Robert de Saint Jean

Robert de Saint Jean, né le [1] à Paris et mort dans cette même ville[2] le , est un écrivain et journaliste français. Il fut le compagnon de l'écrivain américain d'expression française Julien Green. Comme ce dernier, il tint un journal qu'il publia et qui permet d'appréhender la vie culturelle française sur plusieurs dizaines d'années.

Pour les articles homonymes, voir Saint-Jean.

Biographie

Fils de Raoul Radet de Saint Jean[3] et de Charlotte Serreulles, qui demanda et obtint le divorce, élevé dans un milieu bourgeois à Paris, notamment par sa grand-mère paternelle (Céline-Marie née Duhamel, épouse en secondes noces et veuve du général de brigade Robert de Saint-Jean[4]), demi-frère de Claude Bouchinet-Serreulles, il est élève au Collège Stanislas (Paris) jusqu'en 1918[5]. Il étudie ensuite au Royaume-Uni, à Cambridge où il a une chambre au King's College[6].

Il est secrétaire de rédaction à partir de 1924 puis rédacteur en chef de [7] au [8] de La Revue hebdomadaire de François Le Grix, publiée par Plon. Il y est notamment chroniqueur littéraire, de romans ou d'essais; il dirige la rubrique « La vie littéraire ». Il a pu y écrire de rares articles politiques. Ainsi en 1925 un article assez sévère consacré aux faiblesses des partis opposés au Cartel des gauches, qui le classe à droite[9]. Il mène avec un confrère, Roger Giron, une enquête remarquée sur les convictions politiques des jeunes écrivains (Drieu la Rochelle, Montherlant, Jean Cassou, André Maurois, Cocteau, Henri Rambaud, Maurice Martin du Gard, Ramon Fernandez, etc.) en 1926[10] puis interroge seul, de même, des industriels et des personnalités liées au monde des affaires[11].

C'est au domicile de Le Grix, homosexuel comme lui, qu'il rencontre le romancier Julien Green, le samedi . Ils ont tous deux été conviés à un thé avec d'autres amis du directeur de La Revue hebdomadaire[5]. Leur amour n'est pas que platonique, contrairement à ce que Green affirmait de son vivant et comme le révèle le Journal intégral posthume de ce-dernier (publié en 2019). Ils vivent une vraie intimité physique et forment un couple libre dans l'entre-deux-guerres. Chacun multiplie les partenaires occasionnels qu'ils partagent parfois[12]. Ils partagent aussi un appartement en 1929-1930[13], avec la romancière Anne Green, sœur aînée de Julien. Ils resteront très liés durant une soixantaine d'années, faisant ensemble de nombreux voyages (Allemagne, Autriche, Italie, Tunisie, États-Unis, Danemark, Suède, etc., dans les années 1920 et 1930). Aux visites touristiques et culturelles se mêlent souvent des aventures sexuelles[14]. Il voyage aussi sans Julien Green, là-encore faisant des rencontres[15]. Green le rejoint à Londres de septembre à puis en janvier-. À Paris, il fréquente dans l'entre-deux-guerres les lieux prisés des homosexuels, comme la brasserie le Sélect, le café Smith, le Club liégeois ou les bains Odessa. Il y rencontre des garçons, parfois des prostitués[16]. Il fréquente aussi avec son compagnon les milieux littéraires, notamment André Gide, Jean Cocteau, André Malraux, François Mauriac, Henry de Montherlant et beaucoup d'autres écrivains. Il côtoie aussi des peintres (Salvador Dali, Christian Bérard ou Pavel Tchelitchev) et des mécènes mondains (Marie-Laure de Noailles et son époux Charles de Noailles notamment).

Dans les années 1930, il est conseiller chez l'éditeur Plon; il dirige la collection « Choses vues », lancée en et interrompue en 1935[17]. Il écrit une pièce de théâtre, qu'il n'est pas parvenu à faire jouer[18]. Gallimard publie en revanche son unique roman en 1936, Le feu sacré. Il décrit un jeune garçon, René, qui grandit auprès de sa mère et de sa grand-mère, écrasé par le souvenir de son frère aîné mort durant la Première Guerre mondiale et idéalisé par sa mère, et qui se déprend peu à peu de l'image de ce frère, encombrante et fausse[19]. Julien Green en donne un compte rendu louangeur dans Le Figaro, sans mentionner leur relation[20]. Dans ce même quotidien, Robert de Saint Jean avait chroniqué l'année précédente un ouvrage de Green car Le Grix n'avait pas voulu faire paraître sa chronique dans La Revue hebdomadaire.

Il est surtout journaliste. Son premier livre, publié en 1934 et consacré aux États-Unis de Roosevelt, qu'il a visité avec Green, est paru auparavant sous la forme d'articles dans différents périodiques (Le Temps, Le Figaro, Paris-Midi, Marianne, Les Nouvelles littéraires, Vu, La Revue hebdomadaire, etc). Ils lui valent le prix de la fondation Strassburger[21]. Ses voyages avec Green lui ont permis de rencontrer des dirigeants politiques, tels en 1935 le chancelier Kurt Schuschnigg[22] à Vienne ou Mussolini à Rome[23], et d'écrire des articles, pour la Revue hebdomadaire, un périodique de province ou des quotidiens parisiens comme Le Petit Parisien, Le Figaro ou Le Journal[24]. Il collabore au quotidien Paris-Soir de Jean Prouvost, à partir de 1936. Ce journal lui offre le poste de correspondant à Londres en [25]. Il est envoyé spécial pour ce journal, à Londres de juillet 1936 à 1937[26], en Autriche, en Albanie et en Tchécoslovaquie en 1938, à Rome et à Londres en 1939. Il publie alors quelques articles dans d'autres journaux, comme Le Figaro[27]. En , il est le directeur adjoint de Prouvost, qui a été chargé de l'information et de la censure par Paul Reynaud.

Il quitte ensuite la France car il est inscrit sur la liste noire allemande à cause de ses articles, et rejoint les États-Unis, grâce à Julien Green et à des relations de ce-dernier. Il devient l'adjoint de Pierre Lazareff, ancien rédacteur en chef de Paris-Soir, à la section française de l’Office de l'information de guerre (Office of War Information)[28]. Il est aussi correspondant de France-Afrique puis de l'Agence France-Presse en 1944[29].

Il rentre en France après la guerre, collabore à France-Soir de Lazareff, de 1946 à 1948, à l'hebdomadaire Carrefour - il signe un article dès le n° 4, en [30] et ses articles se font plus nombreux à partir de 1946, jusqu'en 1957 -, au quotidien Le Parisien libéré - possédé également par Émilien Amaury - puis à Paris Match de Jean Prouvost, jusqu'en 1968[28]. Il travaille à la direction de leur service étranger. Il préside l'Association de la presse diplomatique française de 1958 à 1962[31]. Il est brièvement directeur littéraire chez Plon en 1960[32].

Il reçoit en 1984 le prix Marcel-Proust.

Œuvres

  • Avec Roger Giron, La Jeunesse littéraire devant la politique, 1928, éditions des Cahiers libres, 98 p. (enquête parue auparavant dans La Revue hebdomadaire)
  • La vraie révolution de Roosevelt, Grasset, 1934
  • Le Feu sacré, Gallimard, 1936 (roman)
  • Démocratie, beurre et canons : journal de guerre d'un Français moyen, New-York, Éditions de la Maison française, 1941
  • Julien Green par lui-même, Seuil, 1967
  • Journal d'un journaliste, Grasset, 1974
  • Moins cinq : journal des temps qui courent , Grasset, 1977
  • Passé pas mort, Grasset, 1983, rééd. 2012
  • Julien Green, avec Luc Estang, réédition 1990

Notes et références

  1. 1907 selon l'article nécrologique du Monde : Lire en ligne
  2. État civil sur le fichier des personnes décédées en France depuis 1970
  3. Né le 8 février 1873 à Pontivy (Morbihan)
  4. Recueil des arrêts du Conseil d'État, 1890
  5. Robert de Saint Jean, Passé pas mort. Souvenirs, Grasset, 1983
  6. Ibidem
  7. La Revue hebdomadaire, janvier 1928, Patricia Sorel, Plon: Le sens de l'histoire (1833-1962), Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 148
  8. Les Nouvelles littéraires, 13 avril 1935. Il a voulu démissionner en 1929 mais Le Grix a refusé : Julien Green, Journal intégral 1919-1940, Robert Laffont, 2019, p. 120
  9. La Revue hebdomadaire, novembre 1925, R. de Saint Jean, "L'avenir de l'opposition". Article applaudi par Charles Maurras dans L'Action française : L'Action française, 14 novembre 1925
  10. La Revue hebdomadaire, 16 janvier 1926, "La jeunesse devant la politique"
  11. La Revue hebdomadaire, 26 juin 1926, Ibid., 17 juillet 1926
  12. Julien Green, Journal intégral 1919-1940, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2019 (« Jeudi 5 mai (1932). Guy est venu. A dîner, conversation sur les boîtes de Paris. Robert ne disait pas grand-chose. Après dîner nous avons été au salon et nous sommes assis devant le feu, Guy dans un fauteuil assez loin de nous. Il était assis avec beaucoup d'élégance et paraissait très beau. Nous parlions anglais. La conversation dura plus de deux heures. Je ne voulais pas me mettre à peloter mon invité par délicatesse, car je n'aime pas faire payer leur dîner à mes hôtes, mais vers 10 heures Robert a fait signe au bel enculé de venir s'asseoir entre nous, ce que Guy a fait aussitôt s'abandonnant sans la moindre gêne. Ah que ce passage d'une attitude correcte à une attitude abandonnée me plaît et m'excite ! Une minute plus tôt le beau garçon parlait des livres de Maugham avec cette voix bien élevée si particulière aux Anglais, à présent jambes écartées, il nous donnait sa bouche et surtout sa pine. (...) (p. 420), Mercredi 8 juin (1932): (...) Pendant qu'il sera à Paris, Robert s'amusera (j'espère) en compagnie de Pierre à qui j'ai fixé rendez-vous pour ce soir. (...). Vendredi 10 juin (1932): Robert a goûté ma conquête de lundi soir. Il lui a trouvé encore plus de grâce que moi et la fraicheur paysanne de Pierre (...) lui a fait passer une heure agréable. Pierre est breton et encore assez innocent », p. 439), « Mercredi 3 juin (1936) : Avant-hier à Montparnasse avec Robert. Nous avons levé un jeune paysan du Tyrol, grand garçon à la figure laide mais excitante, les joues roses, la bouche large et lippue, les dents très blanches. Chez moi il s'est déshabillé et s'est couché aussitôt sur le ventre. Son cul rebondi m'a affolé (...) ». (p. 1024); Frédéric Martel, Le siècle d'enfer de l'écrivain homosexuel et catholique Julien Green, 12 septembre 2019, Site franceculture.fr (Lire en ligne)
  13. Julien Green, op. cit. : « Dimanche 18 mai (...) Il n'y a que Robert qui ait réussi à me rendre le bonheur. Ce matin, comme tous les jours, j'ai été l'embrasser dans son lit. Dans la pénombre, il ressemblait à un petit garçon. Alors que je prends mon bain et que je me rase, ou que je déjeune, je pense souvent qu'il est délicieux de la savoir au fond de l'appartement en train de dormir comme mon enfant. Il m'a paru si beau ce matin et si excitant que j'ai déchargé entre ses jolies fesses » (p. 173).
  14. Julien Green, op. cit., « Samedi 30 juillet (1932) : Hier après-midi, en désespoir de cause, nous sommes allés au Karlsbad (Luisentrasse). Quelques messieurs ventrus nous suivent, et dans le couloir, nous frôlent. Arrive un garçon assez laid mais d'une laideur excitante et au cul bien fait. Après quelques allées et venues autour de lui, nous le rejoignons dans le couloir. Il y est déjà avec un autre garçon qui se colle à lui en grognant d'aise » (p. 469), « Samedi 15 avril 1933 (...): Robert fait signe à un garçon un peu moins laid que les autres, qui nous suit, mais ses compagnons, jaloux de ne pas avoir été choisis, nous suivent également pour gêner et empêcher notre plaisir. Que tout cela est platement dit : Il faudrait décrire cette promenade le long de la mer, dans l'ombre pleine de parfums. Le garçon a un soupçon de moustache, un duvet noir au-dessus de la lèvre, mais ses yeux sont beaux (...) » (p. 589, « Mercredi 17 avril (1935): Lundi soir, Arduini nous présente un ravissant carabinier. Nous nous sommes rencontrés tous quatre au pied de la statue de Marc Aurèle et c'est dans la chambre de la garçonnière d'Arduini que nous (...). Arduini nous avait (...) par discrétion » (p. 904
  15. Julien Green, op. cit., « Mercredi 22 janvier (1936) : (...) Mon Robert est revenu ce matin à 10 heures (...) Quelle joie de le serrer dans mes bras ! Cela a effacé toutes mes larmes. Il a eu du succès à Copenhague, en Norvège et en Suède, a eu deux aventures » (p. 1007), « Lundi 10 août (1936) (...) Il est content de son travail à Londres où il espère trouver un petit appartement. Dans Hyde Park, la nuit, il a eu une rencontre agréable, un garde en uniforme. » (p. 1033=
  16. Julien Green, op. cit., « Dimanche 3 mai (1936) (...) Robert a eu une discussion assez désagréable avec un jeune truqueur rue Michel Ange. Le garçon s'est emparé de la clef de l'appartement en faisant d'assez vagues menaces. Plus tard il est revenu rendre la clef à la concierge. Il voulait plus d'argent que Robert ne lui en offrait. Mon pauvre Robert a été frappé de cette histoire. La concierge n'ignore rien de nos habitudes, mais c'est une brave femme, qui s'est bornée à recommander à Robert la prudence » (p. 1021)
  17. Patricia Sorel, Plon: Le sens de l'histoire (1833-1962), Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 141; Comoedia, 7 août 1932
  18. Julien Green, op. cit., « Mardi 19 juillet (1932) : Hier, après déjeuner, Robert m'a remis la copie dactylographiée de sa pièce. J'en suis demeuré interdit d'émotion » (p. 463
  19. Les Nouvelles littéraires, 7 mars 1936, Candide, 7 mai 1936
  20. Le Figaro, 8 février 1936
  21. Comoedia, 6 mai 1934
  22. Le Journal, 28 janvier 1935, R. de Saint Jean "Chez le chancelier Schuschnigg"; Julien Green op. cit., p. 866
  23. Julien Green, op. cit., « Dimanche 28 avril 1935 : Robert n'a pas encore réussi à voir Mussolini. Le grand homme parlait ce matin place de Venise. (...). (p. 915) Lundi 14 mai : (...) Robert a revu Mussolini aujourd'hui. Il a été frappé de tout ce que ce grand homme lui a dit » (p. 932).
  24. Le Grand écho du Nord de la France, 23 juillet 1935, Le Figaro, 6 février 1935, La Revue hebdomadaire, 23 février 1935, Le Petit ¨Parisien, 17 août 1935, Ibid., 29 septembre 1935
  25. Julien Green, op. cit., p. 1019, p. 1021 (« Dimanche 3 mai (1936) (...) Robert va tous les jours à Paris-Soir pour y apprendre son métier. Il irait à Londres en juillet »)
  26. Julien Green, op. cit., p. 1138 (« Samedi 20 novembre (1937) :(...) Il a envoyé à Prouvost sa lettre de démission »)
  27. Le Figaro, 14 mars 1938
  28. Robert de Saint Jean, Journal d'un journaliste, Grasset, 1974
  29. Le Petit Marocain, 11 juillet 1944, Jean Huteau, Bernard Ullmann, AFP : une histoire de l'agence France-presse : 1944-1990, 1992, p. 40
  30. Carrefour, 16 septembre 1944, R. de Saint Jean, "Qui sera président des États-Unis ?" (en une)
  31. Le Monde, 24 janvier 1987 (1957 selon cet article), Le Monde, 13 janvier 1958, Ibid., 15 janvier 1960, Ibid., 22 janvier 1962
  32. Patricia Sorel, op. cit. p. 280

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