'hui encore sur les plans graphique et sémantique, les kanjis sont classés dans un ensemble plus vaste désigné sous le terme générique de « caractères chinois » (ou sinogrammes). Néanmoins, il existe certaines spécificités nipponnes en termes d'apparence graphique (que l'on prenne en compte ou non les réformes de l'écriture chinoise du XXe siècle) et de sémantique, points qui seront présentés dans la suite de l'article.

On trouve aussi une petite proportion de kanjis dits kokuji, qui ont été forgés au Japon. Par exemple, (sakaki), qui désigne l'arbre présenté en offrande dans les rites shintoïstes, est un kanji apparu au Japon ; il provient de la fusion des caractères et d'une variante de , respectivement « arbre » et « divinité »[alpha 23].

Ainsi, en l'absence d'une stricte inclusion des kanjis dans l'ensemble formé par les authentiques sinogrammes continentaux, il convient en toute rigueur de considérer les kanjis comme un système singulier et propre à l'écriture japonaise qui s'est progressivement éloigné de son modèle.

Nombre de caractères

Il n'existe pas de décompte précis et universellement reconnu permettant de dire combien de kanjis existent.

Le jeu de caractères codés JIS X 0213, appartenant aux normes industrielles japonaises (JIS), fut établi en 2000 puis révisé en 2004 et 2012[alpha 24]. Il contient plus de 10 000 caractères considérés comme des kanjis, répartis en quatre niveaux, les deux premiers contenant les signes les plus fréquents. Cependant, nombre de ces kanjis ne sont que très rarement rencontrés.

Du côté des dictionnaires, le Dai Kanwa-Jiten (en) qui est un kanwa-jiten (漢和辞典, littéralement dictionnaire sino-japonais) contient plus de 50 000 caractères différents, incluant des variantes graphiques ; leurs sens sont expliqués en japonais, de même que les significations de nombreux termes composés de deux kanjis ou davantage. Toutefois, les kanwa-jiten incluent de nombreux sinogrammes qui n'ont jamais ou presque jamais été employés en dehors des textes dits kanbun (littérature chinoise ou japonaise écrite dans la langue chinoise classique). Le nombre de 50 000 n'est donc pas nécessairement pertinent pour décrire l'usage contemporain des kanjis, ces dictionnaires dépassant le cadre strict de la langue japonaise en tant que langue vivante. En comparaison, le dictionnaire publié par la fondation d'utilité publique The Japan Kanji Aptitude Testing Foundation contient environ 6 300 kanjis (cf. bibliographie), ces derniers appartenant dans leur grande majorité aux deux premiers niveaux de la norme JIS X 0213. L'examen Kanken organisé par la fondation a pour objet, dans sa version la plus ardue (le niveau ikkyū, que très peu de gens, en proportion, passent), la connaissance de l'ensemble des kanjis présents dans le dictionnaire. Comme l'atteste le faible taux de réussite à cet examen, une partie non négligeable des kanjis de ce dictionnaire n'est connue que par des personnes ayant des connaissances particulièrement poussées en kanjis.

Il existe une liste officielle des jōyō-kanji (kanjis d'usage courant), dont l'effectif se limite à 2 136, mais cela ne signifie ni que tout le monde connait avec précision tous les kanjis officiels, ni surtout que tous les kanjis extérieurs à cette liste (désignés par la catégorie dite hyōgai-kanji) sont de facto inconnus du grand public. En effet, dans la pratique, il n'est pas du tout rare d'utiliser des caractères hyōgai-kanji, en particulier pour écrire des noms propres, des termes techniques ou des mots ou expressions littéraires. L'usage des furigana, pour en préciser la lecture, est certes assez fréquent, mais il n'est pas systématique. Le cas des noms propres mis à part, le recours à ces kanjis dépend de facteurs comme le degré de publicité d'un document, l'existence d'un contexte spécialisé ou de règles liées à une organisation, voire, les habitudes ou choix individuels.

Classification des kanjis

Comme vu dans la section précédente, les kanjis forment un vaste ensemble de plusieurs milliers de signes, d'où la nécessite d'avoir des méthodes de classement.

Comme pour les sinogrammes en général, tout kanji se découpe en une ou plusieurs parties[alpha 25]. Une décomposition fréquente consiste à séparer le caractère entre sa partie gauche située sur l'emplacement hen et sa partie droite située sur l'emplacement tsukuri (cf. table 1 ci-dessous). La partie qui est, par convention, considérée comme principale est appelée « clé » (部首, bushu).

Table 1 : Exemples de décompositions
Kanji Hen Tsukuri Clé Remarque
Variante de la clé
insécable[alpha 26] insécable
Variante de la clé

Les clés se situent généralement sur l'un des sept emplacements classiques[4] qui incluent les emplacements hen et tsukuri (cf. table 2 ci-dessous). En outre, certaines clés ont plusieurs formes possibles, souvent en fonction de l'emplacement qu'elles occupent. Par exemple, la clé voit sa forme changée en lorsqu'elle est positionnée sur la partie gauche du caractère (hen). En japonais, il est courant de désigner par des appellations distinctes chacune de ces variantes.

Les clés permettent de classer les kanjis dans les dictionnaires en format papier, suivant l'ordre des clés[alpha 27], chaque dictionnaire contenant une table où les clés sont rangées dans l'ordre du nombre de leurs traits. Selon les dictionnaires, le nombre de clés et leurs affectations aux kanjis peuvent présenter quelques différences, mais celles-ci demeurent tout à fait mineures ; aussi les principaux ouvrages s'accordent-ils sur un effectif légèrement supérieur à deux-cents clés, sans compter les variantes.

Table 2 : Exemples de clés
Clé Nom japonais de la clé[alpha 28] Emplacement de la clé Exemple d'utilisation
(variante de la clé ) risshinben À gauche (, hen)
(variante de la clé ) ōzato À droite (, tsukuri)
(variante de la clé ) amekanmuri Au-dessus (, kanmuri)
kokoro En dessous (, ashi)
shikabane En haut et à gauche (, tare)
ennyō À gauche et en dessous (, nyō)
mongamae Pourtour (, kamae)

Avec l'avènement de l'informatique, on trouve aussi des dictionnaires électroniques qui utilisent les numéro des points de code (dans les standards JIS ou Unicode) comme critère de classement et de recherche, voire qui offrent la possibilité de chercher la lecture d'un kanji ou d'un mot à partir de caractères tracés à la main (stylet, souris, etc.). En outre, des linguistes ont mis au point de nouvelles méthodes pour classer et rechercher les kanjis, souvent utiles aux non-natifs, comme la méthode SKIP du chercheur Jack Halpern qui consiste à reconnaitre l'agencement entre les éléments constituants.

D'autre part, les grandes catégories étymologiques des sinogrammes que l'on trouve dans les dictionnaires, à savoir les pictogrammes, les idéogrammes simples, les idéogrammes composés et les idéophonogrammes, sont un attribut possible pour indexer les kanjis.

Table 3 : Principales catégories étymologiques
Catégorie étymologique Exemples Remarques
Pictogrammes (象形文字, shōkei-moji) (rivière) ; (montagne) ; (cheval) ; (bois) ; (personne) Ces représentations proviennent de dessins d'objets ou d’êtres concrets.
Idéogrammes simples (指事文字, shiji-moji) (un) ; (deux) ; (dessous) Représentations d'idées et non d'objets.
Idéogrammes composés (会意文字, kaii-moji) (bosquet) ; (forêt) ; (repos) Compositions avec les pictogrammes et ( est un équivalent de ).
Idéophonogrammes (形声文字, keisei-moji) (allonger) ; (attaquer) ; (herbe) Ces caractères se décomposent entre une partie sémantique et une partie sonore¹.

¹ Identifier la partie sonore d'un idéophonogramme permet souvent de déduire une lecture sino-japonaise de ce kanji. Par exemple, les parties sonores de (shin), () et (), respectivement , et , sont elles-mêmes des kanjis ayant pour lectures sino-japonaises shin, et .

Caractéristiques graphiques

Tracé

Tracé en calligraphie chinoise.
Tracé en calligraphie nipponne.

Tout kanji se décompose en une somme de « traits[alpha 29] » entre lesquels le stylo, pinceau ou crayon est levé au-dessus du support.

Même s'il est possible qu'une personne sache, en pratique, lire un kanji sans en connaitre par cœur la composition trait par trait, un kanji n'est pleinement considéré comme connu que lorsque l'on est capable de l'écrire de mémoire tout en respectant les caractéristiques canoniques de son tracé, à savoir l'ordre[alpha 30] et la forme des traits — au minimum dans le style régulier. Ces éléments sont enseignés dans les écoles primaires et les collèges japonais dans une matière appelée shosha, anciennement connue sous le terme de shūji. Les cours de calligraphie (shodō), dispensés dans les lycées, abordent les styles cursifs et les grands calligraphes du passé. Toutefois, la pratique de cette discipline ne se limite pas au domaine scolaire, car la calligraphie, à haut niveau, constitue un art à part entière.

L'ordre usuel des traits pour le tracé des kanjis est généralement identique à celui de leurs homologues chinois ; il existe néanmoins quelques exceptions (cf. exemple ci-contre avec le sinogramme « rizière », ) si on s'en refère notamment au « Manuel pour l'instruction de l'ordre des traits[5] » publié par le gouvernement nippon en 1958. En outre, l'ordre des traits peut dépendre du style utilisé.

La manière de terminer un trait est une autre caractéristique importante enseignée ; il existe essentiellement trois modes :

  • l'arrêt marqué (止め, tome) ;
  • le crochet (rebond) (撥ね, hane) ;
  • le fondu (払い, harai)[alpha 31].
Illustration avec le kanji de deux crochets, d'un fondu et d’arrêts marqués.

Néanmoins, dans de nombreux cas, plusieurs écoles coexistent, comme le trait central de (bois) qui, en style régulier manuscrit, peut se terminer soit par un arrêt marqué, soit par un crochet[6]. Les autorités culturelles japonaises ont publié en 2016 des directives rappelant la diversité des tracés au sein du style régulier manuscrit, style qui est historiquement plus variable que le style d'impression minchōtai, ce dernier n'ayant pas vocation à servir de référence vis-à-vis de l'écriture manuscrite.

Enfin, le respect des distances entre les traits ou le respect de leurs tailles relatives est une condition pour écrire les kanjis de manière lisible et harmonieuse. En particulier, les proportions entre les différents éléments constitutifs est un point qui retiendra l'attention du calligraphe.

Formes

Dans le contexte de l’étude des kanjis, le terme français de « forme » renvoie généralement aux concepts 字形 (jikei) et 字体 (jitai). Les jikei sont les infinies variations possibles des réalisations concrètes des caractères, à travers leurs représentations manuscrites et leurs glyphes[7]. En opposition, le concept de jitai permet de regrouper les signes réels sous des entités abstraites mais dénombrables.

Les formes, au sens de jitai, sont également qualifiées en japonais d'« ossatures[8] ». Par analogie, on trouverait le concept d'ossature d'une lettre permettant de reconnaitre cette lettre qu'elle soit imprimée en italique ou non, ou encore dans des polices différentes. Ces entités abstraites sont le moyen de distinguer les kanjis entre eux lors du processus cérébral de la lecture du japonais ; elles sous-tendent également les définitions des jeux de caractères pour l'informatique ainsi que les normes japonaises qui portent sur les kanjis.

Par exemple, les formes et ne diffèrent que par un trait horizontal, mais elles correspondent à deux kanjis parfaitement indépendants, signifiant respectivement « arbre » et « livre ». De la même manière, les formes (sol) et (guerrier ou érudit) ne diffèrent que par les longueurs relatives de leurs traits horizontaux, tandis que (millet) ne se distingue de (châtaigne) que par la présence de deux petits traits.

À chaque kanji correspond une unique forme (jitai), sauf si plusieurs « variantes graphiques » lui sont reconnues. Pour certains kanjis possédant plusieurs variantes, l'identification des formes demeure un exercice sujet à interprétations, avec de possibles divergences selon les époques, les sources ou les standards.

Exemple de flottement sur la notion de forme[alpha 32].

On peut noter que le standard Unicode a vu sa granularité affinée au fil des révisions, c'est-à-dire qu'il est devenu possible d'afficher correctement un nombre croissant de variantes en format « texte brut » sans dépendre des paramètres régionaux ou de la police d'écriture.

Styles

La notion de « style » (書体, shotai), avec d'une part les « styles d'impression » (déterminant notamment les polices) et d'autre part les « styles manuscrits » (historiquement plus anciens), se définit comme un « système de caractéristiques et de styles donnés [qui peut s'observer] lors de la représentation réelle des caractères sur la base de leur ossature »[9].

L'exemple ci-dessous illustre comment les caractéristiques graphiques de deux styles différents ne vont pas jusqu'à modifier les formes (ossatures) des kanjis.

Historiquement, les styles sont naturellement d'abord apparus dans le domaine de l’écriture manuscrite en Chine. Aujourd'hui, on trouve principalement les styles réguliers (楷書, kaisho) et cursifs (草書, sōsho), ainsi que les styles intermédiaires semi-cursifs (行書, gyōsho). Les styles cursifs  ou les styles semi-cursifs présentant un relatif haut degré de cursivité  sont de nos jours généralement réservés à des activités spécifiques de calligraphie et sont donc mal connus par le grand public. Inversement, le style régulier est le style enseigné primordialement dans le système scolaire nippon, de même qu'il est souvent requis d’écrire dans ce style pour remplir un formulaire.

Concernant les styles d'impression, le style dit minchōtai (明朝体) est le style de référence pour les polices d'impression japonaises ; il se caractérise en particulier par des angles droits, des empattements, ainsi que des traits verticaux généralement plus épais que les traits horizontaux. Ce style provient d'une adaptation du style manuscrit « régulier » aux techniques chinoises d'impression, en particulier à l'impression au bloc de bois qui florit dès l'époque des Song du Nord. Le style se stabilisa à l’époque des Qing avant de reprendre son évolution dans l'archipel nippon avec le développement des modes d'impressions importés d'Occident (typographie) dans la seconde moitié du XIXe siècle.

D'autre part, on trouve aussi le style goshikkutai (ゴシック体) qui est un dérivé du minchōtai avec moins d'ornements et des traits d'épaisseur uniforme. Enfin, le style kyōkashotai (教科書体), utilisé principalement dans les livres d’école, est plus proche du style régulier manuscrit, afin de rendre la lecture des manuels plus aisée pour les enfants qui apprennent concomitamment à lire et à écrire.

Variantes graphiques

en style régulier : sept traits.
en style sigillaire ancien : trois traits.

L'unicité des formes (ossatures) vue plus haut n'est cependant pas une constante historique, notamment en raison des phénomènes suivants :

  • diminution du nombre de traits dans les styles cursifs ;
  • styles anciens  antérieurs au style régulier  induisant des ossatures différentes (cf. exemple ci-contre avec le sinogramme ) ;
  • apparition de graphies populaires (par exemple pour ) ;
  • réformes de simplification des caractères menées indépendamment au Japon et en Chine (globalement moins radicales au Japon qu'en Chine).

Ainsi, quand bien même deux caractères seraient d'ossatures différentes, ils peuvent, par leur origine commune, avoir les mêmes sens et les mêmes lectures. Ils sont alors considérés comme appartenant à une même « classe de caractères » (字種, jishu)[10], et sont des variantes graphiques (異体字, itaiji) au sein de cette classe. Dans le présent article, on confond les notions de « kanji » et de « classe de kanjis » sauf lorsqu'il y a un intérêt didactique à les séparer.

Dans les dictionnaires, en principe, on trouve une entrée par classe ; pour une entrée donnée, une « forme principale » (親字, oyaji, littéralement « caractère parent »)[alpha 33] est présentée, les formes alternatives étant indiquées à l'intérieur de l'entrée. Si on se limite aux styles d'impression contemporains, la plupart des classes de kanjis n'ont qu'une ou deux forme(s) (une forme simplifiée et sa contrepartie « traditionnelle » le cas échéant).

Exemples de formes d'impression traditionnelles et simplifiées pour des kanjis d'usage courant
Classe Forme traditionnelle Forme simplifiée Remarques
Kanji « barrière » (canonique) La forme simplifiée a une présence historique en Chine[11], mais elle diffère du chinois simplifié contemporain.
Kanji « tortue » (canonique) L'usage de la forme est propre au Japon[alpha 34] ; elle n'est pas répertoriée dans le dictionnaire chinois de référence Kangxi.
Kanji « pays » (canonique) La forme simplifiée est commune aux réformes chinoise et japonaise du XXe siècle.
Kanji « remplir » (canonique) La forme simplifiée (populaire) n'est pas reconnue comme officielle au Japon.

Il existe d'autre part des kanjis qui ont évolué vers des formes (ossatures) identiques ; autrement dit, un caractère peut résulter de la fusion de plusieurs kanjis historiques, comme qui contient les formes contemporaines des kanjis traditionnels (moi) et (avance), ces deux signes partageant de surcroit la même lecture (yo). Un autre exemple est la paire de kanjis originellement distincts en sens et en lectures (𠮟 ; 叱) qui, de par leur formes extrêmement similaires, sont considérés comme des formes (ossatures) interchangeables du même kanji dans la norme de 2010 sur les jōyō-kanji (kanjis d'usage courant).

Lectures des kanjis

Lectures sino-japonaises (on) et japonaises (kun)

Dans l'Antiquité, la langue chinoise écrite (kanbun), étudiée et utilisée par les Japonais, eut une influence sur la langue nipponne, celle-ci intégrant les prononciations associées en Chine aux sinogrammes. Cela donna naissance aux lectures sino-japonaises des kanjis, dites lectures on (音読み, on'yomi). La correspondance n'est généralement pas directe entre les lectures on modernes et leur origine chinoise. Cette prononciation d'origine n'a été qu'approximativement rendue dans le système phonétique japonais, très différent de ceux de la Chine, ignorant notamment les tons. De plus, le système phonétique japonais, bien que relativement assez stable, a lui-même connu quelques évolutions à travers les siècles.

D'autre part, lorsque le concept associé au sinogramme existait en japonais, il put aussi être traduit et vocalisé suivant les mots de la langue nipponne originelle, la lecture du caractère se faisant dans ce cas « à la japonaise » ; ce sont les lectures dites kun (訓読み, kun'yomi).

La plupart des kanjis ont de ce fait au moins deux lectures possibles : on et kun. Ce n'est toutefois pas une règle absolue, et l'on trouve des kanjis sans lecture kun comme (kiku, chrysanthème), ou sans lecture on comme (iwashi, sardine) ; ce dernier est un kanji créé au Japon. À l'inverse, un caractère comme (pouce, unité de longueur de l'ordre de trois centimètres) n'avait pas d'équivalent dans le vocabulaire japonais au moment de son introduction ; il n'a de ce fait qu'une lecture on, à savoir sun.

En tendance, on constate que les mots écrits avec un seul kanji font plutôt appel à des lectures kun, les lectures on étant au contraire fréquentes au sein des mots composés de deux kanjis ou plus (熟語, jukugo).

  • (umi), mer (lecture kun)
  • 綿 (wata), coton (lecture kun)
  • 海綿 (kai‧men), éponge (lectures on ; comparer avec les lectures de son équivalent 海绵 dans des langues chinoises : hǎi‧mián en mandarin, hói‧mièn en hakka.)

Cependant, cette observation est à nuancer car il existe en particulier un grand nombre de jukugo n'arborant que des lectures kun, à l'instar du mot 川上 (kawa‧kami, amont). Du reste, on trouve aussi de nombreux jukugo hybrides : par exemple, en cuisine, 豚肉 (buta‧niku, porc) et 鳥肉 (tori‧niku, volaille) sont lus avec une lecture kun du premier kanji et une lecture on du second ; on parle de lectures yutō (湯桶読み, yutōyomi). À l'opposé, on trouve les lectures dites jūbako (重箱読み, jūbakoyomi), qui suivent un modèle on + kun, comme avec le mot 番組 (ban‧gumi, programme).

En contraste avec le mandarin où, schématiquement, chaque sinogramme ne renvoie qu'à une lecture mono-syllabique, en japonais, non seulement un kanji aura souvent plusieurs lectures possibles, mais de surcroît elles seront fréquemment pluri-syllabiques. On observe ainsi les tendances suivantes :

  • les lectures kun sont généralement pluri-syllabiques[alpha 35] ; par exemple : umi, yama, kaze ;
  • les lectures on sont souvent mono-syllabiques, c'est-à-dire monomoriques ou bimoriques ; par exemple, kan, , shi[alpha 36]. La langue japonaise possédant un répertoire de syllabes (de mores) relativement limité, il s'ensuit que de nombreux kanjis partagent des lectures on communes ; par extension, de nombreux mots composés (jukugo) sont homophones. On note néanmoins que les lectures on pluri-syllabiques ne sont pas particulièrement rares, comme niku, vu plus haut[alpha 37].

Importance du contexte

La majorité des kanjis sont pourvus d'au moins deux lectures, mais cela peut aller bien au-delà. Ainsi, certains kanjis d'usage courant peuvent avoir plus d'une dizaine de lectures possibles. On trouve par exemple le kanji (signifiant notamment « la vie » ou « vivre ») dont les lectures officielles sont sei, shō, i‧kasu[alpha 38], i‧kiru, i‧keru, u‧mareru, u‧mu, o‧u, ha‧eru, ha‧yasu, ki et nama, soit douze lectures officielles.

Souvent, donc, déterminer la lecture d'un kanji suppose d'avoir identifié correctement le mot pour lequel il est employé. Il faut pour cela observer un ou plusieurs signes situés à son voisinage, voire juger plus largement en fonction du contexte. Par exemple, , utilisé seul, peut soit faire référence à kaze (vent), soit à (apparence) ; il est donc nécessaire de deviner en amont, par le contexte, la valeur sémantique de pour pouvoir le lire. Pour un composé (jukugo), il convient d'abord d'identifier globalement le mot (souvent deux kanjis) puis d'en déduire les lectures de chaque kanji. Cela ne supprime cependant pas toutes les ambigüités, comme avec les composés suivants :

Exemples de composés ayant plusieurs lectures[alpha 39]
Composé Lecture (1) → sens (1) Lecture (2) → sens (2)
仮名 ka‧mei → pseudonyme ka‧nasyllabaire japonais
赤子 aka‧go → bébé seki‧shi → peuple (du point de vue d'un monarque)
何人 nani‧bito ou nan‧pito → quiconque nan‧nin → combien de personnes
御所 go‧sho → palais impérial Go‧seGose (ville située dans la préfecture de Nara)
一時 ichi‧ji → une heure (du matin ou de l'après-midi) it‧toki → un instant

Catégories des lectures sino-japonaises

Certains caractères et vocables ont été importés de Chine à plusieurs reprises, de différentes régions ou à différentes époques ; de ce fait, une partie des kanjis a plusieurs lectures on (lectures sino-japonaises) qui correspondent, dans certains cas, à des sens différents.

On distingue ainsi :

  • les go-on (呉音, lectures des Wu), introduisant principalement des termes bouddhistes. Selon la tradition, ces lectures auraient été importées du pays Wu, dans la région de Shanghai, via la Corée, à l'époque des dynasties du Nord et du Sud (317-589). Un nombre important de lectures go-on sont cependant passées dans le vocabulaire courant comme (ryō, territoire) ou (ge, dessous) ;
  • les kan-on (漢音, lectures des Han, pris ici dans le sens de « chinois »), introduits entre le VIIe et le VIIIe siècle, à l'époque des dynasties Sui et Tang. Ils reflètent pour la plupart le langage de la capitale de l'époque, Chang'an (aujourd'hui Xi'an). Il s'agit du groupe le plus nombreux et du plus systématique ;
  • les tō-on (唐音, lectures des Tang)[alpha 40], introduits plus tardivement entre les époques de Heian et d'Edo. On trouve par exemple la lecture ton du kanji , comme dans 布団 (futon, matelas japonais), ou la lecture su de , comme dans 椅子 (isu, chaise). En dépit de la longueur de la période, ces lectures sont relativement rares, l'essentiel des apports depuis le continent ayant été fait auparavant ;
  • les kan'yō-on (慣用音, lectures d'usage), il s'agit historiquement de prononciations populaires (souvent des versions erronées des lectures sino-japonaises orthodoxes vues plus haut) qui sont devenues courantes et acceptées. Par exemple (transporter) a yu comme lecture d'usage.

Bien que les kokuji soient des caractères proprement japonais, un certain nombre d'entre eux possèdent une lecture on, créée artificiellement par analogie avec un sinogramme semblable. Par exemple, la lecture on affectée au kokuji , , est identique à celle du caractère .

Enfin, on trouve des mots empruntés qui utilisent des lectures proches des langues chinoises modernes voire contemporaines — par exemple des vocables liés à la cuisine chinoise tels « riz frit » (炒飯, chāhan), ou des noms de lieux. Toutefois, ces lectures, lorsqu'elles diffèrent des lectures sino-japonaises des catégories vues plus haut, se sont pas considérées stricto sensu comme des lectures on ; c'est pourquoi il est recommandé de soit écrire ces mots en katakanas, soit de leur ajouter des furigana, en dehors des cas les plus connus comme Hong Kong (香港, Honkon). Néanmoins, on notera que la majorité des noms propres chinois sont généralement lus d’après les lectures on, et non d’après le mandarin : Mō Takutō pour Mao Zedong (毛沢東), Shinkyō pour Xinjiang (新疆), Shisen pour Sichuan (四川), etc.

Vocabulaire sinoxénique

Les mots issus des lectures on forment le « vocabulaire sinoxénique » du japonais, aussi connu sous les termes japonais de 漢語 (kango) ou 字音語 (jiongo)[alpha 41]. En plus du vocabulaire chinois ayant pénétré la langue japonaise par le truchement des kanjis, de nombreux nouveaux mots furent créés au Japon par des combinaisons originales de kanjis (c'est-à-dire inexistantes en chinois de l'époque[alpha 42]) prononcés avec leurs lectures on. C'est pourquoi il n'est pas possible d'assimiler le vocabulaire sinoxénique à du « véritable chinois dans la langue japonaise », dans la mesure où une partie de ce vocabulaire est née au Japon[alpha 43]. On peut de surcroît remarquer qu'il existe quelques mots sinoxéniques qui sont plus fréquemment écrits en kanas qu'en kanjis, en particulier des petits mots jouant un rôle grammatical. On trouve par exemple (dans l’auxiliaire 様だ, yō‧da) pour lequel la graphie en hiraganas よう est généralement préférée.

D'autre part, une partie du vocabulaire sinoxénique a vu son orthographe réformée (simplifiée) après la Seconde Guerre mondiale (cf. section sur les réformes d’après-guerre). Cette démarche fut facilitée par le fait qu'il existe de nombreux kanjis possédant des lectures on en commun. On peut citer les mots 意嚮 (ikō, intention) et 掘鑿 (kussaku, forage), qui ont vu leur orthographe standard réformée en 意向 et 掘削 ; en effet, et ont respectivement les mêmes lectures on que et . Dans certains cas, la réforme a fait augmenter le nombre des sens associés à un kanji ; par exemple, s'est vu attribuer le sens d'« insinuer » en plus de ses sens historiques, car il remplace (insinuer) dans le mot « satire » (fūshi), qui s'écrit 諷刺 traditionnellement et 風刺 de manière réformée.

Apparition des lectures kun

Lorsque les sinogrammes ont commencé à être employés dans l'archipel nippon, les documents s'écrivaient dans une forme de chinois connue sous le terme de kanbun ; aussi les sinogrammes se lisaient-ils en utilisant les lectures on de l'époque. Un texte lu de cette manière n'était cependant pas compréhensible pour un locuteur japonais, dont la langue orale était complètement différente du chinois.

Les chroniques mythiques et historiques du Kojiki (712) furent écrites en kanbun, mais elles comportent des passages (poèmes, annotations, etc.) en yamato-kotoba, la langue japonaise primordiale antérieure aux influences du chinois. Ils sont écrits phonétiquement avec les sinogrammes dits man'yōgana, c'est-à-dire que chaque more est écrite avec un sinogramme dont une lecture équivaut à cette more, indépendamment des sens de ce sinogramme. En particulier, lesdites annotations constituent des relations entre un mot japonais primordial et un sinogramme (autrement dit, ce sont des traductions) ; elles sont connues sous le terme de « kun anciens » (古訓, kokun), lesquels sont à la base de la technique kundoku[12] consistant à lire du kanbun « à la japonaise » – ce qui, en outre, impose généralement de changer l'ordre des mots.

À titre d'illustration, le mot chinois signifiant « nuage » se noterait, dans un texte écrit en kanbun,  ; un kokun de consisterait à l'annoter pour indiquer que ce sinogramme signifie kumo (un mot japonais équivalent à « nuage »), en apposant par exemple en petite taille les kanjis et , qui sont des man'yōgana codant les sons (mores) ku et mo.

Par opposition au kanbun, les textes en langue japonaise  en particulier la langue pratiquée à la cour impériale  étaient écrits phonétiquement avec les man'yōgana. Ces textes en japonais commencèrent à intégrer des kokun dans un style connu aujourd'hui sous le nom de senmyōtai dont le développement remonte au moins au VIIIe siècle[alpha 44]. Par exemple, dans un texte en japonais, le mot japonais kumo, « nuage », ne se coda plus avec deux man'yōgana pour ku et mo, mais il fut simplement rendu par le sinogramme transcrivant le mot chinois ayant la même signification, à savoir . Dans ce cas, on dit que noter dans un texte en japonais le mot kumo avec le caractère revient à faire une « lecture kun » de . Initialement, pour un même kanji, un très grand nombre de lectures kun avaient émergé ; les usages se rationalisèrent progressivement, donnant les lectures kun actuelles.

Particularités des lectures kun

Certaines lectures kun, appelées kokkun (国訓)[13], présentent des divergences sémantiques par rapport aux significations chinoises. Par exemple, le kanji possède la lecture kinoko qui renvoie au sens de « champignon », sens qui n'est pourtant pas associé à ce sinogramme en chinois.

D'autre part, certains mots japonais qui renvoyaient à deux mots chinois distincts sont écrits au moyen de kanjis différents suivant leur contexte d'emploi. Par exemple, le verbe naosu (réparer, guérir) s'écrit 治す quand il s'agit de guérir une personne, mais 直す quand il s'agit de réparer un objet[alpha 45] ; la lecture kun « nao‧su » est commune aux kanjis et .

Il existe, de manière plus anecdotique, en dehors des listes officielles mais inventoriées dans les dictionnaires, des lectures kun de kanjis historiquement plus récentes qui se basent sur des mots d'origine européenne et non sur le fond lexical japonais yamato-kotoba ; par exemple , qui peut se lire pēji (de l'anglais page, page), ou , qui peut se lire botan (du portugais botão, bouton), ne sont pas particulièrement rares dans l'usage contemporain.

Ateji et jukujikun

Des kanjis peuvent n'être employés que pour leur lecture, c'est-à-dire en faisant fi de leurs sens propres. Il s'agit du phénomène des 当て字 (ateji). Par exemple, des mots tels やじ (yaji, huées) ou ごまかす (gomakasu, tricher) sont souvent écrits avec des kanjis, respectivement 野次 et 誤魔化す ; les kanjis (ya), (ji), (go), (ma) et (ka) sont employés pour représenter, sans liens sémantiques ou étymologiques, les mores composant les radicaux de ces mots.

Ce phénomène ne se limite pas aux mots purement japonais, les ateji pouvant transcrire en kanjis des termes issus de langues non-sinographiques. Ainsi, de nombreux termes souvent liés au bouddhisme, conformément aux usages chinois, sont des transcriptions phonétiques en kanjis de mots sanskrits ; par exemple, le clan indien des Shakya — dans lequel est né le Bouddha — se transcrit 釈迦 (Shaka).

De même, quelques mots d'origine européenne dont la pénétration dans la langue japonaise est ancienne, peuvent s’écrire phonétiquement en kanjis, même si la plupart de ces mots sont le plus souvent écrits en katakanas de nos jours[alpha 46]. On peut citer 合羽 (kappa, « veste imperméable », du portugais capa), 瓦斯 (gasu, « gaz », du flamand gas), 珈琲 (kōhī, « café », du flamand koffie), etc. Les mots plus récents, comme « Internet » (インターネット, intānetto), ne possèdent que leur transcription en katakanas.

À l'inverse, les caractères de certains composés peuvent n'être employés que pour la sémantique : dans ce cas, chaque kanji de ce composé pris individuellement n'a pas de lecture propre, c'est uniquement le composé dans son ensemble qui possède une lecture. On parle alors de 熟字訓 (jukujikun) pour désigner ce type de composés. Par exemple, le composé 太刀 (en français « grand sabre », composé des kanjis « extrêmement » – ou « grand » – et « sabre ») est un jukujikun qui ne se lit ni *futo‧katana (qui serait deux lectures kun) ni *tai‧tō (deux lectures on), ni aucune combinaison hybride ; il est lu tachi, d'après le verbe 断つ (tatsu, couper), sans aucun lien avec les lectures de et .

Les jukujikun incluent quelques mots d'origine européenne, dont certains demeurent relativement fréquents de nos jours, comme 煙草 (tabako, tabac) – littéralement « fumée-herbe ». De surcroît, le terme ateji peut inclure les jukujikun dans son acception la plus large[14].

Naissance des hiraganas, par l'écriture cursive de man'yōgana.

Les ateji (au sens strict) sont aussi appelés « emprunts (aux lectures)[alpha 47],[14] », et se divisent entre « emprunts aux lectures on » (shakuon) et les plus rares « emprunts aux lectures kun » (shakkun). Cette utilisation phonétique des kanjis, si elle est relativement rare au sein du japonais actuel, était au contraire la norme à l’époque de Nara ou au début de l'ère Heian : la langue nipponne s’écrivait entièrement ou en partie phonétiquement via des kanjis (le corpus des man'yōgana) lesquels ont ensuite évolué pour donner naissance aux hiraganas (cf. tableau ci-contre). Par ailleurs, on peut noter que les katakanas quant à eux sont essentiellement des parties (abréviations) de man'yōgana, donc de kanjis, utilisés pour le kundoku ; par exemple, les katakanas ku et mo sont le résultat des abréviations 久→ク et 毛→モ.

Exemples de kanjis avec leurs principales lectures

Jeune femme s'exerçant aux kanjis. Estampe sur bois Ukiyo-e par Yōshū Chikanobu, 1897.

Nota: les lectures on sont indiquées ici en majuscules, les lectures kun sont en minuscules. Seules les lectures officielles sont présentées.

    • Sens : livre, racine, base, origine, compteur pour objets cylindriques
    • Lectures : HON / moto
    • Clé : (arbre)
    • Nombre de traits : 5
    • Exemples de mots : (hon → livre) ; 山本 (Yamamoto → un nom de famille) ; 基本 (kihon → fondation, base)
    • Sens : soleil, jour
    • Lectures : NICHI / JITSU / hi / ka
    • Clé : (soleil)
    • Nombre de traits : 4
    • Exemples de mots : 本日 (honjitsu → aujourd'hui) ; 毎日 (mainichi → tous les jours) ; 朝日 (asahi → soleil du matin), 十日 (tōka → le dix du mois, dix jours)
    • Jukujikun : 明日 (ashita → demain)
    • Sens : arbre, bois (matière)
    • Lectures : BOKU / MOKU / ki / ko
    • Clé : (arbre)
    • Nombre de traits : 4
    • Exemples de mots : (ki → arbre) ; 木星 (mokusei → Jupiter[alpha 48]) ; 木曜日 (mokuyōbi → jeudi = le jour de Jupiter)
    • Jukujikun : 木綿 (momen → coton)

Furigana

Exemple d'utilisation de furigana en écriture horizontale avec le kanji .

Parfois, on utilise des hiraganas ou katakanas de petite taille au-dessus (écriture horizontale) ou à droite (écriture verticale) des kanjis pour en spécifier la lecture. Ces caractères sont alors appelés furigana. Les furigana sont en particulier utilisés pour indiquer la lecture non officielle (c'est-à-dire absente de la liste des jōyō-kanji) d'un kanji officiel, la lecture d'un caractère non officiel, ou encore la lecture difficile d'un nom propre (prénom, nom de lieu, etc.).

Dans les textes officiels, les éléments non officiels doivent être accompagnés de furigana ou être remplacés par des kanas ; dans les publications pour enfants, un large usage des furigana est fait, du fait que les enfants ont généralement des capacités à lire les kanjis plus limitées que les adultes.

Des kanas situés après le kanji ou le mot en question, entre parenthèses ou dans une police de taille inférieure, peuvent aussi faire office de furigana.

Politiques de l'État japonais concernant les kanjis

Premières tentatives de réformes

Durant l’ère Meiji, les formes du dictionnaire chinois de référence Kangxi[alpha 49] constituaient de facto le canon pour la typographie qui connut alors un essor sans précédent. On note toutefois quelques différences entre le Kangxi et les habitudes d'impression au Japon, en raison des trois phénomènes suivants :

Sinogramme « fleur ».
  • des différences de design qui peuvent aller jusqu'à modifier la forme (l'ossature) du kanji. Par exemple, la variante de la clé [alpha 50] correspondant à l'emplacement kanmuri fut le plus souvent rendue en trois traits au Japon au lieu des quatre traits du Kangxi[15] (cf. vignette ci-contre) ;
  • l'usage majoritaire au Japon de certains caractères[alpha 51] traités dans le Kangxi comme des variantes secondaires de formes correctes ;
  • L'usage au Japon de kokuji qui sont par définition absents du Kangxi, un ouvrage purement chinois.

Ces formes traditionnelles (japonaises) sont identifiées sous le terme de iwayuru-kōkijitentai[16] (ci-dessous « formes quasi-Kangxi »), tandis que, dans les dictionnaires de kanjis, les formes du Kangxi stricto sensu sont souvent désignées en japonais par les termes seiji et seijitai, littéralement « caractères (formes) correct(e)s »[alpha 52].

Avec l'industrialisation du Japon, émergea le débat quant à la nécessité de simplifier l’écriture. Fukuzawa Yukichi, un penseur majeur de la Restauration de Meiji, proposa[17] en 1873 de réduire le nombre de kanjis, dans l'essai 文字之教 (De l'enseignement des caractères). Certaines propositions nettement plus extrêmes furent faites, comme celle de Nishi Amane, en 1874, d’écrire le japonais en lettre latines[18], mais cette idée ne rencontra que peu de succès.

En , une commission gouvernementale (臨時国語調査会) établit une liste de 1 962 kanjis, appelés kanjis d'usage courant (常用漢字, jōyō-kanji) publiée au journal officiel l’année suivante, mais cette décision ne fut pas appliquée notamment en raison des difficultés rencontrées par les autorités à la suite du grand séisme du Kantō de 1923. Une nouvelle tentative cependant fut faite en 1942 de limiter les kanjis avec l'avis rendu par le Conseil de la Langue japonaise (国語審議会) qui préconisa d'adopter une liste de 2 528 kanjis[19]. Toutefois, les oppositions furent nombreuses tandis que les difficultés liées à la guerre s'amoncelaient ; la proposition ne fut pas suivie par le Cabinet.

Une réforme qui fut réellement appliquée ne concerne pas les kanjis, mais les hiraganas, dont les formes alternatives (hentaigana) furent rendues obsolètes dès 1900[alpha 53].

Tōyō-kanji (1946)

L'occupation par l'armée américaine du Japon après la fin de la Seconde Guerre mondiale s'accompagna d'un grand nombre de réformes à l'initiative de l'occupant. Dans le domaine de l’écriture, celui-ci considérait que les kanjis favorisaient l’illettrisme. Cette vision fut finalement contredite par une vaste étude sur l’alphabétisation du Japon en 1948 conduite par l'anthropologue John C. Pelzel montrant, à la surprise des Américains, que près de 98 % des Japonais n'avaient pas de difficultés particulières pour lire les kanjis[20].

Néanmoins, en amont de cette étude, les autorités japonaises avaient déjà publié, pressées par les forces d'occupation[21] et après seulement quelques mois de réflexion, une liste de 1 850 kanjis en 1946 ; celle-ci fut entérinée par le Cabinet à la hâte – seulement onze jours plus tard – le [22]. Cette liste fut nommée « liste de kanjis à usage provisoire ». De fait, celle-ci se borna à définir les kanjis (plus exactement les classes de kanjis) dont l'usage serait autorisé dans les textes officiels, les médias et la société en général ; la liste indiqua que les formes[alpha 54] et les lectures officielles auraient à être fixées ultérieurement. Les décrets suivants vinrent ainsi en complément :

  • table des lectures des tōyō-kanji en 1948 (augmentée en 1973) ;
  • définition des kanjis de l'enseignement primaire en 1948 (881 kanjis dans un premier temps, connus sous le terme de kyōiku-kanji) ;
  • formes des tōyō-kanji en 1949, qui officialisèrent les formes simplifiées[23].

Environ un cinquième des formes des tōyō-kanji (publiées en 1949) est simplifié par rapport aux formes d'impression traditionnelles jusqu'alors en vigueur (formes quasi-Kangxi). Ces formes furent appelées formes nouvelles (新字体, shinjitai) et leurs contreparties traditionnelles formes anciennes (旧字体, kyūjitai)[alpha 55]. Les formes anciennes ne furent pas pour autant rendues totalement obsolètes, car le décret n'imposa pas de changer en particulier les noms de famille qui nécessitent ces formes. Les formes « nouvelles » sont en fait pour la plupart des variantes qui sont des « formes abrégées[alpha 56] » ayant elles-mêmes une longue tradition notamment dans le domaine de l'écriture manuscrite.

Le degré de coercition de cette réforme fut fort. Le décret de 1946 indique en effet que les mots s’écrivant initialement avec des kanjis hors-liste doivent être remplacés par des synonymes, ou bien écrits en syllabaires sans leurs kanjis ; les furigana sont de surcroît proscrits. Les domaines spécialisés furent par ailleurs invités à revoir leur terminologie afin de ne pas devoir recourir à des kanjis hors-liste.

Avec ces restrictions, de nombreux mots, notamment des termes sinoxéniques, ne purent donc plus s'écrire entièrement en kanjis ; apparut le phénomène des « écritures mélangées[alpha 57] » (par exemple き損[alpha 58] au lieu de l'écriture originale 毀損) qui rendent parfois la lecture difficile. Pour limiter le nombre de ces hybrides, les autorités publièrent un rapport[24], en 1956, qui valida des changements orthographiques consistant à puiser dans les caractères officiels pour remplacer les kanjis hors-liste.

En outre, en 1948, la législation japonaise sur le registre familial limita aux tōyō-kanji les kanjis autorisés pour déclarer les nouveau-nés. De fait, un nombre important de kanjis jusqu'alors fréquents pour les prénoms se retrouva exclu des possibilités pour nommer les enfants. Face aux critiques, le gouvernement autorisa par ordonnance[25], en 1951, une liste supplémentaire de 92 kanjis. Ces kanjis spécifiquement autorisés pour les prénoms sont connus sous le terme de jinmeiyō-kanji ; leur nombre est allé croissant d'ajouts en ajouts (cf. section dédiée).

Jōyō-kanji (1981)

En dépit de la nature provisoire des tōyō-kanji, ces derniers restèrent en vigueur 35 ans. En 1981, une nouvelle liste de kanjis officiels vint en remplacement : il s'agit des kanjis d'usage courant (常用漢字, jōyō-kanji). Le nombre de kanjis augmenta quelque peu avec 1 945 caractères au total. Cette liste est décrite comme un « objectif »  en non une règle absolue  qui n'a pas pour vocation de réguler les usages dans les domaines scientifiques, artistiques et les autres domaines spécialisés. En outre, l'utilisation des furigana ne fut plus bannie.

Les 1 945 formes canoniques (通用字体, tsūyō-jitai)[26] des jōyō-kanji reprennent en particulier les formes simplifiées (shinjitai) des tōyō-kanji. Par ailleurs, quelques remaniements eurent lieu au niveau des lectures.

Cette liste fut revue et augmentée en 2010 (cf. section dédiée).

Formes standard pour l'impression (2000)

En 2000, sont définies les 印刷標準字体 (insatsu-hyōjun-jitai), formes (ossatures) standard pour l'impression de 1 022 kanjis situés en dehors des jōyō-kanji, accompagnées de 22 variantes autorisées[27] (kan'i-kan'yō-jitai). Ces kanjis ont été retenus pour leur relatif haut degré de fréquence d'utilisation, en dépit de leur absence de la liste des jōyō-kanji de l'époque ; cela signifie que, pour l'essentiel, les kanjis exclus à la fois des jōyō-kanji et de cette liste complémentaire sont d'une importance relativement négligeable dans le cadre du japonais contemporain (noms propres mis à part).

Fait nouveau parmi les réformes du XXe siècle, les formes choisies comme standard sont les formes traditionnelles (formes quasi-Kangxi). En outre, de nombreuses variantes, telles (pour ) ou (pour ) qui suivent pourtant la même logique que les simplifications validées après-guerre (賣⇒売 ; 國⇒国), n'ont pas été retenues comme variantes autorisées, car elles étaient trop rares chez les éditeurs, en dépit de leur prédominance dans les logiciels grand-public de traitement de texte d'alors[alpha 59]. Le jeu de caractères codés JIS X 0213 a connu une profonde révision en 2004 pour refléter les choix de ces formes standard.

Liste actuelle des kanjis d'usage courant (jōyō-kanji)

Le développement des ordinateurs personnels et des téléphones mobiles donne accès au grand-public à de nombreux kanjis « non jōyō », mais fort utiles. En réponse, l'Agence pour les Affaires culturelles a proposé[28] le une révision de la liste des jōyō-kanji, laquelle fut promulguée par le Cabinet le de la même année. Ainsi, l'effectif des kanjis officiels passe à 2 136, par l'ajout de 196 caractères et le retrait de cinq caractères jugés trop rares. Des ajouts ou suppressions sont également apportés au niveau des lectures.

Une forme canonique par kanji (par classe de kanjis) est fixée, soit 2 136 formes. Pour les nouveaux kanjis ajoutés en 2010, leur formes canoniques sont dans l'ensemble[alpha 60] des formes traditionnelles, dans la lignée de l'avis rendu en 2000. Par exemple, les formes ou sont choisies plutôt que les variantes et .

Variantes tolérées (exemples).

En ce qui concerne l'écriture manuscrite, certaines variantes, en général plus simples que les formes canoniques, sont reconnues voire indiquées comme préférables[29]. La reconnaissance de formes (ossatures) différentes entre l'écriture manuscrite et les caractères pour l'impression constitue une nouveauté par rapport aux réformes précédentes. En outre, les cinq kanjis , , , et ont des variantes tolérées[alpha 61] (cf. illustration ci-contre). Autre fait nouveau par rapport aux précédentes directives, le rapport de l'Agence précise[30] qu'en raison de l'usage contemporain généralisé des outils informatiques, l'esprit de cette réforme n'est pas d'exiger la capacité à écrire à la main, de mémoire, tous les kanjis de la liste ; néanmoins, il n'est pas précisé quels seraient les kanjis « difficiles » susceptibles de faire l'objet de cette exemption.

Kanjis aujourd'hui autorisés pour les prénoms

La plupart des prénoms contemporains des Japonais sont composés de un à trois kanjis[alpha 62]. À la suite de la dernière modification en 2017[31], 2 999 kanjis au total sont autorisés pour les prénoms des nouveau-nés, parmi lesquels on compte 230 variantes ; c'est-à-dire qu'il y a 2 769 classes de kanjis autorisées pour les prénoms, dont tous les jōyō-kanji (2 136 classes) ainsi que 633 autres classes. La majorité des 230 variantes sont des formes anciennes (kyūjitai) de jōyō-kanji.

Parmi les kanjis autorisés, certains caractères ne se prêtent guère, en raison de leur sens, à être employés dans les prénoms, ce qui limite légèrement le nombre de kanjis disponibles en pratique. Même en tenant compte de ce fait, il demeure un nombre considérable de kanjis à disposition. D'autre part, le choix de la lecture est libre. Autrement dit, même si, dans la pratique, certains usages sont généralement observés[alpha 63], n'importe quelle lecture peut être, en théorie, associée à un kanji dans un prénom, quand bien même aucun dictionnaire ne la reconnaitrait. Ces éléments font qu'il existe une grande variété de prénoms au Japon.

Apprentissage des kanjis

Au Japon, l'apprentissage des kanjis d'usage courant requiert les neuf années que compte l'instruction obligatoire, tandis que certaines lectures de ces caractères ne sont enseignées qu'au niveau des lycées. En particulier, les 1 026 caractères considérés comme les plus élémentaires sont étudiés durant les six années de l'enseignement primaire japonais ; ils sont communément appelés kyōiku-kanji[32].

En outre, pour chaque kanji, il faut mémoriser :

  • l'ordre et la manière de dessiner ses traits ;
  • le nombre de traits (en style régulier) et la clé ;
  • les lectures on et kun, chacune de ces catégories pouvant compter plusieurs lectures différentes ;
  • quels sont les mots dans lesquels ce kanji est utilisé.

Aussi, la connaissance en profondeur d'un grand nombre de kanjis est-elle une marque de culture et d'érudition. Il existe des examens spécifiques portant sur les kanjis, le plus connu étant le Kanken ; ce dernier permet de mesurer ses compétences selon douze niveaux. En plus des centres d'examen japonais, il est possible de le passer dans certaines grandes villes à l'extérieur du Japon.

Notes et références

Notes

  1. Le mot « kanji » est présent dans des dictionnaires français et s'accorde donc comme tous les noms communs français. Il en est de même pour les mots « kana », « hiragana » et « katakana ». Les noms plus techniques (par exemple « kokuji »), sont indiqués en italique et restent invariables au pluriel, conformément à la grammaire japonaise.
  2. En mandarin standard, langue officielle en Chine continentale et à Taïwan, la translittération est hànzì.
  3. Bien que les kanas soient ordinairement qualifiés de syllabaires, convention qui sera également suivie dans cet article, il est plus précis de dire que chaque kana représente une more du japonais (à l'exception des mores dites yōon (en) qui demandent deux kanas).
  4. Forme non conjuguée dite 終止形 (shūshikei), aussi appelée « forme du dictionnaire ».
  5. Sens principaux du kanji  : parole, parler, rumeur.
  6. Dans ce contexte, signifie « gouverner » et « secourir ».
  7. On peut noter que possède aussi d'autres lectures (kyō, etc.) qui apparaissent dans d'autres mots.
  8. La lecture bu est une variante de la lecture fu (phénomène du rendaku).
  9. Signifie « typhon ».
  10. Signifie « paravent ».
  11. Signifie « vent ».
  12. Signifie « vent du nord ».
  13. Signifie « moulin à vent ».
  14. Signifie « apparence ».
  15. Signifie « paysage ».
  16. Signifie « beauté du paysage ».
  17. Signifie « élégance ».
  18. Signifie « us ».
  19. Signifie « style de dessin ».
  20. Cf. japonais 同音異義語 (dōon'igigo).
  21. Les ouvrages Tennōki et Kokki (620), aujourd'hui disparus, sont des textes en sinogrammes antérieurs d'un siècle au Kojiki, selon les mentions qui en sont faites dans les chroniques Nihon Shoki.
  22. Wani serait venu, selon le Nihon Shoki, en l'an 16 du règne de l'empereur Ōjin, qui pourrait se situer entre la seconde moitié du IIIe siècle et le début du Ve siècle.
  23. Néanmoins, on trouve quelques cas pour lesquels l'attribut de kokuji ne fait pas l'objet d'un consensus ; en particulier, il n'est pas exclu que dans certains cas des caractères aient été « redécouverts » au Japon, à savoir que les Japonais créèrent une composition nouvelle, dotée d'une certaine signification, tout en ignorant qu'elle existait par ailleurs en Chine avec un sens à priori différent. Par exemple, « séparation » (, mata) fut créé au Japon par une déformation d'« espérer » (, matsu), mais c'est par ailleurs un caractère rare trouvé en poésie chinoise sans que les deux aient un quelconque lien direct.
  24. La révision de la norme JIS X 0213 en 2012 ne comporte aucune modification au niveau des caractères eux-mêmes.
  25. Cf. japonais 偏旁 (henbō), 偏旁冠脚 (henbōkankyaku) ou 漢字の構成要素 (kanji no kōsei-yōso).
  26. Lorsqu'un kanji est insécable, ce caractère et sa clé seront graphiquement identiques.
  27. Cependant, certains dictionnaires classent les kanjis dans l'ordre des sons japonais. D'autre part, le nombre total de traits est généralement le moyen de d’ordonner les kanjis ayant la même clé ou la même lecture de référence.
  28. Il existe souvent des appellations alternatives. Seul un exemple est indiqué ici.
  29. Cf. japonais 筆画 (hikkaku, littéralement « trait au pinceau ») ou 点画 (tenkaku, littéralement « point ou trait »).
  30. L'ordre des traits est appelé en japonais 筆順 (hitsujun) ou, familièrement, 書き順 (kakijun).
  31. La différence entre un fondu et un arrêt marqué est surtout nette dans le cas d'une écriture au pinceau.
  32. La norme sur les jōyō-kanji de 2010 adapte le point de vue de droite en distinguant les deux ossatures. Le standard Unicode 13 considère également ces deux caractères comme distincts via le mécanisme des IVS (Ideographic Variant Sequences).
  33. La forme principale choisie par le dictionnaire n'est pas nécessairement antérieure aux autres variantes présentées.
  34. est une forme spécifique au Japon du sinogramme « tortue ». La classe à laquelle elle appartient existe originellement parmi les caractères chinois, aussi ne parle-t-on pas de kokuji dans ce cas.
  35. Si on se limite aux lectures officielles des jōyō-kanji, les lectures kun les plus longues, terminaisons exclues, ont cinq syllabes. Cf. (kokorozashi), (mikotonori) et 承る (uketamawa‧ru).
  36. La syllabe shi () est monomorique, tandis que les syllabes kan (かん) et (こう) sont bimoriques.
  37. Ce sont notamment les syllabes du chinois médiéval dites « tons d'entrée » (入声, nisshō) qui ont donné naissance aux lectures on pluri-syllabiques. On trouve par exemple la lecture eki de ou la lecture koku de .
  38. Les éléments indiqués après les points (‧) sont des terminaisons (okurigana) verbales ; elles s'écrivent en syllabaire et sont, dans la pratique, indissociables des radicaux. Ainsi, le kanji est entre autres associé au verbe ugoku (mot japonais pour « bouger ») qui se transcrit 動く ( est le hiragana ku) ; du point de vue sémantique japonais, ugo‧ku est considérée comme une lecture kun de , et non simplement ugo. En revanche, cela n'empêche pas les okurigana d'être modifiés par conjugaisons, sans que la forme conjuguée ne constitue une lecture kun distincte ; par exemple, le verbe « bouger » mis au passé devient 動いた (ugo‧ita). En outre, des verbes différents peuvent posséder des radicaux ayant la même prononciation tout en constituant deux lectures kun distinctes d'un kanji. Par exemple, les deux verbes 剝げる (hageru, se détacher) et 剝ぐ (hagu, écorcher) revoient formellement à la même prononciation du kanji (en l’occurrence ha), tandis que ha‧geru et ha‧gu sont vues comme deux lectures kun différentes de .
  39. La liste des lectures et sens indiqués ici n'a pas vocation à être exhaustive. D'autre part il arrive que les sens associés à des lectures distinctes peuvent être partiellement ou entièrement similaires.
  40. Les lectures des Tang sont aussi appelées sō-on (宋音, en référence du début de l'ère Song) ou tōsō-on (唐宋音, lectures Tang ou Song).
  41. 漢語 (kango) est plus fréquent que 字音語 (jiongo) dans la littérature mais le premier a le défaut d'être quasi-homographique avec le mot chinois hànyǔ (langue chinoise) écrit en sinogrammes traditionnels.
  42. Certains termes reprennent cependant des combinaisons existant en chinois ancien, mais un sens totalement nouveau leur a été attribué, ce qui fait qu'ils sont généralement considérés comme « dérivés » du chinois et non « empruntés ».
  43. Une partie de ces mots originaux japonais (和製漢語, wasei-kango) a vu le jour ou s'est répandue principalement entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle afin de traduire des concepts nouveaux venant de la civilisation occidentale de l'époque ; dans certains cas ils furent par la suite exportés vers le chinois ou le coréen, comme 社会 (shakai, société). Cf. les contributions d'intellectuels tels Fukuzawa Yukichi, Nakae Chōmin ou Mori Ōgai.
  44. Cf. japonais 宣命体 (senmyōtai), style de transcription du japonais dans lequel les substantifs ou radicaux des verbes sont écrits en kanjis de grande taille, tandis que les éléments grammaticaux (terminaisons, particules, etc.) sont transcrits en man'yōgana de petite taille. La naissance de ce style constitua une étape majeure dans la constitution du système d'écriture japonais actuel. Le plus ancien exemple avéré est un édit de l'impératrice Kōken daté de 757.
  45. Cf. japonais 同訓異字 (dōkun-iji), « même kun, différents kanjis ».
  46. La propension à conserver l’écriture en kanjis dans la langue contemporaine est variable selon les mots.
  47. Cf. japonais 借字 (shakuji) ou 借り字 (kariji), signes empruntés.
  48. Jupiter est la planète de l'élément « bois ».
  49. Cf. japonais 康熙字典 (Kōkijiten).
  50. La même remarque s'applique à la clé .
  51. Par exemple les variantes et , pour et .
  52. Toutefois, le terme seiji (ou seijitai) peut, selon le contexte, faire référence à d'autres standards. Par exemple, dans un contexte juridique, il peut désigner les caractères dont les formes sont autorisées par la législation pour les documents officiels contemporains.
  53. Arrêt de l'enseignement des hentaigana dans les écoles primaires en 1900.
  54. Tout en remettant à plus tard la définition des formes, la liste de 1946 des tōyō-kanji indique cependant déjà quelques formes simplifiées qui sont qualifiées de principales (本体, hontai) par rapport aux formes originelles.
  55. En japonais, le terme 旧字体 (kyūjitai, « forme ancienne ») n'a pas de définition unique : certains dictionnaires de kanjis considèrent en effet la forme ancienne comme étant la forme stricto sensu du Kangxi d'un kanji ayant été réformé, tandis que d'autres optent pour la forme traditionnelle japonaise (quasi-Kangxi). Kyūjitai peut aussi désigner l'écriture au Japon antérieure aux réformes, auquel cas toutes les formes pseudo-Kangxi, y compris celles n'ayant pas été réformées, sont incluses.
  56. Cf. japonais 略字体 (ryakujitai), forme abrégées.
  57. Cf. japonais 混ぜ書き (mazegaki), écritures mélangées.
  58. est un hiragana qui code la more ki, en remplacement du kanji .
  59. Par exemple, le kanji (fossé) n'est pas répertorié dans la norme JIS X 0208, standard fréquemment utilisé en informatique notamment dans les années 1990 ; on y trouve uniquement la variante .
  60. Parmi les kanjis transférés de la liste de 2000 aux jōyō-kanji, , et sont cependant des variantes dites kan'i-kan'yō-jitai.
  61. Les cinq variantes de , , , et sont dites « formes tolérées » (許容字体, kyoyō-jitai), c'est-à-dire utilisables à la place des formes canoniques, faute de mieux. De plus, ces formes seront généralement préférées pour l'écriture manuscrite.
  62. Pour les prénoms des Japonais, il est également possible d'utiliser les kanas, le signe (chōonpu) et certaines marques d'itération ; en revanche, les lettres latines et les autres signes ne sont pas autorisés.
  63. La majorité des prénoms japonais suivent les lectures kun, on, ou les lectures spécifiques aux prénoms répertoriées dans les dictionnaires, connues sous le terme de 名乗り読み (nanori-yomi).

Références

  1. (ja) Source : dictionnaire Shinkangorin, éditions Taishūkan. Les éléments listés ici ne constituent qu'un extrait des principaux sens existants.
  2. (ja) Source : dictionnaire Daijisen, éditions Shōgakukan.
  3. (ja) Les lectures sont aussi désignées en japonais par 読み方 (yomikata) ou 音訓 (onkun). Le terme de onkun est employé en référence aux deux catégories de lectures que sont les lectures on et les lectures kun. Source : dictionnaire Daijisen, éditions Shōgakukan.
  4. (ja) JKATF, page 1 640.
  5. (ja) Le manuel pour l'instruction de l'ordre des traits (筆順指導の手びき) est un standard toujours utilisé de nos jours bien qu'il n'en soit plus fait officiellement mention dans la « Norme des manuels scolaires autorisés pour l'enseignement obligatoire » de 2014 (義務教育諸学校教科用図書検定基準, ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie, paragraphe 国語科「書写」, partie 1, point 4 : « 漢字の筆順は、原則として一般に通用している常識的なものによっており、行書で筆順が異なる字については、適切な説明を加えていること »).
  6. (ja) Agence pour les Affaires culturelles, p. 205.
  7. (ja) Agence pour les Affaires culturelles, p. 7.
  8. (ja) En japonais honegumi (骨組み) ou kokkaku (骨格), Agence pour les Affaires culturelles, p. 7. La métaphore d'ossature en japonais fournit une image intéressante dans la mesure où changer légèrement l'orientation d'un trait (à l'image d'une articulation), grossir plus ou moins un trait (à l'image du muscle entourant l'os) ne modifient pas l'ossature du caractère.
  9. (ja) Agence pour les Affaires culturelles, p. 213 書体とは,字体を基に文字が具現化される際に,文字に施された一定の特徴や様式の体系を言う »).
  10. (ja) Agence pour les Affaires culturelles, p. 8.
  11. (zh) Dictionnaire Kangxi, page 1 330.
  12. (ja) 訓読 (kundoku) est parfois considéré comme un simple synonyme de lecture kun. Source : dictionnaire Daijisen, éditions Shōgakukan.
  13. (ja) 国訓 (kokkun) est parfois considéré comme un simple synonyme de lecture kun. Source : dictionnaire Meikyō-Kokugo-Jiten, éditions Taishūkan.
  14. (ja) Cf. définition de ateji dans le dictionnaire 明鏡国語辞典, éditions Taishūkan.
  15. (ja) Cf. rapport du 22e Conseil de la Langue japonaise (国語審議会) sur la « Table des formes des kanjis hors-liste » (表外漢字字体表), Ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie, paragraphe 二.字体表, point 6.
  16. (ja) Cf. japonais いわゆる康熙字典体 (iwayuru-kōkijitentai). Une définition de ce terme est donnée dans le rapport du 22e Conseil de la Langue japonaise (国語審議会) sur la « Table des formes des kanjis hors-liste » (表外漢字字体表), Ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie, paragraphe 一.前文, section 1, point (2).
  17. (ja) ウェブスター辞書と明治の知識人, Isamu HAYAKAWA, page 209. (ISBN 978-4861101281)
  18. (ja) Cf. essai de Nishi Amane : 洋字ヲ以テ国語ヲ書スルノ論.
  19. (ja) La liste des kanjis standard (標準漢字表, hyōjun-kanji-hyō) de 1942 se divise en 1 134 kanjis d'usage courant, 1 320 kanjis d'usage quasi-courant et 74 kanjis spéciaux pour des termes spécifiques trouvés dans la Constitution de l'Empire ou la loi de la maison impériale. Cf. [PDF] document original.
  20. (ja) 戦後日本漢字史, Tetsuji Atsuji, 2010.
  21. (ja) T. Maeda, p. 9.
  22. (ja) Cf. le [PDF] document original.
  23. (ja) Le rapport du Conseil de la Langue japonaise (国語審議会) de 1948 auquel se réfère le décret de 1949 montre les formes (ossatures) des tōyō-kanji dont l'usage sera commun tant pour les caractères d'imprimerie (styles minchōtai et dérivés) que pour l'écriture manuscrite (style régulier) ; le rapport mentionne néanmoins qu'il continuera d'y avoir parfois des différences entre les représentations imprimées et habitudes manuscrites (ces différences de design ne remettant pas en question l'unicité des ossatures des tōyō-kanji).
  24. (ja) Cf. le document [PDF] 同音の漢字による書きかえ.
  25. (ja) Article 60 du décret d'application de la loi sur le registre familial (戸籍法施行規則).
  26. (ja) Tsūyō-jitai (通用字体, littéralement « formes ayant cours ») est un terme qui fut officiellement consacré dans la Table des jōyō-kanji (常用漢字表, 1981), au paragraphe 表の見方及び使い方. Voir aussi Agence pour les Affaires culturelles, p. 9 et 212.
  27. (ja) Ces 22 variantes sont dites 簡易慣用字体 (kan'i-kan'yō-jitai, formes d'usage simples) et sont des alternatives officiellement reconnues, en principe plus simples que les formes standard, comme pour ou pour . D'autres formes sont « tolérées », au sens où la norme indique que l'on peut les employer faute de mieux ; toutefois, elles ne sont plus incluses dans le jeu de caractères JIS X 0213 et les polices ordinaires. Détails sur les formes tolérées : 表外漢字字体表 二.字体表 (ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie, 5e point).
  28. (ja) Cf. le rapport [PDF] 改定常用漢字表.
  29. (ja) Agence pour les Affaires culturelles, p. 206. En outre, les variantes spécialement autorisées pour l'écriture à la main peuvent être néanmoins utilisées comme formes d'impression dans le cas où le style employé se veut au plus proche l'écriture manuscrite régulière, ce qui est notamment le cas avec le style d'impression kyōkashotai. Cf. Agence pour les Affaires culturelles, p. 60, 61 et 83.
  30. (ja) Extrait p. 7 : « 情報機器の使用が一般化・日常化している現在の文字生活の実態を踏まえるならば、漢字表に掲げるすべての漢字を手書きできる必要はなく、また、それを求めるものでもない。 »
  31. (ja) Journal officiel japonais (Kanpō) du  : décret du ministère japonais de la Justice no 32, ajoutant le kanji .
  32. (ja) Leur nombre est passé de 1 006 à 1 026 en raison d'une réforme promulguée en 2017. Cf. 小学校学習指導要領(平成29年告示).

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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