Kanishka

Kanishka Ier est le souverain le plus connu de l'Empire kouchan au début de notre ère. Malheureusement les dates sont encore l'objet de controverses. Fils de Vima Kadphisès, c'est un grand conquérant et un sage administrateur. Il règne sur un vaste empire, de l’Asie centrale à la principauté de Bénarès. Il porte à la fois le titre indien de « maharaja » (« grand roi »), iranien de « Roi des Rois », et chinois de « Fils du Ciel ». Sa capitale est à Purushapura (Peshawar).

Si les textes bouddhiques font de Kanishka celui qui a favorisé l'expansion du bouddhisme, aujourd'hui il y a tout lieu de penser que les bouddhistes se sont approprié cette image de Kanishka en protecteur de leur foi, mais on peut légitimement en douter. Néanmoins c'est effectivement sous son règne que l'on assiste à cette expansion dans son empire, et surtout au Gandhara. Aussi le Bouddha, autrefois représenté sous forme symbolique, prit très rapidement de nombreuses formes dans un syncrétisme culturel singulier.

Les talibans ont détruit en 2000 une statue le représentant, une pièce unique du musée de Kaboul[1].

L'Empereur Huvishka lui succède.

Une chronologie controversée

Statue de Kanishka I. Grès, H. 1,85 m. Tumulus d'Etokri, avec inscription en brahmi. Musée de Mathura.

Toutes les autres dates des Kouchans se calent sur cette approximation. En 2002 les dates du début de son ère allaient, selon Gérard Fussman, de 78, début de l'ère indienne dite shaka, à 127[2]. Son règne étant alors situé de 98 à 101. En 2010 Jacques Giès[3] indiquait, en se référant à l'inscription découverte à Rabatak, en Bactriane afghane, que « le règne semblerait se situer vers le IIe siècle »[4]. Les dates suivantes ont été proposées par d'autres spécialistes mais sont à considérer avec réserve. Soit : 127 - 147 environ, soit 129 - 155 [5].

La chronologie de la dynastie kushâna est donc encore, en 2015, controversée : l’ère des Shaka (utilisée dans le calendrier national indien, elle commence le 21 mars 78 du calendrier grégorien) aurait indiqué que l’an 1 de Kanishka débuterait en 78 de notre ère. L’orientaliste français Roman Ghirshman retenait la date de l’an 144, car il pensait que la dynastie kushane fut renversée par le premier roi sassanide en 241. Robert Göbl, qui s’appuyait sur des études numismatiques pour faire valoir que l’empire kushâna ne s’est effondré qu’en 325, considérait 225 comme l’an un de Kanishka. La découverte d'une inscription dans les années 1990 a permis de situer avec une marge d'erreur plus étroite l'an 1 de Kanishka entre 78 et 127 de notre ère. Mais une inscription à Rabatak, en Bactriane Afghane, permettrait à Jacques Giès de penser que « le règne de Kanishka semblerait se situer vers le IIe siècle ». Et celui-ci d'ajouter que « mathématiquement cela renverrait aux périodes postérieures l'épanouissement du style « classique » du Gandhara » en fonction des inscriptions datées sur les statues. Cet apogée se situe alors à la période kouchano-sassanide, « si l'on admet du moins la référence kouchane comme seule option possible. » [4]

L'inscription de Rabatak

L'inscription de Rabatak.

L'inscription de Rabatak (Afghanistan du Nord, province de Baghlan, dans la Bactriane de l'empire kouchan) est un texte célèbre, rédigé en bactrien[6], découvert en mars 1993, qui ne date pas de l'an 1 de Kanishka et n'émane pas de Kanishka non plus, mais d'un dignitaire[7]. Les ruines de Rabatak se trouvent en pays montagneux et ont l'apparence d'une forteresse dominant un col, semblable en cela aux ruines de Surkh Kotal.

La pierre de calcaire (90 x 50 x 25 cm.) n'est plus connue que par des photographies. Deux interprétations de Sims-Williams 1996 et 98[8] ont été construites sur l'étude de ces documents photographiques, et Gérard Fussman en 1997[9] a construit une autre interprétation sur la base des propositions de Sims-Williams. Le texte est probablement suivi d'une partie manquante, il pourrait être précédé d'une autre partie manquante, et il est très largement effacé dans sa partie gauche. Le déchiffrement est donc très incertain. Le texte évoquerait, sur ordre de Kanishka, la construction d'un temple et l'installation, dans ce temple, des images (des sculptures ?) de dieux (apparemment dans l'ordre hiérarchique) : deux déesses Nana[10] et Omma (Uma ?, la compagne de Shiva), et d'autres dieux tous iraniens : (Athso ? ou Ahura ?) Mazda, probablement Sroshardo, Narasa, Mithra, enfin deux dieux indiens ont été ajoutés (plus tard ?) à cette liste : peut-être Mahasena / Shiva et Visakha / Skanda. Les images de Kanishka (qui a obtenu la royauté de Nana et de tous les autres dieux) et les images de son père, de son grand-père et de son arrière-grand-père y seront installées. Le texte se termine par une prière où le rédacteur de l'inscription s'adresse à ces dieux afin qu'ils assurent un règne long et prospère à Kanishka.

Une inscription à la gloire de Kanishka

La mention du titre royal ou impérial n'apparait pas : comme on peut aussi le constater dans les inscriptions de Surkh Kotal cela n'était pas nécessaire[11]. Par contre la rupture nette avec le passé est marquée par l'institution de l'an 1 (ligne 3). Cet acte imposait à tout l'empire la création d'une ère unique, remplaçant toutes les ères antérieures. Un tel acte d'autorité impériale était sans précédent en territoire indien ne se reproduisit jamais plus. Ce qui justifierait l'identification de cette date mémorable avec l'ère Saka. Cette rupture est associée à un autre acte de très grande importance pour la région : le bactrien, en tant qu'écriture et en tant que langue officielle a définitivement chassé le grec des territoires iraniens au Nord de l'Hindou-Kouch (un équivalent du remplacement du persan par l'anglais dans l'Inde britannique). Enfin le texte tient à faire sentir la volonté de Kanishka d'exercer son pouvoir sur l'Inde : le terme choisi n'évoque pas le Sind mais bien toute la plaine indo-gangétique. De même la liste des villes indiennes qui sont précisément choisies pour évoquer l'Inde : Ujjain, Saketa (Ayodhya), Kausambi, Pataliputra et Campa.

Kanishka et le bouddhisme

Une pièce de Kanishka montrant le Bouddha ("BODDO" en script Grec).

Si les textes bouddhiques font de Kanishka celui qui favorisé l'expansion du bouddhisme, aujourd'hui il y a tout lieu de penser que les bouddhistes se sont approprié cette image de Kanishka en protecteur de leur foi, mais on peut légitimement en douter[12]. Néanmoins c'est effectivement sous son règne que l'on assiste à cette expansion dans son empire, et surtout au Gandhara.

Sous ce règne on assiste à une véritable expansion du bouddhisme, mais essentiellement en dehors des villes (on ne retrouve quasiment aucune trace de sa présence dans les cités). C'est très rapidement l'essor puis le premier apogée de l'art autrefois nommé « art gréco-bouddhique » du Gandhara (géographique) et des régions qui en partagent la culture, aujourd'hui cet art est bien le résultat d'un syncrétisme culturel bien plus complexe. Le Bouddha, avant notre ère, n'est « représenté » qu'en Inde et sous forme symbolique uniquement (Dharmachakra, empreinte des pieds, stupa). À l'époque de domination Saka il avait pris ponctuellement la forme de Zeus, sur une médaille. Sur une monnaie de Kanishka il avait pris sa forme « classique », celle d'un moine debout, de face. Forme que l'on retrouve sur le célèbre reliquaire de Bimaran, du British Museum, découvert dans la région de Jalalabad, en Afghanistan de l'extrême Est. Dans ce contexte, il semblerait que « la » première image de Bouddha ait vu le jour dans les premiers temps de son règne. Et si ce n'est la toute première du moins une floraison de formes différentes et dans un style qui voit se fusionner des styles et des éléments culturels provenant aussi bien de l'Inde (Cachemire) que du monde grec et romain avec l'apport de l'Iran parthe et de l'Asie centrale, lequel pouvant être rapproché du monde des steppes et à son art, avec les Yuezhi précisément, d'où sont originaires les Kouchans. Son règne aurait donc permis ce phénomène de syncrétisme, sur un fond d'intense activité religieuse, la bhakti populaire et la réflexion philosophique de l'élite des communautés bouddhiques et du bouddhisme mahāyāna naissant[13].

Si Kanishka est considéré comme un protecteur du bouddhisme, il honore ou pratique cependant d’autres religions, comme le zoroastrisme, le mithraïsme et la religion grecque. Pour régler les conflits entre les différentes écoles bouddhistes, Kanishka convoqua un grand concile bouddhique à Kunnavala Vihara au Cachemire. Un nouveau canon allait être défini : le Mahāyāna (grand véhicule), où il faut entendre véhicule au sens de : moyen de progresser vers.... Cependant, aujourd'hui, on peut affirmer que le mahāyāna était pratiqué à côté du bouddhisme hīnayāna au moins au Ier siècle avant notre ère[14].

Statuaire bouddhique sous Kanishka

Plusieurs statues bouddhiques sont directement datée du règne de Kanishka (c'est le cas de plusieurs statues de Bodhisattvas dérivées de l'art de Mathura), ou bien datées dans une ère dont on sait maintenant qu'il s'agit de l'ère Yavana, commençant en 186 av.J-C, pour plusieurs statues du Gandhara[15].

Statuaire datée du règne de Kanishka

Numismatique

Arts


Références

  1. Voir l'état du musée de Kaboul après la guerre civile, les pillages et les martelages et autres dégradations effectuées par les talibans (on voit ce qui reste, hélas, de la statue de Kanishka et aussi de la plaque de l'inscription de Surkh Kotal) :
  2. ci-dessous : Lien externe : Gérard Fussman, 2002. En 2009, Gilles Béguin, ancien conservateur au Musée Guimet et au Musée Cernuschi, et auteur de « L'art bouddhique », CNRS éditions 2009, indique (p. 206) « Les dates de ce souverain restent discutées. Son avènement qui marque le début d'un nouveau comput, est situé par certains archéologues en 78 et par d'autres en 144 ».
  3. Le docteur Jacques Giès est, de 2008 à 2011, le président du Musée national des arts asiatiques - Guimet
  4. Jacques Giès 2010, p. 25. Gérard Fussman, professeur au Collège de France et spécialiste des langues anciennes de cette région, en introduction à la relecture de cette inscription de Rabatak, au colloque de Termez en 1997, précisait que cette inscription « ne change rien aux données de la chronologie kouchane... Si rien n'impose de placer l'an 1 de Kanishka en 78 de notre ère, rien non plus ne s'y oppose ». Et cette affirmation est réitérée en fin d'article : Leriche et al. 2001, p. 251 et 286. Et ci-dessous : Lien externe : Gérard Fussman, 2002.
  5. Behrendt 2007, p. 30 qui ne fait aucune réserve sur les dates qu'il propose, comme si l'affaire était entendue, alors qu'elle n'est toujours pas claire pour Jacques Gies en 2010.
  6. « Le bactrien est une langue nouvellement découverte dont l'interprétation est en grande partie étymologique, donc douteuse » : Gérard Fussman colloque de Termez 1997, p. 253
  7. Gérard Fussman colloque de Termez 1997, p. 251 .
  8. Sims-Williams, Nicholas and Cribb, Joe 1996, "A New Bactrian Inscription of Kanishka the Great", Silk Road Art and Archaeology, volume 4, 1995-6, Kamakura, pp. 75–142.
  9. colloque de Termez 1997, p. 251-287. Le reste de cette partie est fondé sur cette référence.
  10. Nana déesse « iranienne » : Anna Calozzo, « Images du ciel d'Orient au moyen âge : une histoire du zodiaque ... », sur books.google.fr (consulté le ), Frantz Grenet et Boris Marshak, « Le mythe de Nana dans l'art de la Sogdiane », sur Arts asiatiques sur Persée, (consulté le ) et Frantz Grenet, « Religions du monde iranien ancien : II Textes sogdiens et imagerie sogdienne », sur École Pratique des Hautes Études, (consulté le ) (en) G. Azarpay, « Nanâ, the Sumero-Akkadian Goddess of Transoxiana », sur Journal of the American Oriental Society : jstor.org, (consulté le )
  11. Gérard Fussman colloque de Termez 1997, p. 264 sqq.
  12. MNAO 2010, p. 12
  13. MNAO 2010, p. 16 et 23-25
  14. Ci-dessous, en lien externe : Gérard Fussman, cours au Collège de France 2011 : cours des 10 et 17 mai. Dans ce cours : Le bouddhisme Mahasanghika, implanté à Bâmiyân, à Mathura et à Termez (Bactriane), aurait servi d'intermédiaire entre ces deux autres courants du bouddhisme.
  15. Problems of Chronology in Gandharan Art pp.35-51
  16. Epigraphia Indica VIII p.181
  17. Epigraphia Indica 8 p.179
  18. Early History of Kausambi p.xxi
  19. Fussman et Quagliotti 2012 page 31.
  20. Cambon 2010, p. 84-85

Bibliographie

  • (en) Kurt A. Behrendt, The art of Gandhara in the Metropolitan Museum of Art, New York/New Haven (Conn.), the Metropolitan Museum of Art / Yale University Press, , 115 p. (ISBN 978-1-58839-224-4, lire en ligne)
  • Pierre Cambon (dir.) (trad. Jacques Giès), Pakistan : Terre de rencontre Ier - VIe siècle : les arts du Gandhara : exposition, Paris, Musée Guimet, 21 avril-16 août 2010, Paris, Réunion des musées nationaux, , 159 p. (ISBN 978-2-7118-5731-9)
    Œuvres conservées au Pakistan. Textes de Pierre Cambon.
  • (en) Gérard Fussman et Anna Maria Quagliotti, L'iconographie ancienne d'Avalokitesvara = The early iconography of Avalokitesvara, Paris, Institut de civilisation indienne, , 152 p. (ISBN 978-2-86803-080-1)
    Ouvrage essentiel qui actualise les connaissances et répond à la question de la première image de Bouddha.
  • Gérard Fussman : cours au Collège de France 2010-2011, Le Gandhāra, terre de passage, d’échanges et de création cours 2010-2011 sur : .
  • Jacques Giès, Pakistan : Terre de rencontre : Ier : VIe siècle : Les arts du Gandhara : Exposition. Paris, Musée national des arts asiatiques - Guimet. 21 avril- 16 août 2010, Paris, Réunion des musées nationaux, , 160 p. (ISBN 978-2-7118-5731-9)
  • (it) Laura Giuliano (dir.) et Luca Maria Olivieri (préf. Donatella Mazzeo), Arte del Gandhara : Guide del Museo Nazionale d'Arte Orientale 'Giuseppe Tucci', Rome, Artemide, , 77 p. (ISBN 978-88-7575-114-2)
  • Pierre Leriche (dir.), Chakir Pidaev (dir.), Mathilde Gelin (dir.) et Kazim Abdoullaev (dir.), La Bactriane au carrefour des routes et des civilisations de l'Asie-Centrale : Termez et les villes de Bactriane-Tokharestan : Actes du colloque de Termez 1997, Maisonneuve & Larose - IFÉAC, coll. « La Bibliothèque d'Asie Centrale », , 422 p. (ISBN 2-7068-1568-X)
  • Pierre Leriche, Chakir Pidaev, Mathilde Gelin et Kazim Abdoulaev, La Bactriane au carrefour des routes et des civilisations de l'Asie centrale : Termez et les villes de Bactriane-Tokharestan, Paris, Maisonneuve et Larose - IFÉAC, (ISBN 2-7068-1568-X) . Avec la collaboration de Vincent Fourniau. Actes du colloque de Termez 1997. (Nombreux auteurs, dont Gérard Fussman « L'inscription de Rabatak. La Bactriane et les Kouchans » )

Voir aussi

Liens externes

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