Expédition de Sardaigne

L’expédition de Sardaigne menée en février 1793 par les armées de la République française contre le Royaume de Sardaigne échoue rapidement face à la résistance sarde et entraîne la mise en accusation de Pascal Paoli, fondateur en 1755 de la République Corse, qui décide en 1794-1796 de s'allier avec les Anglais pour proclamer un seconde fois l'Indépendance de la Corse.

Expédition de Sardaigne

Informations générales
Date 15 février -
Lieu Cagliari
Archipel de La Maddalena
Issue Victoire sarde
Belligérants
 République française Royaume de Sardaigne
Commandants
Laurent Truguet
Raphaël de Casabianca
Pierre-Paul Colonna de Cesari Rocca
Forces en présence
4 600 hommes
9 canons
7 compagnies d'infanterie
600 fusiliers suisses
3 compagnies de dragons
1 corps franc
400 miliciens
Pertes
InconnuesInconnues

Guerres de la Révolution française

Contexte

Le retour de Pascal Paoli

Dès le début de la Révolution, la Corse vit de troubles peu après l'adresse de citoyens d'Ajaccio rédigée le 31 octobre 1789 par Napoléon Bonaparte, qui avait connu la vie de garnison à Bastia en 1787-1788. Lors de l'émeute du 5 novembre 1789 à Bastia, il fournit des cocardes tricolores etl'intendant Charles de Barrin intime de quitter Bastia[1]. Selon l'historien Jean Tulard, ces incidents éclatèrent à propos de la constitution de la Garde nationale, « Bonaparte y fut mêlé, mais son rôle reste difficile à préciser »[1].

En février 1790, les délégués des six juridictions du Cismonte, réunis à Bastia, le désignent le général Raphaël de Casabianca, un des chefs de l'expédition trois ans après, apour rencontrer à Londres le leader corse Pascal Paoli, avec trois autres personnalités, et le convaincre de revenir sur son île. En avril 1790, il rentre à Paris avec Paoli, qui lui donne le commandement en second d'Ajaccio[2]. Cette démarche est importante car dans la lutte d'influence que se livre les Bonaparte et Pozzo di Borgo, Raphaël de Casabianca avait soutenu les premiers[3]. Une constituante en juillet 1790 va demander que les prêtres soient désignés par une autorité laïque et non plus par le Pape, ce qui « heurte la sensibilité religieuse des Corses » amenant même « certains ecclésiastiques » à quitter l’île[1].

Ensuite en 1791, la République française va entrer progressivement en guerre contre le roi de Sardaigne, de Savoie et du Piémont, Victor-Amédée III[réf. nécessaire].

Les visées de Bonifacio sur les îles de La Madalena

Dans une assemblée à Bastia, les délégués de Bonifacio ont proposé une expédition pour s'emparer par surprise de l'Archipel de La Maddalena, « dont les habitants sont corses et peuvent être « disposés à favoriser les tentatives des Bonifaciens ». Le 30 juillet 1790, on apprend même que des Corses se présentent à Alghero au gouverneur de la ville avec la cocarde nationale[4].

Le 14 mai 1792, est publié un "Mémoire contenant des moyens contre le Roi de Sardaigne" par Antoine-Marie Costantini ( 1754-1816), négociant en grains[5] de Bonifacio, député corse résidant à Paris, où il est membre du Club des Jacobins et ieutenant de la "Halle aux Blés" de Paris[6], mais que son métier a familiarisé avec les ports sardes, où il croit savoir qu'on est mécontent de la tutelle piémontaise. Son mémoire reprend des textes précédents qui depuis 1791 suggéraient de reprendre aux Sardes cet Archipel de La Maddalena, situé entre les deux îles et perdus par les Corses au traité qui les avaient rattaché à la France un quart de siècle plus tôt. Mais cette fois, il propose de ne pas s'arrêter à ces îles riches en minerai mais de prendre peu à peu toute la Sardaigne[5]. Selon lui, il faudrait 2000 corses en appui de 12000 français et de l'argent pour soudoyer les sardes, pour s'emparer de leur île[5]. Il propose d'aller lui même sonder, discrêtement, la population sarde, en lui présentant la Constitution française[5].

Le soutien de Salicetti à Antoine-Marie Costantini

Le mémoire du 14 mai 1792 publié par le négociant de Bonifacio s'inscrit opportunément dans un climat européen un peu plus tendu depuis que 20 avril 1792, la législature française s'est résignée à déclarer la guerre au roi François II[5] puis a dûr par conscription 30000 hommes[5], quantité qui doublera un an plus tard. Mais l'idée proposée par reçoit dè le 17 juin 1792 le soutien de Christophe Salicetti, qui est alors le procureur-syndic de la Corse. Il écrit au ministre de la Guerre pour vanter ce projet d'expédition de Sardaigne[5], en estimant qu'il suffit de quelques fonds, munitions et vaisseaux de guerre[5]. Le député Mario Peraldi, qui s'intéresse lui aussi aux blés sardes[5], l'appuie [5].

La réquisition et la protestation de Pascal Paoli

De son côté, Pascal Paoli ne participe pas même s'il suit de près la situation européenne. Le 28 juillet 1792, il écrit ainsi qu'il est prêt à « donner asile et secours à des centaines de milliers de français » républicains dans l'île[5] puis à nouveau début février 1793, pour rétirérer sa proposition[5].

Entre-temps, pressenti par Carot et le conseil exécutif à Paris, Pascal Paoli est requis en octobre 1792 par le contre-amiral Laurent Truguet[5], futur chef de l'expédition et plus tard ministre de la marine, qui lui demande de mobiliser pour la future expédition. Laurent Truguet est l'un des premiers à avoir maille à partie avec les Sardes. Le 23 octobre 1792 après avoir échoué à inciter les habitants « à se soulever contre leur roi »[7], Laurent Truguet réduit en cendres la Principauté d'Oneille, en Ligurie, repaire de corsaires sardes mais l'une des préfectures du ressort du Sénat de Nice.

Le 28 janvier 1973, Pascal Paoli écrit au ministre de la Guerre pour mentionner qu'il n' a pas assez de pièces de canon et d'hommes pour mener l'expédition[5] et explique qu'on a « ceux qui s'en sont mélés obt exagéré de beaucoup les ressources du département, que leur zèle, qui était plus étendu que leurs connaissances militaires, les a trompés »[5]. Il précise qu'il ne peut mobiliser que 1800 hommes, ce qu'il fera plus tard[5]. Le 28 janvier 1973, il répond aussi aux accusations diffamatoires de l'automne, l'accusant de manquer de patriotisme et de foi dans la Révolution[5].

Entre-temps, en décembre 1972, l'administration du département de Corse, totalement impopulaire, est désavouée lors des élections et Christophe Saliceti perd son poste de procureur-syndic, remplacé par Pozzo di Borgo, ce dont Christophe Saliceti se plaint dans une lettre à Napoléon Bonaparte où il espère un retour de fortune dans les mois suivant[5].

Tensions en Corse début 1793

Début 1793, Christophe Saliceti dénonce devant la convention les "prêtres intriguants" et Paoli est soupçonné d'indulgence envers eux[5]. Le 1er février 1973, la Convention envoie une corse une commission de trois personnes parmi lesquelles Christophe Saliceti son principal rival, instigateur de la démarche[5], le seul des trois à parler corse et le seul qui a voté la peine de mort pour Louis XVI au sein de la délégation Corse[5], contrairement à ce qu'affirmera Lucien Bonaparte[5]. Les deux autres commissires sont Jean-Pierre Lacombe-Saint-Michel et Joseph-Étienne Delcher, mais ils ne débarqueront dans l'île qu'en avril 1793, après la fin de l'expédition de Sardaigne. En novembre, lors de la Bataille de Farinole, Jean-Pierre Lacombe-Saint-Michel mènera une « petite armée »[8], assemblage hétéroclite de matelots (équipages de plusieurs frégates, la Mignonne (en), la Melpomène, la Minerve (en) et la Fortunée), de fantassins de plusieurs unités (garde nationale, infanterie légère, gendarmerie), de quelques artilleurs (dotés de deux canons de 4) et de volontaires locaux, qui d'après une lettre de Paoli du [9], né réuniront que 400 à 500 hommes.

Face à ces démarches, le 19 février 1973, le conseil général de Corse vote une motion de soutien à Paoli à l'unanimité[5].

Tensions en France début 1793

Le 24 février 1793, en expédition de Sardaigne, la Convention décide la levée en masse de 300000 célibataires ou veufs de 18 à 25 ans, volontaires ou tirés au sort. Plus tard, le , ce sera la levée en masse des 25 à 30 ans, qui renforcera considérablement les armées mais causera émeutes et insurrections, puis la guerre de Vendée, car il faut pallier la baisse subite des effectifs de l'armée révolutionnaire française due aux pertes, désertions et départs massifs des volontaires levés en 1792 qui estiment pouvoir rentrer chez eux, l'ennemi ayant été repoussé hors des frontières. L'expédition de Sardaigne a lieu ainsi 3 mois environ avant les insurrections fédéralistes éclatèrent en province lors de la Révolution française, après les évènements du 31 mai 1793 et les décrets du 2 juin 1793 éliminant les Girondins de la Convention.

Plan de campagne

La Convention décide en 1792 de l'attaquer simultanément au Piémont et en Sardaigne.

En Sardaigne, l'opération se fait sur deux fronts : l’attaque principale sur Cagliari, et une manœuvre de diversion sur les îles de la Madeleine (Archipel de La Maddalena), à 10 kilomètres au sud du port de Bonifacio.

Préparatifs et forces en présence

Chez les Français

Lorsqu'il arrive le à Ajaccio, le contre-amiral Laurent Truguet, commandant en chef de la flotte de Méditerranée, dispose de neuf navires (deux vaisseaux, le Vengeur et la Perle ayant été perdus en cours de route)[10]. Lors du second bombardement de Cagliari, il aligne également trente-trois bateaux de transport[11].

L'organisation de l'expédition est confiée à Pascal Paoli, qui ne la souhaite pas et qui avertit bien avant qu'il ne peut mettre sur pied qu' un contingent de 2 000 hommes, au lieu des 6 000 qui lui sont demandés par la Convention[12] composé des bataillons de volontaires de Martigues, de l'Union, de Luberon, de Tarascon, d'Aix et du 5e de Vaucluse[13].

État des troupes débarquées devant Cagliari le 14 février 1793[14]
Troupes de ligne 1 400 hommes
Volontaires nationaux 2 600 hommes

Il confie le corps expéditionnaire principal au général Raphaël de Casabianca, qui aligne 4 000 soldats et six canons, montés 14 vaisseau de ligne (le Tonnant, le Centaure (en), l'Apollon, le Patriote, lOrion, lEntreprenant, le Scipion (en), le Languedoc, le Tricolore, le Léopard (en), le Duguay-Trouin, le Généreux, le Thémistocle et le Commerce de Bordeaux), 8 frégates (l' Aréthuse (en), la Junon (en), la Vestale, la Sensible, la Brune, l' Hélène[15], la Poulette (en) et le Richemont[16]) et plusieurs galiotes, gabares, bombardes où bâtiments de transports lorsqu'il débarque à Cagliari[17],[18]. Le contingent chargé de mener l'attaque de la Maddalena est placé sous les ordres du colonel Pierre Colonna Cesari[19]. Celui-ci dispose d'une force de 600 hommes, qui comprend 450 volontaires des 2e et 4e bataillons corses, ainsi qu'une compagnie de 150 grenadiers sous les ordres du capitaine Ricard. L'artillerie et le génie sont confiés respectivement au lieutenant-colonel Bonaparte et au capitaine Moydié[20].

Chez les Sardes

L'armée sarde comprend la garnison de Cagliari, soit un demi-bataillon piémontais et 600 fusiliers suisses, ainsi que deux compagnies de dragons commandées par le baron de Saint-Amour et une compagnie d'infanterie légère[21]. La ville d'Alghero est gardée par deux compagnies d'infanterie ainsi que par un corps franc de déserteurs graciés, tandis que deux autres compagnies d'infanterie et une compagnie de dragons sont en position à Sassari[22].

La milice sarde est composée de 400 soldats, mal équipés ; l'artillerie est quant à elle répartie dans les différentes citadelles[22].

Déroulement de l'expédition

Au cours de l'attaque de la Maddalena, le lieutenant-colonel Bonaparte commande l'artillerie du contingent de Colonna Cesari, avec laquelle il pilonne le village (peinture de Félix Philippoteaux).

L'attaque de Cagliari

À Cagliari, la flotte de l’amiral Truguet bombarde la ville pendant trois jours en janvier 1793, puis fait une tentative de débarquement, rentre à Toulon, avant de revenir le mois suivant. Une nouvelle tentative de débarquement, sous le commandement du général Casabianca, échoue à la suite d'une résistance vigoureuse des Sardes ainsi que par l'insubordination des troupes françaises. Une tempête fait sombrer un navire de ligne et l'amiral Truguet lève définitivement le siège.

L'attaque de La Maddalena

L'autre partie de l'assaut est surtout une opération de diversion. Pascal Paoli envoie le colonel Colonna Cesari sur l'île de Santo Stefano, dans l'archipel de La Maddalena, récupérer le des magasins de munitions importants, ce qui permet au lieutenant-colonel d'artillerie Napoléon Bonaparte d'installer ses canons face à La Maddalena , principale bourgade de l'archipel[23] pour la pilonner le , suscitant la panique dans la population[24] puis la création d'un mouvement de résistance sarde d'environ 200 hommes, en majorité des bergers, organisés par Domenico Millelire, qui vont créer une "marine sarde" de résistance, composée de petits bateaux. Dès le , les marins de La Fauvette veulent lever l'ancre puis se mutinent quand le colonel Colonna Cesari tente de les reprendre en main [25], obligeant ce dernier à décider de battre en retraite, en abandonnant les trois pièces d'artillerie de Bonaparte[26]. Les Français sont ainsi revenus en Corse dès le [26].

Conséquences en France

Le 14 mars, Lucien Bonaparte dénonce Pascal Paoli comme un traitre devant le club républicain de Toulon[5] puis fait de même à Marseille, en s'employant à exciter les ranceurs, comme il le reconnaitra dans ses mémoires [5], à un moment où le général Raphaël de Casabianca (1738-1825), s'emploie à reporter la responsabilité de l'échec de l'expédition de Sardaigne sur d'autres[5]. Lucien étant le frère de Napoléon, responsable de l'artillerie à La Maddalena, ses propos sont pris au sérieux. On reproche alors à Paoli de n'avoir pas accepté la mobilisation de plus de conscrits du Var ou des Bouches du Rhône[5]. On n'attend même pas le rapport des commissaires envoyés dans l'île[5].

En , Raphaël de Casabianca est nommé commandant de la 43e Division militaire par Saliceti en remplacement de Pascal Paoli, déchu de ses fonctions.

Mais Raphaël de Casabianca est arrêté par les partisans de Pascal Paoli à Cervione. En mai, les autorités françaises, pour calmer les esprits, relèvent Raphaël de Casabianca de ses fonctions, déchu de son mandat de député à la Cunsulta Straudinaria de Corte.

Napoléon Bonaparte devient capitaine d'artillerie puis quelques mois après général de brigade au siège de Toulon, en décembre 1793[27]

Notes et références

  1. "La place ambiguë de la Corse durant la Révolution française" par Jean-Pierre Girolami le 31 juillet 2019 dansCorse-Matin
  2. « Expédition de Sardaigne », dans Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, [détail de l’édition]
  3. Jean Tulard, Napoléon, Fayard, , 512 p. (ISBN 2-213-01813-8), p. 55
  4. "La question de la Maddalena" par Henry Marmonnier, Document conservé à la Bibliothèque des Chartes
  5. "Pascal Paoli: Père de la patrie corse" par Antoine-Marie Graziani aux Editions Taillandier, en 2002 puis réédité en 2020
  6. Biographie
  7. "Cagnoli, Nice & exil (1782-1796). Gioan Battista le marin et son fils Andrea'
  8. Ibid.
  9. Citée dans l'Archivio storico italiano
  10. Peyrou 1912, p. 53.
  11. Peyrou 1912, p. 87.
  12. Colonna d'Istria 1998, p. 37.
  13. Espérandieu 1895, p. 19.
  14. Léonce Krebs : Campagnes dans les Alpes pendant la Révolution, d'après les archives des états-majors français et austro-sarde page LV
  15. Il fut pris en Sardaigne
  16. Initialement HMS Richmond avant sa capture il fut brûlé en Sardaigne
  17. Peyrou 1912, p. 89.
  18. Maxime Mangerel : Le Capitaine Gerbaud, 1773-1799: Les volontaires de la Creuse en 1791
  19. Peyrou 1912, p. 114.
  20. Peyrou 1912, p. 124.
  21. Peyrou 1912, p. 64 et 65.
  22. Peyrou 1912, p. 65.
  23. Peyrou 1912, p. 126.
  24. Peyrou 1912, p. 127.
  25. Peyrou 1912, p. 129-130.
  26. Peyrou 1912, p. 131.
  27. "Napoléon Bonaparte ou la corruption de la société par la guerre permanente 1795-182" par Florence Gauthier, maître de conférences à l’Université Paris - 7 Diderot, le 5 mai 2021 dans Le Canard Républicain

Bibliographie

  • Éloi Jean Peyrou, Expédition de Sardaigne : le lieutenant-colonel Bonaparte à la Maddalena (1792-1793), Paris, Charles-Lavauzelle, , 152 p. (notice BnF no FRBNF34083967) lire en ligne sur Gallica.
  • Robert Colonna d'Istria, « Corse de cœur et d'âme », Ici et là, no 34 « La Corse sur les traces de Napoléon », (ISSN 1247-9896).
  • Émile Espérandieu, Expédition de Sardaigne et campagne de Corse (1792-1794), Paris, Charles-Lavauzelle, , 200 p. (notice BnF no FRBNF34083273) lire en ligne sur Gallica.

Liens externes

  • Portail de l’histoire militaire
  • Portail des années 1790
  • Portail de la Révolution française
  • Portail de l’Italie
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.