Francisco Jiménez de Cisneros

Francisco Jiménez de Cisneros[1], né Gonzalo Jiménez de Cisneros en 1436 à Torrelaguna et mort en 1517 à Roa, est un cardinal, réformateur religieux, Grand inquisiteur et homme d'État espagnol.

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Francisco Jiménez de Cisneros

Portrait du cardinal Cisneros, par Juan de Borgoña (ca. 1878).
Biographie
Naissance
à Torrelaguna
Ordre religieux Ordre des Frères mineurs
Décès
à Roa
Cardinal de l’Église catholique
Créé
cardinal
Autres fonctions
Fonction laïque
régent de Castille après la mort de Ferdinand V  jusqu’au règne personnel de Charles Quint


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Proche conseiller d'Isabelle la Catholique, il fut à diverses reprises régent de Castille. Religieux franciscain avant d'être élevé à la pourpre cardinalice, il entreprit d'importantes réformes dans le fonctionnement du clergé espagnol, visant notamment à un meilleur respect des règles au sein des ordres religieux. Personnage clef de la Renaissance espagnole, il fonda la prestigieuse université d'Alcalá de Henares et dirigea la réalisation de la célèbre Bible polyglotte d'Alcalá.

Biographie

Il naquit à Torrelaguna (Castille-La Manche) en 1436 du mariage d'Alfonso Jiménez, receveur de décimes, et María de la Torre, dans une modeste famille d'hidalgos[2],[3],[4]. Influencé par un oncle prêtre avec qui il entama ses études à Roa, il se destina très vite à l'ecclésiat[4]. Il poursuivit ses études au collège d'Alcalá de Henares, puis à la célèbre université de Salamanque qui lui décerna un diplôme de droit civil et de droit canonique.

Pour faire carrière comme juriste, il partit à Rome en 1459, comme avocat consistorial[4]. Après la mort de son père en 1466, il dut rentrer en Espagne en 1466[4] avec l’espoir d’obtenir un bénéfice ecclésiastique, et peut-être un évêché, comme le lui aurait promis le pape Sixte V. Il fut nommé à l’évêché d’Uceda par Paul II à la suite de la dénonciation par Cisneros d'irrégularités commises par son prédécesseur. L'insistance de Cisneros pour occuper la charge promise par le Pape déplut à l’archevêque de Tolède Alfonso Carrillo de Acuña qui avait pensé réserver le poste pour un de ses proches et le fit incarcérer de 1473 à 1479[2],[4].

Toutefois, en récompense de ses qualités personnelles et de sa grande détermination, le prélat Pedro González de Mendoza lui concéda en 1482 la charge de vicaire général du diocèse de Sigüenza[2], mais il en démissionna en 1484, âgé de 48 ans, pour entrer chez les Franciscains de l’Observance au monastère de San Juan de los Reyes, à la suite d'une véritable conversion pour renoncer aux honneurs[4]. Il prit alors le nom de fraile (frère) Francisco[2].

Pendant près de dix ans il mena une vie d'ascèse et de recueil, mais ses qualités le firent remarquer et il fut rapidement élu « gardien » du couvent de Salzeda, puis, en 1484, ministre provincial de l’Observance en Castille[4].

L'ecclésiastique

En 1492, la reine Isabelle, sur les conseils de l’archevêque de Tolède, le choisit comme confesseur[2] et directeur de conscience, à condition qu'il ne quitte pas son couvent pour venir à la Cour, et qu’il ne change en rien ses habitudes religieuses, particulièrement austères dans l’Observance espagnole. Trois ans après, le pape Alexandre VI Borgia le promeut archevêque de Tolède en remplacement de Mendoza[3], primat d’Espagne, probablement à la demande des souverains espagnols Ferdinand et Isabelle. Il refusa cet honneur dans un premier temps ; il fallut des lettres du pape pour le déterminer à accepter[3] au bout de quelques mois.

Le cardinal Francisco Ximenez de Cisneros, 1791

Aux synodes d'Alcalá et de Talavera, respectivement en 1497 et 1498, il s’efforça de réformer les mœurs du clergé, de ses chanoines et de promouvoir une stricte observance de la pauvreté chez les Franciscains des diverses obédiences. Il défendit diverses mesures visant à mettre fin à la pratique, alors courante, du concubinat chez les prêtres[2]. Avant que ces réformes fussent véritablement appliquées et acceptées, du moins dans le clergé régulier, elles entraînèrent les protestations de certains ecclésiastiques auprès du Saint Siège ou de la reine Isabelle et même l'exil de plusieurs centaines d'entre eux en Afrique du Nord où ils se convertirent à l'islam[2].

Il soutint le pape Jules II, que le synode de Pise avait voulu déposer. Le Pape réagit en convoquant le Concile de Latran qui se tint en 1512 sous Jules II puis Léon X et annula le synode schismatique.

À son retour en Espagne en 1507, Ferdinand le fit nommer cardinal et Grand-Inquisiteur d’Espagne[3] - en remplacement de l'inquisiteur général Diego Deza (en) considéré comme responsable des excès du cruel Diego Rodriguez Lucero. Cisneros occupa ce poste jusqu'en 1517. Si certains historiens de la religion au XIXème siècle décrivent son action à ce poste comme relativement modérée et le présentent comme surveillant de près les procédures d'autres inquisiteurs[2] dont il aurait plutôt modéré les actions, intervenant à l’occasion pour faire épargner des professeurs de théologie, des étudiants, injustement soupçonnés ou calomniés, et publiant des instructions pour plus de justice envers les nouveaux convertis de l’islam ou du judaïsme[5], d'autres, au XXème siècle, accumulent et étudient la documentation le concernant, et, sans contester son action en faveur de l'Université, commencent à le décrire comme un inquisiteur à l'influence grandissante vis-à-vis de la royauté[6],[7] et le considèrent directement responsable de procédures d'exil, de confiscations, d'esclavagisme ou de condamnations à des peines de prison à vie à l'encontre de près de 53 000 personnes et d'être responsable de la condamnation de 3 574 personnes à être brûlées vives, certains, comme l'archevêque de Rennes Pierre d'Ornellas, considérant son action comme « problématique » voir « néfaste »[8], d'autres comme Robert Escarpit de la taxer d'« impitoyable »[9].

L'homme politique

À partir de 1499, il acquit en politique un rôle prépondérant, en particulier en raison de son action pour la reconquête de Grenade, récemment reprise aux musulmans, et pour l’évangélisation des Maures. Isabelle le nomma administrateur de Castille[3].

Cisneros visite le chantier de l'hôpital de la charité, sanctuaire de la charité d'Illescas, tableau d'Alejandro Ferrant (1844–1917)

Contre l'avis de l'archevêque de Grenade Hernando de Talavera, partisan d'une conversion progressive, il lança diverses réformes visant à obliger les Morisques à se convertir au christianisme, entraînant diverses révoltes à la fin du XVe siècle[2]. Ces réformes furent sanctionnées par un décret (pragmática) des Rois catholiques du , dans la continuité du décret de l'Alhambra de 1492 à l'encontre des Juifs, qui rendirent systématique cette conversion, le catholicisme devenant alors la religion officielle de tous les Espagnols, et marquèrent le début d'un climat de tension avec la minorité morisque, qui persista jusqu'à l'expulsion massive de cette dernière en 1609[2].

Maison de Cisneros, Plaza de la Villa, Madrid, Espagne

Après la mort de la reine Isabelle, en 1504, il prit le parti de Ferdinand dans le conflit de succession qui l'opposait à Philippe le Beau, tout en assurant avec circonspection un rôle de médiation, qui déboucha sur les accords de Salamanque dans lesquels Philippe fut proclamé roi de Castille[2]. Après la mort de ce dernier en 1506, Ferdinand, provisoirement absent du royaume, désigna à nouveau Cisneros régent de Castille, protecteur de la reine Jeanne, déclarée incompétente, ainsi que de son fils, le futur Charles Quint[3]. Il affronta alors avec succès un complot qui cherchait à placer l'empereur Maximilien sur le trône d'Espagne[2].

En 1502, la colonie de Villa Cisneros, aujourd'hui Dakhla, dans le Sahara occidental, fut nommée en son honneur. En 1509, il conseilla à Ferdinand d’entreprendre une expédition en Algérie pour délivrer les chrétiens captifs. Il organisa à ses frais l’expédition militaire qui aboutit à la prise d’Oran, puis de Bougie et de Tripoli[3],[10]. Ferdinand rejeta toutefois les conseils de Cisneros de se lancer dans une conquête de grande envergure en Afrique du Nord, préférant se consacrer à la question des guerres d'Italie[2]. Le cardinal rapatria des chrétiens en Espagne, détruisit des mosquées et en transforma en églises. À son retour en Espagne, il fut accueilli comme héros et libérateur.

Dans le domaine politique aussi, il soutint le Pape Jules II dans ses luttes contre les rois de France Louis XII et François Ier.

À sa mort en 1516, Ferdinand lui confia le gouvernement de Castille jusqu'à l'avènement de son petit-fils Charles, dont il organisa le couronnement. Il dut étouffer plusieurs révoltes, notamment les intrigues de certains nobles castillans qui cherchèrent à imposer son frère cadet Ferdinand pour parvenir à faire reconnaître son autorité[3],[2]. Influencé par son entourage flamand, Charles se montra pour sa part peu reconnaissant et le renvoya dans son diocèse en 1517 ; le cardinal mourut en recevant la nouvelle de cette disgrâce[3].

Le réformateur

Premières constitutions latines originales du Colegio Mayor de San Ildefonso de l'Université d'Alcalá, signées par le cardinal Cisneros à Alcalá de Henares, 22 Janvier 1510.

Il réforma l'enseignement de la théologie en décidant que les étudiants seraient formés selon les trois « voies » de la théologie médiévale : la Somme de saint Thomas, le scotisme et le nominalisme afin qu'ils confrontent les opinions de ces trois enseignements[11].

Il convient aussi de mentionner l’œuvre globalement bénéfique de Cisneros en faveur des missions du Nouveau Monde, en particulier de Nouvelle-Espagne. Il organisa le recrutement et la formation sérieuse des futurs missionnaires de l’Ordre franciscain et d’autres ordres religieux, Dominicains et Carmes.

Il rédigea pour la défense des Indiens persécutés des Amériques des instructions très précises sur la façon de les catéchiser et afin de les protéger contre les exactions des colons et soldats européens.

Le philologue

Façade de l'université d'Alcalá, fondée par Cisneros
Frontispice original de la Biblia políglota complutense, portant les armoiries de Cisneros.

En accord avec le renouveau évangélique de son temps, il s'intéressa très tôt à l'exégèse biblique ; ainsi, vers 1480 déjà, il apprit l'hébreu chez un fameux rabbin de Sigüenza[12]. Autour de 1500, il commença à rassembler de précieux manuscrits et sa demeure devint un véritable centre d'études des Écritures où il accueillait hébraïsants et hellénistes[12].

Tout en se montrant impitoyable dans la répression des hérésies, il fonda et finança sur ses deniers personnels l'université d'Alcalá de Henares. Il posa lui-même la première pierre de l'édifice le , mais plus de dix ans s'écoulèrent avant qu'elle accueille ses premiers occupants, le , l'enseignement n'y étant dispensé de façon régulière qu'à partir de la fin de l'année suivante[13]. Dans celle-ci, furent paradoxalement enseignées des langues interdites par l'Inquisition, tels l'hébreu et l'araméen. Il y attira des étudiants issus de la plupart des ordres religieux ainsi que les plus grands érudits d'Europe. Érasme déclina cependant son invitation[2].

Cette université devint rapidement l'une des meilleures d'Europe. Elle inspira à François Ier, roi de France, l'idée de fonder le Collège de France. En 1522, elle fit paraître la Bible polyglotte d'Alcalá ou Complutense, édition complète de la Bible en hébreu, entourée de sa traduction grecque et latine telle que la voulut Cisneros sur le modèle des Hexaples d'Origène.

Sépulture

Tombe du Cardinal Cisneros dans la chapelle de l'université d'Alcalá

Francisco Jiménez mourut à Roa, près de Valladolid, le , à l'âge de 81 ans. Très aimé du peuple espagnol, il reçut de grandioses obsèques et fut enterré à Alcalá.

Sa vie a été écrite en français par Fléchier, Marsollier, Baudier, et en allemand par Héléfé, dont l'ouvrage a été traduit par les abbés Sisson et Crampon (Paris, 1856)[3].

Littérature

Cisneros est le personnage principal de la pièce de théâtre Le Cardinal d'Espagne d'Henry de Montherlant.

Notes et références

"Archetypo de virtudes" (Pedro de Quintanilla y Mendoza, 1653).
  1. Parfois écrit Francisco Ximénes de Cisneros, selon l'orthographe en vigueur à l'époque.
  2. « Francisco, Cardinal Jiménez de Cisneros », sur l'Encyclopædia Britannica.
  3. Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang (dir.), « Ximénès de Cisneros (le cardinal François) » dans Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, (lire sur Wikisource).
  4. JIMÉNEZ DE CISNEROS, O.F.M.Obs., Francisco (1436-1517).
  5. « Le Cardinal Ximenès et l'Église d'Espagne, à la fin du XVe et au commencement du XVIe siècle : pour servir à l'histoire ... - Introduction », sur Gallica
  6. « Histoire de la Reconquista, par Philippe Conrad, 1955, page 114 - "Les rois catholiques vont résister..." », sur Gallica
  7. « Collomb, par Jean Métellus, 1992, page 128 - "Le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros, homme d'une étonnante fermeté et d'une vaste culture (...) n'aime pas les hiéronymites de Guadalupe auxquels était lié Christophe Collomb..." », sur Gallica
  8. « Bibles en français Traduction et tradition - Actes du Colloque des 5-6 décembre 2003 - Ed. Parole et Silence, 251 pages - "Traduction, œuvre culturelle ou œuvre de tradition de la foi?" - Pierre d'Ornellas », sur Gallica
  9. « Guide hispanique, de R. Escarpit, E. Bergès et G. Larrieu, Hachette, 1959, page 58 - "Les rois catholiques" », sur Gallica
  10. Article Francisco Jiménez de Cisneros sur Encarta.
  11. Bartholomé Bennassar, Un Siècle d'or espagnol, Robert Laffont, 1982, p. 155.
  12. Bataillon, p. 26.
  13. Bataillon, p. 12.

Bibliographie

  • (es) José García Oro, Cisneros: un cardenal reformista en el trono de España (1436-1517), La Esfera de los Libros, 2005, (ISBN 978-84-9734-389-3)
  • Marcel Bataillon, Érasme et l'Espagne - Recherches sur l'histoire spirituelle du XVIe siècle, 1937 (thèse), réédition augmentée et corrigée de 1991, Droz, 1998, Genève (ISBN 2-600-00510-2), 903 p.
  • (en) Reginald Merton, Cardinal Ximenes and the Making of Spain, 1934.
  • (es) Joseph Pérez, Cisneros, el cardenal de España, Taurus, 2014, (ISBN 978-84-306-0948-2)

Liens externes

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