Triomphe romain

Le triomphe (triumphus en latin) est une cérémonie romaine au cours de laquelle un général vainqueur défile dans Rome à la tête de ses troupes. À défaut de ce triomphe majeur, un général vainqueur pouvait recevoir une ovatio (ovation)[1]. Cette cérémonie comprend depuis l'époque républicaine un adventus (entrée du général dans Rome), suivie d'une procession menant le vainqueur sur son char au Capitole, où il offre un sacrifice à une des trois divinités de la Triade capitoline, Jupiter Capitolin. À partir d'Auguste, le triomphe est réservé à l'empereur et à la famille impériale. « Après que Constantin Ier a refusé de sacrifier au Capitole, en 312, le triomphe est transposé en adventus, qui a entre temps acquis un aspect plus militaire[2] ».

Triomphe de Bacchus.

Origine

Selon Georges Dumézil, le triomphe venait d’Étrurie comme le vocable lointainement grec qui le désigne. Devenu largement profane dans sa pompe, il gardait la trace, plus ou moins incomprise, de deux notions religieuses étrangères au monde romain : d’une part, le triomphateur, badigeonné de rouge comme la statue, qui montait vers le Capitole en tête de ses troupes, était pour quelques heures le dieu dont il allait visiter la demeure, Jupiter. De l’autre, la totale liberté avec laquelle les soldats lui lançait railleries et insolences n’avait pas seulement une vertu « morale » pour l’inciter à l’humilité, mais un aspect proprement magique de protection contre les risques invisibles que comportait une telle chance, une telle apothéose. Le philologue Otto Höfler avait replacé cette liberté dans un ensemble de faits indo-européens, des poèmes satyriques sur les dieux guerriers Indra et Thor notamment[3].

Récompense au vainqueur

Le Triomphe de Titus et Vespasien œuvre de Giulio Romano au musée du Louvre.

Ce défilé était attribué par le Sénat romain, et constituait une récompense pour le général victorieux[1]. Il pouvait avoir lieu longtemps après sa campagne (comme celui de Jules César pour sa conquête des Gaules, achevée en 51 av. J.-C., et célébré en 46 av. J.-C.). Un des critères importants était le butin rapporté, mais il ne pouvait y avoir de triomphe si l'ager romanus, le territoire de la République, n'avait pas été augmenté. Le général vainqueur devait également avoir détenu l’imperium (comme consul, dictateur, ou préteur). Enfin, le général en chef (dux) devait ramener son armée à Rome, ce qui signifiait que la guerre était finie, l’ennemi vaincu et Rome en sécurité.

En principe, on ne pouvait pas triompher pour une victoire remportée contre d'autres Romains. Les triomphes de César en - 46, d'Octave après la victoire d'Actium sur Marc Antoine et Cléopâtre VII, de Vespasien et Titus en 71, de Constantin Ier après la défaite de Maxence à la bataille du pont Milvius ne sont toutefois pas dénués d'un double-sens. Si seule leur victoire contre les ennemis extérieurs y était officiellement célébrée, ces triomphes marquaient aussi la fin de guerres civiles qu'ils avaient remportées.

On ne pouvait non plus triompher que d'autres hommes libres. Crassus, vainqueur de la révolte servile de Spartacus, fut ainsi amèrement frustré des honneurs du triomphe, et dut se contenter de l'ovation.

Il existait plusieurs sortes de triomphes, le plus important étant le triomphe curule. Tout général ayant obtenu le triomphe avait le droit de porter une toge particulière, la toga picta.

À partir du principat d'Auguste, le triomphe devient réservé à l'empereur seul, et à sa famille. Les généraux victorieux doivent alors se contenter de l'ovatio ou des ornements triomphaux.

Il n'était pas nécessaire à un empereur d'avoir combattu en personne pour obtenir le triomphe. En treize ans de règne, sans avoir jamais commandé personnellement une armée, l'empereur Claude (41-54) obtint le triomphe à plusieurs reprises, pour les victoires remportées par ses généraux.

Le défilé : cérémonie de retour à la vie civile

Le clivus capitolinus, montée vers le Capitole

Le parcours du cortège est immuable, considéré comme un retour à la vie civile des soldats citoyens[4]. Toutefois des déviations provisoires ont existé en fonction des détours imposés par les nombreux réaménagements et reconstructions de la ville au fil des siècles ou parfois par le choix du sénat ou de l'empereur. Le schéma suivant pour l'itinéraire emprunté par la plupart des triomphes est basé sur les reconstructions modernes standards[5]. Le point de départ (le Champ de Mars[1]) se trouvait à l'extérieur de la limite sacrée de la ville (pomerium). Les légionnaires y déposaient les armes, se détournant ainsi symboliquement du dieu de la guerre.

Le cortège entrait dans la ville à travers la Porta Triumphalis (it). L'emplacement et la nature des Porta Triumphalis sont parmi les aspects les plus incertains et les plus contestés de la voie triomphale. Certaines sources suggèrent l'existence d'une porte exclusivement dédiée à des processions officielles, d'autres une arche élevée pour la circonstance; ou la Porta Carmentalis faisant fonction de Porta Triumphalis ; ou toute autre porte utilisable au moment du triomphe située dans les environs[6]. Le cortège traversait alors le pomerium, où le général remettait son commandement au sénat et aux magistrats. Le général vainqueur abandonne son pouvoir de commandement militaire (imperium), symbole de son retour à sa condition de simple citoyen.

Il continuait et traversait le site du cirque Flaminius, longeant la base sud de la colline du Capitole et le Vélabre, peut-être en y laissant les prisonniers destinés à l'exécution au Tullianum[7] (prison Mamertine). Il se dirigeait alors vers le Circus Maximus, puis empruntait la Via Triumphalis pour rejoindre la Via Sacra et atteignait ainsi le Forum. Enfin, il montait la colline du Capitole par le clivus capitolinus et se terminait devant le temple de Jupiter Capitolin, où le général vainqueur se purifiait des souillures du sang. Il y sacrifiait lui-même des bœufs à Jupiter Capitolin, Optimus et Maximus (le plus grand et le meilleur). Une fois que les sacrifices et les consécrations étaient achevés, la procession et les spectateurs se dispersaient dans les banquets, les jeux et autres divertissements offerts par le général triomphant.

Le cortège du triomphe commence par le défilé de chars de butin (œuvres d'art, monnaies et armes). Puis viennent les membres du Sénat, suivis des chefs vaincus et leurs familles. Le défilé se poursuit avec le char triomphal, tiré par quatre chevaux, sur lequel le général vainqueur (imperator), le visage peint au minium comme celui de la statue de Jupiter Capitolin, couronné de laurier (symbole de victoire), passe au milieu des acclamations du public. Les légionnaires, sans armes (le défilé avait lieu à l'intérieur du pomœrium), couronnés de lauriers et de chêne, suivaient.

Au cours de cette cérémonie, tout est mis en œuvre pour rappeler à la fois au vainqueur qu'il revient à l'anonymat du citoyen ordinaire, et à la Ville qu'elle a conforté sa puissance. D'un côté, dans le chant triomphal des soldats, le général était moqué et tourné en ridicule pour éviter l'hybris et la jalousie des dieux. L'esclave tenant au-dessus de la tête du triomphateur la couronne de laurier lui répétait des formules l'appelant à la modestie comme cave ne cadas, « prends garde de ne pas tomber ! » ou Memento mori (souviens-toi que tu es mortel). De l'autre, le défilé des pancartes récapitulant les conquêtes, représentait la maîtrise de Rome sur le monde. Les citoyens désirant assister à un triomphe devaient porter obligatoirement la toge, afin de conférer plus de solennité à cette cérémonie.

Façade de l'arc de Titus.

Pour parachever le triomphe, un monument est parfois érigé : c’est l’origine de l’arc de Titus et de l’arc de Constantin, près du Colisée, ou du Trophée de Trajan.  

Triomphes célèbres

La liste des triomphes fut publiée sur des tables de pierre sous Auguste en 12 av. J.-C. dans les Fasti triumphales.

Un triomphe célèbre est celui 194 av. J.-C., au retour de la deuxième Guerre macédonienne, qui voit défiler pendant trois jours le trésor des Macédoniens, qui est ce qui subsiste du trésor pris aux Perses par Alexandre le Grand un siècle et demi plus tôt.

En 105 av. J.-C., eut lieu le triomphe de Marius pour la capture de Jugurtha, roi de Numidie, qui meurt au Tullianum, quelques jours après[8].

En 61 av. J.-C., la lenteur délibérée du Sénat à faire se tenir son triomphe froissa Pompée le Grand, et contribua au rapprochement de ce dernier avec Crassus et César (conclusion du premier triumvirat, - 60).

On peut également signaler le quintuple triomphe de César pour ses victoires sur les Gaules, l'Afrique, le Pont, l'Égypte et la Palestine, qui s'étala de 46 à 45 av. J.-C., au cours desquels il offrit des festins somptueux aux habitants de Rome. Parmi les captifs à défiler derrière son char, se trouvaient la sœur de Cléopâtre, Arsinoé, et le chef de la rébellion gauloise de - 52, Vercingétorix, qui fut mis à mort au Tullianum selon la coutume, peu avant la fin de la cérémonie.

Le dernier triomphe à avoir été célébré[9] est celui de Bélisaire : il eut lieu à Constantinople[10] en [10]  « probablement à l'extrême fin de l'été ou à l'automne »[9]  pour sa victoire sur les Vandales[1]. Il fut « renouvelé » le [9],[11].

Notes et références

  1. (fr) « Les triomphes », sur www.cosmovisions.com (consulté le )
  2. Florence Buttay, Denis Crouzet, Fortuna. Usages politiques d'une allégorie morale à la Renaissance, PUPS, , p. 79
  3. Georges Dumézil, La religion romaine archaïque, 2e édition revue et corrigée, Paris : éditions Payot, 1987, p.558
  4. (fr) « Le triomphe romain », sur faustula.free.fr (consulté le )
  5. Voir la carte, in Mary Beard, The Roman Triumph,The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Mass., and London, England, 2007, p. 334, la discussion p. 92–105.
  6. Mary Beard, The Roman Triumph,The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Mass., and London, England, 2007, p. 334 ; voir la discussion p. 97-101.
  7. C'est là que Jugurtha et Vercingetorix ont été mis à mort par étranglement.
  8. https://www.histoiredumonde.net/Jugurtha.html
  9. Schamp 2006, p. CXLII.
  10. Roques 1990, chronologie, p. 24.
  11. Stein 1949, p. 320.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Luc Bastien, Le parcours triomphal à Rome » dans La citoyenneté romaine,  Textes et Documents pour la Classe, 1092 ed. Canopé, 2015, p. 38-39
  • [Bastien 2014] Jean-Luc Bastien, « Le triomphe à Rome sous la République : un rite monarchique dans une cité aristocratique (IVeIer siècle av. notre ère) », dans Philippe Guisard et Christelle Laizé (coord.), Cécile Nail (prél.), La guerre et la paix, Paris, Ellipses, coll. « Cultures antiques », , 1re éd., 1 vol., V-552 p., ill., 14,5 × 21 cm (ISBN 978-2-340-00121-3, EAN 9782340001213, OCLC 893858699, notice BnF no FRBNF43900193, SUDOC 181202670, présentation en ligne), part. VI (« La guerre et la paix en représentations »), chap. 3, p. 509-526
  • [Bastien 2007] Jean-Luc Bastien, Le triomphe romain et son utilisation politique à Rome aux trois derniers siècles de la République (texte remanié de la thèse de doctorat en histoire, soutenue à Paris 10 en ), Rome, École française de Rome (diff. Paris, de Boccard), coll. « Collection de l'École française de Rome » (no 392), , 1re éd., 1 vol., 482 p., ill., 24 cm (ISBN 978-2-7283-0783-8, OCLC 436603746, notice BnF no FRBNF41221770, SUDOC 122315901, présentation en ligne).
  • (en) Mary Beard, The Roman Triumph, Londres, The Belknap Press of Harvard University Press, 2007., 434 p. (ISBN 978-0-674-02613-1)
  • (en) H. S. Versnel, Triumphus. An Inquiry into the origin, development and meaning of the Roman Triumph, Leyde, Brill, 1970.
  • [Bastien 1999] Jean-Luc Bastien, « La clientèle, le triomphe et l'espace civique à Rome aux deux derniers siècles de la République », Hypothèses, no 2 : «  », , 3e part. (« Les clientèles »), art. no 2, p. 131-136 (DOI 10.3917/hyp.981.0131, lire en ligne).
  • [Jean le Lydien 2006] Jean le Lydien (texte en gr. anc. établi, trad. en fr. et commenté par Jacques Schamp), Des magistratures de l'État romain, t. II : Livres II et III, Paris, les Belles Lettres, coll. « CUF / sér. grecque » (no 452), , 1re éd., 1 vol., CCCXVIII-245 p., pagination double p. [1]-141, 12,5 × 19 cm (ISBN 978-2-251-00535-5, EAN 9782251005355, OCLC 493229369, notice BnF no FRBNF40955736, SUDOC 111122562, présentation en ligne, lire en ligne).
  • [Procope de Césarée 1990] Procope de Césarée (trad. , introd. et comment. de Denis Roques, préf. de Philippe Muray), La Guerre contre les Vandales : Guerres de Justinien, liv. III et IV, Paris, les Belles lettres, coll. « La Roue à livres » (no 6), , 1re éd., 1 vol., XVIII-282 p., 13,6 × 21 cm (ISBN 2-251-33905-1, EAN 9782251339054, OCLC 23028226, notice BnF no FRBNF35255367, SUDOC 001953362, présentation en ligne, lire en ligne).
  • [Stein 1949] Ernest Stein (texte établi, trad. de l'all. et publ. par Jean-Rémy Palanque, av.-prop. de Jeanne Stein), Histoire du Bas-Empire, t. II : De la disparition de l'empire d'Occident à la mort de Justinien, -, Paris et Bruxelles, Desclée de Brouwer, , 1re éd., 1 vol., XXXIV-900-[3] p., 24 cm (OCLC 490655003, notice BnF no FRBNF32645681, SUDOC 022619186, lire en ligne).

Articles connexes

Liens externes

  • Portail de la Rome antique
  • Portail des récompenses et distinctions
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.