Placenta
Le placenta est un organe unique qui connecte physiquement et biologiquement l'embryon en développement à la paroi utérine. Durant toute la grossesse, le placenta apporte à l'embryon puis au fœtus l'eau, les nutriments et le dioxygène dont il a besoin. Il évacue aussi le dioxyde de carbone et les déchets métaboliques tels que l'urée, excrétés par l'embryon. Il produit et secrète des hormones qui maintiennent la grossesse et "manipulent" la physiologie maternelle au profit du fœtus.
Dans la classification du vivant traditionnelle, le placenta définit les fameux mammifères placentaires, dont l'être humain fait partie. En réalité, il s'agit d'un organe commun aux thériens, bien que plus rudimentaire chez les métathériens (dont les marsupiaux), ces derniers naissant au stade larvaire et poursuivant la majeure partie de leur développement hors de l'utérus maternel ; tandis que les euthériens se développent principalement à l'intérieur de l'utérus grâce à un placenta plus élaboré. On trouve aussi une sorte de placenta chez quelques espèces de reptiles et lézards vivipares[1].
Le placenta participe à une unité fonctionnelle foeto-maternelle provenant de la fusion partielle d'un tissu maternel de l'endomètre, qu'on appelle alors decidua (decidua basalis), et d'un tissu fœtal issu du trophoblaste (donc de la multiplication cellulaire de l'œuf), dénommé chorion (chorion frondosum).
C'est un organe éphémère qui se développe dès la nidation du blastocyste dans l'utérus, et pendant les 9 mois de la gestation (chez l'humain). À l'accouchement, il est naturellement expulsé hors de l'utérus : on parle de « délivrance du placenta ». Les femelles de la plupart des espèces de mammifères mangent le placenta après son expulsion (« placentophagie »), ce qui donne à cet organe un deuxième rôle nutritif et hormonal pour la mère[2].
En cas de grossesse extra-utérine pathologique, le placenta se développe ailleurs, presque toujours dans la trompe de Fallope.
Étymologie
Placenta signifie « gâteau » en latin, ce mot venant lui-même du grec ancien plakóenta/plakoúnta, accusatif de plakóeis/plakoús – πλακόεις, πλακούς, « plat, en forme de plaque[3] » probablement en référence à sa forme aplatie chez la femme.
Constitution
Le placenta, chez les mammifères, est un tissu fœtal, constitué par des annexes extra-embryonnaires, interfacé avec la muqueuse utérine de la mère.
La formation et croissance du placenta accompagnent toute l'embryogenèse. Elle commence par une prolifération cellulaire au niveau du trophoblaste.
Ce trophoblaste se différencie ensuite en un cytotrophoblaste cellulaire (7e jour chez la femme), avec apparition périphérique d'un syncytiotrophoblaste. Ce dernier a des capacités protéolytiques lui permettant d'attaquer l'épithélium maternel (tissu conjonctif mais aussi la paroi endothéliale des vaisseaux sanguins dont une partie du flux sera détournée au profit du fœtus). Cette phase, dite de « nidation» dans l'endomètre dure 12 à 14 jours chez l'humain[4].
Forme et organisation
Elles peuvent varier significativement en fonction des espèces.
Chez la plupart des primates et d'autres groupes comme les rongeurs, on a affaire à un « placenta hémochorial » : les villosités placentaires fœtales pénètrent jusque dans les vaisseaux sanguins maternels et sont directement en contact avec le sang. Chez la plupart des carnivores, les villosités placentaires traversent l'épithélium de l'endomètre et arrivent jusque dans l'endothélium sous-jacent mais ne pénètrent pas dans les vaisseaux sanguins maternels. Ce type est appelé « placenta endothéliochorial ». Chez les ruminants, les chevaux, les baleines, les lémuriens, les villosités placentaires viennent simplement au contact de l’épithélium de l'endomètre : on parle de « placenta épithéliochorial ».
Chez l'être humain, le placenta est organisé en cotylédons, ou unités fonctionnelles du placenta situées sur la face utérine de ce dernier. Ils ne sont donc pas physiologiquement en contact avec la poche des eaux. Ils sont généralement individualisés et forment sur la face externe une galette bien identifiable. Ces cotylédons sont fragiles, et sont souvent lésés au moment de la délivrance du placenta.
On trouve occasionnellement des cotylédons aberrants, qui peuvent faire craindre à l'accouchement des saignements importants en raison de leur position et de leur forme atypique. La surface des villosités est de l’ordre de 14 m2[4].
Chez les jumeaux (primates) ; la plupart des jumeaux (dizygotes ou monozygotes) naissent de manière bichoriale, c'est-à-dire avec chacun leur placenta. Mais ces derniers peuvent être séparés ou au contraire fusionnés par l'une de leurs faces latérales (les deux cavités amniotiques restant séparées par une cloison formée par l'accolement de deux structures membranaires).
Tous les jumeaux dizygotes et 30 % des jumeaux monozygotes se développent dans un système biamniotique,
80 % des jumeaux bichoriaux sont dizygotes et 20 % sont monozygotes[5]. Rarement deux jumeaux partagent le même placenta (la grossesse est alors dite monochoriale ; Elle est monochoriale biamniotique si chaque jumeau a sa propre cavité amniotique). La grossesse gémellaire monochoriale monoamniotique est la plus rare (moins de 1 % des cas de grossesse multiple).
Un placenta commun à plusieurs embryons implique qu'ils proviennent tous du même œuf lors de la formation du trophoblaste ; de tels embryons sont donc monozygotes. Dans ce dernier cas, si les jumeaux se sont formés trop tardivement, ils constituent des jumeaux conjoints (« monstres-doubles » dits siamois)[5].
Les placenta de grossesses gémellaires monochoriales présentent toujours des anastomoses entre les voies de circulation sanguine des deux jumeaux, source de complications (dont le syndrome transfuseur-transfusé)[5].
Surface du placenta
Le placenta grandit considérablement au fur et à mesure de la gestation. Au début des années 1960, Snoeck a évalué comme suit sa croissance[6] :
Jour (de gestation) | surface du placenta (en m2) |
---|---|
100 | 1,5 |
120 | 2,5 |
170 | 4,7 |
190 | 4,9 |
220 | 7,3 |
240 | 14 |
270 | 15 |
Fonctions
Bien plus qu'un simple organe protecteur, via le cordon ombilical et avec le liquide amniotique, il assure plusieurs fonctions essentielles pour le développement fœtal. Ces fonctions évoluent au fil du temps en réponse à l'évolution du fœtus :
- fonction nutritive ; C'est via le placenta que l'eau, les sucres, acides aminés, peptides et minéraux sont apportés à l'embryon (les protéines sont par contre trop grosses pour passer la barrière placentaire ; La diffusion de l'eau permise par une différence de pression osmolaire, l'embryon extrait du sang de sa mère jusqu'à 3,5 litres par jour (à 35 semaines)[7]. Les nutriments sont transférés sous le contrôle d'hormones (dont GH (Growth Hormone) et TSH (Thyroid Stimulating Hormone) qui présentent une concentration 2 à 3 fois plus élevé chez le fœtus que chez la mère)[7]. Lipides et triglycérides franchissent la barrière, sont décomposés dans le placenta qui synthétise selon ses besoins et ceux de l'embryon de nouvelles molécules lipidiques. Le cholestérol traverse la barrière placentaire ainsi que ses dérivés (dont les hormones stéroïdes). Pour les vitamines, seules celles qui sont hydrosolubles traversent facilement la membrane placentaire, à la différence des vitamines A, D, E, K (liposolubles) qui sont peu présentes dans le sang fœtal ;
- fonction respiratoire ; le placenta joue un rôle de « poumon fœtal ». Il est 15 fois moins efficace (à poids tissulaire équivalent) que le poumon d'un adulte[8], mais ne nécessite pas la même consommation d'énergie (pas de cycle musculaire inspiration/expiration comparable) et l'embryon n'a pas à brûler de calories pour maintenir sa température ; de plus, l'hémoglobine fœtale (Hbf) diffère légèrement de l'hémoglobine adulte, par une plus grande affinité pour l'oxygène[8] (dûe à la présence de 2 sous-unités γ au lieu des 2 sous-unités β de l'hémoglobine adulte).
- fonction excrétrice ou de recyclage ; le métabolisme embryonnaire produit des déchets (urée, acide urique, créatinine, dioxyde de carbone, acide carbonique…). Ils sont exportés - via le sang de la mère - et pris en charge par les poumons, foie, reins, globules blancs, etc. de l'organisme maternel ;
- fonction endocrine (hormonale) ; Le placenta produit des hormones, dont la progestérone qui contrôle en la réduisant la contractilité de l'utérus[9]. Il reçoit les hormones produites par le fœtus ou l'embryon et celle de la mère. Durant la grossesse normale, le placenta humain commence à sécréter ses propres hormones de croissance dès la 10e semaine de grossesse et atteint 1 à 3 g/jour en fin de grossesse.
Parmi les hormones placentaires, on peut signaler :- Hormones stéroïdes : progestérone et les œstrogènes (œstriol, œstradiol et œstrone),
- l'hCG (human chorionic gonadotrophin pour les anglophones, Gonadotrophine chorionique ou hormone chorionique gonadotrope pour les francophones),
- l'hormone lactogène placentaire (HPL) ou PL, sécrétée entre la 24e et la 28e semaine d'aménorrhée,
- la leptine,
- l'hormone de croissance (ici dite « hormone de croissance placentaire » ou PGH)[10], qui guide la croissance du placenta au fur et à mesure des besoins de l'embryogenèse, et qui joue aussi un rôle dans la préparation de la lactation.
Ces hormones diminuent aussi la sensibilité tissulaire de la mère à l'insuline (jusqu'à 80 %de diminution), ce qui permet à son organisme de faire circuler plus de sucre, ce qui est nécessaire à l'embryon, mais aussi à la préparation de la lactation. Ceci est l'effet d'antagonistes spécifiques de l'insuline (principalement l'hormone placentaire lactogène - HPL ou hormone chorionique somatomammotrophique). La grossesse mime ainsi certains effets du diabète.
- fonction immunitaire (à l'interface des systèmes immunitaires mère et enfant) ; le placenta forme en quelque sorte à la fois une barrière immunologique, un filtre biochimique vis-à-vis de l'extérieur. Il laisse passer les anticorps de la mère vers le fœtus[11], ce qui lui permet d'acquérir des défenses immunitaires avant que son propre système immunitaire se développe[12].
- fonction immunologique : le placenta crée une sorte de no man's land immunitaire où l'organisme de la mère tolère le corps immunologiquement semi-étranger qu'est le fœtus ;
En particulier, via la sécrétion de plusieurs facteurs, le placenta bloque les effets des cellules cytotoxiques maternelles.
En outre, dans le contexte de la grossesse, plusieurs hormones stéroïdes placentaires (dont la progestérone) sont immunodépresseurs pour les lymphocytes de la mère. Ce rôle immunosuppressif semble médié par la protéine PIBF (Progesterone Induced Blocking factor).
Par ailleurs, il y a absence de HLA classique, la présence d'un HLA particulier peu polymorphe, le HLA-G[13], mais aussi la présence sur le syncytiotrophoblaste de Fas-ligant, ou encore la déplétion locale en tryptophane (un acide aminé) font que les macrophages tueurs (cellules NK, pour l'anglais : Natural Killer) n'attaquent pas les cellules embryonnaires et du placenta. Les NK sont en effet dotées d'un système de reconnaissance du marqueur HLA-G qui inhibe leur action cytolytique. Grâce à cela, quel que soit le groupe HLA paternel, le fœtus et le placenta sont épargnés par l'arsenal immunitaire de la mère. Toute défaillance de ces mécanismes se traduit par un avortement dit « immunitaire » correspondant à un rejet d'allogreffe[14] ; - fonction écotoniale générale ; le placenta est l'interface entre les sangs et flux fœtal et maternel, apportés par les vaisseaux sanguins des deux individus, mais qui ne sont jamais en contact direct (ils sont séparés par la cette barrière, dite « hémato-placentaire ») ;
- fonction de préparation à la naissance ; le placenta produit des hormones qui préparent l'organisme de la mère à l'accouchement et à la lactation.
Barrière placentaire
Elle protège l'embryon puis le fœtus d'une grande partie des toxiques et pathogènes (bactéries, virus) auxquels la mère est exposées[15] Par exemple, Mycobacterium tuberculosis (bacille de Koch, agent de la tuberculose), ne passe pratiquement pas la barrière placentaire.
Cette barrière ne peut cependant être totalement étanche puisque c'est au travers du placenta que se font les échanges de substances entre mère et embryon. En fonction de leur poids moléculaire et plus ou moins grande solubilité dans le sang, certaines substances toxiques (alcool, drogue, métaux lourds ou métalloïdes tels que le plomb[16],[17] ou l'arsenic, médicaments, toxines microbiennes, virus, parasites) peuvent traverser la barrière et causer une tératogénie ou malformations chez l'embryon (retard de développement, retard mental, anomalies de formation des organes).
Des métaux toxiques présents sous forme ioniques, des nanoparticules et même récemment des suies ont été retrouvées récemment dans le placenta (pour les suies ont ignore encore si elles peuvent atteindre directement le fœtus, dans ce cas sur 5 placenta de femmes non fumeuses dont la grossesse s'est bien déroulée, tous en contenaient dans certaines cellules immunitaires placentaires[18]).
Pathologies du placenta
Emplacements ectopiques du placenta :
Défaut de placentation :
- Pré-éclampsie et Éclampsie
Maladies du trophoblaste :
autres :
Culture et placenta
Dans Bulles (Sphères 1), le philosophe allemand Peter Sloterdijk consacre un chapitre à l'accompagnateur originel (Requiem pour un organe rejeté) (placenta et nombril).
Placentophagie
Chez l'animal Le placenta est une annexe embryonnaire caractéristique des mammifères euthériens placentaires mais qui existe également sous d'autres formes chez les mammifères marsupiaux et chez certains reptiles. Chez la plupart des espèces de mammifères (y compris herbivores)[19], le placenta est toujours mangé par la mère. Le mâle n'a pas cet instinct, dont les origines sont depuis longtemps discutées.
Un tel comportement, dit « placentophagie »[20] a pu être sélectionné au cours du temps pour plusieurs raisons :
- récupération de protéine, de fer, vitamines et d'autres oligoéléments par la femelle au moment où elle en a besoin pour la lactation ;
- manger le placenta et soigneusement lécher les nouveau-nés pourrait être un moyen de ne pas attirer de mouches ou d'autres insectes pouvant colporter des microbes, tout en limitant le risque d'attirer des prédateurs (les animaux sauvages mangent plus souvent leur placenta que leurs cousins domestiqués ne le font[réf. nécessaire]) ;
- le placenta est riche en hormones, dont en prostaglandines et oxytocines qui favorisent à la fois la rétractation post-partum de l'utérus, la montée laiteuse et l'atténuation des douleurs induites par la mise bas.
Les propriétés galactogènes du placenta étaient déjà rapportées par Pline. Lederer et Pribram ont dit avoir suscité quelques minutes après une injection d'extrait placentaire, une augmentation considérable de la quantité de lait sécrétée. Mais leur résultat a été critiqué, comme pouvant résulter d'une élévation de pression via le tonus musculaire. Dixon et Taylor ont dit avoir trouvé de telles substances pressives mais Rosenheim a montré qu'il s'agissait de produits de la putréfaction dans les extraits de placenta employés dans leurs expériences.
Le Dr Mark Kristal[21], neurologue comportementaliste de l'Université de Buffalo, a conclu de ses études[22] que la consommation des résidus de naissance (placenta et cordon) réduit la douleur consécutive à l'accouchement, et aiderait à prévenir la dépression post-natale. Elle aurait aussi un impact sur deux centres particuliers du cerveau qui commandent la capacité à ressentir l'instinct maternel. Ceci serait notamment dû à une hormone opioïde (proche des opiacées) découverte en 1986 et dite « Placental Opioid-Enhancing Factor » ou POEF. Cette hormone qui inhibe certaines zone du cerveau traitant les sensations nociceptives (perception de la douleur) pourrait atténuer la douleur du bébé lors des contractions et de la naissance, mais aussi ensuite calme celles de la mère qui mange le placenta. L'effet analgésique de cette hormone est très efficace à des doses bien moindre que celles nécessaires avec les opiacées. Cette hormone est également présente dans le liquide amniotique qui est également soigneusement léché par les animaux sur leur petit et parfois sur le sol après l'accouchement. M. Kristal pense que cette hormone pourrait aussi renforcer le comportement maternant, car la zone du cerveau qu'elle cible (l'aire tegmentale ventrale), est connue pour jouer un rôle dans l'apparition du comportement maternel. Cette hormone pourrait (cela reste à vérifier) inhiber l'action des opiacées, sur une autre zone (l'aire préoptique médiane) où ils sont connus pour au contraire perturber le comportement maternel, selon M. Kristal ; - Au début du XXe siècle, dans un article de mars 1902 de la revue L'Obstétrique, le Français M. Bouchacourt expliquait[23] qu'un extrait de placenta de mouton pouvait doper la lactation chez des femmes ne produisant pas de lait[24]. Bouchacourt notait aussi que les oiseaux mangeaient également instinctivement les restes de l'œuf ;
- M. Bouchacourt remarquait aussi l'« étrange » attraction que les hippomanes[25],[26] ont exercé sur l'Homme. Ce sont des éléments en forme de galettes grossièrement ovales mesurant jusqu'à 1 cm de long (1,5 pouce d'épaisseur et 8 pouces de diamètre), lisses, parfois trouvés (en exemplaire unique) dans le liquide allantoïdien de certains mammifères, dont juments et les vaches. Cuvier estime qu'il s'agit d'une concrétion. Les hyppomanes sont appelés par les anglophones « foal's bread » (pain de poulain) ou « foal's tongue » (ou langue de poulain). L'intérieur a la consistance du foie cru, est homogène et de couleur jaunâtre, ambre à brune[24]. Des hippomanes semblent également produits par certains carnivores[27]. Certains auteurs pensaient qu'il s'agissait d'une excroissance de chair poussant in utero sur le front du poulain (Aristote parlait déjà de ce qu'on a traduit par « caruncule du front du poulain », dont il disait qu'elle était sur le front du poulain mais que la mère l'emporte en le léchant[28] L'hippomane « est d'une telle nature qu'une cavalle (jument) n'a pas plutôt mis bas son poulain, quelle lui mange ce morceau de chair, & que sans cela, elle ne le voudroit pas nourrir. On ajoute que si elle donne le temps à quelqu'un d'emporter ces hippomane, la seule odeur la fait devenir furieuse[28] ».
L'hippomane était déjà évoqué par Virgile, son commentateur Servius, cité par Fongerus dans son lexicon philologique, par Calepin, par Decimator, etc.
Pline précise qu'on les utilisait pour préparer des sortilèges. On a prêté à l'hippomane des vertus aphrodisiaques. Ces vertus sont selon Aristote « des fables forgées par des femmes & des enchanteurs[28] ». Bayle estime que c'est le fait qu'on considérait que si la jument ne mange pas l'hippomane, elle ne s'occuperait pas de son poulain qui est à l'origine des filtres qu'on a fait avec cette matière. « Il est facile de voir que ce qui a persuadé au commencement, qu'on le pourvoit servir de cela comme d'un philtre, est qu'on disoit que si la cavale (jument) n'avaloit pas ce morceau, elle ne nourrissoit point son petit ».
Au contraire, le médecin allemand Raegerus, dans le journal des physiciens d'Allemagne décrit un hippomane qu'on lui a apporté tout chaud, lequel « éprouva que la mère nourrit à l'accoutumée le poulain, à qui l'on avoit ôté cette partie ».
Remarque : Le mot hippomanes (hippomane) désignait aussi pour Aristote une certaine liqueur qui coule des parties naturelles de la jument chaude (en chaleur)[28].
Un auteur cité par Apulée nomme ce filtre binnientium dulcedines, ce qui le rapporte merveilleusement au matri prareptus amor de Virgile ; mais « comme les filtres inspiroient plutôt de la fureur que de l'amour, de là est venu que l'hippomane a été considéré comme une drogue funeste ; Juvénal (comme Suétone) débite que Césonia l'ayant employé envers son mari Calligula fut cause de la fureur enragée qui lui fit commettre tant de crimes[28] ».
Certains auteurs ont aussi pensé au XVIIe siècle que c'était le nom – selon Théocrite – d'une plante de l'Arcadie, qui mettait en fureur les poulines et les juments. Claude Saumaise pensait que cette plante n'existe pas et que cette interprétation résulte d'une mauvaise traduction de Théocrite qui parlait d'un cheval de bronze (sans queue), près du temple de Jupiter, si bien imité « excitoit dans les chevaux les émotions de l'amour, tout de même que si elle eut été vivante, vertu qui lui étoit communiquée par l'hippomanes, qu'on voit mêlé avec le cuivre en la fondant ».
Si les observations chez l'animal abondent, la placentophagie semble aujourd'hui très rare chez les humains[29], et les témoignages et expériences de placentophagie sont peu communs :
- en 1556, le missionnaire, Jean de Léry rapporte que des amérindiens du Brésil mangent le placenta, ce que confirmeront ensuite Engelman et Rodet ;
- Guillaume-Thomas Raynal observent aussi les amérindiens Topinamboos et Tampuya, qui mangent le placenta après la naissance, et disent que des pratiques semblables persistent en Afrique dans certaines parties du Soudan ;
- chez les yakouts, le mari et les amis de la famille mangeaient rituellement le placenta après la naissance, au moins jusqu'en 1719 où cette pratique était décrite par Gemelli Carreri[30],[31].
Il est difficile de juger comment la coutume a pu aboutir à ce que ce soit l'époux qui mange le placenta (à la place de sa femme parturiente) écrivait aussi en 1916 Raymond Crawfurd[31], tout en ajoutant qu'on pourrait dire de même de la couvade qui existe bel et bien. - Selon Crawfurd, le placenta figurait dans la pharmacopée du XVIIe siècle pour servir de galactogène, d'aphrodisiaque, de laxatif, de recours contre la stérilité, contre la chlorose et contre la maladie de l'utérus[31]. Crawfurd estime que ces usages évoquent plus une magie sympathique, qu'une pharmacie rationnelle, mais que si l'on admet l'existence de telles propriétés aphrodisiaques, même en imagination, il pourrait expliquer que des hommes veuillent manger le placenta de leur femme.
- Au moins jusqu'à la fin du XIXe siècle, la placentophagie a été pratiquée dans certaines tribus du Soudan selon le Dr Raynaud d'Algiers (janvier 1902).
- La médecine chinoise traditionnelle utilise le placenta contre diverses affections chez l'homme et la femme[32] et comme aphrodisiaque[31].
- Dr Raymond Crawfurd rapporte que le médecin Reverdin a vécu l'expérience d'une mère qui juste après la délivrance, lui a demandé si elle pouvait voir son placenta, qui se trouvait à proximité « encore fumant, sur un tissu[31] ». Reverdin le lui a montré. Elle a exprimé sa surprise à son apparition, elle l'a examiné de près et l'a soudainement saisi « et avec un cri sauvage », l'a dévoré. Quand le lendemain, Reverdin lui a demandé pourquoi elle avait fait ça, elle lui a répondu qu'elle avait été submergée par un désir incontrôlable de le faire. Quand Reverdin lui a demandé si elle en avait encore envie, elle a répondu que non, que cela la dégouterait et qu'elle ne concevait pas comment elle était arrivée à le faire[31]. Selon Crawfurd d'autres cas de ce genre figurent dans la littérature médicale de l'époque, et l'événement serait sans doute beaucoup plus fréquent si le placenta n'était pas soigneusement caché et si rapidement éliminé par la sage-femme[31].
- une infirmière et sage-femme américaine, a fait l'expérience lors de son second accouchement[33]. Selon son témoignage, elle pense que cela a amélioré sa peau et ses cheveux, a permis de prolonger d'une semaine la sensation de plénitude due à la grossesse, a favorisé ses montées de lait et entretenu une euphorie postnatale « je me sentais si forte, j'avais l'impression de pouvoir tout réussir… J'ai continué de manger des morceaux de placenta cru conservés dans le frigo, perfectionnant au passage ma méthode pour l'ingérer : en coupant des petits morceaux que je plaçais directement au fond de la gorge et que j'avalais rond, sans ressentir le goût. Pendant cette période, chaque fois que j'ai ressenti de la tristesse ou du découragement, j'ai avalé un petit morceau de placenta cru qui a agi comme un anti-dépresseur immédiat ».
Evaluations scientifiques
Dans les années 2010 la Placentophagie semble gagner en popularité dans le monde (deux célébrités : Kim Kardashian West et l’actrice January Jones l’ont testé et apprécié notamment contre la dépression post-partum[32]) et il existe des livres de cuisine donnant des conseils pour stocker le placenta et le préparer (en smoothies ou dans un repas) ; le placenta est généralement broyé et déshydraté puis intégré à une pilule vitaminée, alors que les autres animaux le mangent rapidement après la naissance[32].
En 2017 une étude ayant comparé les effets du placenta (transformé en pilules) à un placébo, n’a pas décelé de changement significatif d’humeur, du niveau d'énergie, du taux hormonal ou de leur relation au nouveau-né (par rapport aux mères ayant reçu un placebo) [32]. Dans ce cas Sharon Young[34] avait recruté 27 femmes adultes enceintes en bonne santé (ayant choisi de consommer leur placenta avant de s'inscrire à l'étude) ; Ces femmes ont été rencontrées 4 fois entre leur 36e semaine de grossesse et la troisième semaine après l'accouchement. Elles ont fourni des échantillons de salive (pour la mesure du taux d’hormones) et ont répondu à des questionnaires[32]. Certaines ont pris des pilules contenant leurs propres placentas tous les jours durant 3 semaines, et d’autres un placebo à base de bœuf ou de bœuf végétarien. Les auteurs n’ont pas constaté d’effet global significatif sur la fatigue et la dépression post-partum[32]. Les facteurs de dépression, l'anxiété et de stress étaient dans les deux cas plutôt la fatigue, un sommeil dégradé, un faible soutien social et familial e et une moindre satisfaction conjugale.
Les auteurs eux-mêmes reconnaissent toutefois la faiblesse de l’échantillonnage de l'étude (par ailleurs auto-sélectionné), qui pourrait induire des biais. Il n’y avait pas non plus de groupe témoin n’ayant reçu ni placenta, ni placébo, et un éventuel soulagement de la douleur ne faisait pas partie des questions posées, ce qui invite à des études complémentaires[32].
La culture fait que l'Homme se distingue volontiers de la nature en s'opposant à l'animal. Le tabou est souvent également religieux, et dans certaines cultures lié au sang (que le placenta évoque car il est richement vascularisé). Ainsi le Lévitique, dans la Bible interdisait aux hommes d'Israël d'imiter les païens qui mangent du sang (ou l'offraient aux satyres)[35].
De nombreuses sociétés traditionnelles éloignent le placenta pour l'enterrer[36] ; l'enterrement du placenta est parfois cérémonial, comme chez les maoris.
Voir (en) Human placentophagy
Voir aussi
Articles connexes
- Aplacentaire
- Hémorragie de la délivrance
- Matrotrophie
Bibliographie
- (en) Miller, R. K., Mattison, D. R., & Plowchalk, D. (1988). Biological monitoring of the human placenta. In Biological Monitoring of Toxic Metals (p. 567–602). Springer US.
- Adrian Erlebacher et Susan J. Fisher, « Le placenta, cet inconnu », Pour la science, no 487, , p. 46-54
Notes et références
- Pough et al. 1992. Herpetology: Third Edition. Pearson Prentice Hall : Pearson Education, Inc., 2002.
- Depuis Aristote, on étudie les fonctions du placenta et du cordon ombilical. Biologie du développement, Scott F. Gilbert, Sylvie Rolin.
- Henry George Liddell, Robert Scott ; "A Greek-English Lexicon" ; Ed. Perseus
- Cours de biologie, voir notamment chapitre D\ Le rôle physiologique des placentas, consulté le 18 avril 2010
- Anne-Lise Delezoide ; Placentation des grossesses multiples, examen des annexes des grossesses multiples ; MCU-PH Université Paris Diderot, faculté de Médecine
- Source : Snoeck (1962), Physiological Aspects of placental function. Triangle, 5:178,
- Cours d'embryologie humaine pour les étudiants en médecine du Campus Virtuel Suisse (Module Fonction nutritive et excrétrice), Universités de Fribourg, Lausanne et Berne (Suisse), consulté le 18 avril 2010
- Cours d'embryologie humaine pour les étudiants en médecine du Campus Virtuel Suisse (Module Respiration fœtale et placenta), universités de Fribourg, Lausanne et Berne (Suisse), consulté 2010 04 18
- Médecine Thérapeutique / Pédiatrie
- (en) Ogren L., Talamantes F. 1994 « The placenta as an endocrine organ: polypeptides » In: Knobil E., Neill J. D., eds. The physiology of reproduction New York, Raven Press, 875-945
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- Cours d'embryologie humaine pour les étudiants en médecine du Campus Virtuel Suisse (Module Membrane fœtale et placenta), universités de Fribourg, Lausanne et Berne (Suisse), consulté 2010 04 18
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- Vidéo d'un cochon d'Inde femelle mangeant le placenta après la naissance des petites
- (en) Mark B. Kristal, « Placentophagia: A Biobehavioral Enigma », Neuroscience & Biobehavioral Reviews, vol. 4, 2 february, 1980, p. 141–150 (lire en ligne)
- M. Kristal est ancien doyen de la Faculté des sciences sociales de l'UB, spécialiste du comportement et de la psychologie de la motivation à l'université de Buffalo
- (en) « Ingestion of Afterbirth Appears to Promote Maternal Behavior in Mammals », 2005/01/11, consulté 2010/04/18
- Article intitulé « De l'utilisation naturelle de la partie extra-embryonnaire de l'œuf » ; mars 1902 dans la revue L'Obstétrique
- (en) « Placentophagy and placental opotherapy » The British Medical Journal Vol. 1, no 2154 (1902/04/12), pp. 909-911
- Meyer C., Dictionnaire des Sciences animales ; ed. sc., 2009, Montpellier, France, Cirad. (consulté 2010 04 18)
- Photo d'hippomane
- [À propos de placenta du tigre d'Indochine] (Tiger Panthera tigris corbetti) voir éléments concernant les hippomanes, consulté le 18 avril 2010
- Pierre Bayle Dissertation sur les hippomanes, Dictionnaire historique et critique, Volume 3
- Florian Gouthière, « Manger son placenta : aucun bénéfice prouvé », Allodocteurs.fr, (lire en ligne)
- Amongst the Yakouts the father and his friends used to eat the placenta ceremonially, but this practice was recorded in 1719 by Carreri, so it may have (Source)
- Section of the History of Medecine ; President - Dr Raymond Crawfurd (1916/10/25)]
- Dengler, Roni (2017) Moms, should you eat your placentas? (Mamans, devriez-vous manger vos placentas?) ; News de la revue Science, 1er décembre 2017
- Birthrites: Healing After Caesarean. Placentophagy ; MARY FIELD, RGN, SCM, writes of her personal experience of an "unmentionable" practice ; Midwives Chronicle and Nursing Notes ; novembre 1984
- Sharon Young, est anthropologue médicale de l'Université du Nevada à Las Vegas
- Le Lévitique considère le sang comme l'âme de toute chair. Verset 7, chap. 17 : « Ils n'offriront plus leurs sacrifices aux satyres avec lesquels ils se prostituent ; ceci sera pour eux une ordonnance perpétuelle de génération en génération ». (Source)
- Lévitique, verset 13, chap. 17 : Tout homme des fils d'Israël ou des étrangers séjournant au milieu d'eux qui prend à la chasse un animal ou un oiseau qui se mange, il en versera le sang et le couvrira de terre.
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