Hypothèse de l'exploration inca de l'océan Pacifique

L'exploration inca de l'océan Pacifique a été évoquée en premier par Pedro Sarmiento de Gamboa, au XVIe siècle. L'historien péruvien José Antonio del Busto Duthurburu (en) (1932-2006)[1] et l'ethnologue Thor Heyerdahl soutiennent la thèse d'une exploration et même d'une éventuelle présence inca sur l'île de Pâques. La théorie a été régulièrement remise en doute par les historiens et les archéologues[2],[3]. Grâce à des analyses génétiques approfondies, des scientifiques de Stanford University School of Medicine (en) et leurs collaborateurs ont trouvé des preuves scientifiques concluantes du contact entre les anciens Polynésiens et les Amérindiens de la région qui est maintenant la Colombie[3],[4].

Généralités

L'hypothèse d'échanges entre les populations préhistoriques polynésiennes et amérindiennes a longtemps intrigué les chercheurs. Les partisans de cette théorie ont souligné la présence de cultures du Nouveau Monde, telles que la patate douce et la calebasse, dans les archives archéologiques polynésiennes, mais nulle part ailleurs en dehors des Amériques précolombiennes, tandis que les critiques ont fait valoir que ces dispersions botaniques n'avaient pas eu besoin de la médiation de l'homme[5]. L'ethnologue et navigateur norvégien Thor Heyerdahl a démontré en 1947 à bord du Kon-Tiki que les îles du Pacifique sont bien à la portée des radeaux préhistoriques en balsa du Pérou[6]. Alfred Métraux par exemple à la même époque va limiter la portée scientifique de l'exploit[2]. Les recherches génétiques récentes semblent accréditer l'hypothèse[3].

Thor Heyerdahl

L'ethnologue et navigateur norvégien Thor Heyerdahl avait suggéré que des Sud-Américains auraient pu naviguer dans le Pacifique. À cette époque, personne n’imaginait que des hommes auraient pu traverser le Pacifique sur de simples radeaux de balsa. Devant l’incrédulité générale, Thor Heyerdahl a voulu démontrer qu’une telle traversée était réalisable. Il lança ce qui allait devenir l’expédition du Kon-Tiki. Heyerdahl fit construire une réplique aussi fidèle que possible des radeaux de balsa à voiles remarqués par les premiers découvreurs espagnols en Amérique du Sud afin de démontrer la navigabilité de ces embarcations et prouver que les vents et les courants pouvaient les propulser jusqu’en Polynésie.

Parti du port de Callao au Pérou, en direction de l'ouest, le radeau de balsa, emportant un équipage de six hommes, suivit le courant de Humboldt et s'échoua sur un récif dans l'archipel des Tuamotu après avoir dérivé durant 101 jours sur une distance de 9 000 km.

L’expédition du Kon-Tiki avait donc pu démontrer qu’un simple radeau de balsa pouvait se rendre jusqu’en Polynésie, à des distances bien plus considérables que l’Île de Pâques.

Cette épopée eut un retentissement considérable et prouva la possibilité de contacts entre l'Amérique et la Polynésie. Les écrits issus de cet exploit maritime ont donné naissance à une grande quantité d'éditions dans plusieurs langues.

Cependant, si l’expédition du Kon-Tiki avait pu se rendre loin en Océanie, en partant du Pérou, et avait ainsi démontré que l'on pouvait traverser le Pacifique sur un radeau quand les vents et courants étaient favorables, ce radeau ne pouvait cependant pas revenir à son point de départ. Cela limitait les relations possibles entre la Polynésie et l’Amérique du Sud. En effet, ce radeau s’était laissé tout simplement dériver en direction de l'ouest, poussée par le vent et suivant le courant de Humbolt, et il n'aurait pu, en temps normal, rebrousser chemin.

Or, ce radeau utilisé pour l'expédition du Kon Tiki avait une faille. Heyerdahl et son équipe ne connaissaient pas l'utilisation des dérives amovibles, "las guaras", telles que conçues par les anciens navigateurs sud-américains. C'est seulement bien des années plus tard lors d'une expédition de fouilles aux îles Galápagos qu'Heyerdahl fit l'essai de ces dérives et put constater leur grande manœuvrabilité, mais il y découvrir surtout une flûte et divers objets pré-incas[réf. nécessaire].

À la suite de cette expédition, Heyerdahl, plus convaincu que jamais d’une possible influence des populations sud-américaines sur les îles du Pacifique, n’en resta pas là et poursuivit ses recherches. Il n’existait à l’époque aucune preuve archéologique d’une navigation depuis les côtes sud-américaines jusqu’à des îles du Pacifique. Heyerdahl, en 1953, mena donc la première expédition archéologique aux îles Galápagos, à 900 kilomètres des côtes de l’Équateur. Il y trouva sur différents sites une importante quantité de poteries sud-américaines précolombiennes qui furent formellement identifiées par d’éminents spécialistes. Ces découvertes indiquaient que des navigateurs sud-américains auraient pu voyager dans l’océan aussi loin de leurs côtes et qu’ils auraient peut-être même fait des allers et retours réguliers jusqu’à cet endroit.

Par la suite, en 1955 et 1956, Heyerdahl mena une autre expédition sur l'île de Pâques avec une équipe internationale d'archéologues de Norvège, des États-Unis et du Chili. Cette expédition effectua les toutes premières fouilles scientifiques sur l'île. À la suite de la découverte de plusieurs vestiges très anciens, Heyerdahl fut convaincu que des sud-américains, dont possiblement les Incas, seraient allés jusqu’à l’île de Pâques.

Malgré de nombreuses analogies entre les monuments de l’île de Pâques et des monuments précolombiens, la thèse d’une influence sud-américaine à l’île de Pâques, entre autres incaïque, ne fut pas considérée.

José Antonio del Busto Duthurburu

En 1942, l'historien argentin Roberto Levillier (1886-1969) publia[7] un manuscrit retrouvé à l'Archivo General de Indias à Séville. Intitulé Historia Indica, ce manuscrit du conquistador Pedro Sarmiento de Gamboa a relancé le débat sur la possible occupation de l'île de Pâques par les Incas. Ces écrits font en effet référence à une expédition menée par l’Inca Tupac Yupanqui dans les îles du Pacifique.

Pedro Sarmiento de Gamboa, l'un des éminents navigateurs scientifiques espagnols du XVIe siècle, fut le premier à mentionner, d'après des informations qu'il aurait obtenues des Incas, que Tupac Yupanqui aurait organisé une expédition maritime en direction de l'ouest et aurait découvert deux îles nommées Nina-chumpi et Hahua-chumpi[8]. Gamboa croyait aussi avoir obtenu des informations lui permettant d'établir la position approximative de ces îles. Il lui semblait que ces îles pouvaient constituer une possession valable pour les Espagnols pouvant être ajoutée à leurs conquêtes.

Après étude de ces documents, l'historien péruvien José Antonio del Busto Duthurburu (1932-2006) s’est prononcé en faveur de la possibilité d'une expédition de l’Inca Tupac Yupanqui dans l’océan Pacifique.

En effet, cette tradition orale sud-américaine rapporte que l'Inca Tupac Yupanqui se serait rendu en Océanie, au sud-ouest du Pacifique, à partir des côtes du Pérou, sur une embarcation de type sud-américaine. L’Inca Tupac Yupanqui aurait voulu étendre son empire au-delà des mers. Selon la tradition orale, il aurait quitté le Pérou à la tête d'une flotte de 400 radeaux dans un voyage maritime qui l'aurait conduit à la découverte de plusieurs îles polynésiennes.

Duthurburu explore les possibilités de l'itinéraire[9], suivi par la flotte inca qui, selon la tradition orale, aurait fait escale aux îles de Nina-chumpi et Hahua-chumpi situées à l'ouest des côtes. La première option développée par l'auteur concerne la thèse selon laquelle les Incas auraient pu naviguer dans l'océan Pacifique, près des côtes, dans la région des îles Galápagos. Dans ce cas, il serait probable qu'Isabella, la plus grande île de l'archipel des îles Galápagos, aurait été Nina-chumbi et aurait été visitée en premier.

José Antonio del Busto Duthurburu examine ensuite la deuxième possibilité : le passage de Tupac dans l'Océanie, suivant un parcours beaucoup plus long en direction de la Polynésie. Duthurburu en arrive à la conclusion que l'île de Pâques aurait été Nina-chumbi, et que Tupac Yupanqui serait arrivé en premier à Mangareva qui aurait été Hahua-chumpi.

Après avoir examiné ces deux hypothèses - celle de la navigation près des côtes et celle de l'Océanie - Del Busto déclare qu'il incline vers celle de l'Océanie, en démontrant qu'elle est la plus plausible. Il invoque plusieurs raisons, dont la tradition orale polynésienne du roi Tupa et de sa flotte, qui proviendrait d'un pays situé là où le soleil est né, et la légende d'Uho à l'île de Pâques, qui raconte l'histoire d'une femme des îles et du prince Mahauna Te Ra'a, dont le nom se traduit par « Fils du Soleil ».

Jean-Hervé Daude, examinant la particularité de la culture pascuane vis-à-vis du reste de la Polynésie considère que l'explication réside dans un contact avec la culture d'un autre peuple. La tradition orale mentionne d'ailleurs l'arrivée d'un autre peuple sur l'île de Pâques : les « Longues oreilles », qui auraient modifié la surface de l'île par l'élaboration de grands monuments de pierre.

Selon Daude, cet autre peuple serait d'origine inca et sa présence sur l'île résulterait du passage de l'Inca Tupac Yupanqui vers 1465 au cours d'une expédition maritime à des fins expansionnistes[10].

Cette deuxième colonisation aurait été constituée d'hommes plus trapus, ce qui est aussi le propre des Andins dont la cage thoracique est très développée. Le visage des statues de pierre de l'île de Pâques, appelées moai, ressemblerait au visage des Andins et une plateforme sur l'île, l'ahu Vinapu, correspondrait au mode de construction d'une chullpa du plateau andin.

La tradition orale mentionne que les « Longues oreilles » auraient finalement été exterminés par le premier peuple colonisateur, les « Courtes oreilles ».

Notes et références

  1. https://data.bnf.fr/fr/12097135/jose_antonio_del_busto_duthurburu/
  2. Raoul d' Harcourt, « "Kon Tiki ". », Journal de la société des américanistes, vol. 40, no 1, , p. 258–259 (lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Hanae Armitage, « Polynesians, Native Americans made contact before European arrival, genetic study finds », sur Stanford Medicine News Center (consulté le )
  4. « Des croisements anciens entre Polynésiens et Amérindiens mis en évidence par la génétique », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  5. (en) Alexander G. Ioannidis, Javier Blanco-Portillo, Karla Sandoval et Erika Hagelberg, « Native American gene flow into Polynesia predating Easter Island settlement », Nature, (ISSN 0028-0836 et 1476-4687, DOI 10.1038/s41586-020-2487-2, lire en ligne, consulté le )
  6. « Heyerdahl, Thor. The Kon-Tiki Expedition, by raft across the South Seas.Translated by F. H. Lyon », Journal de la Société des Océanistes, vol. 6, no 6, , p. 275–276 (lire en ligne, consulté le )
  7. dans l'un des trois volumes de son ouvrage : Don Francisco de Toledo, supremo organizador del Perú. Su vida, su obra [1515-1582]. Buenos Aires, Espasa-Calpe, 1935-1942
  8. De GAMBOA, Pedro Sarmiento.: History of the Incas and The Execution of the Inca Tupac , 2007.
  9. José Antonio del Busto Duthurburu : Túpac Yupanqui. Descubridor de Oceanía, 2006.
  10. Denise Wenger et Charles-Edouard Duflon (2011). L'île de Pâques est ailleurs, Ed. Frédéric Dawance, p. 24. et Jean Hervé Daude (2010). Île de Pâques : L'empreinte des Incas, Canada, p. 47.

Bibliographie

  • Heyerdahl, Thor : American Indians in the Pacific, The Theory behind the Kon-Tiki Expedition, 1952.
  • Heyerdahl, Thor : AKU-AKU, le secret de l’Île de Pâques, 1958.
  • Heyerdahl, Thor, Ferdon, Edwin N.,JR. Mulloy, William, Skjolsvold, Arne, Smith, Carlyle S. : Archaeology of Easter Island, Volume I,Reports of the Norwegian Archaeological Expedition to Easter Island and the East Pacific., 1961.
  • José Antonio del Busto Duthurburu : Túpac Yupanqui. Descubridor de Oceanía, 2006.
  • De GAMBOA, Pedro Sarmiento.: History of the Incas and The Execution of the Inca Tupac , 2007.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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