Freya von Moltke

La comtesse Freya von Moltke () était membre du groupe de résistance au nazisme, le Cercle de Kreisau, aux côtés de son mari, Helmuth James Graf von Moltke. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier a travaillé pour limiter les violations des droits de l'Homme dans les territoires occupés par l'Allemagne et a été l'un des fondateurs du Cercle de Kreisau, qui regroupait des opposants au régime nazi et préparait l'avenir de l'Allemagne après Hitler, une Allemagne qui serait fondée sur des principes démocratiques et moraux. Il fut exécuté pour trahison. Freya von Moltke a publié une chronique des événements de cette période à partir des lettres de son mari qu'elle avait conservées. Elle a soutenu la création d'un centre pour la compréhension internationale sur l'ancien domaine des von Moltke à Krzyżowa, en Pologne (anciennement Kreisau)[1].

Pour les autres membres de la famille, voir Moltke.

Biographie

Jeunesse

Freya et Helmuth James von Moltke, en octobre 1931

Freya Deichmann est née à Cologne, en Allemagne, dans le foyer du banquier Carl Theodor Deichmann et sa femme, Ada, née von Schnitzler. En 1930, elle commence des études de droit à l'Université de Bonn et participe à des séminaires à l'Université de Breslau, où elle fait de la recherche sous la direction de son futur mari. Le 18 octobre 1931, elle épouse Helmuth James Graf von Moltke, à Cologne. Le couple réside d'abord dans une maison modeste sur le domaine des von Moltke à Kreisau, en Silésie. Ils déménagent ensuite à Berlin, afin de pouvoir compléter leur formation juridique. Freya obtient un doctorat en droit de l'Université Humboldt de Berlin en 1935[2].

A Kreisau avant la guerre

La maison principale du domaine von Moltke à Kreisau.

Après ses études de droit, elle passe ses étés au domaine von Moltke à Kreisau, où son mari gère d'abord personnellement les activités agricoles, une activité atypique pour un noble allemand, avant d'engager un intendant[3]. Freya von Moltke travaille alors activement sur la ferme, tandis que son mari ouvre un cabinet d'avocat en droit international à Berlin et étudie pour obtenir un diplôme d'avocat anglais.

En 1933, Adolf Hitler accède à la chancellerie allemande, ce qu'Helmuth von Moltke voyait comme l'annonce de catastrophes pour l'Allemagne, et non comme une période de transition, au contraire de nombreux observateurs[2],[4]. Les Nazis s'attaquèrent immédiatement aux droits des personnes par le décret de l'incendie du Reichstag et abolirent la constitution par la loi des pleins pouvoirs de 1933. Les von Moltke encouragèrent leur intendant à rejoindre le parti nazi afin de protéger la communauté de Kreisau de l'ingérence du gouvernement[2].

En 1937 naît le premier enfant du couple, Helmuth Caspar. Dès lors, elle s'installe à Kreisau de manière permanente. Son mari a hérité du domaine de Kreisau en 1939[2].

Années de guerre

En 1939, la Seconde Guerre mondiale commence avec l'invasion allemande de la Pologne. Helmuth Von Moltke a été immédiatement incorporé, et affecté au Service du Contre-espionnage, division Étranger, comme expert de la loi martiale et du droit international public.

Dans ses voyages en pays occupés, il observe de nombreuses violations des droits de l'homme, qu'il tente de contrecarrer en insistant sur le fait que l'Allemagne devait respecter la Convention de Genève (ce qu'elle ne fit pas) et par des actions locales en suscitant des alternatives moins néfastes pour la population locale, en s'appuyant sur des principes juridiques.

En octobre 1941, il écrit : « Certainement plus d'un millier de personnes sont assassinées chaque jour de cette façon, et un millier d'Allemands de plus sont formés au meurtre... Qu'est ce que je vais dire quand on me demandera : Et vous, qu'avez-vous fait pendant ce temps ? » Et, plus loin dans la même lettre : « Depuis samedi, les Juifs berlinois sont arrêtés. Puis ils sont expédiés on ne sait où avec un simple bagage à main... Comment peut-on être au courant de ces choses et se balader librement ? » En 1941, Freya von Moltke accouche de leur deuxième fils, Konrad, à Kreisau.

Helmuth James Graf von Moltke devant le "Tribunal du Peuple" en 1945

À Berlin Helmuth von Moltke avait un cercle de connaissances opposées au nazisme, qui se  rencontraient fréquemment, le plus souvent à Berlin mais aussi, à trois reprises, à Kreisau. Ces trois rencontres ont donné au groupe son nom de “Cercle de Kreisau[2]. Les réunions à Kreisau avaient un ordre du jour bien organisé, en commençant par des sujets de discussion relativement inoffensifs, à titre de couverture. Les sujets de la première réunion, en mai 1942, comprenaient l'analyse de l'échec des institutions d'enseignement et  religieuses allemandes face à la montée du nazisme. Le thème de la deuxième réunion à l'automne 1942 portait sur la reconstruction après la guerre, après la probable défaite de l'Allemagne, y inclus des notions de planification économique, de gouvernement autonome et d'union pan-européenne. La troisième réunion, en juin 1943, traitait de la manière dont il faudrait gérer l'héritage des crimes nazis après la chute de la dictature. Ces réunions ont produit deux documents : “Principes pour le nouvel ordre [post-nazi]” et “Directives pour les Commissaires régionaux”, que Freya von Molkte cacha, à la demande de son mari, dans un endroit que lui-même ignorait[2].

Le 19 janvier 1944, la Gestapo arrêtait von Moltke, pour avoir prévenu une de ses relations de l'imminence de son arrestation. Freya fut autorisée à lui rendre visite et découvrit qu'il pouvait continuer à travailler et à recevoir des documents. Le 20 juillet 1944, il y eut une tentative d'assassinat d'Hitler, ce qui fut le prétexte utilisé par la Gestapo pour éliminer une série d'opposants présumés au régime. En janvier 1945, Helmuth von Moltke fut jugé, condamné et exécuté par un “tribunal du peuple” pour trahison[2].

Après Kreisau

Au printemps de 1945, Freya von Moltke et une autre veuve d'un membre du Cercle Kreisau fuirent avec leurs familles vers la Tchécoslovaquie pour éviter l'offensive russe, qui a finalement contourné Kreisau. Après la chute de Berlin , le 2 mai 1945, les Russes ont envoyé un petit détachement pour occuper Kreisau. À l'aide de notes improvisées en russe et en tchèque, Freya von Molkte a obtenu un sauf-conduit pour les deux familles leur permettant de retourner à Kreisau. Une compagnie de l'Armée rouge a été cantonnée dans la propriété des von Moltke pour “superviser la récolte" au cours de l'été 1945. Lorsque des Polonais ont commencé à occuper les petites exploitations laissé vacantes par les Allemands, les Russes sont devenus les protecteurs des occupants du domaine von Moltke[2].

Après un voyage à Berlin, où elle a rencontré Allen Dulles et un difficile voyage de retour vers la Silésie pour récupérer ses enfants, Freya von Moltke suivit les conseils de Gero von Schulze-Gaevernitz, à savoir de quitter Kreisau. Gaevernitz était un officier américain, venu pour inspecter les conditions de la Silésie. Freya von Moltke lui confia, pour les sauvegarder, les lettres que son mari lui avait écrites et qu'elle avait dissimulé dans ses ruches. Grâce à des amis britanniques de son mari, des émissaires de l'ambassade britannique en Pologne organisèrent son départ de Pologne[2].

Transitions

Après s'être échappée de Pologne, Freya von Moltke partit pour l'Afrique du Sud, où elle s'installa avec ses deux jeunes fils, Gaspard et Konrad. Elle y a travaillé en tant que travailleur social et de thérapeute pour les handicapés. En 1956, incapable de supporter l'apartheid, elle retourna à Berlin où elle commença à faire connaître le Cercle de Kreisau. Elle reçut, entre autres, l'appui de Eugen Gerstenmeier, alors président du Bundestag[3].

En 1960, elle a déménagé à Norwich, dans le Vermont, pour rejoindre le philosophe social Eugen Rosenstock-Huessy, qui décéda en 1973. À l'âge de 75 ans, von Moltke obtint la citoyenneté américaine afin de pouvoir continuer à participer à la politique américaine, ce qui l'intéressait vivement[5].

Décès

Freya von Moltke est décédée à Norwich, dans le Vermont , le 1er janvier 2010, à l'âge de 98 ans[1].

Postérité

Défense de la mémoire des résistants allemands

Après la Seconde Guerre mondiale, Freya von Moltke a été active dans la publication des idées et des actions de son mari pendant la guerre, afin de servir d'exemple de résistance basée sur des principes. Dès 1949, elle a visité les États-Unis à la conférence sur "Allemagne: passé et présent", "Allemagne: le totalitarisme contre la démocratie", "la jeunesse allemande et l'éducation nouvelle", et "la place des Femmes dans la nouvelle Allemagne".

Elle a fait l'objet de nombreuses interviews et des articles. Elle a dit lors d'une interview : "les gens qui ont survécu à la période nazie, qui n'ont pas perdu la vie à cause de leur opposition, ont tous dû faire des compromis"[2].

Œuvre en faveur de la réconciliation germano-polonaise et européenne

Avec la réunification de l'Allemagne, von Moltke était favorable à la transformation de l'ancien domaine von Moltke de Kreisau en un lieu de rencontre pour promouvoir la compréhension germano-polonaise et européenne. La Pologne et l'Allemagne ont investi 30 millions de marks dans la rénovation du lieu. Il a ouvert en 1998,  sous le nom de Centre international de rencontre des jeunes de Kreisau (Internationale Jugendbegegnungsstätte Kreisau). En 2004, un fonds a été établi, le Freya von Moltke Stiftung für das Neue Kreisau (Fondation Freya von Moltke pour le nouveau Kreisau), afin de permettre le soutien à long terme de ce lieu de rencontre et de prolonger le travail qui s'y fait. À partir de 2007, Freya von Moltke a activement soutenu cette initiative en devenant présidente honoraire du conseil d'administration de la Fondation Européenne pour la Compréhension européenne de Kreisau (l'entité qui soutient financièrement le centre de rencontre) et de l'Institut pour l'Infrastructure Culturelle, Saxe à Görlitz. Sa vie a servi de base d'une pièce de théâtre de Marc Smith, Un Voyage à Kreisau  (A Journey to Kreisau)[2].

Reconnaissance

En 1999, l'université de Dartmouth a attribué un Doctorat honoris causa ès Lettres à Freya von Moltke pour ses écrits sur la Résistance allemande au nazisme pendant la seconde Guerre Mondiale[6]. La même année, elle recevait le prix Bruecke de la ville de Görlitz, en Allemagne, en reconnaissance du travail de toute sa vie[7].

Freya Von Moltke a rencontré trois chanceliers allemands en relation avec son travail : Helmut Kohl en 1998, pour lui présenter le Centre international de la Jeunesse de Kreisau, juste construit à Krzyżowa, Gerhard Schroeder en 2004, lors d'une cérémonie de dépôt de gerbe pose en l'honneur de résistants au nazisme, et Angela Merkel en 2007 lors d'une célébration du centenaire de la naissance de son mari, Helmuth von Moltke[1],[8].

Le 11 mars 2007 lors d'une commémoration à Berlin, Angela Merkel a décrit Helmuth von Moltke comme un symbole de "l'Europe du courage"[9].

Le film documentaire sur la vie de Freya von Moltke, réalisé par Rachel Freudenburg, qui inclut sa dernière interview en anglais, a été montré pour la première fois à l'Institut Goethe de Boston le 23 janvier 2011[10].

Références

  1. Katie Ryan, article de Valley News : "Norwich Resident, Nazi Resister, Dies at 98", 3 janvier 2010
  2. Helmuth James von Moltke, Briefe an Freya—1939-1945, éditeur : C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, Munich, 1988
  3. Site de la radio bavaroise (Bayerische Rundfunk—Online) : "Meine Geschichte–2. Frauen im Widerstand: Freya von Moltke", février 2007, accès le 6 novembre 2015
  4. Freya von Moltke, Julie M. Winter (traductrice et éditrice), Memories of Kreisau & The German Resistance, éditeur : University of Nebraska Press, Lincoln, Nebraska, 2003, (ISBN 0803246692)
  5. Frauke Geyken, Freya von Moltke: ein Jahrhundertleben; 1911-2010, éditeur C.H. Beck, 2012, p. 287
  6. « Sen. George Mitchell to deliver main address at Commencement », (consulté le )
  7. « Freya von Moltke », Brueckepreis.de (consulté le )
  8. Article de Stephen Miller, "In Hitler's Wartime Germany, She Planted Seeds of Peace", Wall Street Journal, 5 janvier 2010, accès le 6 novembre 2015
  9. Article de Robert Marquand, "Moral legacy of Nazi resister takes root in Germany - and abroad", The Christian Science Monitor, 12 mars 2007, accès le 6 janvier 2010
  10. Goethe-Institut Boston: "Tribute to Freya von Moltke, accessed 28 January 2011

Bibliographie

En Anglais

  • (en) Michael Balfour & Julian Frisbee, Helmuth von Moltke — A Leader against Hitler, éditeur : MacMillan London Limited, Londres, 1972
  • (en) Peter Grose, Gentleman Spy: The Life of Allen Dulles, University of Massachusetts Press, Amherst, Massachusetts, 1996, (ISBN 1558490442)
  • (en) Robert Marquand, « Moral legacy of Nazi resister takes root in Germany—and abroad », The Christian Science Monitor, (lire en ligne, consulté le )
  • (en) Freya von Moltke, Julie M. Winter (traductrice et éditrice), Memories of Kreisau & The German Resistance, éditeur : University of Nebraska Press, Lincoln, Nebraska, 2003, (ISBN 0803246692)
  • (en) Helmuth James von Moltke, Beata Ruhm von Oppen (traductrice et éditrice), Letters to Freya: 1939–1945, éditeur : Alfred A. Knopf, New York, 1990, (ISBN 0394579232)
  • (en) Alison Owings, Frauen: German Women Recall the Third Reich, éditeur : Rutgers University Press, Piscataway, New Jersey, 1995, (ISBN 0813522005)
  • (en) Dorothee von Meding, Courageous Hearts: Women and the Anti-Hitler Plot of 1944, éditeur : Berghahn Books, Oxford & New York, 1997, (ISBN 1571818537)

En Allemand

  • (de) Gerd Appenzeller, Eine Frau mit einem unbeugsamen Willen, article de Die Zeit, 5 janvier 2010 , accès le 6 janvier 2010
  • (de) Annedore Leber & Freya von Moltke, Für und wider—Entscheidungen in Deutschland 1918-1945, éditeur : Mosaik Verlag, Frankfurt-am-Main, 1961
  • (de) Elisabeth Moltmann-Wendel, Das Leben lieben - mehr als den Himmel. Frauenporträts, éditeur : Gütersloher Verlagshaus, Gütersloh, 2005, (ISBN 3579052098)
  • (de) Freya von Moltke & Eva Hoffmann, Die Kreisauerin, éditeur : Lamuv Verlag, Göttingen, 1996, (ISBN 3889774415)
  • (de) Helmuth James von Moltke, Briefe an Freya—1939-1945, éditeur : C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, Munich, 1988
  • (de) Freya von Moltke, Die Verteidigung europäischer Menschlichkeit, article du journal "Aus Politik und Zeitgeschichte"|volume=§ 139 GG, numéro B27, 2004, pages 3–4, /GRUU2G, 0,Die_Verteidigung_europ%E4ischer_Menschlichkeit.html

Liens externes

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