Qu'est-ce qu'une nation ?

Qu'est-ce qu'une nation ? est une conférence donnée par Ernest Renan à la Sorbonne en 1882, et publiée par la suite dans les Discours et conférences, en 1887. Ce discours reste, avec La Vie de Jésus, le texte le plus connu de Renan.

Qu'est-ce qu'une nation ?
Auteur Ernest Renan
Pays France
Genre Conférence
Date de parution 1887

Dans la préface du recueil de 1887, l'auteur consacre une large partie à l'importance qu'il accorde au texte de sa conférence, où il dit avoir « pesé chaque mot avec le plus grand soin ».

Le texte et sa postérité

Dans cette conférence prononcée le , Renan se positionne contre une vision allemande de la nation, dans le contexte de la défaite de 1870 et de l'annexion par l'Empire allemand de l'Alsace-Lorraine. Il formule l'idée qu'une nation repose à la fois sur un héritage passé, qu'il s'agit d'honorer, et sur la volonté présente de le perpétuer :

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

Ce texte est devenu l'emblème d'une conception française contractuelle de la nation, basée sur la volonté d'une population de former une nation, par opposition à une conception allemande contemporaine censée être beaucoup plus essentialiste (fondée sur la culture, la langue, la religion comme la race). Les Discours à la nation allemande (1807) de Johann Gottlieb Fichte sont souvent pris en exemple de la conception allemande malgré le fait que les deux auteurs s'expriment à 75 ans d'intervalle.

Le texte figure au programme des examens de la fonction publique en France.

La nation comme réalité fondamentale

Ce discours a souvent été interprété comme le rejet du nationalisme culturel du type allemand en faveur d’un modèle contractuel de la nation. Pourtant, pour des auteurs comme Marcel Detienne et Gérard Noiriel, la conception par Renan de la nation comme un principe spirituel ne serait pas exempte d’une dimension raciale. Le « plébiscite de tous les jours » défendu par Renan « ne concerne que ceux qui ont un passé commun, c'est-à-dire ceux qui ont les mêmes racines »[1].

Toutefois, cette suspicion isolée ne résiste pas aux analyses unanimes d'ouvrages très récents qui insistent sur les dimensions géographiques[2], historiques[3], économiques[4], psychosociologiques[5], juridiques[6], politistes[7] et rationalistes[8] de la réalité des nations et sur l'adhésion par la personne à sa nation. D'ailleurs, dès l'origine Renan avait fait du « vivre ensemble » le critère principal de sa compréhension de la nation. Aristote avait déjà dit, lui aussi, dans sa Politique, que « même s'ils n’ont pas besoin d’aide réciproque, les hommes aspirent à vivre ensemble » ; mais si tel est bien le consensus, le but commun de la cité est ailleurs : la cité est « la communauté du bien vivre (εὖ ζῆν) pour les familles et les groupes de familles en vue d’une vie parfaite[9] », dit-il, et de manière plus catégorique encore : « Les belles actions, voilà ce qu’il faut poser comme fin de la communauté politique, et non la seule vie en commun[10]. » Il souligne d’ailleurs la signification de ce consensus qui repose sur le lien social par excellence qu’est l’amitié : « Les alliances de familles, les phratries, les sacrifices publics et toutes les relations de la vie en commun (τὸ συζῆν) sont l’œuvre de l’amitié ; car le choix délibéré de la vie en commun, c’est de l’amitié[11]. » D'autres auteurs comme RousseauJohn Stuart Mill, Julien Benda, Marcel Mauss, étaient aussi sur cette ligne qui constate que les hommes font le choix souverain de décider avec qui vivre ou ne pas vivre ensemble. La nation fut élevée par Émile Durkheim au rang suprême dans la hiérarchie des formes d’attachement des individus aux groupes et à la société dans son ensemble[12]. Quant au socialiste Jean Jaurès il en avait compris la dimension sociale et solidaire : « la Nation est le seul bien des pauvres »[13].

Références

  1. Marcel Detienne, L'identité nationale, une énigme, Gallimard, 2010, p. 47.
  2. Jean Pierre Doumenge, La dimension socio-spatiale de la nation et ses conséquences sur le gouvernement des hommes, in Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Collectif, Sorbonne éd. déc.2018, p.45.
  3. Eric Anceau, Qu'est-ce que la nation française ? in Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Collectif, Sorbonne éd. déc.2018, p.19 ; Robert Tombs, Le Royaume Uni et ses nations au tournant de leur histoire ? ibidem, p.213 ; Hélène Dewaele Valderrabano,L'invertébration de l'Espagne, ibidem, p.217 ; Silvia Marton, Identité nationale, territorialité et régime politique en Roumanie,ibidem, p.243 ; Françoise Thom, La Russie post-communiste : le « grand espace » contre la nation, ibidem, p. 259.
  4. Jacques Sapir, Les élites, l'euro et l'incapacité des élites à penser le retour des nations, in Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Collectif, Sorbonne éd. déc.2018, p.97 ; Jean Claude Werrebrouck, L'Euro, ce talisman qui a déjà détruit les nations, ibidem, p. 165.
  5. Edgar Morin, Sociologie, Fayard, 1984, p.168 ; Julien Freund, Politique et impolitique, Sirey, 1985. Henri Temple, Entre psychologie et sociologie : l'identité nationale, un droit de l'homme ?, in Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Collectif, Sorbonne éd. déc.2018, p.183.
  6. Olivier Gohin, Qu'est-ce qu'une nation en droit français ? in Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Collectif, Sorbonne éd. déc.2018, p.97.
  7. Pierre-André Taguieff, Emmanuel Macron, le président en marche vers l’'Europe souveraine ou la dernière utopie messianique en butte au réel, in Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? Collectif, Sorbonne éd. déc.2018, p.283.
  8. Pierre Manent, La Raison des nations : Réflexions sur la démocratie en Europe, Gallimard, collection "L'esprit de la cité", 2006. Henri Temple, Théorie générale de la nation : l'architecture du monde, L'Harmattan, 2014 ; Henri Temple, « Théorème du « nationisme », Contemporaine évidence des nations », Cahiers de psychologie politique, Université de Caen, no 27, (lire en ligne)
  9. Aristote, Politique, Livre III, chap. IX, 1280 b 33-35.
  10. Aristote, Politique, Livre III, chap.IX, 1281 a 2-4.
  11. Politique (Aristote), Livre III, chap. IX, 1280 b 33-39.
  12. Dominique Schnapper, Durkheim et la nation, in Revue internationale de philosophie, 2017/2, p.201 à 221.
  13. Jean Jaurès, L'armée nouvelle, Paris, J.Rouff, 1911.

Bibliographie

  • (eu) Joxe Azurmendi, "VII: Zer da nazioa?" In Historia, arraza, nazioa. Renan eta nazionalismoaren inguruko topiko batzuk, Donostia: Elkar, 2014; pp. 355-444. (ISBN 978-84-9027-297-8)

Voir aussi

Liens externes

  • Portail de la philosophie
  • Portail de la politique
  • Portail de la France au XIXe siècle
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.