Brigade anti-négrophobie

La Brigade anti-négrophobie, ou BAN, est un collectif français de lutte contre le racisme, la négrophobie, en particulier. Fondée en 2005, elle se fait connaître du grand public au début des années 2010, grâce à des rassemblements protestataires dénonçant l'injustice et les discriminations dont sont victimes les Noirs, en France.

Pour les articles homonymes, voir Ban.

Fondation

La Brigade anti-négrophobie, désignée aussi par l'acronyme BAN[1], est une émanation de l'Alliance noire citoyenne, une association antiraciste fondée après les émeutes dans les banlieues françaises survenues en 2005 et, la même année, une série d'incendies criminels qui ont provoqué la mort d'une cinquantaine de personnes originaires d'Afrique et résidantes dans divers quartiers parisiens[1],[2],[3],[4]. Sous l'impulsion de Franco, membre, depuis la fin des années 1990, du collectif français de hip-hop La Brigade, la BAN, membre de la Fédération anti-négrophobe, a été officiellement inaugurée au mois d', en réaction à des propos racistes publics tenus par le parfumeur français Jean-Paul Guerlain[5],[6]. L'association loi de 1901 « Collectif non à Guerlain ! Non à la négrophobie ! Collectif anti-négrophobie » est enregistrée à la préfecture de police de Paris le [6],[7].

Organisation et objectifs

La Brigade anti-négrophobie est un collectif informel, composé essentiellement de jeunes Noirs, hommes et femmes vivant en Île-de-France[8]. La Brigade anti-négrophobie s'est donné pour mission de combattre le racisme, celui qui vise les Noirs, en particulier[6],[9]. Plus radicale que les autres mouvements antiraciste français, elle organise des actions publiques, parfois musclées, au cours desquelles elle diffuse son message de protestation contre les discriminations et l'injustice dont sont victimes les Noirs, en France[8],[9],[10]. Sur le plan doctrinal, elle se réclame des valeurs républicaines issues de la Révolution française et de la Résistance française[6]. Elle revendique l'apport théorique de la littérature afro-américaine en adoptant une approche du racisme sous l'angle institutionnel, à l'instar de Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton qui considèrent le racisme comme une « politique fondée sans ambages sur des considérations de race, dans le but d’assujettir un groupe racial et de le maintenir sous tutelle »[11].

La BAN ne possède ni locaux ni site web, seulement une page de présentation sur le service de réseautage social américain Facebook[10]. En , celle-ci affichait un total de 37 000 abonnés, bien que le nombre effectif des membres du collectif soit tenu secret[12],[10].

Porte-parole

Franco Lollia est le porte-parole de ce mouvement, qui réunit des militants antiracistes engagés contre le racisme anti-noir. D'origine guadeloupéenne, il préfère se définir comme afro-caribéen[3],[9]. Dans les années 2000, il fréquentait des personnalités telles que l'antisioniste français Dieudonné et le militant franco-béninois Kémi Séba, fondateur de la Tribu Ka, promotrice d'un suprémacisme noir[10].

Principales actions

Action protestataire inaugurale

Au mois d', Jean-Paul Guerlain, héritier de la marque de parfum Guerlain, fait scandale en tenant, au cours d'une entretien télévisé, des propos racistes. À l'appel d'un collectif nommé « Boycottez Guerlain », des membres de l'Alliance noire citoyenne, arborant un t-shirt noir barré de la mention « Brigade Anti Négrophobie », se rassemblent devant des boutiques parisiennes de l'enseigne Guerlain, propriété du groupe mondial LVMH. Le mois suivant, en présence de la BAN, nouvellement formée, des représentants du poids lourd de l'industrie du luxe s'engagent à orienter une partie du mécénat de LVMH vers des actions contre le racisme en France[13],[14],[15]. En , le tribunal correctionnel de Paris condamne Jean-Paul Guerlain pour injure raciale. Il doit payer une amende de 6 000 euros, à laquelle s'ajoute 2 000 euros de dommages et intérêts au profit de chacune des associations constituées parties civiles : le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) et SOS Racisme[16].

Participation à La marche des esclaves de Nantes

Depuis le début des années 1990, la ville de Nantes, en France, propose au public, à travers diverses manifestations culturelles, de découvrir son passé de port négrier. En , dans le cadre de la journée commémorative du souvenir de l'esclavage et de son abolition, instituée nationalement depuis 2001[17], elle inaugure le village de la Mémoire, un espace d'expositions destiné aux associations[18],[8]. En 2009, celui-ci accueille vingt-cinq groupes associatifs  seize, deux ans plus tôt , présentant divers aspects de l'histoire nantaise de la traite négrière[8]. L'année 2006, une association nantaise, Passerelle noire, décide de faire valoir son point de vue sur la mémoire de l'esclavage et crée un défilé intitulé La marche des esclaves[20]. Circulant dans les rues du centre-ville de Nantes, le spectacle vivant se termine dans le village de la Mémoire[8]. En 2011, la présence de l'une des filles de Malcolm X[21], une référence au mouvement afro-américain des droits civiques, et près d'une centaine de membres de la BAN tout de noir vêtus confère à l'initiative de la Passerelle noire un tonalité politique radicale[8],[22].

Participations à la commémoration officielle de l'abolition de esclavage

Le , jour de commémoration nationale de l'abolition de l’esclavage, quelques membres de la Brigade anti-négrophobie se rendent, sur invitation, dans le jardin du Luxembourg, à Paris, pour assister à la cérémonie officielle, présidée par le président de la République française en place, Nicolas Sarkozy. Ils sont arrêtés et détenus temporairement à cause du logo « Brigade antinégrophobie » inscrit en blanc sur leurs t-shirts noirs. Aucune charge légale n'a pu être cependant produite pour justifier leur arrestation[23],[24],[4]. Le , le collectif antiraciste est présent à la cérémonie officielle de commémoration, mais, l'année suivante, alors que le nouveau chef de l'État français, François Hollande s'apprête à prendre la parole, il en est de nouveau expulsé par la police, malgré la présentation d'invitations officielles[25].

Protestation contre des manifestations culturelles

Fin , rassemblés pour protester contre la « négrophobie déguisée en bonnes intentions » que représente, selon eux, le spectacle Exhibit B. de l'artiste sud-africain Brett Bailey (en), qui met en scène des acteurs noirs enfermés dans des cages comme dans un zoo humain, des militants de la Brigade anti-négrophobie, alliés à l'Aussar et aux Indigènes de la République, s'opposent à la LICRA, au MRAP et à la Ligue des droits de l'homme qui défendent une œuvre artistique dénonciatrice[26],[10].

Durant les mois de février et , engagée dans une lutte contre « La Nuit des Noirs » tenue à Dunkerque, la Brigande anti-négrophobie saisit la justice en arguant de l'utilisation injurieuse du blackface, ainsi que d'accessoires type colliers d'os ou pagnes durant cet événement récurrent. L'association est déboutée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille. Ce carnaval du XVIIe siècle reprend depuis 1968 l'activité La Nuit des Noirs. Les carnavaleux et le maire revendiquent leur droit à la blague potache tandis que l'avocat du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) a invoqué : « l'atteinte à la dignité humaine et le trouble à l'ordre public »[27],[28],[29].

Le , en collaboration avec le CRAN et la Ligue de défense noire africaine, le collectif antiraciste empêche, au nom de la lutte contre le blackface, une représentation de la pièce de théâtre Les Suppliantes d'Eschyle, programmée à la Sorbonne[30].

Actions contre des symboles jugés négrophobes

À partir de 2011, la BAN organise des manifestations devant l'enseigne Au Nègre joyeux à Paris[31],[32], qui est finalement retirée.

Dans la foulée d'une série mondiale de déboulonnages de statues, développement des manifestations et émeutes de mai-juin 2020 aux États-Unis, la Brigade anti-négrophobie entreprend, dans l'espace public, des actions contre des représentations de personnalités historiques qu'elle juge « négrophobes ».

Le , le piédestal de la statue du général Faidherbe, à Lille, est tagué des mots « colon » et « assassin » inscrits en rouge[12]. Deux jours plus tard, la statue de Colbert, érigée, à Paris, devant l'Assemblée nationale, est en partie recouverte de peinture rouge et d'une inscription : « Négrophobie d'État ». Cet acte de vandalisme vaut une garde à vue à Franco Lollia, meneur du collectif[33],[12],[9],[34].

Autres actions

Le , avec le DAL et le Collectif Balzac, la BAN apporte son soutien aux expulsés de la barre Balzac à la Cité des 4000, à La Courneuve[35].

Le , La BAN organise, à Paris, une manifestation contre l'esclavage en Libye[36],[37].

Critiques

Emmanuel Debono, dans son blog hébergé par le journal Le Monde, fait observer que le mouvement antiraciste français des années 2010 est divisé. Selon l'historien, de nouvelles organisations, telles que les Indigènes de la République, le Collectif contre l'islamophobie en France, Les Indivisibles et la BAN, s'opposent aux associations plus anciennes comme la LICRA, le MRAP et SOS Racisme. Les premières contestent la pertinence et la sincérité de l'antiracisme universaliste prôné par les secondes. Elles rejettent la revendication d'intégration dans la République au profit d'une mise en valeur des spécificités des « minorités visibles », la « décolonialisation » des mentalités et la dénonciation d'un racisme institutionnel[38]. De son côté, la journaliste Warda Mohamed de Basta ! relève que la majorité des membres et dirigeants des associations antiracistes traditionnelles, telles que SOS Racisme, n'ont jamais connu le racisme ni la discrimination, contrairement aux militants du collectif anti-négrophobie[39].

La LICRA condamne la posture communautariste de la Brigade anti-négrophobie. Elle reproche au collectif d'entretenir, en contradiction avec le modèle républicain français, une concurrence victimaire et mémorielle avec d'autres minorités stigmatisées de la population française[10].

Publications

  • Brigade anti-négrophobie, Autopsie de la négrophobie : Chronique d'une mort annoncée, , 130 p. (ISBN 978-2-9546467-0-1)[40],[6]

Notes et références

  1. Jean-Bernard Gervais, « Racisme supposé, beef avec Yann Moix : une discussion avec la Brigade anti-négrophobie », Vice, (consulté le ).
  2. « Alliance Noire Citoyenne », sur Cartographie des Mémoires de l'Esclavage, université d'Édimbourg, (consulté le ).
  3. Philippe Triay, « Franco Lollia (Brigade anti-négrophobie) : "La France a un réel problème avec la question noire" », La Première (France Télévisions), (consulté le ).
  4. Thompson 2015.
  5. Robin D'Angelo, « On était à un rassemblement de la Brigade Anti-Négrophobie », sur StreetPress, (consulté le ).
  6. « Collectif Non à Guerlain! Non à la Négrophobie! Collectif Anti-Négrophobie », sur Cartographie des Mémoires de l'Esclavage, université d'Édimbourg, (consulté le ).
  7. « Collectif non à Guerlain ! Non à la négrophobie ! Collectif anti-négrophobie », Journal officiel Associations, no 11, (lire en ligne), RNA W751208796.
  8. (en) Renaud Hourcade, « Shaping Representations of the Past in a Former Slave-Trade Port: Slavery Remembrance Day (10 May) in Nantes », dans Nicola Frith (dir.) et Kate Hodgson (dir.), At the Limits of Memory : Legacies of Slavery in the Francophone World [« Aux limites de la mémoire : héritages de l'esclavage dans le monde francophone »], Liverpool University Press, , 256 p. (ISBN 978-1-78138-159-5, HAL halshs-01288071), p. 99–103.
  9. « La Brigade anti-négrophobie, militants radicaux de la cause noire », Le Parisien, (consulté le ).
  10. Charlotte Boitiaux, « Brigade anti-négrophobie, une colère noire », France 24, (consulté le ).
  11. Picot 2016 citant Brigade anti-négrophobie 2013, p. 29.
  12. AFP, « « Négrophobie d'Etat »: qui est la « Brigade Anti-négrophobie » qui revendique le graffiti sur la statue de Colbert devant l'Assemblée nationale? », RMC, (consulté le ).
  13. « Propos racistes de Guerlain : manifs sur les Champs et aux Galeries Lafayette », Le Parisien, (consulté le ).
  14. « Le boycott de la Maison de Parfum Guerlain », sur Cartographie des Mémoires de l'Esclavage, université d'Édimbourg, (consulté le ).
  15. AFP, « Guerlain : parfum de scandale au tribunal », Libération, (consulté le ).
  16. AFP, « Guerlain condamné pourses propos sur les «nègres» », Le Figaro, (consulté le ).
  17. Jean-Pierre Husson, « 10 mai - Journée de commémoration nationale des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions », sur www.cndp.fr, Centre national de documentation pédagogique, (consulté le ).
  18. « Commémorations: Nantes », sur www.cnmhe.fr, comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, (consulté le ).
  19. Guillaume Frouin, « La Traite négrière, un lourd héritage », 20 Minutes, (consulté le ).
  20. En contraste avec les cérémonies officielles de commémoration des mémoires de la traite négrière, La marche des esclaves est une représentation théâtrale de divers aspects de la vie dans les anciennes plantations exploitant des esclaves, tels que la vente d'esclaves aux enchères, le travail forcé et la punition d'esclaves marrons. La violence subie par les esclaves et leurs souffrances sont mises ostensiblement en scène. Ce spectacle vivant annuel n'est cependant pas du goût de tout le monde[8],[19].
  21. « La fille de Malcom X à la marche des esclaves de Nantes », sur nantes.maville.com, Ouest-France, (consulté le ).
  22. « La marche des esclaves dans les rues de Nantes », sur nantes.maville.com, Ouest-France, (consulté le ).
  23. Gilles Klein, « Militants noirs expulsés d'une cérémonie contre l'esclavage », sur www.arretsurimages.net, Arrêt sur images, (consulté le ).
  24. « Cérémonie-esclavage : militants noirs expulsés », Europe 1, (consulté le ).
  25. « (Non-)Participation à la cérémonie du 10 mai », sur Cartographie des Mémoires de l'Esclavage, université d'Édimbourg, (consulté le ).
  26. Barbara Krief, « "Exhibit B" ou l'affrontement des antiracistes », Le Nouvel Observateur, (consulté le ).
  27. Winny Claret, « Nuit des noirs La Brigade antinégrophobie saisit la justice », La Voix du Nord, (consulté le ).
  28. Marie Tranchant, « Sur fond de polémique, la Nuit des Noirs aura bien lieu à Dunkerque », Le Figaro, (consulté le ).
  29. AFP, « Carnaval de Dunkerque : le bal "La Nuit des Noirs" dans le collimateur de la "Brigade anti-négrophobie" », France Info, (consulté le ).
  30. Marie Tranchant, « Pièce de théâtre annulée à cause de "blackface" : la Sorbonne dénonce une atteinte à la liberté de création », France Info, (consulté le ).
  31. Thompson 2016.
  32. (en) Trica Keaton, « Au Nègre Joyeux: Everyday Antiblackness Guised as Public Art », Nka: Journal of Contemporary African Art, nos 38-39, , p. 52–58 (DOI 10.1215/10757163-3641678).
  33. David Di Giacomo, « Tag sur la statue de Colbert : la brigade anti-négrophobie attend des arguments "entendables" de la part de l’État », France Info, (consulté le ).
  34. Étienne Jacob, « «Négrophobie d'État» : la statue de Colbert taguée devant l'Assemblée nationale », Le Figaro, (consulté le ).
  35. Eros Sana, « Un an de galère pour les expulsés de La Courneuve », sur BastaMag, (consulté le ).
  36. Anne-Christine Poujoulat, « Esclavage en Libye: nouvelles manifestations à Paris, Lyon, Marseille », La Dépêche du Midi, (consulté le ).
  37. AFP, « Nouvelles manifs en France contre l'esclavage en Libye », Le Soleil, (consulté le ).
  38. Emmanuel Debono, « L'antiracisme a-t-il (vraiment) échoué ? », blog Au cœur de l'antiracisme, Le Monde, (consulté le ).
  39. Warda Mohamed, « « Gauche blanche », « racisés », « non concernés » : ces clivages qui agitent la lutte et les mouvements antiracistes », sur Basta !, (consulté le ).
  40. Pauline Picot, « Quelques usages militants du concept de racisme institutionnel : Le discours antiraciste postcolonial (France, 2005-2015) », Migrations Société, no 163, , p. 47–60 (DOI 10.3917/migra.163.0047).

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (en) Vanessa Eileen Thompson, « “The Master's Tools Will Never Dismantle the Master's House” : Reading France's Recognition Politics through Fanon's Critique of Whiteness and Coloniality », dans Veronica Watson (dir.), Deirdre Howard-Wagner (dir.) et Lisa Spanierman (dir.), Unveiling Whiteness in the Twenty-First Century : Global Manifestations, Transdisciplinary Interventions [« Dévoiler la blanchité dans le XXIe siècle »], Lanham, Lexington Books, , 241 p. (ISBN 978-0-7391-9296-2 et 978-0-7391-9297-9), p. 175–177, 182–185, 186 (note 6) et 187 (note 8). .
  • (en) Vanessa Eileen Thompson, « Black Jacobins in Contemporary France : On Identities on Politics, Decolonial Critique, and the Other Blackness », Sociological Focus, vol. 49, no 1 « Special Issue on Black Movements », , p. 44–62 (DOI 10.1080/00380237.2015.1067853). .
  • (en) Vanessa Eileen Thompson, chap. 1 « “We have to act. That is what forms collectivity” : Black solidarity beyond identity in contemporary Paris », dans Felipe Espinoza Garrido (dir.), Caroline Koegler (dir.), Deborah Nyangulu (dir.) et Mark U. Stein (dir.), Locating African European Studies : Interventions, Intersections, Conversations, Londres, Routledge, coll. « Routledge studies on African and Black diaspora » (no 10), , 339 p. (ISBN 978-1-138-59032-8, DOI 10.4324/9780429491092-2), p. 31, 36–38, 40.

Articles connexes

Liens externes

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