Réforme protestante

La réforme protestante, également appelée « la Réforme », amorcée au XVIe siècle, est une volonté d'un retour aux sources du christianisme et aussi, par extension, un besoin de considérer différemment la religion et la vie sociale.

Pour les articles homonymes, voir Réforme.

Elle reflète également l'angoisse des âmes[1], par la question du salut, centrale dans la réflexion des réformateurs, qui dénoncent la corruption de toute la société engendrée par le commerce des indulgences. Les réformateurs profitent de l'essor de l'imprimerie pour faire circuler la Bible en langues vernaculaires (notamment l'allemand après la première traduction réalisée par Martin Luther), et montrent qu'elle ne fait mention ni des saints, ni du culte de la Vierge, ni du purgatoire. La référence à la Bible comme norme est néanmoins une des principales motivations des réformateurs. Ce principe, Sola scriptura, les guidera.

Le , Martin Luther, alors moine catholique, affiche ses 95 thèses sur l’église de la Toussaint à Wittemberg. Les idées de la foi réformée se répandent dans le Saint-Empire avec notamment en 1522 par Ulrich Zwingli, curé à Zurich, et quasi-simultanément par Matthieu Zell et Martin Bucer à Strasbourg, puis, plus tard par Jean Calvin à Paris, Strasbourg et Genève. La Réforme touche alors la majeure partie de l'Europe du Nord-Ouest. Les tentatives de conciliation ayant échoué, elle aboutit à une scission entre l'Église catholique romaine et les Églises protestantes. La Contre-Réforme catholique engagée à l'issue du concile de Trente ne permet à l'Église catholique qu'une reconquête partielle des populations passées au protestantisme.

L'adoption de la Réforme a aussi un caractère politique. C'est un moyen pour les princes d'affirmer leur indépendance face à une papauté revendiquant une théocratie universelle ou pour les populations de pouvoir se révolter face à un souverain mal accepté comme en Écosse et aux Pays-Bas espagnols. La Réforme se traduit donc au XVIe siècle par de nombreux conflits, entre l'empereur Habsbourg et les princes allemands mais aussi des guerres civiles en France, en Angleterre et en Écosse.

Les origines

De nombreux facteurs

Le pape signant et vendant des indulgences vu comme l'Antéchrist par Lucas Cranach l'Ancien d'après le Passional Christi und Antichristi de Martin Luther (1521).

De nombreux facteurs interviennent[2]. Pendant longtemps, les historiens ont pensé que les vices du clergé étaient la principale cause de la Réforme : la débauche de certains prêtres et moines qui vivent publiquement en concubinage, s'enrichissent avec l'argent des fidèles… Ces abus ne sont pas vraiment les causes de la Réforme, l'Église catholique s'est en effet sans arrêt efforcée d'y remédier. Par ailleurs, cette thèse est en quelque sorte favorable à l'Église Catholique en ce qu'elle délégitime la réforme protestante comme une réaction contre des problèmes temporels (les turpitudes du clergé, les indulgences) en occultant le souci essentiellement spirituel du peuple et des réformateurs protestants. Les conciles du XVe siècle ne peuvent prendre de décision efficace tant l'autorité du pape est affaiblie. De fait, les fidèles ne reprochent pas au clergé de mal vivre mais de mal croire[2].

En effet, le pape répond mal aux angoisses des fidèles. Depuis le XIVe siècle et la grande peste, les fidèles vivent dans la crainte de la damnation éternelle. Les thèmes fantastiques du temps, danses macabres peintes dans les églises, livres millénaristes en sont les témoins[2]. Les procès contre les sorcières se multiplient à partir de la fin du XVe siècle. La peur de la mort et de l'enfer a comme conséquence le développement du culte marial, du culte des saints, des reliques, des pèlerinages, des processions, et la pratique des indulgences. Le but est de gagner son paradis sur la terre même au prix d'un séjour au purgatoire[3]. À la fin du XVe siècle, les indulgences sont un moyen de plus en plus en vogue pour réduire le nombre des années passées par une âme au purgatoire après sa mort. Ainsi, l'électeur de Saxe, Frédéric le Sage, futur protecteur de Martin Luther, possède 17 443 reliques, censées lui épargner 128 000 années de purgatoire[4]. Mais les indulgences sont ensuite vendues : dès que l'or tombe dans la sébile, l'âme s'échappe du purgatoire. La confusion du spirituel et du matériel accentue les phénomènes de désacralisation de cette époque[4]. De plus en plus, le fidèle se confesse non pas poussé par la conscience de sa faiblesse mais par peur de la punition après la mort. À côté de la multiplication de ces pratiques, la Bible, proclamée en latin lors des messes, n'est accessible aux fidèles qu'à travers les commentaires des clercs, d'où il s'ensuit une perte de sens.

Certains humanistes contribuent à la diffusion d'idées nouvelles. Ils développent l'exégèse biblique. Le texte originel de la Bible se trouve ainsi restauré. La naissance de l'imprimerie permet la diffusion d'éditions de bibles en langue vernaculaire (c'est-a-dire en français codifié). Ce contact direct habitue le lecteur à avoir une relation personnelle avec les textes saints et à réfléchir par lui-même sur leur signification[4].

À partir du milieu du XVe siècle, le pouvoir d'achat s'amenuise. Les nobles regardent donc du côté des immenses biens fonciers de l'Église, soit le plus souvent 20 à 30 % des terres cultivables[5]. De plus, l'Église continue à condamner les profits bancaires, le profit monétaire dans ses tribunaux ecclésiastiques même si ses positions se sont quelque peu assouplies. Les banquiers sont particulièrement nombreux en Allemagne du Sud. Nobles et banquiers sont ainsi moins attachés à l'Église catholique[5].

Les facteurs politiques ne sont pas absents non plus. Le développement des États se heurte à la puissance temporelle de l'Église. De plus en plus, les princes cherchent à intervenir dans le choix des membres du Haut-clergé, évêques, abbés. En effet, les postes ecclésiastiques sont liés à des bénéfices. Celui qui contrôle l'élection du prélat, contrôle indirectement le bénéfice[6]. L'autorité universelle du pape, proclamée par Grégoire VII depuis 1075, se heurte à l'autorité grandissante du souverain. Le pape peut lever des impôts réguliers ou exceptionnels dans tous les pays d'Occident. Les rois protestent de plus contre les sorties d'argent de leur royaume, argent dont ils ont le plus grand besoin pour leurs guerres ou pour affermir leur pouvoir. Ainsi en Angleterre, les taxes prélevées pour les bénéfices vacants sont d'un montant cinq fois plus élevé que les revenus du roi[7]. Le pape édicte aussi des bulles, lois valables dans toute la chrétienté. Il peut ainsi lever des troupes par l'intermédiaire de bulles de croisades, cependant de moins en moins suivies d'effets. Les souverains réclament le contrôle des ordres religieux, le droit absolu de légiférer dans leurs États, de lever l'impôt ou des troupes et de rendre justice[6].

Mais ce qui affaiblit le plus l'Église catholique, c'est la perte de la sacralité. Les fidèles voient trop de fils de prêtres devenir prêtres, trop de clercs s'enrichir aux dépens des laïcs, trop d'évêques vivant comme des grands seigneurs[6].

Tentatives de réforme interne et précurseurs de la Réforme

Évangile traduit par John Wyclif, copie de la fin du XIVe siècle, folio 2v de MS Hunter 191 (T.8.21).
Jan Hus au bûcher, .

Trois préréformateurs sont reconnus par les historiens protestants[8] : Pierre Valdo le fondateur du mouvement des Pauvres de Lyon, John Wyclif l’universitaire anglais, Jan Hus le préréformateur tchèque brûlé en 1415 à Constance. À ces trois incontournables, certains ajoutent Bernard de Clairvaux, Jacques Lefèvre d'Étaples, Jérôme Savonarole, les bibliens… La liste n'est pas close. Mais la notion même de préréforme a ses limites ; on peut en citer deux : s'il est indéniable qu'ils précédent historiquement la réforme, les préréformateurs peuvent ne pas avoir envisagé ni adopté l'ensemble des principes de la réforme ; et si l'on suit l'analyse d'Amedeo Molnár d'« une certaine manière on peut estimer que Jan Hus n’était pas un pré-réformateur, mais que Martin Luther était un post-hussite »[8].

Un des plus anciens précurseurs de la Réforme est l'anglais John Wyclif. À travers ses premiers écrits transparait l'idée que Dieu exerce par l'intermédiaire du pape, son droit sur les biens terrestres ; les rois ont donc des comptes à rendre au pape. Selon lui, la véritable Église est l'Église des chrétiens, des membres de la hiérarchie, et le pape lui-même, mais personne n'est supérieur à l'autre. Le pape dirige mais n'est pas plus saint qu'un chrétien. Cette affirmation nouvelle remet ainsi en cause la place de la hiérarchie dans l'Église. Il traduit la Vulgate en ancien anglais et reconnait aux autorités laïques le droit de percevoir les revenus ecclésiastiques en 1381, ce qui choque beaucoup les membres du clergé anglais très attachés à leurs prérogatives pécuniaires. Il pense que les Écritures doivent être la seule source de foi même s'il pense que les pères de l'Église peuvent aider à son interprétation. Il est condamné en 1376 et 1379. Son vieil ennemi Guillaume de Courtenay, devenu archevêque de Cantorbéry, convoque à Londres trois synodes en 1392, qui condamnent formellement Wyclif et ses partisans. Il meurt isolé, mais est enterré en terre chrétienne. Le Concile de Constance (1414-1418) renouvelle la condamnation de ses écrits, de même que le pape Martin V qui publie deux mois avant la fin du concile la bulle Inter cunctas () contenant les quarante-cinq articles condamnés de Wyclif. L'exhumation de ses restes est alors ordonnée et, en 1428, ses ossements sont brûlés et jetés dans la Tamise au nord de Londres. À sa suite, les Lollards poussent le peuple à la révolte contre les évêques qui s'enrichissent grâce à leur position religieuse. Henri IV d'Angleterre sévit contre ce qu'il considère comme une hérésie majeure et une atteinte à son pouvoir absolu[9]. Les idées de Wyclif ne remportent pas de succès en dehors de l'Angleterre.

En Bohême et Moravie, Jan Hus oppose la richesse corruptrice à la pauvreté évangélique. Pour lui, l'Évangile est la seule règle infaillible et suffisante de la foi, et tout homme a le droit de l'étudier pour son propre compte. Ceci est une grande nouveauté car l'Église catholique favorise peu la lecture personnelle des textes saints. De plus les prétentions religieuses d'Hus se doublent de prétentions nationalistes. Il lutte pour que les Tchèques soient maîtres en leur patrie. Pour les Tchèques, Hus est le premier grand héros de la nation tchèque. En 1412, il lance des réquisitoires brûlants contre les indulgences dont la vente doit financer la guerre de Jean XXIII contre Ladislas de Naples. Trois de ses jeunes disciples sont exécutés au grand scandale des Praguois. Il est frappé d'une excommunication majeure, et la ville d'interdit s'il y séjourne. Il quitte donc Prague et prêche dans les campagnes. Il écrit des traités de théologie. En 1414, il se rend au concile de Constance muni d'un laissez-passer de l'empereur Sigismond. Là, il refuse de reconnaitre ses erreurs. Ses écrits sont brûlés et lui aussi brûlé comme hérétique le . Il est aussitôt considéré par le peuple tchèque comme un martyr et un saint. La défenestration de Prague du , marque le début de l'insurrection des hussites qui, durant dix-huit ans, tiennent tête aux cinq croisades que l'Europe envoie à l'appel du pape et de Sigismond pour écraser les « hérétiques ». Finalement l'Église doit composer avec les Hussites. Les Compactata de Bâle (1433) accordent aux Tchèques la communion sous les deux espèces et la lecture en tchèque de l'Épître et de l'Évangile. Mais deux Églises issues de la prédication de Hus subsistent en Bohême au XVIe siècle : l'église Ultramontaine et la Communion des frères de la foi[10].

La devotio moderna est un mouvement spirituel né au XIVe siècle aux Pays-Bas ; animée par les frères et les sœurs de la Vie évangélique, elle essaie de prendre en compte les aspirations des fidèles. C'est une méthode de piété personnelle et individuelle faite de l'imitation de Jésus-Christ, d'un examen de conscience et de prières[11]. De plus l'idée de réforme traverse bien des milieux dans bien des États. En Allemagne, L'empereur Maximilien veut utiliser l'idée de réforme contre le saint Père pour réaliser autour de lui l'unité nationale. Après avoir fait diffuser le Recueil des plaintes de la Nation germanique contre Rome, il charge l'humaniste Jacques Amyot de rassembler les observations des Allemands sur l'Église et le clergé catholique[12]. La plupart des ordres religieux cherchent de leur côté à rétablir les règles monastiques dans leur dureté originelle. Jérôme Savonarole parvient à prendre le pouvoir à Florence[12].

Chronologie de la Réforme

La Réforme luthérienne

La réforme luthérienne est introduite par le moine augustin Martin Luther. Celui-ci vit dans l'anxiété de son époque. Depuis son entrée au couvent, Luther cherche par tous les moyens à acquérir la certitude de son salut. Mais ni la dévotion, ni les messes, ni les confessions, ni les jeûnes, ni les exercices spirituels, ni la théologie n'apportent à Luther l'apaisement et la certitude de son salut.

En 1512, il retrouve enfin la réponse à ses questions ; il écrit à ce moment-là : « le juste vivra par la foi. Dieu donne, sa justice infinie est un don »[13]. La bonté de Dieu, son amour, sa générosité sont la clé de voûte de la doctrine chrétienne. Le chrétien répond à l'amour de Dieu par la foi. Luther écrira plus tard :

« Alors je commençai à comprendre que la « justice de Dieu » est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification (de la lettre de saint Paul aux Romains au chapitre 1, 17) était celle-ci : par l'Évangile nous est révélée la justice de Dieu…, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi… Alors je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l'instant même, l'Écriture m'apparut sous un autre visage »[14].

L'épître de Paul aux Romains transmet pour lui la vérité de l'Évangile : « Car en l'Évangile la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi, comme il est écrit : "le juste vivra de la foi" » (Rm 1, 17)[15].

Pour Martin Luther désormais, tous les préceptes se trouvent uniquement dans l'Écriture sainte. Et c'est en suivant les lois divines que le chrétien montre sa foi.

Martin Luther est connu pour avoir développé le sens de l'idée que « le juste vivra par la foi ». Il a en effet dû se justifier dès 1530 d'avoir ajouté le mot « seul » au verset de l'épître aux Romains (Chp. 3, verset 28) : « Car nous pensons que l'Homme est justifié par la foi seule, sans les œuvres de la loi ».

La rupture avec Rome

Luther brûlant publiquement les œuvres de Jan Eck, un livre de droit canon et la bulle condamnant ses propositions (Life of Martin Luther and the heroes of the Reformation, 1874).
Groupe de réformateurs, de g. à d. : Johannes Forster, Georg Spalatin, Martin Luther, Johannes Bugenhagen, Érasme, Justus Jonas, Caspar Cruciger et Philippe Mélanchthon. Copie d’après l’épitaphe du bourgmestre de Meyenburg par Lucas Cranach le Jeune (1550), maison de Luther, Wittemberg.

En 1515, le pape Léon X autorise une nouvelle vente d'indulgences pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome[16]. Celle-ci n'obtient pas un très grand succès. En 1517, Martin Luther appose les 95 thèses contre les indulgences sur la porte de la chapelle du château de Wittemberg. Il est indigné de la dérive marchande de l'Église. Il s'engage à défendre ses propositions d'ordre théologique ou concernant les indulgences devant qui voudrait bien argumenter avec lui. Il pense qu'un débat public sur la question est salutaire[13]. Mais les Dominicains qui vendent les indulgences (Réf. nécessaire) préfèrent dénigrer Luther. Ils dénoncent essentiellement deux propositions de Luther : la non-nécessité des œuvres pour gagner son salut et la référence exclusive à la Bible. Le débat gagne les universités d'Europe[17].

Le , Léon X condamne les idées de Luther. L'empereur Charles Quint qui se veut le champion de l'autorité pontificale fait brûler les écrits de Luther à l'université de Louvain en . Luther ne veut pas se laisser faire. Il pense toujours qu'un débat public est nécessaire et rend coup pour coup afin de montrer sa détermination. C'est d'ailleurs sa détermination qui sera la cause de la rupture des protestants et des catholiques[17]. Le pape ne peut supporter que son autorité soit contestée. Il est farouchement convaincu qu'il incarne seul la vérité évangélique et que Luther ne parle qu'en son nom. Luther a beau écrire « les grands écrits réformateurs », quatre ouvrages qui précisent sa pensée, le pape n'en démord pas. L'affirmation de la seule autorité de l'écriture n'implique pas que le pape est soumis à cette écriture car seul le pape peut faire face aux évolutions de la société. En effet comment interpréter les écritures au fil du temps ? Martin Luther vend le manifeste À la noblesse chrétienne de la nation allemande en quelques jours à quatre mille exemplaires. Il préconise la réduction des sacrements au nombre de trois : le baptême et la communion sous les deux espèces et la confession. En effet, les actes des Apôtres précisent que les premiers chrétiens confessaient leurs péchés les uns aux autres. La doctrine comprend aussi le rejet de la doctrine de la transsubstantiation[18], et l'affirmation de la liberté du chrétien et de l'égalité de tous les croyants devant Dieu même s'ils ne sont pas tous capables d'enseigner la parole de Dieu[19]. On estime qu'entre 1517 et 1520 plus de 300 000 exemplaires des écrits de Luther furent vendus. Jusque vers 1550, il reste l'auteur le plus lu[20].

Après avoir été excommunié par le pape, Martin Luther est convoqué à la Diète de Worms. Il y comparait durant deux jours devant l'assemblée. Il refuse de désavouer ses ouvrages, à moins d'être convaincu d'erreur par le témoignage de l'Écriture divine[20]. Il est mis au ban de l'Empire par l'empereur Charles Quint le , ce qui signifie que n'importe qui à le droit de se saisir de lui et de le remettre à la police. On lui interdit d'écrire et de publier. Ceci n'empêche pas Luther de continuer à écrire des lettres et à prêcher ses idées, aidé en cela par ses disciples dont le plus célèbre est Philippe Mélanchthon[21]. Philippe Melanchthon publie en 1521 les Loci theologici, qui exposent, pour la première fois de manière systématique, la pensée luthérienne avec toutes ses nouveautés et ses ruptures par rapport à la pensée catholique médiévale[20].

Certains groupes sociaux sont plus ou moins sensibles aux idées modernes et réformistes défendues par Martin Luther, le père du protestantisme mondial. Une part non négligeable du clergé catholique romain adhère aux idées de Martin Luther. Ce sont en général des hommes qui ont étudié l'humanisme, ou qui ont séjourné dans une université elle-même convertie à l'humanisme. D'une certaine manière, on peut dire que l'humaniste a rendu obsolète la scolastique médiévale et les démonstrations théologiques qui en découlaient. La foi chrétienne doit tenir compte de la nouvelle façon de penser. C'est tout le mérite de Martin Luther d'avoir lié le christianisme à la modernité de l'époque. La noblesse, avec à sa tête Klaus von Falkenstein, est très favorable à Martin Luther. Un certain nombre d'humanistes et d'artistes (Dürer, Craven) adhèrent aussi à sa doctrine. À la campagne, les idées de Martin Luther sont diffusées par des colporteurs itinérants et des voyageurs de commerce[20].

Réformateurs et troubles sociaux

Dans le Saint-Empire romain germanique, les villes impériales ne sont pas assez autonomes pour pouvoir choisir la religion de leur choix. Thomas Müntzer est un prédicateur mystique exalté et peu enclin à la tolérance. Il prêche de ville en ville et est parfois chassé par l'évêque qui ne veut pas de concurrence religieuse[22]. Andreas Karlstadt est un des anciens professeurs de Luther. Il encourage ses étudiants à brûler leurs livres dans d'immenses autodafés, où de précieux manuscrits disparaissent ainsi, et à apprendre un métier. Il est le premier prêtre catholique romain à se marier, rompant ainsi ses vœux de chasteté. Il épouse une ancienne nonne, lointaine parente d'Hidelgarde von Bingen[22].

La Réforme est l'occasion pour certains groupes sociaux d'exprimer leur mécontentement. Ils donnent ainsi au message évangélique une dimension révolutionnaire. Les petits nobles se révoltent en 1522 sous la houlette de von Hutten et Sickingen. Pour Martin Luther, une réforme religieuse ne devrait pas s'identifier avec une cause économique et sociale[20]. En 1522, les paysans d'Allemagne du sud se révoltent mêlant des revendications socio-politiques à des exigences religieuses. Là encore, Luther conjure les paysans de ne pas recourir à la force. Pour lui, la Bible ne peut apporter aucune solution aux problèmes de la vie civile ou économique. Il refuse une révolte sociale au nom de la Bible, exprimant ainsi son conservatisme social. Pendant la guerre que les paysans livrent aux seigneurs du Sud du Saint-Empire romain germanique, il encourage les seigneurs à châtier sans pitié les révoltés. En effet, dans une courte brochure de 1525, intitulée Contre les bandes pillardes et meurtrières, il enjoint à ses « chers seigneurs » de « poignarder », « pourfendre » et « égorger » les rebelles paysans (cité dans J. Lefebvre, Luther et l'autorité temporelle, 1521-1525, Paris, Aubier, 1973, p. 247-257). Ceci lui vaut de voir disparaître une grande partie du soutien des seigneurs du Sud pour qui réforme religieuse rime avec anarchie[20].

L'organisation de l'Église luthérienne

Face à l'agitation provoquée par les diverses tendances de la Réforme, Martin Luther s'occupe en premier lieu d'organiser la nouvelle liturgie en langue allemande. C'est la première fois qu'un peuple peut prier d'un bout à l'autre de la cérémonie dans sa langue nationale. Cette révolution fait beaucoup pour le développement de la langue allemande. La messe allemande repose sur la lecture du Nouveau Testament, le sermon, élément central du culte, et les chants. Luther écrit un recueil de sermons que les pasteurs peuvent utiliser durant l'office. Ceci permet une certaine unité doctrinale. Les chants religieux, très nombreux pendant l'office, sont un puissant ressort d'émotion[20].

Le pasteur consacre les deux espèces qui deviennent le vrai corps et le vrai sang du Christ, bien qu'il s'agisse de pain et de vin[23]. Dans la doctrine luthérienne, il n'y a pas changement de substance mais coexistence de deux substances : c'est la consubstantiation[23]. Martin Luther admet l'ordination des pasteurs, ainsi que le contrôle du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel, garant de l'orthodoxie face au pullulement des réformes et d'une morale stricte. Le prince, comme chrétien éminent et du fait de sa mission divine, est une sorte d'évêque chargé de faire régner l'ordre dans l'Église[20]. Il porte le titre de Summus episcopus. Cette mission particulière des princes leur permet d'augmenter leur pouvoir sur leurs sujets. Les fidèles adultes continuent à recevoir un enseignement religieux, ainsi que les enfants pour lesquels Martin Luther écrit le Grand et le Petit catéchisme dans un langage simple et accessible. Il condamne également un grand nombre de rites catholiques : les pèlerinages, le culte des saints, les reliques[23]

La réforme luthérienne partie de Saxe touche les villes libres du sud de l'Allemagne, le Brandebourg, le Brunswick et l'Anhalt. En 1529, lors de la seconde diète de Spire, six princes et quatorze villes refusent d'appliquer les décrets impériaux revenant sur les libertés religieuses des princes et déclarent : « …nous protestons… », d'où le nom de protestants. En 1530, les diverses mouvances de la Réforme présentent leur confession devant la Diète réunie à Augsbourg et l'empereur. La confession d'Augsbourg, une confession de foi luthérienne très modérée, est rédigée par Philippe Melanchthon. Celle présentée par Ulrich Zwingli affirme que la Cène n'est qu'une commémoration. Les réformés de Strasbourg présentent une troisième confession au nom des villes alsaciennes dite Confession tétrapolitaine. La Diète d'Augsbourg montre l'impossibilité de faire l'unité des réformés[24] même si les Alsaciens finissent par adopter la Confession d'Augsbourg.

L'empereur Charles Quint par Christoph Amberger, 1532.

À l'issue de la diète d'Augsbourg, Charles Quint somme les protestants de se soumettre à Rome dans un délai de sept mois. Inquiets, ces derniers constituent en 1531 la ligue de Smalkalde. L'empereur leur accorde alors une trêve[20]. En 1536, sous l'impulsion de Martin Bucer, les protestants d'Allemagne du nord et du sud, divisés sur le problème de la Cène, signent la Concorde de Wittemberg (1536), ce qui permet au luthéranisme d'étendre son influence en Allemagne du sud et isole les Suisses. En 1546, lorsque les protestants refusent de reconnaître le Concile de Trente, Charles Quint lève ses troupes dans le but de réprimer le protestantisme par les armes. Les protestants, qui forment la Ligue, subissent une cuisante défaite à Mühlberg en Saxe en 1547. L'empereur peut aussi imposer l'année suivante aux protestants l'Intérim d'Augsbourg qui les autorise juste à pratiquer la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres[20]. Les princes protestants obtiennent alors l'appui du roi de France Henri II en échange du droit pour celui-ci d'occuper Metz, Toul, Verdun « et autres villes de l'Empire ne parlant pas allemand »[25]. Charles Quint laisse son frère, le futur empereur Ferdinand Ier, signer la paix d'Augsbourg en 1555. Les sécularisations déjà accomplies de biens de l'Église catholique sont entérinées, mais il est interdit à l'avenir de lui confisquer d'autres biens. Les princes et les villes libres ont le droit de choisir leur religion, mais les sujets sont obligés de professer la même religion que leur souverain ou d'émigrer, d'où l'adage : Cujus regio, ejus religio (tel prince, telle religion). Les deux tiers de l'Allemagne sont devenus protestants.

Après la mort de Martin Luther en 1546, c'est Philippe Mélanchthon qui devient le guide des Luthériens jusqu'à sa mort en 1560. En 1580, les théologiens luthériens parviennent à unir les différents États luthériens autour d'un texte de confession commun. C'est le Livre de Concorde.

Le Luthéranisme hors du Saint-Empire

La Réforme luthérienne déborde les frontières allemandes. Les échanges culturels et commerciaux entre le monde scandinave et le Saint-Empire sont très importants. Olaf et Laurent Petersen, Olaeus et Laurentius Patri, formés à l'université de Wittemberg commencent à prêcher la Réforme en Suède en 1518. Ils publient douze thèses qui présentent les principales idées de Luther. Le clergé catholique suédois qui possède 30 % des terres est très déconsidéré en Suède. De ce fait la Réforme progresse sans résistance. En 1527, la diète suédoise accepte la réforme, permet la sécularisation des biens du clergé au profit de la monarchie[26]. Le roi devient le chef suprême de l'Église. En Finlande, le clergé se réforme de lui-même.

Au Danemark, sous le règne de Frédéric Ier (1523-1533), la prédication luthérienne se développe grâce à Hans Tausen qui a fait ses études à Wittemberg et à Paul Helgesen[27]. Les Trente-trois Articles de Copenhague posent les bases de la Réforme en 1530 même si elle n'est pas encore adoptée officiellement. Il faut attendre 1536 pour qu’à l'instigation de Johannes Bugenhagen, Christian III fasse de la confession d'Augsbourg la confession de foi du Danemark. Le roi est le chef de l'Église danoise. Il nomme des surintendants qui remplacent les anciens évêques. La Réforme est aussi prêchée en Islande où elle rencontre une forte résistance et en Norvège, unie au Danemark à partir de 1539. L'université de Copenhague devient un centre de rayonnement luthérien[28].

La Réforme suisse

Zurich en 1548.

À Zurich, Ulrich Zwingli, curé de la ville, expose le , les 95 thèses en présence des magistrats de la ville et du vicaire général de l'évêque de Constance, dont la ville dépend sur le plan religieux. Pour lui, baptême et cène sont des cérémonies symboliques, alors que les partisans de Martin Luther les voient comme des sacrements, ce qui rend impossible tout accord avec les Allemands.

Le point de vue de Ulrich Zwingli l'emporte progressivement. Ulrich Zwingli obtient la sécularisation des couvents et crée en 1524 une école d'exégèse biblique. En 1525, les magistrats de la ville interdisent la messe dans la ville. Elle est remplacée par un culte très dépouillé. Un tribunal matrimonial est créé la même année. Ses compétences finissent par s'étendre à toute la vie morale et sociale des citoyens[20].

Le canton de Bâle passe lui aussi à la réforme en 1529 grâce à l'action de Jean Huschin, de même que Glaris, Berne, Bienne, Schaffhouse, Mulhouse et Saint-Gall[29]. Les succès protestants divisent la Suisse en deux camps prêts à en découdre. Ulrich Zwingli voudrait créer une coalition entre les protestants suisses et allemands. Mais, la rencontre de Marbourg, en 1529, ne permet pas une pleine communion avec ces derniers. En 1531, Ulrich Zwingli est tué et sa petite armée est battue à Kappel, par les cantons catholiques exaspérés par le blocus économique dont ils font l'objet. En Suisse romande, la Réforme gagne d'abord Neuchâtel puis Genève et le pays de Vaud en 1536. Après la mort de Zwingli et celle d'Œcolampade (la même année), Heinrich Bullinger encourage Zurich à signer avec d'autres villes la Première Confession helvétique, qui est saluée par Martin Luther comme un texte plus orthodoxe, bien que non satisfaisant à ses yeux. En 1549, après une correspondance volumineuse avec Jean Calvin (et au prix de quelques modifications doctrinales) Heinrich Bullinger parvient à se rapprocher de l'Église de Genève, au moyen du Consensus de Zurich. Heinrich Bullinger est une personnalité célèbre de l'Europe protestante de l'époque grâce à l'étendue de sa correspondance, à la diffusion de ses ouvrages, à l'hospitalité qu'il accorde aux persécutés (il héberge Anna Reinhart la veuve de Ulrich Zwingli après sa mort) et à son rôle de conseiller auprès de l'anglicanisme[20]. Il rédige aussi la Confession helvétique postérieure, reconnue en 1566 par la plupart des Églises réformées suisses et acceptée en Écosse, en Hongrie et en Pologne.

La Réforme strasbourgeoise

Strasbourg se réforme de façon originale sous l'influence de prédicateurs locaux comme Matthieu Zell qui commente avec succès l'épître aux Romains sur le Salut, Wolfgang Capiton, prédicateur de talent et grand érudit et Martin Bucer, passionné par l'enseignement de Luther. En 1524, des prédicateurs enseignent l'Évangile dans les paroisses de la ville et le culte est simplifié. Il sécularise les biens des couvents. Occupant une position médiane entre Martin Luther et Ulrich Zwingli, Martin Bucer est jugé trop proche de ce dernier par Martin Luther, au colloque de Marbourg. C'est la raison pour laquelle, en 1530, Strasbourg présente avec les villes de Constance, Lindau et Memmingen, la Confession tétrapolitaine, à mi-chemin sur le plan eucharistique entre Martin Luther et Ulrich Zwingli. En 1533, un synode élabore une constitution ecclésiastique qui instaure une assemblée hebdomadaire du clergé avec la participation de trois laïcs (le convent). La discipline ecclésiastique est confiée aux laïcs ou anciens[20]. En , Martin Bucer et les représentants de diverses Églises de la Confession Tetrapolitaine (et d'autres, comme Augsbourg ou Bâle) signent avec Martin Luther et les Églises de Saxe, la Concorde de Wittemberg, à laquelle se ralliera l'ensemble du protestantisme, excepté principalement Zurich[30]. Strasbourg, où Jean Calvin fait un séjour et enseigne entre 1538 et 1541, fait donc alors double usage de la Confession tétrapolitaine et de la Confession d'Augsbourg et les autorités ne permettent pas de diffuser des enseignements contraires à cette doctrine[31]. Toutefois, à partir de 1563, les autorités de Strasbourg ne reconnaissent plus que la Confession d'Augsbourg comme norme doctrinale.

La Réforme calviniste

La pensée de Jean Calvin

Jean Calvin, portrait de date inconnue.

Jean Calvin, originaire de Noyon en Picardie, fait des études à Paris puis à Orléans et à Bourges où il étudie le droit. Gagné à la Réforme, il doit quitter la France à la suite de l'Affaire des Placards en 1534[32].

En 1536 paraît en latin à Bâle la première version de son œuvre majeure, Institution de la religion chrétienne, sous un titre passager, Christianae religionis institutio, totam fere pietatis summam et quicquid est in doctrina salutis cognitu necessarium complectens…, qui comprend alors 6 chapitres. Une nouvelle version latine révisée de 19 chapitres est publiée à Strasbourg en 1539 sous un titre qui continuera à évoluer, Institutio christianae religionis nunc verè demùm suo titulo respondens, suivie d'une autre édition de 25 chapitres immédiatement traduite en français en 1541, puis d'une quatrième et d'une cinquième version respectivement en 1550 et 1554.

La souveraineté absolue de Dieu y est proclamée. Calvin s'efforce de voir le monde du point de vue de Dieu. En désobéissant à Dieu, l'homme est esclave du péché. Il est rarement capable de mettre en œuvre sa volonté pour faire le bien. Continuant son raisonnement, Jean Calvin pense que la foi elle-même vient de Dieu, c'est la prédestination.

À peine mentionnée dans l'édition de 1536, la prédestination a pris une place croissante dans les éditions suivantes, Jean Calvin se plaçant au cœur des polémiques en soutenant que Dieu a choisi de toute éternité ceux qui seront sauvés, formule volontairement ambiguë. Suscitant une autre polémique, il s'oppose à la doctrine de la transsubstantiation et pense que le Christ est réellement présent dans l'assemblée mais pas dans les espèces, c'est-à-dire le pain et le vin. L'homme est une créature déchue qui doit vivre dans la crainte de Dieu, il est empli du sentiment de son imperfection et de sa nature qui le porte au mal.

Genève, la nouvelle Jérusalem

En 1536, le conseil de Genève qui a proscrit la messe et introduit la réforme dans la cité fait appel à Jean Calvin, à l'instigation de Guillaume Farel. Il édicte les Quatre Articles et une Instruction, puis la Confession de foi de 1537 pour doter l'Église réformée de Genève d'une solide armature disciplinaire et doctrinale[20]. Mais la rigidité que les réformateurs cherchent à imposer mécontente le peuple qui parvient à convaincre le conseil de les chasser en . Jean Calvin réside alors à Strasbourg où il s'occupe des réfugiés français et enseigne à la haute école de la ville[33]. La ville de Genève le rappelle en 1541. Il y reste jusqu'à sa mort en 1564.

Il fonde l'Académie de Genève dans le but de former les futurs prédicateurs nécessaires à l'instruction religieuse de la population en 1559[34].

Jean Calvin est partisan de la Cène hebdomadaire, mais, en raison de « l'infirmité du peuple »[35], il consent à ne la célébrer que 4 fois par an : Noël, Pâques, Pentecôte et le premier dimanche de septembre. Il élabore une liturgie, la Forme des prières et chants ecclésiastiques, dont beaucoup d'éléments sont empruntés au rituel de Strasbourg[20]. Les services consistent en sermon, chants et psaumes[36]. Il rédige aussi un catéchisme, expliquant la doctrine sans grande pédagogie.

Michel Servet, portrait de date inconnue.

Jean Calvin joue un rôle important dans les controverses religieuses. Il combat les anabaptistes. Il fait arrêter le théologien et médecin espagnol Michel Servet, réfugié à Genève parce qu'il avait écrit contre la trinité. Ce dernier est brûlé vif en 1553. Le procès de Michel Servet entraîne un débat avec Sébastien Castellion qui milite pour la tolérance religieuse[36]. Jean Calvin polémique aussi avec ceux qui contestent la prédestination. La forte pression morale que Jean Calvin exerce sur la cité avec l'aide principalement des réfugiés français se heurte au mécontentement populaire et aux représentants des grandes familles genevoises. Genève acquiert la réputation d'une nouvelle Jérusalem où l'identification de la cité avec la religion est complète auprès des protestants persécutés dans les pays catholiques. Elle attire des exilés de toute l'Europe. De 1540 à 1564, près de mille nouveaux bourgeois y sont admis. Le rayonnement européen de la ville est dû à Jean Calvin qui entretient une correspondance avec des personnes de presque tous les pays d'Europe par souci d'unité protestante. Il tient aussi à la réputation de l'Académie fondée en 1559. Cette école accueille très vite des étudiants de tout le continent. Elle forme essentiellement des pasteurs, mais aussi des juristes et une partie de l'élite réformée européenne[20]. Après la mort de Jean Calvin en 1564, c'est Théodore de Bèze qui anime la Réforme dans la ville. Une autre contemporaine de Jean Calvin, Marie Dentière joue un rôle important à Genève et publie notamment un documentaire sur les épisodes genevois[37] La guerre et deslivrance de la ville de Genesve (1536)[38].

France

Le temple Saint-Étienne de Mulhouse, plus haut monument protestant de France

La République de Mulhouse adopte le calvinisme (le courant réformé) comme unique religion officielle en 1529. Le statut de république indépendante enclavée dans le Royaume de France va lui permettre d'échapper aux guerres de religion et de tisser des liens particuliers avec les autres communautés et États réformés d'Europe et du Nouveau Monde. En 1746, cette ouverture internationale et ce contexte politique favorable entraînent l'industrialisation de la ville dont la production manufacturée d'indiennes dépassera à partir du XIXe siècle celle de l'ensemble du reste de la France. En 1798, les Mulhousiens votent leur rattachement à la France, il se forme alors un patronat protestant puissant disposant désormais d'une main-d'œuvre bon marché et d'un libre accès au marché français. En 1812, la filature dite « vieux-DMC » est construite. Elle est aujourd'hui le dernier vestige des filatures géantes européennes encore debout. Le patronat protestant dote la ville d'un riche patrimoine et se fait bâtir des manoirs et villas de maître sur la colline du Rebberg. En 1816, la démographie a changé et Alexandre Moll devint le premier catholique élu maire de Mulhouse. Les familles protestantes continueront toutefois à dominer la politique de la ville jusqu'à l'annexion de l'Alsace-Lorraine en 1871. Entre 1859 et 1866 eut lieu la construction du temple Saint-Étienne de Mulhouse à la place de l'ancien temple médiéval, chef-d'œuvre architectural, il est encore aujourd'hui le plus haut monument protestant de France avec sa flèche haute de 97 mètres.

Le reste de la France est également touché par la réforme protestante. Dès 1520, les idées protestantes se développent. Le protestantisme apparaît dans la vallée de la Dordogne dans les années 1530[39]. Lors du synode de Chanforan de 1536, Guillaume Farel et les vaudois, ralliés, obtiennent un budget pour imprimer la bible en langue vulgaire. À partir de 1540, la littérature protestante de plus en plus abondante s'accompagne d'une transmission orale. Elle se répand surtout après la publication en français de l'institution chrétienne en 1541. Jean Calvin, de Genève, prend en charge l'organisation religieuse et unifie les protestants de France. À partir de 1555, les groupes se structurent en assemblées dirigées par un consistoire[40]. Calvin envoya des dizaines de missionnaires pour aider à cette nouvelle organisation. En 1560, on en compte une quarantaine. Leur succès est très grand et fin 1561, il y a plus de six cent soixante-dix Églises réformées dans le royaume. On estime qu'à ce moment plus du quart de la population du royaume est devenu protestant, mais essentiellement de confession réformée.

Le premier synode national des Églises réformées de France se tient à Paris en 1559. Deux textes importants sont rédigés, La confession de foi qui présente la prédestination[note 1] et La discipline ecclésiastique.

Le second texte organise l'Église « selon le modèle strasbourgeois et genevois »[41]. Le pouvoir « appartient à la base, à l'église locale, sans primauté aucune », prévoyant juste un colloque biannuel réunissant les délégués de 10 à 15 paroisses, un synode provincial annuel et un synode national, annuel aussi, mais en fait peu réuni. « Le pasteur se voit confier la fonction de prêcher, de distribuer les deux sacrements évangéliques du baptême et de la cène, de représenter sa communauté aux assemblées. Cependant, il doit être élu, c'est-à-dire accepté par l'ensemble des fidèles, qui peut le récuser en certains cas ». L'objectif du synode de 1559 est de donner aux protestants français une doctrine alors que le conflit avec les catholiques se durcit. La confession de foi est appelée à partir de 1571 Confession de La Rochelle, au cours d'un synode où certaines des thèses de Calvin ne sont pas acceptées.

Le protestantisme français est combattu par François Ier et son fils Henri II. La répression menée par François Ier est limitée et sporadique. Mais celle d'Henri II est plus ferme. L'édit de Compiègne du demande d'abattre sans jugement tout protestant en fuite ou révolté. En 1559, les lettres d'Ecouen donnent mission à certains notables de se rendre en province pour réprimer l'hérésie. Ceux qui refusent comme Anne de Bourg sont exécutés[40]. Ceci n'empêche pas la Réforme de continuer à se développer. Après la mort inopinée d'Henri II, la tentative de conciliation menée par le nouveau chancelier Michel de L'Hospital et la régente Catherine de Médicis est un échec. En 1561, les réformés et les catholiques confrontent en vain leurs idées lors du colloque de Poissy. L'Édit de janvier 1562 qui permet l'existence du culte réformé[42] déchaîne des ambitions partisanes et les passions, à l'origine du déclenchement des guerres de Religion en 1562[20].

Allemagne et Pays-Bas

En Allemagne, l'électeur Palatin, adhère au calvinisme (au courant réformé) et fait éditer en 1563, le catéchisme d'Heidelberg repris par la plupart des églises calvinistes[43]. Nassau, Brême, Anhalt, Hesse-Cassel, Hesse-Darmstadt, Schleswig et Deux-Ponts deviennent à leur tour calvinistes entre 1576 et 1600[10]. Les Pays-Bas – qui englobent, à l'époque, la Hollande, la Zélande, la Belgique et une partie de nord de la France – sont pénétrés très tôt par la réforme luthérienne malgré la sévère répression de Charles Quint. Mais c'est surtout le calvinisme qui s'impose dans la population et une partie de la noblesse. Un synode clandestin a lieu à Anvers en 1561 sous la direction de Guy de Brès. Il dote les Pays-Bas d'une confession de foi. Dans le même temps, les habitants affrontent Philippe II, roi d'Espagne et fils de Charles Quint, qui veut établir l'absolutisme aux dépens des vieilles franchises et libertés remontant aux ducs de Brabant et à leurs successeurs, les ducs de Bourgogne. En lutte contre les vieilles chartes, Philippe II veut supprimer le principe de liberté qui les imprègne et, ainsi, mieux lutter contre le protestantisme. Devant la persécution royale, les calvinistes se soulèvent durant l'été 1566. Ils pillent et détruisent les églises. La répression est féroce. Les calvinistes rescapés s'enfuient et fondent à l'étranger des Églises du Refuge qui s'organisent en 1572 sur le principe des institutions presbytéro-synodales[44]. Une partie de la noblesse incline vers les protestants, mais la majorité reste catholique. Ceux que les partisans de Philippe II avaient appelés les gueux pétitionnent en faveur de la tolérance. C'est le Compromis des Nobles présenté à Bruxelles à la gouvernante Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles Quint et représentant le roi d'Espagne. Rejetés par le pouvoir, les « gueux » organisent la résistance sous la direction de Guillaume Ier d'Orange Nassau dit Guillaume le Taciturne, catholique d'origine, puis converti au calvinisme. Guillaume s'alliera par le mariage à la noblesse française de confession protestante, les Châtillon-Coligny, de la famille du chef français du parti protestant, l'amiral Gaspard Coligny[45] et parviendra à prendre le contrôle de la Hollande et de la Zélande, y instaurant la liberté religieuse[46]. Sous les fils de Guillaume d'Orange, la lutte continuera et, après une Guerre de Quatre-Vingts Ans, la création des Provinces-Unies au XVIIe siècle, sera proclamée, les territoires du sud des Pays-Bas (actuels Belgique et Nord de la France) étant retombés sous la souveraineté espagnole, la religion catholique y est seule autorisée.

Écosse

La Réforme touche aussi l'Écosse où elle rassemble les opposants à la dynastie des Stuart, très liée à la religion catholique. En 1557, les réformés s'unissent dans un Convenant, un serment typiquement écossais pour défendre une cause et rester uni jusqu'à la mort[47]. Après la mort de Marie de Guise, régente pour sa fille Marie Stuart, le parlement écossais adopte la Confession écossaise. Ce texte présenté par John Knox est d'inspiration calviniste, ayant étudié avec lui à Genève. Les statuts votés par le parlement établissent un système presbytéro-synodal. Chaque église locale est gérée par un collège composé du ministre (pasteur), des anciens et des diacres. Chaque église envoie des représentants aux synodes provinciaux. À la tête de l'Église dite presbytérienne se trouve l'Assemblée générale des Églises composée de délégués des synodes provinciaux[48]. À cette époque la plus grande partie de la noblesse écossaise et une bonne partie de la population sont devenues protestantes. Le mariage de la reine Marie Stuart, restée catholique, avec Lord Darnley, de même confession, provoque une rébellion des régions protestantes en 1565[49]. Marie finit par abdiquer en 1568. Son fils Jacques VI s'oriente nettement vers le protestantisme et tend vers l'établissement d'une Église de type anglicane[50] qui devient l'Église d'Écosse.

Europe centrale

La propagation de la Réforme en Europe centrale (Pologne, Hongrie, Bohême, Transylvanie) repose sur un fort soutien dans la noblesse régionale. La théologie de Jean Calvin s'impose la plupart du temps dans les paroisses nouvellement créées. En Pologne, la diète du royaume (Sejm) garantit en 1572 le libre exercice des religions protestante, catholique romaine et orthodoxe[51].

L'iconoclasme protestant

Au XVIe siècle, plusieurs chefs religieux protestants (principalement Ulrich Zwingli à Zurich et Jean Calvin à Genève) incitèrent à la destruction des images religieuses, des icônes et des crucifix, dont la vénération était assimilée par eux à une adoration idolâtrique et relevait donc du paganisme[52]. Les objets concernés étaient les portraits de saints et de saintes, les statues, mais aussi les reliques et les retables.

La Réforme anglicane

Au début de la Réforme, Henri VIII prend position contre les idées de Luther et fait paraître en 1521 sous sa signature une Défense des sept sacrements[53] qui rencontre un grand écho à travers l'Europe et connaît plusieurs éditions afin de contrer l’influence de Luther[54]. Reconnaissant, le pape Léon X décerne d'ailleurs au souverain le titre de « défenseur de la foi »[53].

À partir de 1527, le souverain anglais souhaite obtenir l'annulation de son union avec Catherine d'Aragon dont il n'a qu'une fille après 18 ans de mariage, ce que le souverain envisage comme un signe de colère divine[55]. Le pape Clément VII tergiverse et refuse l'annulation si bien qu'en 1531, le roi rompt les liens avec le pape avant de se proclamer « tête suprême » de l'Église anglaise en 1534[56]. Thomas More et l'évêque de Rochester qui refusent de reconnaître le roi comme chef suprême de l'Église anglaise sont exécutés. Paul III, successeur de Clément VII, excommunie le roi, jette l'Interdit sur le royaume et prêche la croisade contre le roi bigame à ses yeux[57]. En 1536, Henri VIII réprime un soulèvement catholique contre lui. En même temps les protestants lui reprochent de ne pas aller assez loin et de ne pas faire une réforme du dogme. En 1539, les Six Articles, votés par le Parlement, maintiennent une stricte orthodoxie, transsubstantiation, communion sous une seule espèce, célibat et chasteté des prêtres.

Sous le règne d'Édouard VI (1547-1553), l'Église d'Angleterre s'oriente sensiblement vers la Réforme. Les injonctions royales, édictées en juillet 1547 sous l'impulsion d'Édouard Seymour, 1er duc de Somerset, et chef du conseil de régence, abolissent les six articles, interdisent les processions, autorisent la communion sous les deux espèces et ordonne la lecture des textes saints en anglais[58]. En 1549, John Dudley, duc de Northumberland remplace Somerset à la tête du conseil de régence. Il accueille les réfugiés strasbourgeois chassés par la victoire de Charles Quint sur les protestants allemands. Ils apportent aux réformés anglais leur expérience et leurs connaissances. Sous leur impulsion, les protestants anglais parviennent à faire adopter par le Parlement le Book of Common Prayer qui devient obligatoire dans tout le royaume par l’Act of Uniformity (). En 1552, le nouveau Prayer Book est nettement plus protestant, l’Act of Uniformity qui l'accompagne accentue les sanctions contre les prêtres qui n'utilisent pas le Prayer Book et prévoit des amendes pour ceux qui ne se rendent pas à l'office du dimanche. Enfin, en , les Quarante-deux articles précisent la doctrine anglicane : le prêtre devient un simple ministre de la parole, il célèbre l'eucharistie sans référence à la transsubstantiation, le culte des Saints, la croyance au Purgatoire, les pèlerinages, les reliques sont rejetés ; la doctrine sur la justification par la foi et la prédestination est d'inspiration calviniste[59].

Après la mort d'Édouard VI, sa sœur aînée Marie, restée catholique, devient reine (1553). Elle obtient d'un parlement recruté avec soin l'abolition de toutes les lois antérieures. Elle gouverne avec le cardinal Pole et fait arrêter les prélats qui sont des protestants convaincus. L'annonce de son mariage avec Philippe, le fils de Charles Quint déclenche une révolte dans le Kent, réprimée durement. La religion catholique est partout restaurée et les hérétiques poursuivis. Marie meurt le .

Élisabeth Ire peinture par Nicholas Hilliard, 1575.

Lorsque Élisabeth Ire, demi-sœur de Marie arrive au pouvoir en 1558, le clergé anglais est entièrement catholique. En 1559, un nouvel Act of Supremacy lui donne le titre de chef suprême de l'Église anglaise (Supreme Head) ; le Book of Common Prayer est rétabli dans tout le royaume. Le clergé doit se soumettre ou démissionner. Élisabeth Ire consolide les institutions de l'Église anglicane en leur donnant une confession, les Trente-neuf articles, en 1571.

Réforme radicale

On peut distinguées trois grandes tendances anabaptistes parmi les groupes de la réforme radicale; les radicaux révolutionnaires, les anabaptistes pacifiques, les spiritualistes[60]. Seul l’anabaptisme pacifique a réellement survécu aux diverses répressions orchestrées par les institutions tout au long du XVIe siècle[61].

L'anabaptisme pacifique a son origine le , où Conrad Grebel a réuni un groupe de croyants opposés aux baptême des enfants à la maison de Felix Manz à Zollikon en Suisse, et a exercé le premier baptême du croyant [62]. Puis, il se développe dans le Tyrol avec les huttérites. La Confession de Schleitheim publiée en 1527 par les frères Suisses, un groupe d’anabaptistes, dont Michael Sattler à Schleitheim est une publication qui a répandu la doctrine du baptême du croyant et de l’Église de professants [63], [64]. L’adhésion à la doctrine de l’Église de professants est une caractéristique particulière d’une église évangélique au sens stricte[65],[66].

Contre-réforme catholique

Pour remédier à son problème de réforme, le catholicisme a mis en œuvre tout ce qu'il pouvait. Il fallait absolument que la propagation du protestantisme soit arrêtée. Le concile de Trente et la Compagnie de Jésus sont deux exemples de ces moyens mis en œuvre pour stopper la réforme.

Concile de Trente

(assimilable à 1545-1563)

Le redressement interne est surtout l'œuvre du concile de Trente convoqué par le pape Paul III à la demande de Charles Quint pour faire face à la réforme protestante. Le concile s'ouvre en 1545. Quant à Charles Quint, il souhaite faire du concile une sorte de vaste forum où protestants et catholiques discuteraient librement, ce dont le pape ne veut pas. Le concile de Trente répondait aux propos des protestants et réaffirmait plus exactement qu'au départ les doctrines voulues par Rome. Le catholicisme s'appuyait beaucoup sur la tradition comme autorité englobant la Bible. Les réformateurs ne jugeaient pas le passé, les pères de l'Église ou certains conciles avec mépris, mais affirmaient qu'il y avait là des contradictions nombreuses et des superstitions populaires qui déformaient le message de l'Évangile ce qui nécessitait un retour complet à la Bible, seul livre inspiré et infaillible pour eux.

Le concile de Trente (en Italie) réaffirma l'autorité des papes, du clergé sur les laïcs, de la Tradition, des conciles, les mérites dans le salut, le purgatoire, les prières pour les morts, le sacrifice de la messe et l'intercession de Marie et des saints. Le catholicisme gardait toujours ses sept sacrements. Le concile de Trente permit d'arrêter l'expansion et même de reconquérir des endroits déjà perdus. Ce concile consacra la rupture de la chrétienté occidentale en deux : le catholicisme et le protestantisme. Le concile de Trente ne fut cependant pas la seule opération destinée à enrayer le protestantisme.

Les Jésuites

Même si le concile de Trente a beaucoup aidé à la reconquête des pays écartés, la compagnie de Jésus a amplement aidé ce travail. Leur fondateur est Ignace de Loyola (1491-1556). C'est en 1534 qu'il créa son ordre, voulant militer et être soumis au pape. Dans cet ordre existe une discipline semblable à celle de l'armée. Tous les membres devaient obéir au supérieur, appelé « général ». La Compagnie se soumettait donc aux ordres du pape pour sauver le catholicisme. Les Jésuites se consacraient surtout à la prédication et à l'enseignement. Ils n'hésitaient pas à aller partout dans le monde pour convertir les protestants. En 1556, les Jésuites se comptaient par milliers. Vingt ans plus tard, ils étaient 5 000, en Amérique latine, en Asie ou en Nouvelle-France. Les Jésuites ont finalisé l'arrêt de l'expansion du protestantisme. Après ce concile, les conflits qui avaient caractérisé le XVe siècle et le début du XVIe prirent une nouvelle dimension, une dimension religieuse.

Conséquence immédiate : les guerres de religion

Le XVIe siècle commença dans la violence et dans le sang avec les conflits entre la France et l'Espagne pour la domination de l'Italie. Les principaux protagonistes furent François Ier et Charles Quint. En 1529, la « paix des Dames » marquera la fin de la septième guerre d'Italie. Des considérations religieuses s'ajouteront à ces conflits dynastiques surtout après le concile de Trente et le début de la Contre-Réforme. Les guerres de religion ont été d'une ampleur incomparable, d'une extrême violence. Ces affrontements ont fait le tour de la carte de l'Europe que ce soit en Allemagne, en France ou aux Pays-Bas.

Répartition du phénomène

L'unité chrétienne n'étant plus qu'une utopie, des conflits d'une grande ampleur se préparèrent : nommés à tort ou à raison « guerres de religion » (on parlait à l'époque de « troubles »), la dimension religieuse étant variable selon les époques, les lieux et encore plus selon les individus. En France, aux Pays-Bas et en Allemagne les répressions sociales et religieuses étant sévères, des guerres civiles éclatèrent, puis avec les prises de position des princes et des magistrats, elles devinrent des « guerres de religion ». L'empereur Charles Quint combattit l'hérésie avec son armée. Les luthériens, pour se défendre, établirent la Ligue de Smalkade.

Après cette guerre, la paix d'Augsbourg (1555) permit aux princes de choisir eux-mêmes la religion de leurs sujets, selon le principe Cujus regio, ejus religio (tel prince, telle religion).

La France quant à elle, entra en convulsion un peu après l'Allemagne. Pendant 36 ans (1562-1598) les guerres de religion ne cessèrent pratiquement pas. C'est pendant ces guerres que les Provinces-Unies furent créées. En effet, une révolte où se mélangeaient sentiment national, intérêts commerciaux et religieux éclata en 1566. Cette révolte, dont l'origine est lointaine, confronta les partisans des réformes calvinistes aux partisans de l'hégémonie espagnole et catholique. Dans les coulisses, plusieurs alliances s'étaient formées. Parfois, ces alliances étaient contre nature : François Ier, tout en réprimant les réformés français soutiendra les princes allemands pour gêner Charles Quint, de même, il fera alliance avec les Ottomans contre ce même Charles Quint. La papauté tergiversera entre la France et l'Espagne pour contrer la Réforme, du côté protestant Maurice de Saxe combattra au côté de Charles Quint contre d'autres princes protestants avant de faire volte-face et de le défaire à Innsbruck en 1552. Tous ces conflits contribuèrent au déclenchement de la guerre de Trente Ans.

Guerre de Trente Ans

Situation religieuse de l'Europe centrale en 1618, à la veille de la guerre de Trente Ans.

La guerre de Trente Ans commença en Allemagne en 1618 et dura jusqu'en 1648. Cette guerre débuta par une révolte des Tchèques protestants à cause de l'archevêque de Prague qui avait interdit le culte réformé dans la ville d'où il détenait son pouvoir. Richelieu essaya d'arrêter la guerre, mais n'y parvint pas entièrement. L'Allemagne était complètement ravagée par cette guerre qui fut la plus meurtrière de ce temps. La fin de cette guerre fut établie par la paix de Westphalie (1648). Celle-ci affirma de nouveau le droit des princes d'imposer leur religion à leurs sujets.

Conséquences plus lointaines

Nouvelle vision du monde

Émile G. Léonard a parlé de Calvin comme étant le fondateur d'une nouvelle civilisation, c'est probablement vrai à bien des égards, mais il ne faut pas attribuer l'œuvre de la Réforme du XVIe siècle à une seule personne ni dissocier ce mouvement de tout ce qui le préparait dans la société médiévale, des mouvements qui s'épanouirent ou s'affrontèrent lors de la Renaissance. Une chose est certaine : l'évolution des sociétés ayant adhéré à la Réforme présente de nombreux contrastes par rapport au reste de l'Europe, la France qui en fut considérablement influencée au XVIIe siècle représente ainsi un destin particulier.

Désenchantement du monde et alphabétisation

Dans leur lutte contre les superstitions de Rome et les dérives de la spiritualité anabaptiste, le luthéranisme et le calvinisme contribueront à ce que le sociologue allemand Max Weber appellera plus tard « le désenchantement du monde ». En effet, dans ces deux traditions théologiques et particulièrement dans le calvinisme, cela n'est pas le diable, les êtres célestes ou le miraculeux qui sont omniprésents, mais Dieu. Pour le chrétien, Dieu est souverain et il a révélé sa volonté dans l'Écriture : (les soixante-six livres qui composent la Bible). Un Dieu tout-puissant contribue à rassurer le croyant face au surnaturel, aux peurs moyenâgeuses en tout genre : enchantements, possessions, sortilèges… Dieu, ses attributs, sa volonté et ses commandements sont connus par l'Écriture, par l'emploi de moyens ordinaires (la lecture, la réflexion), d'où l'usage de la raison. Dieu ne se révèle pas par des songes, des visions, des transes, des convulsions, ou par des êtres bénéficiant de révélations ou pouvoirs surnaturels (prêtres, saints, astrologues), mais par le texte biblique. La mesure d'un homme dans la spiritualité protestante réside dans sa compréhension, sa capacité à expliquer et son obéissance à l'Écriture. Le capitalisme sera plutôt le signe d'un affaiblissement de cette piété, d'où l'apparition de mouvements de réveil avec des leaders comme John Wesley ou Charles Finney qui insisteront beaucoup sur la sanctification, le renoncement à soi et la charité.

Liberté de conscience

À Worms, en 1521, Luther déclara : « Ma conscience est prisonnière des paroles de Dieu. Je ne veux ni ne puis me rétracter. Agir contre sa conscience est grave ; ce n'est ni sûr ni honnête. » Par cette déclaration, la conscience individuelle se révèle plus importante que le jugement d'un autre (le pape), et même d'un ensemble (le concile). Ce primat de la conscience individuelle est devenu pour une bonne part un acquis de l'homme moderne, même si grâce aux sciences humaines et aux enseignements de l'histoire, on en mesure mieux les limites du fait de différents types de pressions auxquelles on peut être soumis. Au début de la Réforme, dans les pays germaniques, le principe cujus regio, ejus religio (à chaque pays sa religion), a singulièrement réduit la liberté individuelle. La Révolution française a finalement entériné le principe de liberté de conscience, contenu notamment dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 10 : « Nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… »[67].

Notes et références

Notes

  1. Le texte précise que le salut revient à ceux que Dieu a élus « par sa seule bonté et miséricorde en JCNS (Jésus Christ notre sauveur), sans considération de leurs œuvres, laissant les autres en icelle, corruption et damnation pour démontrer en eux sa Justice comme ès premiers il fait luire les richesses de sa miséricorde »

Références

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  2. Péronnet 1981, p. 129
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  4. Péronnet 1981, p. 131
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  7. Paul Faure, p. 109.
  8. Éric Deheunynck, article de Liens protestants (mars 2007) : article
  9. Paul Faure, p. 110
  10. Péronnet 1981, p. 270
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  15. Daniel Olivier, Alain Patin, Luther et la Réforme, tout simplement, Les éditions de l'Atelier, p. 26
  16. Le pape Jules II avait déjà procédé à la vente d'indulgences pour financer la construction de Saint-Pierre de Rome
  17. Péronnet 1981, p. 138
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Annexes

Bibliographie

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  • Michel Péronnet, Le XVe siècle, Hachette, .
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  • David El Kenz, Claire Gantet, Guerres et paix de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, A. Colin, 2003.
  • Richard Stauffer, La Réforme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7e éd. 1998.
  • Pierre-Olivier Léchot, La Réforme (1517-1564), Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2017.

Articles connexes

Liens externes

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