Morphème

En linguistique, on définit généralement[1] un morphème comme le plus petit élément significatif, isolé par segmentation d'un mot, le plus souvent dépourvu d'autonomie linguistique. La morphologie est l'étude des morphèmes.

Par exemple, le mot chanteurs est composé de trois morphèmes : chant- « chant », -eur- « celui qui fait » et -s (marque du pluriel à l'écrit seulement).

Un autre exemple est couraient, qui est composé de cour- « courir », -ai- (marque de l'imparfait) et -ent (3e personne du pluriel à l'écrit, « ils »)

Cet exemple est sans segmentation de mot : pomme de terre n'est pas composé de trois morphèmes mais bien d'un seul morphème qui contient la signification « pomme de terre », le légume en question.

De même que le phonème, le morphème est une entité abstraite, qui est susceptible de se réaliser de plusieurs manières dans la chaîne parlée.

Ainsi, en français, la préposition en est un morphème, mais selon qu'elle est suivie par un mot qui commence par une voyelle ou par une consonne, elle est réalisée [ɑ̃] (comme dans en France [ɑ̃fʁɑ̃s]) ou [ɑ̃n] (comme dans en Italie [ɑ̃nitali]).

Un autre exemple est qu'en finnois, le morphème exprimant l'inessif (la désinence qui indique qu'il se situe dans un lieu) peut se réaliser, selon les mots, de deux manières différentes, selon l'harmonie vocalique : -ssa ou -ssä. Ainsi, en notant talossa « dans la maison » mais päässä « dans la tête », on note par convention ce morphème sous la forme -ssA (A est une variable qui peut prendre les valeurs a ou ä), et on dit que -ssa et -ssä sont les morphes (ou les allomorphes) de -ssA.

Typologie des morphèmes

Morphèmes lexicaux ou grammaticaux

Il existe deux grandes catégories de morphèmes : les morphèmes lexicaux (lexèmes) et les morphèmes grammaticaux (grammèmes). Dans la terminologie de la linguistique fonctionnelle d'André Martinet, ces deux catégories sont regroupées sous le nom de monème (il faut bien distinguer que monème désigne l'unité significative de première articulation pour désambiguïser le terme morphème), et le terme de morphème est réservé aux seuls morphèmes grammaticaux.

Les morphèmes grammaticaux sont en nombre limité et appartiennent à une classe fermée, tels que tu, à, et.etc. Il s'agit de pronoms, prépositions, conjonctions, déterminants, affixes : des listes de mots qui ne varient pratiquement jamais.

Les morphèmes lexicaux appartiennent à une classe ouverte, tels que lave, vite, lune, etc. Il s'agit de noms, adjectifs, verbes ou adverbes. On y ajoute des mots récents (comme c'est méga bien).

Morphèmes liés ou libres

On peut dire d'un morphème qu'il est :

  • Lié s'il ne se manifeste pas comme lemme et n'existe jamais à l'état libre mais est toujours rattaché à un autre morphème appelé base : -ons dans ouvr-ons ou re- dans re-faire ou un radical comme -cevoir (re-cevoir, per-cevoir, dé-cevoir, etc.) qui n'existe pas non plus à l'état libre.
  • Libre s'il peut constituer un mot : le ou beau sont libres.

Morphèmes dérivationnels et flexionnels

Parmi les morphèmes liés, on distingue traditionnellement deux classes : les morphèmes dérivationnels et les morphèmes flexionnels.

Morphèmes dérivationnels

Les morphèmes dérivationnels, ou affixes, servent à la création de nouveaux mots lexicaux par dérivation.

On distingue deux types principaux de morphèmes dérivationnels selon deux critères : la place qu'ils occupent par rapport à la base lexicale sur laquelle ils se greffent et leur effet sur la catégorie de la base.

  • Les préfixes sont des affixes qui sont antéposés à la base, tel que «  » dans « défaire » et « re » dans « refaire ». Les préfixes ne provoquent jamais de changement de catégorie grammaticale de la base.
  • Les suffixes sont des affixes qui sont postposés à la base, tel que « ment » dans « agréablement » et « able » dans « mangeable ». Les suffixes peuvent entraîner un changement de catégorie grammaticale de la base.

La dérivation peut s'opérer à la fois par une préfixation et une suffixation, et on parle alors de dérivation parasynthétique.

Les circonfixes sont des affixes qui sont en deux morceaux, un au début du mot et un autre à la fin.

Morphèmes flexionnels

Les morphèmes flexionnels, ou flexions, indiquent la relation que la base à laquelle ils s'ajoutent entretient avec les autres unités de l'énoncé.

On distingue deux types principaux de flexions selon la catégorie de la base :

  • les flexions qui concernent les bases nominales, adjectivales et pronominales. Elles sont de trois sortes en français : le genre, le nombre et les cas.
  • les flexions verbales qui correspondent à la conjugaison des verbes. Elles ont pour fonction de marquer la personne, le nombre, le temps, le mode et la voix.

Un morphème flexionnel ne modifie jamais la catégorie de la base à laquelle il s'adjoint, contrairement aux morphèmes dérivationnels.

Discussion

Certains linguistes refusent la classification précédente parce qu'elle serait valable au mieux pour les langues de l'Antiquité classique[2] :

  • pour les langues indo-européennes modernes, elle serait introduite par la projection du passé dans le présent de la langue, ce qui est contraire au principe de description synchronique ;
  • pour de nombreuses langues non indo-européennes, elle n'aurait guère de sens.

C'est pourquoi la tendance est à appeler du même nom toutes les unités significatives entrant dans le mot : morpheme ou formative en anglais, morphème ou formant en français.

Morphèmes autonomes ou dépendants

On peut dire d'un morphème qu'il est

  • autonome s'il peut constituer un énoncé à lui seul (comme une réponse à une question) et ne dépend pas forcément d'autres éléments : rouge, ville ;
  • dépendant s'il est lié à d'autres mots de la phrase (qu'ils soient présents ou supposés) qu'il sert à construire : de, il, avec, demain. Cependant, avec peut constituer un énoncé valide (Ton café, avec ou sans sucre ? Avec.), mais il faut tout de même sous-entendre un autre terme, et il reste donc dépendant. De même pour demain, qui nécessite une situation de communication : « demain par rapport au moment où je parle ».

Morphologie des morphèmes

On peut distinguer les morphèmes selon leur morphologie.

Morphèmes à signifiant discontinu

Les morphèmes à signifiant discontinu sont formés d'une succession d'éléments répartis à plusieurs endroits dans un énoncé.

  • « Il ne sait pas » est composé notamment d'un morphème discontinu « ne (...) pas » qui indique la négation ;
  • « Il a mangé » comporte un morphème discontinu « a (...) é » qui indique le temps du passé composé.

Morphèmes amalgamés en un seul signifiant

Certains morphèmes s'amalgament en un seul signifiant :

  • dans l'énoncé « Aller au marché », « au » est un amalgame des morphèmes « à » et « le » ;
  • dans l'énoncé « La niche du chien », « du » est un amalgame des morphèmes « de » et « le ».

Morphèmes à signifiant zéro

Les morphèmes à signifiant zéro sont des morphèmes non marqués, des silences qui signifient quelque chose. On peut comparer les trois énoncés suivants, leur transcription phonologique et leur découpage en morphèmes :

  • mangions /mɑ̃ʒ-j-ɔ̃/ ;
  • mangerons /mɑ̃ʒ-r-ɔ̃/ ;
  • mangeons /mɑ̃ʒ-Ø-ɔ̃/.

On peut considérer que mangeons comporte un morphème à signifiant zéro qui indique le présent par opposition aux morphèmes /j/, qui indique l'imparfait, et /r/, qui indique le futur simple.

Allomorphes

Les morphèmes qui sont des variations contextuelles, donc en distribution complémentaire, sont des allomorphes.

Par exemple, al- (dans "allons"), v- (dans "vais"), i- (dans "iras") sont trois allomorphes du verbe "aller" De même, pour les terminaisons "âmes", "îmes" et "ûmes" du passé simple, ces morphèmes grammaticaux sont trois allomorphes, trois signifiants ayant pour signifié le passé simple.

Synthèmes

Dans la terminologie de Martinet, les morphèmes multiples qui fonctionnent comme un morphème simple sont appelés synthèmes, des combinaisons figées d'unités significatives minimales :

  • Pomme de terre se définit par rapport à poireau, chou, etc., mais le locuteur ne choisit pas successivement pomme par rapport à poire, terre par rapport à eau, etc.

(Toutefois, Martinet utilise le terme monème, plutôt que morphème).

Morphèmes et morphes

La nature même des « unités significatives minimales » qu'on cherche à identifier pose problème[3]. On peut se demander s'il s'agit :

  • d'entités physiques, perceptibles (des signifiants au sens de Ferdinand de Saussure)
  • de signes (au sens de Saussure), d'entités ni sémantiques ni physiques mais ayant des manifestations dans ces deux domaines.

En effet, par exemple:

  • le i de ira et le all de allons désignent tous les deux le même concept aller
  • le a du latin bona bonne ») indique à la fois le genre (féminin), le cas (nominatif) et le nombre (singulier).

C'est pourquoi certains linguistes américains appellent morphe toute unité phonétique significative qui ne peut être analysée en éléments phoniques significatifs plus petits. Les morphèmes sont alors redéfinis comme des classes, ou ensembles, de morphes.

Ainsi, dans l'exemple précédent, i, all et a sont tous des morphes :

  • i et all sont considérés comme des allomorphes (ils apportent la même information sémantique, et leur substitution n'est pas possible)
  • le a de bona, chargé d'informations multiples, est appelé morphe-portemanteau (il est considéré comme membre de plusieurs morphèmes différents) ou morphème amalgamé.

Notes et références

  1. À noter que pour Louis Hjelmslev, le terme morphème a un sens divergent : il s'agit d'éléments de signification, d'unités de contenu, à valeur essentiellement grammaticale (et non lexicale, les éléments de ce type étant appelés plérèmes).
  2. Ducrot, Oswald et Schaeffer, Jean-Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil 1995 (ISBN 978-2-02-038181-9)
  3. Ducrot, Oswald et Schaeffer, Jean-Marie, op.cit.

Voir aussi

Articles connexes

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