Trésor de Begrâm

Le Trésor de Begrâm est une découverte archéologique majeure effectuée dans les années 1930 à Begrâm, en Afghanistan. Les pièces ont été partagées entre la France et l'Afghanistan.

Carte de l'empire kouchan avec localisation de Begrâm
Joseph Hackin étudie la "Grande plaque en ivoire à décor sculpté en fort relief". Mission Hackin 1939-1940, Trésor de Begrâm, salle n°13, juillet-août 1939
Les murs du palais des rois kouchans étaient bâtis en terre crue. Image d'illustration de constructions de ce type à Begrâm

Le trésor était composé d’œuvres d’art fabriquées de la Grèce à la Chine et emblématiques du rôle commercial intense mené, sur la route de la soie.

L'ensemble retrouvé à Begrâm, l'ancienne Kapiçi, « montre l'Afghanistan aux confins de trois mondes, la Grèce, la Chine et l'Inde »[1]. Pris longtemps comme une cache de marchand, on le reconnait maintenant comme une trésorerie royale murée[2].

Histoire

Le site de Begrâm, à environ 60 km au sud de Kaboul, est occupé dès l'époque achéménide et correspond à la cité d'Alexandrie du Caucase fondée par Alexandre le Grand en 328-327 av. J.-C[3].

L'Empire kouchan fut administré sous Kanishka, règne sous lequel il est à son apogée[4] à partir de trois capitales : Purushapura (actuelle Peshawar au nord du Pakistan), Bagram, Mathura, au nord de l’Inde. Begrâm, alors appelée Kapisa, était leur capitale d'été.

La cité est abandonnée à partir de 400 environ[3].

Redécouverte

Le est signée à Kaboul une convention attribuant à la France le privilège des fouilles archéologiques en Afghanistan. Alfred Foucher identifie Begrâm comme Kapiçi, capitale du Kapiça en 1923, considérant le site comme prometteur pour les recherches archéologiques qui y seraient entreprises[5]. Cependant les ordres venus de Paris lui imposent de commencer la recherche archéologique à Bactres[3].

Les fouilles de Begrâm débutent en décembre[3] 1936[6], menée par Joseph Hackin et son épouse Ria dans le cadre de la Délégation archéologique française en Afghanistan[7] ; le trésor est découvert en octobre[8] 1937 et dégagé avec soin[9] dans la chambre 10 et la salle contigüe (n°13) est fouillée quant à elle en juillet-août[8] 1939[6].

La salle no 10 avait été murée, sans doute à la veille d'une attaque. Les objets, installés sur des étagères, s'étaient brisés lors de l'effondrement de celles-ci en un « indescriptible désordre » aggravé par la chute du plafond de la pièce selon Hackin[10].

La découverte a un retentissement international[7].

Les découvertes sont partagées entre la France et l'Afghanistan, en vertu d'un accord de monopole des fouilles, en 1937[8]. Certaines pièces rejoignent les collections du Musée Guimet à Paris tandis que d'autres intègrent celles du Musée national afghan de Kaboul[7].

Les fouilles se terminent sans avoir pu être achevées le [11]. Les fouilleurs, le couple Hackin et l'architecte Jean Carl qui leur était attaché, disparaissent tragiquement lors de la Seconde Guerre mondiale et les rapports de fouilles sont publiés après le conflit. Aucune publication générale ne permet de préciser le contexte de la découverte du trésor[12].

Certains éléments du musée de Kaboul sont confiés par sécurité sous couvert de l'UNESCO au musée Guimet en 1997 et 1999[13].

Description et galerie

Le trésor était constitué de pièces d'artisanat fabriquées tout au long de la Route de la soie, de l'Empire romain à la Chine.

Le trésor contenait des œuvres variées :

  • des éléments de décoration en ivoire sculpté provenant de meubles indiens, ivoires dans plusieurs styles comparables à ceux de Mathura (et de Sanchi) ou d'Inde du Nord-ouest, voire réalisés par des ateliers locaux (bactriens) formés en Inde du Nord[14]. Un ivoire similaire ayant été trouvé à Pompéi ;
  • des laques chinoises de l'époque Han ;
  • des verres peints gréco-romains, « plus anciens exemples de verres gréco-romains »[15] dont un verre comportant une représentation du phare d'Alexandrie et conservé à Kaboul et un verre comportant une scène de l'Enlèvement d'Europe par Zeus (à Paris)[9] ;
  • des verres soufflés, dont des flacons en forme de poisson,
  • des bronzes évoquant l'art indo-grec et indo-parthe de Taxila[1] ;
  • des emblemata (singulier : emblema), stucs d'origine méditerranéenne ou hellénistique[7], marquant les liens avec Alexandrie et le monde romain[1] et rappelant les trouvailles de Chersonèse[15].

Joseph Hackin interprète le trésor comme d'époque kouchane, du fait du rôle de carrefour entre monde romain et monde chinois sous Kanishka[12].

Galerie

Interprétation et datation

Les objets par leur variété posent de nombreuses questions[9], en particulier sur l'histoire de l'empire kouchan et des civilisations voisines, et aussi la raison de la concentration de tels éléments à cet endroit[15].

La datation de l'ensemble est complexe[17] en 2004 la datation se porte sur le Ier siècle, et plus précisément sur l'époque du royaume indo-parthe, si les dates de ce royaumes restent sans changement. Les recherches de 2001, évoquaient le début du IIe siècle, époque du règne de Kanishka, à qui le trésor aurait appartenu peut-être[7]. Les pièces retrouvées à Begrâm n'ont que peu de parallèles ailleurs qui auraient permis une comparaison, pour la verrerie romaine et aussi les ivoires dont seul un exemple provient de Pompéi[12]. Cependant, en 2004, on remarquait que ces verres colorés proviennent probablement d'Alexandrie d'Égypte. Un verre semblable a été découvert à Pompéi[18].

Les pièces gréco-romaines et chinoises sont datées du début de l'ère commune, les éléments d'ivoire étant plus difficiles à dater[15]. L'Inde n'a en effet pas conservé de vestige de l'activité des ivoiriers de la période Ier siècle av. J.-C..-IIIe siècle[19].

Le trésor est un témoignage essentiel des échanges commerciaux denses que connaissait la région à l'époque. Le trésor démontre non seulement des échanges entre traditions gréco-bactriennes, nomades et indiennes sous les souverains kouchans mais aussi l'influence entre toutes ces influences dans le creuset afghan et dans la synthèse que fut l'art du Gandhara[20].

Notes et références

  1. Cambon et Jarrige 2007, p. 25.
  2. Frantz Grenet, « Recentrer l'Asie centrale (Discours inaugural au Collège de France) », 40 leçons inaugurales, sur France Culture, (consulté le ), durée 58 min, moment: 19:50
  3. Dupaigne 2007, p. 30.
  4. Gorshenina et Rapin 2001, p. 94.
  5. Cambon et Jarrige 2007, p. 84-85.
  6. Cambon et Jarrige 2007, p. 85.
  7. Gorshenina et Rapin 2001, p. 60.
  8. Dupaigne 2007, p. 31.
  9. Gorshenina et Rapin 2001, p. 61.
  10. Cité par Cambon dans Cambon 2002, p. 113.
  11. Cambon et Jarrige 2007, p. 121.
  12. Cambon et Jarrige 2007, p. 87.
  13. Cambon 2002, p. 117.
  14. St John Simpson 2011, p. 20-25
  15. Cambon et Jarrige 2007, p. 26.
  16. Médaillon de plâtre servant probablement de modèle, réinterprété dans les cultures locales en fonction de divers programmes : palettes à fards ou plats pour des rites domestiques, monnaies Kushan, décors aujourd'hui disparus.
  17. En 2004 le trésor est daté, par deux experts, du Ier siècle : Choisnel 2004, p. 139.
  18. Choisnel 2004, p. 139.
  19. Cambon 2002, p. 114.
  20. Cambon 2002, p. 111.

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Ouvrages généraux et sur l’Asie centrale en général

  • Pierre Chuvin (trad. de l'anglais), Les Arts de l'Asie Centrale, Paris, Citadelles et Mazenod, , 617 p. (ISBN 2-85088-074-4)
  • Svetlana Gorshenina et Claude Rapin, De Kaboul à Samarcande : Les archéologues en Asie centrale, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Archéologie » (no 411), , 160 p. (ISBN 978-2-07-076166-1)
  • Gianni Guadalupi (trad. de l'italien), Ors et trésors : Chefs-d'œuvre de joaillerie de l'antiquité à nos jours, Paris, White Star, , 349 p. (ISBN 978-88-6112-138-6)
  • Emmanuel Choisnel, Les Parthes et la route de la soie, Paris, L'Harmattan, , 277 p. (ISBN 2-7475-7037-1)

Ouvrages sur l’Afghanistan

  • Pierre Cambon, Afghanistan, une histoire millénaire, Paris-Barcelone, RMN/Musée national des arts asiatiques Guimet – Fundacion « La Caixa », , 205 p. (ISBN 2-7118-4413-7)
  • Bernard Dupaigne, Afghanistan : Monuments millénaires, Paris, Imprimerie nationale, , 318 p. (ISBN 978-2-7427-6992-6)
  • Pierre Cambon et Jean-François Jarrige, Afghanistan les trésors retrouvés : Collections du musée national de Kaboul, Paris, RMN/Musée national des arts asiatiques Guimet, , 297 p. (ISBN 978-2-7118-5218-5)

Articles et ouvrages sur le trésor

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Catherine Delacour, « Redécouvrir les verres du trésor de Begram », Arts asiatiques, vol. 48, no 1, , p. 53-71 (lire en ligne)
  • Charles Picard, « Un thème alexandrin sur un médaillon de Begram : la cuisson symbolique du porc », Bulletin de correspondance hellénique, vol. 79, no 1, , p. 509-527 (lire en ligne)
  • Osmund Bopearachchi, « Les données numismatiques et la datation du bazar de Begram », Topoi, vol. 11, no 1, , p. 411-435 (lire en ligne)
  • Michel Pirazzoli-T'serstevens, « Les laques chinois de Begram. Un réexamen de leur identification et de leur datation », Topo, vol. 11, , p. 473-484 (lire en ligne)
  • (en) St John Simpson, Indian ivories from Afghanistan : The Begram Hoard, Londres, The British Museum Press, , 96 p. (ISBN 978-0-7141-1178-0)

Voir aussi

Liens internes

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