Tabac
Le tabac est un produit psychotrope manufacturé élaboré à partir de feuilles séchées de plantes de tabac commun (Nicotiana tabacum), une espèce originaire d'Amérique appartenant au genre botanique Nicotiana (famille : Solanaceae).
Pour les articles homonymes, voir Tabac (homonymie).
L'usage du tabac s'est largement répandu dans le monde entier à la suite de la découverte de l'Amérique. Sa commercialisation est promue par l'industrie du tabac (monopole d'État dans certains pays) et soumise à des taxes qui varient fortement selon les pays.
Le tabac génère une forte dépendance et sa consommation est responsable de près de 6 millions de décès par an dans le monde dont 600 000 sont des non-fumeurs exposés à la fumée (tabagisme passif). De nombreuses maladies sont liées au tabagisme (maladies cardiovasculaires et cancers, entre autres).
Production
Les Nicotiana sont des plantes néotropicales nitrophiles, originaires des régions chaudes et nécessitant un sol riche en humus. La température et la nature des sols jouent un rôle prépondérant sur les propriétés du tabac : la culture ne peut s'effectuer qu'entre des températures allant de 15 à 35 °C, et avec une hygrométrie voisine de 70 %.[réf. nécessaire]
Culture
Les pathogènes spécifiques à la plante incluent : le virus de la gravure du tabac, le virus de la mosaïque du tabac et le virus A de la nécrose du tabac.
Les ravageurs incluent : la noctuelle orientale du tabac, le thrips du tabac et de l'oignon.
Traitement
Le séchage à l'air chaud est la principale méthode ; il nécessite environ une semaine[1] (cf. Effets sur l'environnement).
Composition
La composition du tabac est complexe : sa fumée contient environ 4 000 composés chimiques, dont 250 sont dangereux pour la santé et 50 sont reconnus cancérigènes[2].
Dans la plante fraiche de Nicotiana tabacum, on trouve un mélange d'alcaloïdes composés de 93 % de (S)-nicotine, 3,9 % de (S)-anatabine, de 2,4 % de (S)-nornicotine, et de 0,5 % de (S)-anabasine.
Lors de sa croissance, la plante absorbe plusieurs produits radioactifs, qu'on retrouve dans la fumée, le filtre et moindrement le papier des cigarettes ou des bidies[3],[4],[5],[6], puis dans les poumons, via l'inhalation de la fumée[7]. On y trouve des traces de thorium, polonium et d'uranium[8]. Le polonium du tabac engendre le plus de radioactivité inhalée[9].
L'American Journal of Public Health (en) a montré, en , que les « majors » de l'industrie du tabac, Philip Morris, RJ Reynolds Tobacco Company, British American Tobacco, etc., ont volontairement caché au public, depuis les années 1960, la présence dans les cigarettes de polonium 210, une substance hautement cancérigène, utilisée pour l'assassinat de l'espion Alexandre Litvinenko[10],[11],[12],[13]. Une des explications de cette présence de produits radioactifs dans le tabac est l'utilisation fréquente aux États-Unis d'engrais à base d'apatites, utilisés pour donner une saveur spécifique au tabac ; le tabac produit dans certains pays en développement peut ainsi avoir jusqu'à un tiers de radioactivité en moins que celui cultivé aux États-Unis[10],[11],[14]. Une étude de 1975 a constaté qu'une variété du nord du Bengale contenait moins de radon et de polonium[15].
L'industrie du tabac ajoute des additifs (arômes, sucres, humidifiants) dans le tabac de cigarettes, notamment des composés d'ammoniac qui modifient le pH de la nicotine (plus alcalin), en facilitent l'absorption tout en renforçant la dépendance à celle-ci (ouverture plus importante des récepteurs à la dopamine)[16].
Consommation
Le tabac est consommé principalement fumé sous forme de cigares, de cigarettes, à l'aide d'une pipe ou d'un narguilé ; il peut aussi être mâché (chiqué), sucé (snus) ou prisé.
Au début du XXe siècle, le tabac est cultivé et consommé sur tous les continents. Les progrès techniques et industriels font évoluer sa production et la consommation de cigarettes supplante dès lors la chique, la prise, la pipe et le cigare. En 1880, il est vendu cent millions de cigarettes dans le monde, en 1900 un milliard de cigarettes[17]. Sa consommation se diffuse massivement au milieu du XXe siècle avec l'essor de la publicité. En 1940, 1 000 milliards de cigarettes sont vendues dans le monde, 2 000 milliards en 1960, 5 000 milliards en 1980, 6 000 milliards en 2014[18].
La consommation de tabac entraine généralement une dépendance durable[19].
Effets et toxicité
Effets sur la santé
La consommation de produits du tabac est la cause de nombreuses maladies mortelles.
Effets sur l'environnement
La culture du tabac a nécessité 3,6 millions d'hectares (36 000 km2) de terres arables dans le monde en 2019[20].
Le séchage du tabac nécessite par ailleurs une grande quantité de bois[21]. Le séchage à l'air chaud nécessite environ 20 kg de bois pour 1 kg de tabac. Ce mode de séchage est le premier utilisé : environ 6 tonnes de tabac sur 10 sont traitées par ce processus. Il entraîne une déforestation importante[1]. Au total, on estime qu'environ 2 à 4 % de la déforestation mondiale est due à la production du tabac, soit 600 millions d'arbres chaque année[22]. Cette proportion s'élève à 5 % dans les pays en développement[21], notamment dans certains pays comme le Zimbabwe[23].
Les mégots de cigarettes sont par ailleurs une source de pollution majeure, notamment pour les cours d'eau.
Économie
La consommation extensive du tabac dans le monde a engendré la constitution de majors d'industrie puissantes.
Le premier producteur mondial de tabac est le monopole chinois China National Tobacco Corporation.
Plus de 70 % du marché hors Chine est réalisé par quatre multinationales aux diverses marques. Ce sont, dans l'ordre décroissant de chiffre d'affaires :
- l'américain Philip Morris International (Bond Street, Chesterfield, L&M, Marlboro, Philip Morris, etc.) ; afin d'éviter un risque de procès aux États-Unis relatif à ses activités à l'international, PMI s'est séparé de sa maison-mère Altria, société de tabac qui se limite désormais au marché américain, et a délocalisé son siège opérationnel à Lausanne, en Suisse ;
- le britannique British American Tobacco (Dunhill, Kent, Lucky Strike, Winfield, Vogue, etc.) ;
- le japonais Japan Tobacco (Benson & Hedges, Camel, Mild Seven, Silk Cut, Winston, etc.) ;
- le britannique Imperial Brands (Davidoff, Fortuna, John Player Special, News, West… et les anciennes marques françaises Gauloises et Gitanes, ainsi que les principales marques de tabac à rouler et de papier à cigarettes : Amsterdamer, Golden Virginia, Drum, Rizla+, etc.).
La production de tabac, estimée à près de 7 millions de tonnes, est dominée par la Chine, l'Inde et le Brésil, qui à eux trois réalisent plus de 60 % de la production mondiale. Dans l'Union européenne, les principaux producteurs sont l'Italie, la Pologne, l'Espagne et la Grèce.
En 2010, la manufacture du tabac était dominée par la Chine, la Russie, les États-Unis, l'Allemagne et l'Indonésie[24]. Le tabac est essentiellement utilisé pour la production de cigarettes et de cigares. La production de cigarettes représente l'essentiel de la production et est estimée à plus de 5 000 milliards d'unités en 1993, 5 457 milliards d'unités en 2005.
L’Allemagne, la Bulgarie et la Suisse sont les seuls pays européens où la publicité pour le tabac est encore autorisée dans l'espace public[25],[26],[27]. La Revue médicale suisse relève également en 2015 que « la Suisse est le seul pays européen où la publicité pour les produits du tabac dans la presse est autorisée et, avec la Biélorussie, c’est également le seul pays où il n’existe pas de limitation concernant le parrainage d’événements culturels et sportifs »[25].
Pays | 2010 | 2013 | 2016 | 2019 | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Chine | 3 004 000 t | 1 | 3 373 700 t | 1 | 2 574 000 t | 1 | 2 610 507 t | 1 |
Inde | 690 000 t | 3 | 765 154 t | 3 | 759 594 t | 2 | 804 454 t | 2 |
Brésil | 787 817 t | 2 | 850 673 t | 2 | 677 472 t | 3 | 769 801 t | 3 |
Zimbabwe | 109 737 t | 9 | 147 068 t | 6 | 168 974 t | 5 | 257 764 t | 4 |
États-Unis | 325 764 t | 4 | 328 208 t | 4 | 285 180 t | 4 | 212 260 t | 5 |
Indonésie | 135 700 t | 6 | 260 200 t | 5 | 126 728 t | 7 | 197 250 t | 6 |
Zambie | 94 325 t | 10 | 106 575 t | 10 | 133 009 t | 6 | 153 839 t | 7 |
Bangladesh | 55 288 t | 19 | 79 000 t | 14 | 87 628 t | 13 | 128 597 t | 8 |
Tanzanie | 60 900 t | 15 | 86 359 t | 12 | 105 404 t | 10 | 116 603 t | 9 |
Argentine | 132 870 t | 7 | 112 348 t | 8 | 93 671 t | 11 | 106 319 t | 10 |
Pakistan | 119 323 t | 8 | 108 307 t | 9 | 115 851 t | 8 | 104 355 t | 11 |
Mozambique | 66 983 t | 14 | 76 000 t | 15 | 92 995 t | 12 | 102 752 t | 12 |
Malawi | 172 922 t | 5 | 132 849 t | 7 | 109 151 t | 9 | 102 459 t | 13 |
Corée du Nord | 72 000 t | 13 | 80 000 t | 13 | 85 374 t | 14 | 90 702 t | 14 |
Turquie | 53 018 t | 20 | 93 158 t | 11 | 74 238 t | 15 | 70 000 t | 15 |
Thaïlande | 59 540 t | 17 | 71 586 t | 16 | 57 384 t | 17 | 66 780 t | 16 |
Laos | 83 795 t | 12 | 56 755 t | 17 | 66 800 t | 16 | 56 706 t | 17 |
Philippines | 40 530 t | 22 | 53 753 t | 18 | 56 457 t | 18 | 51 061 t | 18 |
Italie | 89 112 t | 11 | 49 770 t | 20 | 48 470 t | 19 | 41 860 t | 19 |
Ouganda | 27 138 t | 30 | 31 595 t | 23 | 31 080 t | 22 | 31 920 t | 20 |
Total monde | 6 983 628 t | 7 606 700 t | 6 388 495 t | 6 685 611 t |
En France
La France connait un déclin continu de sa production de tabac depuis les années 1950 et n'a plus de filière transformation depuis 2019, ni de fabrication de produits du tabac depuis 2017[29].
En 2019, la France a produit 5 320 tonnes de tabac brut sur une superficie de 2 050 hectares, contre 6 910 tonnes sur 2 620 hectares en 2018 ; c'est le 8e producteur de l'Union européenne après l'Italie, la Pologne, l'Espagne, la Grèce, la Croatie, la Bulgarie et la Hongrie[20]. La profession est organisée autour de cinq coopératives, pour un chiffre d'affaires estimé à moins de 30 millions d'euros en 2018[29] ; à titre de comparaison, la valeur de la production agricole française était de 74,6 milliards d'euros en 2020[30].
Les cinq coopératives sont regroupées dans les lieux historiques de production : pour le Sud-Ouest, Périgord Tabac, Tabac Garonne Adour et Midi Tabac, pour le Grand-Est, Tabac Feuilles de France et, en Isère, la plus petite des cinq, la Dauphinoise. En France sont désormais cultivés principalement le Burley et le tabac de Virginie, les producteurs, pour faire face à la concurrence internationale, visant des marchés de niche plus valorisés comme le narguilé, qui nécessite un tabac de Virginie sucré, et un marché encore dynamique, le cigare et le tabac à rouler[29].
La culture du tabac en France est en baisse depuis les années 1950. En 1950, 105 000 agriculteurs produisaient du tabac ; au tournant des années 1970, 41 000 agriculteurs exploitaient encore 20 000 hectares et produisaient près de 46 000 tonnes[29]. Le nombre d'agriculteurs cultivant du tabac est passé de 2 076 à 1 177 de 2010 à 2014[31], puis à 670 en 2018[29].
La production de l'Union européenne est en baisse en raison de la baisse des aides aux agriculteurs producteurs de tabac distribuées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). L'Union européenne importe du tabac en provenance de pays tiers comme le Brésil, le Malawi et les États-Unis. Les aides directes, qui s'élevaient en 2004 à 86 millions d'euros pour la France, pour une production de 24 900 tonnes environ, correspondaient à un taux de soutien nettement plus élevé que pour les autres productions agricoles[32]. Elles ont été réduites à partir de 2006 puis supprimées en 2010 dans le cadre de la réforme de la PAC de 2006. Elles ont été réintroduites en France en 2012 sous l'appellation d'« aide à la qualité ». Cette aide profite à l'ensemble de la production, à l'exception de la dernière catégorie de qualité sur une échelle qui en compte 5. Au total, l'enveloppe allouée à ce soutien spécifique s'élève à 9 millions d'euros par an, alloués entre les producteurs en fin de saison en fonction des quantités produites[33],[34],[35]. Cette aide correspondait à 0,66 € par kg de tabac livré pour la campagne 2012[36] et à 1,04 € par kg pour la campagne 2013[37]. En , plusieurs pays européens, dont la France (par l'intermédiaire de son ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll), ont défendu une motion auprès de la Commission européenne pour réintroduire des subventions couplées à la production de tabac en Europe[38].
L'année 2017 a été marquée par l'entrée en vigueur de plusieurs mesures pour réduire la consommation de tabac : paquet neutre, alourdissement de la fiscalité sur le tabac à rouler, relèvement du minimum de perception, etc. ; selon les douanes, les ventes légales de tabac ont baissé de 2,2 %[39].
Outre la lutte contre le tabagisme, une des raisons du déclin de la production française est le coût de la main-d'œuvre. Un hectare de tabac nécessite près de 300 heures de travail contre, par exemple, 5 seulement pour le maïs. Ce travail, principalement pour la récolte en juillet et août, a longtemps été assuré de façon informelle par le cercle familial élargi de l'agriculteur, un type de travail qui a quasiment disparu aujourd'hui. La culture du tabac en France était aussi souvent une culture complémentaire pour de petites exploitations de polyculture-élevage ; elle a été progressivement abandonnée au fur et à mesure de la baisse de la rentabilité de cette culture[29].
La filière tabac en France a totalement disparu en avec la fermeture de la dernière usine de transformation du tabac à Sarlat-la-Canéda en Dordogne. La Seita, ancienne régie publique française des tabacs, a été privatisée en 1995, elle a fusionné avec la société espagnole Tabacalera en 1998, l'ensemble étant racheté par Imperial Tobacco (aujourd'hui Imperial Brands) en 2008. L'usine de Carquefou, à coté de Nantes, qui produisait les Gauloises et les Gitanes blondes, a fermé en 2014 et la dernière usine en France, la manufacture de tabac de Riom dans le Puy-de-Dôme, a fermé en 2017[29].
Quatre multinationales contrôlent plus de 95 % du marché français : Philip Morris International (avec sa marque phare Marlboro), British American Tobacco (Lucky strike, Dunhill, etc.), Imperial Brands (Gauloises, News, etc.) et Japan Tobacco (Camel, Winston, etc.)[40].
Histoire
Lorsque Christophe Colomb arrive en Amérique en 1492, il constate que les Indiens utilisent le tabac pour ses propriétés magiques et médicamenteuses. André Thevet en rapporte des graines et la culture du tabac commence en Europe.
Étymologie
Le substantif masculin[41],[42],[43],[44] tabac est un emprunt[41],[44] à l'espagnol tabaco[41],[42],[44], substantif masculin[45] lui-même emprunté[41] à l'arawak[42] de Cuba et Haïti[41] tsibatl, mot qui désignait soit un ensemble de feuilles, soit l'action du fumer, soit surtout le tuyaux de roseau dont les Amérindiens se servait pour aspirer la fumée[44].
Le mot « tabac », désignant à l'origine, pour les Européens, à la fois la plante et le cigare confectionné avec ses feuilles, vient de l'espagnol tabaco, lui-même emprunté à un mot arawak désignant une sorte de pipe, un instrument à deux tuyaux. Il est attesté sous sa forme espagnole depuis la première moitié du XVIe siècle. Les Arawaks, ensemble de peuplades amérindiennes des Antilles et d'Amazonie, possédaient donc probablement un autre mot pour désigner la plante que nous appelons tabac (digo selon l'archéologue Benoît Bérard) ; ce mot est apparu en espagnol par glissement sémantique, le contenant (pipe, instrument) finissant par désigner le contenu (feuilles séchées de la plante) puis la plante elle-même[46].
Origine en Amérique
Les peuples autochtones d'Amérique cultivaient et consommaient le tabac avant l'arrivée des colons européens.
Débuts en Europe
En 1492, lors de son expédition en Amérique, Christophe Colomb découvre le tabac[47] et le rapporte en Europe, à la Cour espagnole et portugaise, où il est pendant longtemps utilisé comme simple plante d'ornement. Ce n'est qu'au milieu du XVIe siècle que le médecin personnel de Philippe II d'Espagne commence à le promouvoir comme « médicament universel ». La première description écrite serait le fait de l'historien espagnol d'Oviedo.
Il est introduit en France en 1556 par un moine cordelier, André Thevet qui au retour de son séjour au Brésil, en fit la culture dans les environs de sa ville natale d'Angoulême. On l'appelle alors « herbe angoulmoisine » ou « herbe pétun ».
Dès 1775, les premiers soupçons de relation entre tabac et cancer sont exprimés[48].
Histoire du tabac en France
En 1560, l'ambassadeur de France (François II) au Portugal, Jean Nicot, attribuant au tabac des vertus curatives, envoie de la poudre de cette plante à la Reine Catherine de Médicis afin de traiter les terribles migraines de son fils François II. Le traitement ayant eu du succès, le tabac devint ainsi « l'herbe à la Reine ». Sa vente sous forme de poudre est réservée aux apothicaires. Pour honorer Jean Nicot, le duc de Guise proposa d'appeler cette herbe nicotiane. Cette proposition fut retenue par le botaniste Jacques Daléchamps qui dans son livre Histoire générale des plantes[49] au chapitre « Du Petum ou Herbe à la Reine » l'illustre d'une gravure intitulée Nicotiane ou Tabacum, terminologie reprise ensuite par Linné pour créer son binôme[50]. La plante reçut de très nombreux noms parmi lesquels on peut citer « nicotiane », « médicée », « catherinaire », « herbe de Monsieur Le Prieur », « herbe sainte », « herbe à tous les maux », « panacée antarctique » et finalement « herbe à ambassadeur ».
C'est à la fin du XVIe siècle qu'apparaît le mot « tabac » : la première illustration botanique en est donnée par Nicolas Monardes en 1571. En 1575, André Thevet donne un « pourtrait de l'herbe Petum ou Angoulmoisine » dans sa Cosmographie universelle (t II, livre XXI, chap VIII).
À la même époque est publié un des premiers traités sur le tabac, vu alors comme une plante médicinale : L'instruction sur l'herbe petum (1572) par Jacques Gohory.
Le cardinal de Richelieu instaure une taxe sur la vente de tabac en 1629[51]. Colbert fit de sa production et de son commerce un monopole royal et à l'époque la production nationale est la plus développée d'Europe, avec des plantations dans l'Est, le Sud-Ouest, ainsi que dans les 4 îles des Antilles les plus peuplées : Saint-Christophe, Martinique, Guadeloupe et Saint-Domingue[52].
Le tabac connaît un succès vif et rapide au XVIIe siècle. Ainsi, Molière ouvre sa pièce Dom Juan ou le Festin de Pierre par une tirade de Sganarelle sur le tabac :
« Quoi que puisse dire Aristote, et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac, c'est la passion des honnêtes gens ; et qui vit sans tabac, n'est pas digne de vivre ; non seulement il réjouit, et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner, à droit, et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai, que le tabac inspire des sentiments d'honneur, et de vertu, à tous ceux qui en prennent. »
À la fin du XIXe siècle apparait un « tabac désintoxiqué », produit selon la « méthode Gérold », que les médecins suisses disent bien promouvoir, mais pas avant « le jour où des expériences plus nombreuses et décisives nous auront montré la véritable innocuité du tabac traité par la méthode Gérold »[53] faisant suite à un article du Dr Hisrschberg[54]. M Bielefeld, 6 rue Thimonnier à Paris est présenté en 1902 comme l'un des premiers consommateurs de ce tabac en France et comme susceptible d'en citer des fournisseurs. On vend aussi des pipes et fume-cigares désintoxiquants[55]. Au début du XXe siècle, à Lons-le-Saunier le docteur Parant crée et vend un « tabac dénicotinisé »[56] dont il faisait des cigares et du tabac à pipe et à cigarette, mais selon un journal français de l'époque, « les produits de cette industrie obligée par la législation française à se tenir hors de nos frontières, n'arrivaient pas à se faire connaître en France, et recevaient de la douane l'accueil qu'on sait »[55].
Alors que de la nicotine et des extraits de tabac (décoction, extraits de fumée) utilisés comme médicaments ont commencé à tuer des patients ou des animaux lors d'expérimentations animales, et après qu'on a commencé à la fin du XIXe siècle à prouver qu'il existe une accoutumance et une dépendance au tabac[57],[58], quelques médecins commencent à étudier scientifiquement le tabagisme. On étudie d'abord ses effets sur la digestion avec par exemple une première thèse de médecine produite en 1894 par Kohos[59]. En 1894, la thèse de médecine du Dr Chéreau s'intéresse aux effets du tabac sur la gorge et la voix[60] avant que celle du Dr Pellet en 1897[61] puis celle de Jaucent en 1900[62] ne s'intéressent aux effets généraux du tabac et de ses extraits sur l'organisme et ses fonctions. Les travailleurs de l'industrie du tabac semblent également affectés, au point qu'en 1901, l'office du travail le considère comme un des poisons industriels[63] et 5 ans après, le Dr Amouroux et Prieur étudient respectivement certains de ses effets cancérigènes[64] et cardiovasculaires (1906)[65]. Trois ans plus tard, sur de solides bases expérimentales et cliniques la thèse du Dr Abel Gy (en 1909) complète leur travail[66], avec de quoi inquiéter ou préoccuper le monde médical quant aux effets de la toxicité du tabac qui semblent pouvoir négativement affecter la totalité des organes après un temps plus ou moins long[67] voire à mettre en question sa culture[68].
Calendrier
Dans le calendrier républicain français, le 16e jour du mois de Messidor est dénommé jour du tabac[69].
Ferme du tabac en 1674
À la demande de Louis XIV, Colbert établit un « Privilège de fabrication et de vente » en 1674, l'année de la création de la Compagnie du Sénégal. Les premières Manufactures des tabacs sont fondées à Morlaix, Dieppe et Paris. Le privilège est d'abord concédé à des particuliers dont le premier est Madame de Maintenon[70] qui le revend, puis à la seule Compagnie des Indes, au moment où celle-ci doit se retirer du commerce du sucre, relevant alors directement du roi et des ports qu'ils souhaitent favoriser.
La culture du tabac devient un monopole et rapidement les gouvernants voient les rentrées d'argent qu'ils peuvent espérer des taxes sur le tabac. Ces taxes augmentent le prix de vente, tandis que la recherche d'un bénéfice rapide dicte un faible prix d'achat aux planteurs, à une époque où les rois souhaitent remplacer la culture du tabac aux Antilles par celle du sucre, beaucoup plus rentable, à l'image de ce qui s'est passé sur l'île de la Barbade britannique. Plus que le monopole, c'est la stratégie de prix de vente et d'achats qui modifie alors en profondeur la production mondiale de tabac.
La contrebande se développe sur les côtes, en particulier sur l'île de Noirmoutier, et le nouveau monopole doit installer des acheteurs dans les ports d'Amsterdam et Liverpool, pour acheter le tabac des Antilles françaises, puis le tabac de Virginie, beaucoup moins cher, auquel les consommateurs prennent goût, et qui prend son essor[52].
XVIIIe siècle
Les planteurs de Virginie commencent à importer des esclaves grâce à la Compagnie royale d'Afrique, créée en 1672. En trente ans, les importations françaises font plus que tripler, passant de 20 % à 70 % de la consommation intérieure de tabac. La Virginie représente à elle seule 60 % des importations françaises[52]. En échange, la monarchie anglaise tente d'empêcher les raids de flibustiers anglais sur les îles à sucre françaises. Cette politique subit cependant un coup d'arrêt à la fin du siècle lorsque les taxes sur l'exportation du tabac anglais augmentent de 150 %. En 70 ans, elles quadruplent, mais sans gêner encore la position dominante déjà acquise sur le marché[52]. Le port de Londres, qui a le monopole d'importation depuis 1624, a les moyens de rendre cette filière compétitive.
Dès le milieu du XVIIIe siècle, la colonie de Virginie contrôle l'essentiel du marché mondial. L'autre grand producteur est la colonie voisine du Maryland, également soutenue par la maison Stuart. Afin de maîtriser les flux, la culture du tabac est prohibée dès 1719 dans toute la France, avec des condamnations qui peuvent aller jusqu'à la peine de mort. Exceptions : la Franche-Comté, la Flandre et l'Alsace. Elle le reste jusqu'en 1791. En 1809, Louis-Nicolas Vauquelin, professeur de chimie de l'École de médecine de Paris, isole un principe actif azoté des feuilles de tabac. La nicotine, quant à elle, est identifiée quelques années plus tard. La cigarette est introduite en France vers 1825.
Tabagies
Les tabagies (en allemand Tabakskollegium) étaient des réunions réservées aux hommes aux XVIIIe et XIXe siècles pour discuter d'affaires entre eux, en particulier après la chasse. Le roi Frédéric-Guillaume Ier y était très assidu dans son château de Wusterhausen, où il s'entourait de ses proches conseillers, en fumant de longues pipes[71],[72].
Tabac de troupe
Dès 1917, on voit apparaître le tabac dans les rations alimentaires de l'armée française.
La Ration K, introduite par l'armée des États-Unis le pendant la Seconde Guerre mondiale, était une ration alimentaire quotidienne de combat individuelle contenant des cigarettes.
Notes et références
- « Fumer tue... la planète ! » (consulté le ).
- « Tabagisme et cancers », sur cancer-environnement.fr, Centre Léon-Bérard (consulté le ).
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Voir aussi
Bibliographie
- Discours du tabac, où il est traité particulièrement du tabac en poudre. Avec des raisonnements physiques sur les vertus & sur les effets de cette plante, et de ses divers usages dans la médecine. 1re édition : 1668, 2e édition, 1677, 3e édition, Jean Jombert, 1693. Edme Baillard, pseudonyme de Jean Royer de Prade
- Monographie du tabac comprenant l'historique, les propriétés thérapeutiques, physiologiques et toxicologiques du tabac, par Charles Fermond, Paris : Imprimerie de Napoléon Chaix, 1857
- (es) Enrique Margery Peña, Estudios de mitología comparada indoamericana, San José, Editorial Universidad de Costa Rica, , 1re éd., 405 p., poche (ISBN 978-9977-67-739-2 et 9977677395, lire en ligne), « Usos y formas de consumo del tabaco en Indoamérica », p. 3-96 Histoire : utilisation et mythologie du tabac dans l'Amérique précolombienne
- Frédéric Bère, ingénieur des manufactures de l'État, conseiller général du Nord, professeur à l'Institut industriel de Lille, Les Tabacs, Paris, Librairies imprimeries réunies, , 275 p. (notice BnF no FRBNF30086699, lire en ligne)
- « L'affaire Ramsès II », Sciences et Avenir, no 441,
- Éric Godeau, Le tabac en France de 1940 à nos jours, Paris, PUPS, 2008
- Cigarettes : le dossier sans filtre, bande dessinée de Pierre Boisserie et Stéphane Brangier, Dargaud, 2019 (ISBN 9782205079333)
- (en) Tobacco in History, de Jordan Goodman
- (en) The Making of New World Slavery, de Robin Blackburn
- Pour ou contre le tabac ? (Éditions du Sonneur, 2010), recueil d'opinions sur le tabac d'écrivains français de la fin du XIXe siècle (Joris-Karl Huysmans, Pierre Loti, Stéphane Mallarmé, Jules Verne, Hector Malot…)
- (en) Robert N. Proctor, Golden Holocaust: Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition, 2012
- Stéphane Foucart, « Les conspirateurs du tabac », Le Monde, (à l'occasion de la publication du livre de Robert N. Proctor)
Articles connexes
- Addiction
- Toxicomanie
- Nicotiana tabacum
- Tabac oriental
- Nicotine
- Tabagisme
- Craving
- Cigarette, Cigarette mentholée, Cigare, Cigarillo, Pipe, Snus, Tabac à mâcher, Tabac à priser, Tabac chauffé
- Contrebande de tabac
- Effets du tabac sur la santé
- Histoire de la culture du tabac, Industrie du tabac
- Législation sur le tabac, Avertissements sur les paquets de cigarettes
- Maladie du tabac vert
Liens externes
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- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
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