Gallicanisme

Le gallicanisme est une doctrine religieuse et politique française qui cherche à organiser l'Église catholique de façon autonome par rapport au pape. Il s'oppose à l'ultramontanisme.

D'une part, le gallicanisme réduit l'intervention du pape au seul pouvoir spirituel, et ne lui reconnaît pas de rôle dans le domaine temporel. D'autre part, s'il reconnaît au pape une primauté spirituelle et juridictionnelle, il cherche à la limiter fortement, au bénéfice des conciles généraux dans l'Église (c'est le conciliarisme), des évêques dans leurs diocèses et des souverains dans leurs États. En pratique, cela se traduit surtout par une mainmise étroite du souverain français sur les nominations et les décisions des évêques.

Jean Delumeau distingue le gallicanisme ecclésiastique, qui est une position théologique et ecclésiologique antérieure et ultérieure à la Réforme, le gallicanisme régalien et le gallicanisme parlementaire, qui est une doctrine politique et administrative[1]. Très largement partagée par les juristes français de l'Ancien Régime et du XIXe siècle, cette troisième grande tendance du gallicanisme a contribué à la construction doctrinale de l'État moderne[2].

La doctrine gallicane

Pouvoir temporel et pouvoir spirituel

La doctrine gallicane commence à se formuler après l'opposition entre Philippe le Bel et le pape Boniface VIII. Les légistes du roi qui sont en lutte contre ce qu'ils jugent des abus de la justice spirituelle justifient l’indépendance du pouvoir temporel par rapport au pouvoir spirituel d'abord sur le plan judiciaire. Le pape publie la bulle Unam sanctam le , dans laquelle il affirme : « Il est de nécessité de salut de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain : nous le déclarons, l’énonçons et le définissons. » Le roi réagit vivement en envoyant Guillaume de Nogaret pour tenter d'enlever le pape à Anagni en 1303. C'est un échec.

Philippe VI réunit en 1329 l'assemblée de Vincennes afin d'avoir un avis sur les conflits entre la justice temporelle et la justice spirituelle. Pierre de Cuignières défend la supériorité de la justice du roi dans le domaine temporel de la Couronne.

Pendant le grand schisme d'Occident, le concile de Paris se réunit entre 1396 et 1398, l'Université de Paris propose de décréter que les conciles sont supérieurs au pape et l'indépendance temporelle du roi. En mai 1398, le troisième concile de Paris vote la soustraction d'obédience à Benoît XIII. Le parlement de Paris vote le la suppression des annates, menus et communs services, procurations et autres taxes apostoliques à partir du . L’Église gallicane décide de reconnaître l’autorité du pape seulement au spirituel le . Le concile de Paris de 1408 édicte des décrets sur l'organisation de l'Église gallicane.

Au concile de Constance, Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris, défend la supériorité du concile sur le pape. Par son décret Frequens, le concile se déclare institution permanente de l’Église chargée du contrôle de la papauté. Le concile de Bâle confirme le décret Frequens de Constance mais Eugène IV le transfère à Bologne, ce qui amène le concile à ouvrir un procès contre le pape. Celui-ci décide finalement de déplacer le concile à Ferrare en 1437. Les pères du concile de Bâle se déplacent à Lausanne. Le conflit entre les pères du concile et le pape se termine en 1449 quand Nicolas V ratifie les décrets de Bâle et de Lausanne.

Au XVe siècle le Royaume de France fait une première tentative de gallicanisme : en 1438, le roi Charles VII, par la Pragmatique Sanction de Bourges, limite les prérogatives papales et affirme la supériorité des décisions des conciles de Bâle et de Constance sur celles du pape.

L'essor du gallicanisme

Au XVIIe siècle, le plus illustre représentant de ce courant est Bossuet, évêque de Meaux, qui rédige les quatre articles gallicans de 1682 signés par l'assemblée des évêques de France. Bossuet y reprend les décisions du concile de Constance (14141418) qui rappelait que le concile œcuménique (assemblée de tous les évêques et abbés) était l'organe suprême en matière d'autorité et d'enseignement au sein de l'Église.

À la fin du XVIIe siècle, le gallicanisme s'implante largement dans le clergé français, d'une part grâce aux théories de Bossuet, largement approuvées, d'autre part grâce aux positions gallicanes des jansénistes, qui reprochent au pape son intervention à l'intérieur du clergé français. Le clergé français du XVIIIe siècle est largement gagné aux idées gallicanes, ce qui permet, au début de la Révolution française, l'adoption de la Constitution civile du clergé. Cette constitution religieuse, d'inspiration gallicane[3], fait quasiment des membres du clergé des fonctionnaires salariés par l'État sous réserve de prêter un serment de fidélité à la constitution à partir du . Après une longue hésitation, le pape Pie VI condamne cette Constitution civile, ce qui a pour conséquence une division du clergé français entre « jureurs » et « réfractaires ».

L'Église constitutionnelle, en place jusqu'en 1801, se considère comme une Église gallicane, c'est-à-dire catholique, romaine (les évêques reconnaissent la primauté spirituelle du pape, à qui ils adressent une lettre de communion), mais qui a ses libertés propres. Elle ne se veut en aucun cas une Église schismatique.

L'effacement progressif de l'idée gallicane au XIXe siècle

Le Concordat

Soucieux de rétablir la paix civile, Napoléon Bonaparte négocie le Concordat avec le pape Pie VII. À cette occasion, en 1801, le souverain pontife, à la demande du chef de l'État, dépose l'ensemble de l'épiscopat français : évêques élus en vertu de la Constitution civile du clergé comme prélats d'Ancien Régime survivants. C'est la fin des principes de l'Église gallicane et la reconnaissance, implicite, de la primauté de juridiction du pape. Certains évêques et prêtres réfractaires, d'esprit gallican, refusent de se soumettre et fondent la Petite Église.

Le gallicanisme tend à se réduire à une doctrine administrative pour justifier l'intrusion du pouvoir dans les affaires religieuses. Ainsi les articles organiques imposés unilatéralement par Napoléon Bonaparte sont d'essence gallicane : enseignement de la Déclaration de 1682 dans les séminaires, interdiction de publier un texte pontifical sans l'accord du gouvernement, nomination des évêques par le gouvernement, réglementation très stricte de l'exercice du culte… Leur principal artisan, Portalis, explique que « d’après les vrais principes catholiques, le pouvoir souverain en matière spirituelle réside dans l’Église et non dans le pape, comme, d’après les principes de notre ordre politique, la souveraineté en matière temporelle réside dans la nation et non dans un magistrat particulier ».

Le triomphe de l'ultramontanisme

Après la Restauration, l'ultime sursaut du gallicanisme parlementaire (c'est-à-dire politique) se manifeste avec la parution en 1845 du Manuel sur le droit ecclésiastique français de Dupin[4].

Ainsi subordonné à l'État et à ses intérêts, le gallicanisme perd de plus en plus de terrain au sein du clergé. Le catholicisme français se romanise progressivement, avec la victoire des ultramontains en philosophie, en théologie morale, dans la liturgie et dans les formes de la piété. Dans cette évolution, Lamennais, avec son livre Essai sur l'indifférence en matière de religion, écrit de 1817 à 1823, joue un rôle pionnier. Il qualifie le gallicanisme de « dégoûtant mélange de bêtise et de morgue, de niaiserie stupide et de sotte confiance, de petites passions, de petites ambitions et d’impuissance absolue de l’esprit ». D'ailleurs, ses partisans sont des adversaires farouches du gallicanisme : Mgr Gousset, dom Guéranger, Rohrbacher… L'Univers de Louis Veuillot devient l'organe de ce clergé ultramontain.

Néanmoins, certaines institutions religieuses restent fidèles à un gallicanisme modéré : la faculté de théologie de la Sorbonne, le séminaire de Saint-Sulpice… Grâce au Concordat – c'est le gouvernement qui nomme les évêques –, les gallicans modérés restent présents dans l'épiscopat : Mgr Mathieu archevêque de Besançon, Mgr Dupanloup évêque d'Orléans, Mgr Affre et Mgr Darboy archevêques de Paris… Leur opposition à la centralisation romaine rejoint celle des défenseurs d'un catholicisme libéral, comme Montalembert, ou d'un néo-gallicanisme ouvert à la démocratie, dont le théoricien est Mgr Maret, professeur à la Sorbonne.

Mais en 1870 a lieu à Rome la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale par le concile Vatican I. Cette décision, quoique fortement contestée par les évêques français, sonne le glas du gallicanisme. Plus globalement, la fin du gallicanisme ecclésiastique s'explique par la déconfessionnalisation progressive de l'État et par la disparition de l'Ancien Régime, fondé sur l'alliance mystique du trône et de l'autel.

La loi de séparation des Églises et de l'État en 1905 supprime les liens entre l'Église de France et l'État.

Tentative de « refondation »

Une nouvelle entité, l'Église «néo-gallicane »[5], est fondée en 1878 par un ancien prêtre catholique, Hyacinthe Loyson. À l'origine, elle fait partie de la Communion anglicane, avant de se rattacher à la tradition de l'Église vieille-catholique.

Il existe aujourd'hui plusieurs églises gallicanes, notamment l'Église gallicane, tradition apostolique de Gazinet.

Notes et références

  1. Jean Delumeau, article « Gallicanisme » in Encyclopædia Universalis (Lire en ligne).
  2. Nicolas Sild, Le Gallicanisme et la construction de l'Etat (1563-1905), Thèse Droit, Université Panthéon-Assas, , 678 p.
  3. En 1789, le gallicanisme politique reste très fort. Voir L’Église et la Révolution, de Pierre Pierrard, Éd. Nouvelles Cité, p. 80.
  4. Emmanuel Tawil, Du gallicanisme administratif à la liberté religieuse. Le Conseil d'État et le régime des cultes depuis la loi de 1905, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, , 247 p. (ISBN 978-2-7314-0678-8)
  5. Frédéric Luz, Le soufre et l'encens : enquête sur les Églises parallèles et les évêques dissidents, Paris, C. Vigne, , 319 p. (ISBN 2-84193-021-1, OCLC 681486089, lire en ligne)

Annexes

Bibliographie

  • Olivier Andurand, La Grande affaire. Les évêques de France face à l’Unigenitus, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, (ISBN 978-2-7535-5390-3).
  • Jean Delumeau, article « Gallicanisme » in Encyclopædia Universalis (Lire en ligne)
  • Catherine Maire, L'Eglise dans l'Etat. Politique et Religion dans la France des Lumières, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2019.
  • Aimé-Georges Martimort, Le Gallicanisme, PUF, 1973, coll. Que sais-je
  • Alain Tallon, Conscience nationale et sentiment religieux en France au XVIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2002, 315 p.
  • Dale K. Van Kley, Les Origines religieuses de la Révolution française, Point-Seuil Histoire, Paris 2002, 572 p. (édition américaine 1996, Yale University)
  • Victor Martin, Les origines du Gallicanisme, Paris :éd. Bloud et Gay, 1939 (impr. A. Brulliard à Saint-Dizier), 2 vol. : 367 et 383 p., réédition Genève : Mégariotis reprints, 1978, en fac-similé en 1 vol

Articles connexes

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