Renier Acorre

Renier Acorre (ou Accorre[1]) (vers 1220-1230 à Florence ; 1297 - 1298 en Champagne), marchand florentin, chambellan et receveur de Champagne de 1269-1270 à 1277 puis panetier de France de 1277 à 1287, est selon Élisabeth Chapin « le plus riche et le plus important citoyen de Provins au XIIIe siècle »[2].

Sa vie, remplie par les activités du commerce et de la banque ainsi que par celles de grand officier de l'administration comtale puis royale, marquée à la fin par un grand désastre, fournit un exemple étonnant dans l'étude du profil des marchands italiens qui fréquentaient les foires de Champagne au XIIIe siècle[3].

Biographie

Renier Acorre, financier florentin

L'origine florentine de Renier Acorre nous est révélée par une charte de 1269[4]. Il s'agit d'une quittance où Thibaut II de Navarre dit le Jeune, comte de Champagne et roi de Navarre, donne à « Renier Acorre, de Florence » la qualification de « son amé et féal » [5].

Au sujet des premières années de sa vie, les sources ne nous renseignent en rien. Nous ne pouvons que suivre les hypothèses avancées par les historiens, Félix Bourquelot en tête. On peut ainsi supposer qu'il naquit entre les années 1220 et 1230 à Florence. Son départ de Toscane pour la France, son installation en Champagne, son enrichissement nous sont des points inconnus. Il faut attendre 1258 pour que son nom soit prononcé dans les documents conservés.

La famille de Renier Acorre

Sa vie privée nous est assez peu connue. On ignore ainsi la date de son mariage mais on trouve la première indication de sa femme en 1268[6], Jeanne, veuve de Eudes de Vieux-Champagne avec qui elle avait eu plusieurs enfants. Dans le Cartulaire de Provins [7], on trouve un acte de 1272, fait le jour de la St Étienne, par lequel ces enfants issus d'un premier mariage sont mis hors de la « vouerie » de Renier et de Jeanne, leur mère, en présence du maire ; les échevins et le prévôt, c'est-à-dire qu'ils sont déshérités. Renier Acorre voulait ainsi protéger les intérêts de son fils qu'il avait eu avec Jeanne : Jean, nommé échevin de Provins en 1274 et maire de cette ville de 1275 à 1277 puis de nouveau en 1287. Les auteurs de la collection de Champagne parlent d'un autre fils, Girard, que Renier Acorre aurait eu avec une nommé Béatrix[8].

Un grand propriétaire terrien à Provins

En 1260, il est propriétaire d'une maison à Provins, dans la rue Froidmantel, près du four de la Loquelière, maison qu'il se plaisait à habiter; cela résulte d'une charte d'après laquelle Pierre des Barres consent à l'échange d'une rente de vingt livres que lui devait le comte de Champagne, contre une rente de même valeur que Renier Acorre devait au prince. Dans deux actes de la même année, il est qualifié « bourgeois de Provins », titre qu'il reçoit encore plus tard, en diverses circonstances, et jusqu'en 1278. De citoyen florentin, il est donc devenu bourgeois, le droit de bourgeoisie étant soumis à privilège dans la France médiévale. Renier Acorre est donc profondément intégré à la société provinoise de l'époque.

Depuis 1259, on le voit acquérant en grand nombre des propriétés foncières, échangeant des terres, des maisons, des rentes ou des censives, et faisant des affaires d'argent avec les personnes qui avaient besoin de ses capitaux, parmi lesquelles on remarque plusieurs grands seigneurs de la province de Champagne et de Brie, le roi de Navarre, le comte de Grandpré, le seigneur de Ramerupt. En 1270, par exemple il achète à « Moriau Girart », citoyen et marchand de Florence, tous les bois, prairies, terrains et hommes qu'il possédait dans le fief de monseigneur Jean de Montigny[9].

Les richesses de Renier Acorre, qui permettent cette emprise foncière dans la région de Provins, sont liées au commerce et aux activités de banque qu'il a déployé au sein des foires de Champagne. Mais parmi tous les marchands étrangers qui se sont rendus aux foires de Champagne, la figure de Renier Acorre. En effet, le plus souvent, les marchands venaient pour une saison de foire voire pour une seule foire et ne restaient guère plus qu'un ou deux ans en Champagne. Si les flux migratoires générés par les foires de Champagne (vers l'Italie et la Flandre surtout, vers l'Angleterre, la Provence, l'Allemagne dans une moindre mesure) étaient importants pour l'Europe des XIIe siècle, XIIIe siècle et XIVe siècle, ils demeuraient temporaires et pendulaires à moyen terme. Ainsi, voir un marchand étranger qui se fixe définitivement dans une ville de foire est assez exceptionnel, même si l'accès au droit de bourgeoisie était facilité par les comtes de Champagne puis par les rois de France quand la Champagne fut intégré sous Philippe IV le Bel au domaine royal[10].

Chambellan et receveur de Champagne

Renier Acorre se fait connaître assez rapidement des autorités comtales et Thibaut le Jeune, après l'avoir chargé de faire des acquisitions en son nom pour la fondation du couvent des frères Prêcheurs qu'il voulait établir à Provins, le fit son chambellan[11]. La mort de Thibaut le Jeune le au port de Trapani en Sicile, au moment où il regagnait la France avec sa femme Isabelle, ne changea rien pour Renier Acorre à qui le titre de chambellan de la cour de Champagne est toujours attribué dans des actes de 1271 et 1273 [12]. Il était en même temps receveur du comté, et Henri d'Arbois de Jubainville dit avoir relevé vingt-six actes, du mois d' au mois d', se rapportant à sa gestion financière [13]. À la même époque, il se qualifiait de seigneur de Gouaix[14]. Henri III de Champagne, qui succéda à Thibaut le Jeune lui céda par une charte à titre de fief les bois de l'Épinai et Aux Brébans, en récompense du bon service qu'il avait fait, et pour le service qu'il pouvait lui faire à l'avenir[15].

Panetier de France

Après la mort d'Henri III le à Pampelune, ne laissant qu'une fille en bas âge, Jeanne, l'influence royale devint de plus en plus grande sur les affaires de la province champenoise. Philippe le Hardi, qui avait arrêté le mariage de son fils aîné avec Jeanne, fit faire une enquête sur la date de la naissance de cette princesse, et sur l'âge auquel la coutume de Champagne lui permettait de prendre l'administration de ses domaines. Il paraît que dans cette circonstance Renier Acorre ne fut pas aussi favorable aux intérêts d'Edmond de Lancastre qui avait en charge l'administration de la Champagne durant la minorité de Jeanne, et le roi de France le récompensa de sa bonne volonté à son égard en le nommant grand panetier de France[16]. On peut croire aussi que la concession de ce titre fut une compensation pour la perte de celui de chambellan de Champagne qui lui aurait été enlevé. De 1277 à 1287, Renier Acorre devient ainsi panetier du royaume de France : des comptes de sa gestion sont parvenus jusqu'à nous; et des actes de 1285 le font figurer parmi les magistrats composant la cour des Grands Jours de Troyes.

La « faute » de Renier Acorre

On ignore les motifs de sa disgrâce qui eut lieu en 1287 ou en 1288 mais on peut supposer que ce fut pour cause de malversation, soit réelle, soit prétextée par un pouvoir royal peu scrupuleux sur les moyens de se procurer de l'argent. On connaît à cet égard les manières d'agir de Philippe le Bel, qui ne reculait pas devant les mesures injustes et arbitraires, et peut-être Renier Acorre dut-il sa perte à des richesses trop enviées. Ce qui est certain, c'est qu'il perdu ses charges et que ses biens furent vendus au nom du roi, par un acte de , au doyen et chapitre de Notre-Dame du Val de Provins[17].

La réhabilitation en 1296

Renier Acorre fut réhabilité en 1296, mais ses biens ne lui furent pas rendus[18]. Il mourut vers 1297 ou 1298 : on voit les noms de ses fils Jean et Girard Acorre figurer dans les actes en 1298, 1309 et 1313 et plus le sien[19].

Bibliographie

d'ARBOIS DE JUBAINVILLE, Henri. Histoire des comtes de Champagne, Paris : A.Durand,1859

BOURQUELOT, Félix. «Renier Accorre, financier et grand propriétaire au XIIIe siècle». Bibliothèque de l'école des chartes, 1867, v. 28, p. 64-81.

CHAPIN, Élisabeth. Les villes de foire de Champagne, des origines au début du XIVe siècle, Paris : Honoré Champion, 1937

MONTANARO, Ralph D. « The cartulary of Renier Acorre. » In Dissertation Abstracts International, The Humanities and Social Sciences, 1977

VERDIER, Pascale. Le cartulaire de Renier Acorre, thèse de l’École des Chartes, 1992

Notes et références

  1. A Florence, il a dû porter le nom de Raniero Accurri ; dans les documents en langue latine ou en langue vulgaire, on le trouve appelé Renerius Acurri ou Accursie, Renier Accorre, Acorre, Lacorre, Lacourre.
  2. Chapin, Élisabeth. Les villes de foire de Champagne, des origines au début du XIVe siècle, Paris : Honoré Champion, 1937
  3. À propos des marchands italiens fréquentant les foires de Champagne, une littérature nombreuse existe parmi laquelle on peut citer : Bautier, Robert-Henri. «Les Tolomei de Sienne aux foires de Champagne. D'après un compte-rendu de leurs opérations à la foire de mai de Provins en 1279.». In: Clovis Brunel (éd.), Recueil de travaux offert à M. Clovis Brunel, par ses amis, collègues et élèves, p. 107-129. Paris: Société de l'École des Chartes, 1955 ; Berti, P. Documenti riguardanti il commercio de Fiorentini in Francia nei XIIIe siècleXIVe siècle singolamente il loro con corso alle fiere di Scampagne, 1294, Nozze Sanesi-Crocini, 9 fev 1896 ; Bigwood, Georges. « Les Tolomei en France au XIVe siècle ». Revue belge de philosophie et d'histoire. 1929, vol.8-4, p. 1109-1130 ; Le Goff, Jacques. Marchands et banquiers au Moyen Age. Paris: Presses Universitaires de France, 1980. Que sais-je ? , 699 ; Renouard, Yves. Les hommes d'affaires italiens du Moyen Age. Paris: Tallandier, 2009. Texto, (dir. coll.) Jean Claude Zylberstein. 383 p. Nouvelle édition établie d'après les notes de l'auteur par Bernard Guillemain, professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Bordeaux ; Sayous, André-E. « Les opérations des banquiers italiens en Italie et aux foires de Champagne pendant le XIIIe siècle », Revue Historique, t.170, fasc.1, Paris : PUF, 1932, p1-31
  4. Cartulaire de Renier Accorre, fol 157 v° et 90 v°, col. 1
  5. aimé et fidèle
  6. Cartulaire de Renier Accorre, fol 104 v°, col.1
  7. Archives municipales de la ville de Provins
  8. Archives nationales, Collection de Champagne, vol. 134, fol 131
  9. Chapin, Élisabeth. Les villes de foire de Champagne, des origines au début du XIVe siècle, Paris : Honoré Champion, 1937
  10. Sur l'évolution des foires de Champagne, voir notamment : Bautier, Robert-Henri. «Les principales étapes du développement des foires de Champagne». Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. p. 314-326. 96e année, n° 2
  11. Cartulaire de Renier Accorre, fol 134 v°, col. 2
  12. Cartulaire de Renier Accorre, fol 107 r° et v°, 109 r°, 158 v°
  13. Henri d'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, 1859, t. IV, p. 46
  14. Cartulaire de Renier Accorre, fol. .107 r° et v°, 180 r0, 182 v°, 183 r° et v°, 55 v°.
  15. Orléans, octobre, 1273, lundi après la St. Rémi. — Cartulaire de Renier Accorre, fol. 109 r°
  16. Archives nationales, Collection de Champagne, vol. 134, fol 131
  17. Bibl. de Provins, Cartulaire de Michel Caillot, fol. 232 v°
  18. Archives nationales, Collection de Champagne, vol. 134, fol 131 et Bibl. de Provins, Illustres de Provins, Ythier, p.178
  19. Bibl. de Provins, Cartulaire de Michel Caillot, fol.246 (acte de 1298 concernant la vente d'une partie de la dime de Villiers-St-Georges) ; Archives nationales, Cartulaire de Preuilly, p.55 ( acte de 1309 à propos de Jean de la Courre) ; Archives nationales, Cartulaire de Jouy, latin 5467, p.95 (acte de décembre 1312 concernant une vente aux moines de Jouy)
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