Vitalien (général)

Vitalien (en latin Flavius Vitalianus ; en grec Βιταλιανός), mort en 520, est un général de l'empire romain d'Orient. Natif de Mésie, dans le nord des Balkans, et probablement de descendance romaine et barbare, il suit son père dans l'armée impériale et devient en 513 commandant supérieur en Thrace.

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Cette même année, il se rebelle contre l'empereur Anastase Ier (règne entre 491 et 518), dont les politiques fiscales strictes et la promotion du monophysisme étaient particulièrement impopulaires. Ceci permet à Vitalien de gagner rapidement une grande partie de l'armée et du peuple de Thrace à sa cause. Après une série de victoires contre les armées loyalistes, Vitalien vient menacer la capitale impériale Constantinople elle-même et force Anastase à désavouer son support pour le monophysisme à l'été 515. Peu après cependant, Anastase échouant à tenir les promesses faites lors de cet accord, Vitalien marche à nouveau sur Constantinople où il est arrêté par l'amiral d'Anastase, Marinus.

Vitalien fuit vers sa contrée d'origine, la Thrace, et y reste caché jusqu'à la mort d'Anastase en 518. En tant que défenseur dévoué de l'orthodoxie chalcédonienne, il est pardonné par le nouvel empereur Justin Ier (règne entre 518 et 527) et s'engage dans les négociations avec le Pape pour mettre un terme au schisme acacien (en). Il est nommé consul pour l'année 520, mais est assassiné peu après, probablement sur les ordres du neveu et héritier présomptif de Justin, Justinien (règne de 527 à 565), qui voit en lui un rival potentiel pour le trône. Ses fils deviennent eux aussi des généraux de l'empire d'Orient.

Contexte

L'épisode de la révolte de Vitalien s’inscrit dans le cadre de la querelle monophysite. Anastase avait suivi la politique de Zénon en se tenant aux positions défendues par l’Hénotique, acte législatif interdisant que les divergences concernant la nature du Christ soient évoquées, mais Anastase n'en soutient pas moins les monophysites, ce qui avait provoqué la résistance des chalcédoniens et le soulèvement de Vitalien. Dès juillet 518, Justin abrogera l'Hénotique, rétablira les relations avec Rome, ordonnera à tous les évêques de reconnaître les canons de Chalcédoine et exclura les monophysites de toutes les fonctions civiles et militaires.

Biographie

Origine et famille

Vitalien est né à Zaldapa (en) en Mésie inférieure, une ville habituellement identifiée comme étant l'actuelle Abrit (en) dans le nord-est de la Bulgarie[1]. Il est qualifié de « goth » ou de « scythe » par les sources byzantines. Vitalien étant le fils d'une sœur de Macédonius II, patriarche de Constantinople en 496-511, ces qualificatifs indiquent un mariage mixte et une probable origine barbare de son père, Patriciolus[2],[3]. Cependant, l'assertion qu'il fut « goth » n'est basée que sur une seule source syriaque, aujourd'hui considérée comme douteuse[4]. De même, l'étiquette « scythe » qui lui est régulièrement assignée par certains des auteurs contemporains n'est pas concluante : ce terme peut également désigner un habitant de Scythie mineure, ou simplement, dans le style littéraire classique byzantin, quelqu'un venant des franges nord-est du monde gréco-romain, centré sur la Méditerranée. Ce terme a donc une définition large dépassant le simple cadre ethnique[5]. De plus, étant donné qu'aucun des « moines scythes (en) », auxquels Vitalien et les membres de sa famille semblent avoir été liés, n'exprime un lien de parenté biologique ou spirituel avec les Goths ariens qui règnent en Italie, une origine gothique semble discutable[6]. Quelle que soit l'origine de Patriciolus, son nom est latin, alors que les fils de Vitalien, les généraux Bouzès et Coutzès ont des noms thraces et Venilus un nom gothique. Son neveu, Jean, devient lui aussi un général réputé dans les guerres contre les Ostrogoths en Italie[7],[8].

D'après les descriptions des chroniqueurs, Vitalien était de petite stature et bégayait, mais sa bravoure et ses capacités militaires étaient largement reconnues[9],[10].

Révolte contre Anastase

Semissis d'or de l'empereur Anastase Ier (491-518).

Vitalien est mentionné pour la première fois en 503, lorsqu'il accompagne son père dans la guerre d'Anastase contre les Perses[7]. En 513, il est élevé au rang de comte (comes) en Thrace, peut-être comes foederatorum, comte des fédérés, ces troupes d'origine barbares servant l'armée de l'Empire romain d'Orient[7].

C'est à ce poste qu'il se rebelle contre Anastase Ier, empereur de 491 à 518, tirant avantage du ressentiment répandu contre les politiques militaires, religieuses et sociales de l'empereur[2]. En 511, Anastase change la forme de la prière du trisagion et adopte officiellement le dogme monophysite, irritant la population de l'Empire, majoritairement chalcédonienne, et aggravant le mécontentement provoqué par ses politiques fiscales strictes[11]. De plus, Anastase refuse de fournir l'annone, impôt en nature consistant en des provisions, due aux troupes fédérées, permettant à Vitalien de gagner rapidement l'allégeance des troupes régulières basées dans les provinces de Thrace, Mésie II et Scythie mineure, alors sous les ordres de l'impopulaire neveu d'Anastase, le magister militum per Thracias Hypace. Les officiers d'Hypace rejoignent la rébellion ou sont exécutés[12]. Simultanément, se présentant comme un champion de l'orthodoxie chalcédonienne, Vitalien remporte le soutien de la population locale, qui se masse pour rejoindre ses forces. D'après les chroniqueurs byzantins contemporains, il assemble rapidement une armée de 50 000 à 60 000 hommes, « soldats et paysans », et marche sur Constantinople, espérant peut-être que la population chalcédonienne de la ville se joindra à lui[2],[10],[13]. En effet, il semble que la révolte de Vitalien soit principalement motivée par des raisons religieuses, comme le suggèrent ses multiples tentatives d'arriver à un accord avec Anastase[14]. Pour contrer la propagande de Vitalien, Anastase ordonne l'érection de croix de bronze sur les murs de la ville portant sa propre version des événements. L'empereur réduit également les taxes dans les provinces de Bithynie et d'Asie pour éviter qu'elles ne rejoignent la rébellion[10].

Carte des abords de Constantinople.

Lorsque les forces de Vitalien atteignent la capitale, elles établissent leur campement au faubourg de l'Hebdomon et bloquent la côté terrestre de la ville. Anastase opte pour la négociation et envoie l'ancien consul et magister militum praesentalis Patricius (en), ancien patron de Vitalien, comme ambassade[13],[15]. Le général rebelle lui présente ses revendications : la restauration de l'orthodoxie chalcédonienne et le règlement des griefs de l'armée de Thrace. Patricius l'invite alors avec ses officiers dans la ville elle-même pour des négociations. Vitalien refuse pour lui même, mais il autorise ses officiers supérieurs à y aller le jour suivant[13],[16]. Ces derniers sont bien traités par Anastase, qui leur offre des présents et promet que les doléances de leurs soldats seront couvertes. Il promet également de soumettre le différend religieux au patriache de Rome en vue d'une résolution. À leur retour au camp rebelle, ces officiers pressent Vitalien d'accepter cet arrangement. Sans alternative et seulement huit jours après son arrivée devant la capitale impériale, Vitalien se retire avec ses hommes en Mésie inférieure[17],[18],[19].

Carte de la Thrace, le théâtre des opérations pendant la rébellion de Vitalien.

Anastase nomme alors magister militum per Thracias un officier appelé Cyrille, qui attaque les forces de Vitalien. Après plusieurs escarmouches non décisives, Vitalien parvient à soudoyer l'armée impériale et entre dans Odessus, sa base, durant la nuit. Il capture Cyrille dans sa résidence et l'exécute[18],[A 1]. Anastase déclare alors Vitalien « ennemi public » et envoie une nouvelle armée d'apparemment 80 000 hommes sous le commandement d'Hypace et d'un Hun nommé Alathar en tant que nouvel magister militum de Thrace. Malgré une victoire initiale, l'armée impériale est repoussée vers Odessus à l'automne 513. À Acris, sur la côte de la mer Noire, les hommes de Vitalien attaquent la position fortifiée des troupes loyalistes à la faveur de l'obscurité et leur inflige une terrible défaite : une grande partie de l'armée impériale est tuée, ses deux commandants capturés et rançonnés[17],[20],[21].

Cette victoire renforce la position de Vitalien. Avec le butin, il récompense généreusement ses partisans, et avec la nouvelle de l'annihilation de l'armée impériale, le reste des villes et forts de Mésie inférieure et de Scythie se rendent. Peu après, il profite d'un nouveau coup de chance : à Sozopolis, ses hommes capturent l'ambassadeur envoyé par Anastase pour payer la rançon d'Hypace, dont l'argent de la rançon, 1 100 livres d'or. Hypace, que Vitalien détestait parce qu'il avait insulté sa femme, n'est relâché qu'un an plus tard[18],[22]. En 514, Vitalien marche à nouveau sur Constantinople, rassemblant cette fois, en plus de son armée, une flotte de 200 vaisseaux des ports de la mer Noire qui fait voile vers le Bosphore, menaçant la ville aussi sur mer. Anastase est en plus inquiété par des émeutes dans la ville qui provoquent de nombreuses victimes, et se résout à traiter une nouvelle fois avec Vitalien[18],[22]. Vitalien accepte, aux conditions de sa nomination au poste de magister militum per Thracias et la reception d'une rançon d'argent et de cadeaux d'une valeur totale de 5 000 livres d'or pour la libération d'Hypace. Anastase accepte également le retrait des changements apportés au trisagion, la restauration des évêques chalcédoniens déposés et la convocation d'un concile général de l'Église à Constantinople le [18],[23],[24],[25].

Ce concile ne fut cependant jamais convoqué, compte tenu de la forte opposition entre le pape Hormisdas et Anastase au sujet du schisme acacien, et les évêques déposés ne récupérèrent pas leur siège épiscopal. Voyant qu'Anastase échoue à honorer ses promesses, Vitalien mobilise son armée et marche à nouveau sur Constantinople à la fin de l'année 515[26]. Son armée capture le faubourg de Sycae (aujourd'hui Galata) sur la rive opposée de la Corne d'Or et y établit son camp. Les deux magistri militum praesentalis, Patricius et Jean, étant peu disposés à affronter leur vieil ami Vitalien, Anastase confie le commandement de ses troupes à l'ancien préfet du prétoire d'Orient, Marinus, un assistant influent en qui il a toute confiance[26]. Malgré son manque d'expérience militaire, Marinus défait la flotte rebelle lors d'une bataille à l'entrée de la Corne d'Or. D'après le récit de Jean Malalas, il y parvient en utilisant une substance chimique sulfurée inventée par le philosophe Proclus d'Athènes, similaire au feu grégeois. Marinus débarque alors avec ses hommes sur la rive de Sycae et bat les rebelles qu'il y trouve[27]. Découragé par les pertes subies, Vitalien et son armée fuient vers le nord à la faveur de la nuit[28],[29]. Pour célébrer sa victoire, Anastase conduit une procession jusqu'au village de Sosthenion, où Vitalien avait établi son quartier général, et assiste à une messe de remerciement dans une église locale dédiée à l'archange Michel[30].

Fin de vie

Une fois de retour en Thrace du nord, Vitalien se cache alors que la plupart de ses anciens aides sont capturés et exécutés. Rien n'est connu de lui pendant les trois années suivantes, bien que la courte remarque d'un chroniqueur semble indiquer qu'il réapparaît et conduit une nouvelle rébellion armée lors des derniers mois du règne d'Anastase[30]. Quand Anastase meurt en , Justin Ier, le comes excubitorum (commandant des gardes du corps impériaux) lui succède. Le nouvel empereur cherche à renforcer rapidement son pouvoir en renvoyant de nombreux rivaux et ennemis potentiels. Au même moment, il invite Vitalien à le rejoindre à Constantinople[31].

À son arrivée, Vitalien est nommé magister militum in praesenti, nommé consul honoraire et peu après est élevé au rang de patrice[32]. En tant que champion de l'orthodoxie chalcédonienne, Vitalien s'implique dans la réaffirmation des doctrines chalcédonienne par le nouveau régime et la réconciliation avec Rome. Il joue un rôle actif dans les négociations avec le Pape, et en 519, il est l'un des hommes importants qui escortent la délégation papale dans la capitale[2],[33],[34]. Vitalien se venge également du patriarche monophysite d'Antioche, Sévère, auteur d'un panégyrique célébrant la défaite de Vitalien Sur Vitalien le tyran et sur la victoire d'Anastase le roi aimant le Christ : il ordonne que la langue de Sévère soit coupée. Ce dernier s'enfuit en Égypte avec Julien, évêque d'Halicarnasse[A 2].

En 520, Vitalien est nommé consul ordinaire pour l'année, partageant le poste avec Rusticius. L'ancien rebelle pose cependant toujours un défi potentiel à Justin et surtout à son neveu et héritier présomptif, le futur empereur Justinien (règne de 527 à 565). En juillet de la même année, il est assassiné au sein du Grand Palais aux côtés de son secrétaire Paulus et de son domesticus (aide) Celerianus[note 1]. Pour Jean de Nikiou, il est tué pour avoir conspiré contre Justin, mais la plupart des chroniqueurs imputent la responsabilité du crime au désir de Justinien d'éliminer un rival potentiel pour la succession de son oncle[2],[9],[36].

Notes et références

Notes

  1. Le mois de la mort de Vitalien est tiré de la chronique de Marcellinus Comes, sub anno 520. L'historien Alan Cameron, après voir étudié cet élement, conclut à sa véracité[35].

Références anciennes

  1. Croke 1995, p. 37–38.
  2. Mango et Scott 1997, p. 245 note 1, 249–251.

Références modernes

  1. Whitby et Whitby 1986, p. 182, 248.
  2. Kazhdan 1991, p. 2182.
  3. Amory 2003, p. 435.
  4. Amory 2003, p. 128.
  5. Amory 2003, p. 127–130.
  6. Amory 2003, p. 130.
  7. Martindale 1980, p. 1171.
  8. Amory 2003, p. 129.
  9. Martindale 1980, p. 1176.
  10. Bury 1958, p. 448.
  11. Bury 1958, p. 447-448.
  12. Martindale 1980, p. 578–579, 1172.
  13. Martindale 1980, p. 1172.
  14. Cameron, Ward-Perkins et Whitby 2000, p. 56–57.
  15. Martindale 1980, p. 840.
  16. Bury 1958, p. 448-449.
  17. Bury 1958, p. 449.
  18. Martindale 1980, p. 1173.
  19. Luce Pietri et Brigitte Beaujard, Les églises d'Orient et d'Occident, Paris, Desclée, , 1321 p. (ISBN 2-7189-0633-2, lire en ligne)
  20. Martindale 1980, p. 579, 1173.
  21. Mitrofan Vasilʹevich Levchenko, Byzance des origines à 1453, Payot, (lire en ligne)
  22. Bury 1958, p. 450.
  23. Bury 1958, p. 450-451.
  24. Cameron, Ward-Perkins et Whitby 2000, p. 820.
  25. Georges Tate, Justinien : l'épopée de l'Empire d'Orient, 527-565, Paris, Fayard, , 918 p. (ISBN 2-213-61516-0, lire en ligne)
  26. Bury 1958, p. 451.
  27. Jacques Jarry, Hérésies et factions dans l'empire byzantin du IVe au VIIe siècle, Paris, Institut français d'archéologie orientale du Caire, (lire en ligne)
  28. Bury 1958, p. 451-452.
  29. Cameron, Ward-Perkins et Whitby 2000, p. 57, 294.
  30. Bury 1958, p. 452.
  31. Bury 1958, p. 17, 20.
  32. Martindale 1980, p. 1174–1175.
  33. Bury 1958, p. 20.
  34. Martindale 1980, p. 1175.
  35. (en) Alan Cameron, « The Death of Vitalian (520 A.D.) », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, Bonn, Dr. Rudolf Habelt GmbH, vol. 48, , p. 93–94 (JSTOR 20183637).
  36. Bury 1958, p. 20-21.

Bibliographie

Sources anciennes

  • (en) Robert H. Charles, The Chronicle of John, Bishop of Nikiu : Translated from Zotenberg's Ethiopic Text, Merchantville, NJ, Evolution Publishing, 2007, (1re éd. 1916) (lire en ligne).
  • (en) Brian Croke, The Chronicle of Marcellinus : A Translation and Commentary, Sydney, Australian Association for Byzantine Studies, 1995, (ISBN 978-0-9593626-6-4 et 0-9593626-6-5), p. 36–38, 41–42.
  • (en) Elizabeth Jeffreys, Michael Jeffreys et Roger Scott, The Chronicle of John Malalas : A Translation, Melbourne, Australian Association for Byzantine Studies, 1986,, 371 p. (ISBN 978-0-9593626-2-6 et 0-9593626-2-2), p. 225–227, 231–233.
  • (en) Cyril Mango et Roger Scott, The Chronicle of Theophanes Confessor : Byzantine and Near Eastern History, AD 284-813, Oxford, Royaume-Uni, Oxford University Press, 1997, (ISBN 978-0-19-822568-3 et 0-19-822568-7), p. 238–245, 249, 253.
  • (en) Michael Whitby, Ecclesiastical History of Evagrius Scholasticus, Liverpool, Liverpool University Press, 2000, (ISBN 978-0-85323-605-4 et 0-85323-605-4, lire en ligne), p. 193–194, 200–203.

Sources modernes

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