Theodor Gottlieb von Hippel l'Ancien

Theodor Gottlieb Hippel, dit souvent Hippel l’Ancien (né le à Gerdauen, faubourg de Kœnigsberg en Prusse-Orientale ; † le à Kœnigsberg) est un haut fonctionnaire et philosophe prussien des Lumières, passé à la postérité pour ses travaux de critique sociale. Il était membre de la commission du code civil de Prusse qui rédigea l’Allgemeines Landrecht, fut bourgmestre et lieutenant de police de Kœnigsberg. Cet opposant aux idées des Lumières milita pourtant en faveur de l'égalité des femmes, et était l’ami d’Emmanuel Kant.

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Biographie

Portrait du conseiller von Hippel l'Ancien.

Theodor Gottlieb Hippel est issu d'une famille piétiste. Son père était instituteur. En 1756, au milieu de la guerre de Sept Ans, Hippel s'inscrivit à des cours de théologie dans une Kœnigsberg occupée par les Russes. Au mois de , il se vit offrir un emploi de précepteur chez l'avocat néerlandais Théodore-Polycarpe Voyt. Au cours d'une assemblée de la loge maçonnique des Trois Couronnes[1], branche de la célèbre loge berlinoise Zu den drey Weltkugeln, il fit la connaissance de l'officier russe Hendrik von Keyser, neveu de son employeur. Au cours de l'hiver 1760-61, ce dernier lui proposa de l'accompagner à la cour impériale de Saint-Pétersbourg. Là, il s'éprit d'une jeune femme noble, mais fut éconduit en raison de son statut de roturier.

Il se consacra dès lors à ses études, suivit l'enseignement de philosophie de Kant puis opta pour la faculté de Droit. Il dut attendre d'avoir l'âge de 21 ans pour être admis à la loge des Trois-Couronnes, à laquelle appartenait une grande partie de la bonne société de la ville. Sa carrière d'avocat commence en 1764. En 1771 il devient assesseur près le tribunal royal de Kœnigsberg, et peu après administrateur des territoires annexés par Frédéric le Grand (Prusse royale, Varmie, Vieille Prusse) lors du premier partage de la Pologne, et l'année suivante le monarque le nomme conseiller aux affaires criminelles, puis juge du tribunal criminel de Kœnigsberg ; il est élu bourgmestre.

Grâce à cette ascension fulgurante au sein de l'administration prussienne, Th.-G. Hippel parvint à se constituer une rente régulière. Sa loge maçonnique elle-même l'élut grand maître. L'année 1780 marque l'apogée de sa carrière professionnelle : il devient premier bourgmestre et lieutenant de police de Kœnigsberg. À ce poste, il met un terme à la corruption en réformant l'administration locale, notamment le secours aux démunis et la Police.

C'était un hôte assidu des déjeuners organisés chez son ancien maître Kant, où il avait une place de choix en tant que premier magistrat de la ville. Hippel, au contraire de Kant, se considérait comme un chrétien, mais un chrétien critique envers les dignitaires temporels de l’Église, et adepte à bien des égards de l'attitude sceptique des Lumières. Tout comme d'autres penseurs des Lumières, qui combattaient le postulat rationaliste de Kant, von Hippel insistait sur la distinction entre les dogmes révélés de l’Église et l'unité entre raison, sentiment, intériorité et foi. Hippel donna suite à une demande de Kant en recommandant à des postes importants les étudiants les plus doués de l’Université de Königsberg. Il ne révéla jamais à ses convives des déjeuners chez Kant son activité de pamphlétaire.

Au cours de sa carrière de fonctionnaire prussien, il rédigea plusieurs essais sur le droit : il participa entre autres à l'élaboration du premier code civil prussien, le Preußisches Allgemeines Landrecht, où ses notices montrent ses prises de position en faveur de l'égalité des deux sexes. En 1786, le roi Frédéric-Guillaume II lui décerne la médaille et le titre de Stadtpräsident, et l'élève au rang de conseiller à la Guerre. Dès 1780, Hippel avait démarché le roi afin qu'il rétablisse les titres de noblesse de sa famille ; il n'eut gain de cause qu'en 1790 : le , il était nommé pasteur d'Arnau, son frère Gotthard-Friedrich et lui étaient nommés conseillers militaires de Kœnigsberg, et sa famille, jusqu'aux cousins, était anoblie le à Berlin[2].

Cela ne l'empêchait pas d'être, dans ses écrits, sarcastique envers la noblesse rurale de Prusse-Orientale. Il ne put d'ailleurs mener à terme ses tentatives de réforme de l'administration de Kœnigsberg. Il se trouvait dans la situation délicate d'un juge, qui d'un côté peut avoir à condamner à mort une mère infanticide, et d'un satiriste critiquant (même anonymement) la peine de mort sur des bases psychologiques. Il devint valétudinaire, en proie à la solitude et enregistra déboires sur déboires, notamment lorsque son activité de pamphlétaire parut au grand jour. Il comptait toujours néanmoins parmi ses amis le philosophe Johann Georg Hamann et l'écrivain Johann Georg Scheffner.

En 1794 il fut chargé de mettre en place l'administration prussienne de Dantzig. Il mourut peu après, toujours célibataire, à l'âge de 55 ans. On l'inhuma dans le cimetière de Savants (Gelehrtenfriedhof) de Kœnigsberg. Son exécuteur testamentaire, le neveu homonyme Theodor Gottlieb von Hippel le Jeune, hérita seul de ses biens ; il donna en 1835 une édition complète des œuvres de son oncle.

Œuvres

Encore étudiant, Hippel composait déjà des hymnes religieux. Ses écrits ultérieurs parurent de façon anonyme.

L’œuvre de Hippel va d'essais littéraires à des romans en passant par les comédies et les poèmes. Ses romans mêlent des éléments de morale piétiste à des développements philosophiques et de la satire ; mais ses pamphlets satiriques en faveur de l'égalité de droit des femmes occupent une place à part dans son siècle.

Frontispice de l'essai Du mariage, gravé par Daniel Chodowiecki.

En 1774, la première édition de son essai « Du mariage » (Über die Ehe) paraît (dernière édition approuvée en 1793). L'éditeur Friedrich Vosz de Berlin imprime en 1778 un recueil de nouvelles oublié depuis : « Succession raisonnée de différents modes de vie » (Lebensläufe nach aufsteigender Linie), qui examine la vie sous différents aspects, lesquels s'enchaînent l'un après l'autre. Ces courts récits écrits à la première personne, qui illustrent différents styles depuis la satire jusqu'au sérieux philosophique, étaient alors très connus et appréciés des cercles littéraires contemporains : Goethe, aussi bien que Schiller et même plus tard Jean Paul les ont analysés pour leur originalité dans la fiction autobiographique. Ils n'avaient plus qu'un faible écho au XIXe siècle, et sont considérés depuis comme trop artificiels.

von Hippel s’attaqua à sa véritable autobiographie vers l’âge de 50 ans, en se limitant cependant à sa jeunesse et son adolescence. L’auteur, étant donné sa réputation, y embellit sans doute certains aspects, comme l’ambiance dans la maison de ses parents ; mais surtout il se réclame de la liberté poétique et du naturalisme.

On a également conservé sa correspondance avec Johann-Georg Scheffner. Sans doute y trouve-t-on un style moins affecté, car Hippel a prié à plusieurs reprises son ami de ne pas conserver ces lettres. S’il s'y plaint de la solitude, de la maladie et de sa mélancolie, l’ironie n’est jamais loin et le ton reste léger. C’est du reste Scheffner qui lèvera l’anonymat de son correspondant.

En Allemagne, Hippel a été l’un des pionniers de l’Émancipation des femmes. Son essai « De la promotion sociale des femmes » (1792) ainsi que les diverses éditions révisées de « Du mariage » parues dans l’édition de 1793 sont devenus des références classiques du féminisme allemand et européen. Von Hippel a révisé à plusieurs reprises ces essais, les faisant passer d’éloges du mariage bourgeois à de véritables manifestes des droits des femmes. L’essai sur l’éducation des femmes n’a paru de façon posthume qu’en 1801.

Pour des raisons indéterminées, ses écrits sur la franc-maçonnerie ont été détruits, comme nous l'apprend son neveu et exécuteur testamentaire.

Éditions récentes :

  • Du mariage [« Über die Ehe »], Stuttgart, W. M. Faust, (réimpr. 1972).
  • Über die Ehe, Nachdruck der anonym erschienenen Ausgabe von 1796. Notos, Selb 1976.
  • « De la promotion sociale des femmes » (Über die bürgerliche Verbesserung der Weiber), avec une préface de Ralph-Rainer Wuthenow. Francfort-sur-le-Main (1977), Syndikat Autoren- und Verlagsgesellschaft. (ISBN 3-8108-0034-1)
  • Über Gesetzgebung und Staatenwohl, Königstein-am-Taunus. 1978.
  • Über die Ehe, éd. de Bruyn, Günter, Berlin 1979 (reprend l'édition originale de 1774).
  • Nachlass über weibliche Bildung, Lage 1999 (sources et documents relatifs à l'« Histoire de l'Education des femmes », vol. 21).

Notes

  1. Cette loge œuvrait à la réconciliation entre les trois monarchies de Prusse, de Pologne et de Russie.
  2. D'après Genealogisches Handbuch des Adels, vol. V, Limburg (Lahn), C. A. Starke Verlag, coll. « Adelslexikon, n°84 », , p. 229.

Bibliographie

Monographies

  • Beck, Hamilton H.H., The Elusive "I" in the Novel. Hippel, Sterne, Diderot, Kant. New York 1987.
  • Berg, Urte von, Theodor Gottlieb von Hippel. Stadtpräsident und Schriftsteller in Königsberg 1741–1796, Göttingen 2004 (Kleine Schriften zur Aufklärung, Bd. 13). (ISBN 3-89244-815-9)
  • Faust, Max, Leben und Aufklärungen des Theodor Gottlieb von Hippel, in: Hippel, Theodor Gottlieb, von, Über die Ehe, hg. v. Faust, Max, Stuttgart 1972, S. 99-106.
  • Joseph Kohnen, Theodor Gottlieb von Hippel. Eine zentrale Persönlichkeit der Königsberger Geistesgeschichte: Biographie und Bibliographie, Lüneburg 1987.
  • Joseph Kohnen, Ein Pionierdenkmal moderner Prosa. Theodor Gottlieb von Hippels „Vorbericht“ zum Buch Über die Ehe. In: Vernunft - Freiheit - Humanität. Über Johann Gottfried Herder und einige seiner Zeitgenossen. Festgabe für Günter Arnold zum 65 Geburtstag. Lunpeter und Lasel, Eutin 2008, S. 462-476
  • Anke Lindemann-Stark, Leben und Lebensläufe des Theodor Gottlieb von Hippel. St. Ingbert (2001).

Notices biographiques

Discours, articles et contributions diverses

  • Beck, Hamilton, Kant and the Novel, in: Kant-Studien vol. 74, 1983, S. 271-301.
  • Faust, Max, Leben und Aufklärungen des Theodor Gottlieb von Hippel, in: Hippel, Theodor Gottlieb, von, Über die Ehe, éd. par Faust, Max, Stuttgart 1972, S. 99-106.
  • Maik Hager, « Ein "merkwürdiger Mann" und beliebter Schriftsteller. Ein Blick auf die sozialkritisch-philosophischen Schriften des Theodor Gottlieb von Hippel », sur Geschichte-erforschen.de - Online-Magazin für Geschichte in Wissenschaft und Unterricht.
  • Eric Neiseke, « Theodor-Gottlieb von Hippel », suivi d'une réimpression du Savigny-Zeitschrift für Rechtsgeschichte.
  • Shaw, Gisela, Theodor Gottlieb von Hippel (1741–1796) als Wegbereiter der Frauenbewegung in Deutschland. "Lachender Philosoph" oder "Prophet"?, in: German Life and Letters, Bd. 54, Nr. 4, Oktober 2001, S. 273-290.
  • Wuthenow, Ralph-Rainer, Die Rolle der Frau in den Ansichten eines Junggesellen, in: Hippel, Theodor Gottlieb, von, Über die bürgerliche Verbesserung der Weiber, éd. par R.-R. Wuthenow, , Francfort-sur-le-Main (1977), pp.260-275.

Voir également

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