Protectorat de Wallis-et-Futuna
Le protectorat de Wallis-et-Futuna est un protectorat français du au sur les îles de Wallis, Futuna et Alofi, dans l'océan Pacifique[1]. Il est dirigé par un résident envoyé par la France, qui réside à Wallis. De 1906 aux années 1950, les résidents sont des médecins militaires. Néanmoins, l'administration française doit composer avec le pouvoir coutumier (Lavelua à Wallis, rois à Futuna, et leurs chefferies) ainsi qu'avec la puissante église catholique dirigée par l'évêque. Le protectorat prend fin en 1961, lorsque Wallis-et-Futuna devient un territoire d'outre-mer.
Statut | Protectorat de la France |
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Langue(s) | Français (officiel), wallisien, futunien (de facto), latin (religion) |
Religion | catholicisme |
Février, octobre 1842 | Premières demandes de protectorat par le Lavelua |
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1881, 1884 | Nouvelles demandes de protectorat par la reine Amelia Tokagahahau Aliki |
Signature du protectorat pour Wallis | |
Signature du protectorat pour Futuna | |
Rattachement de Futuna à Wallis et protectorat unifié | |
Nouveau traité de protectorat | |
1913 | Demande d'annexion (rejetée en 1924) |
Années 1930 | Crise du coprah |
Prise de Wallis-et-Futuna par la France libre et installation d'une base américaine | |
Avril 1946 | Départ des troupes américaines |
Approbation par référendum du statut de Territoire d'outre-mer | |
Wallis-et-Futuna deviennent un TOM, fin du protectorat |
Entités suivantes :
Origine
Dès l'arrivée des pères maristes en 1837 à Wallis et à Futuna, les missionnaires comprennent l'intérêt d'une protection officielle de la France sur les îles qu'ils ont converti au catholicisme. En effet, à a fin du XIXe, les rivalités entre catholiques et protestants sont fortes. Comme le résume Jean-Claude Roux, « derrière l'écran missionnaire allait se jouer longtemps une délicate partie entre marins, consuls, colons, commerçants, pour le contrôle des archipels du Pacifique sud »[2]. Il s'agit également de contrer l'influence des Tonga, récemment convertis au méthodisme, et qui veulent étendre leur religion à Wallis.
Sous l'influence des pères maristes, le souverain wallisien (Lavelua) fait une première demande de protectorat à la France en , puis en octobre de la même année, en s'adressant aux différents capitaines de navires qui accostent à Wallis. Pour Jean-Claude Roux, « la nécessité de protection des missionnaires maristes fit que la Marine française s'attribua de facto un droit de regard sur les affaires de Wallis et Futuna »[3]. La Marine française cherchait à l'époque à augmenter les ports où ses navires pouvaient faire escale.
Cependant, la France refuse initialement cette demande de protectorat, car une crise diplomatique a éclaté avec l'Angleterre, dite « affaire Pritchard », autour du protectorat établi à Tahiti : les annexions françaises dans le Pacifique s'arrêtent alors pour quelque temps pour apaiser les Britanniques[4].
Débuts du protectorat (1887-1905)
Création
Dans les années 1880, la situation diplomatique et stratégique change. Après l'annexion anglaise de Fidji en 1874 qui brise l'équilibre précaire entre les deux nations, les Français souhaitent eux aussi affirmer leur position dans l'Océanie lointaine[5]. Wallis-et-Futuna jouissent d'un regain d'intérêt auprès du ministère des colonies, et les visées tongiennes sur 'Uvea inquiètent de plus en plus les wallisiens. En 1881 et 1884, la reine de Wallis, Amelia Tokagahahau (fille du Lavelua Soane Patita Vaimu'a) réitère sa demande de protectorat aux officiers français qui font escale à Wallis. Ce n'est qu'en 1886 que la demande de protectorat auprès de la France aboutit enfin, cinquante ans après l'installation des pères maristes.
La reine Amelia Tokagahahau signe un traité de protectorat ratifié par la France le . Le de la même année, les rois Anise Tamole pour Sigave et Malia Soane Musulamu pour Alo demandent eux aussi leur rattachement à la France. Le , un protectorat unifiant Wallis et Futuna est signé[1].
Les souverains de Futuna et Wallis gardent toute leur autorité coutumière sur leur sujets[5] : ce n'est donc pas à proprement parler une conquête ou une colonisation. Le premier résident de France arrive à Wallis en 1888[6]. Mais pour Jean-Claude Roux, en 1900 « Wallis et Futuna ne présentaient plus une quelconque valeur stratégique »[7]. Ce n'est qu'à la fin des années 1890 que les deux îles présentent un petit intérêt économique avec la production de coprah[8]. Pour Filihau Asi Talatini, « sans la mission catholique, la France ne serait pas présente dans l'archipel »[9].
Administration
Le protectorat est administré par un résident. Il habite à Wallis (avec son chancelier) et ne visite Futuna que quelques jours par an : les Futuniens sont donc plus autonomes, mais également plus délaissés par l'administration française en cas de besoin[5]. Cette situation se poursuit jusqu'aux années 1960, l'administration ne s'installant à Futuna qu'en 1959[5]. Dans un contexte de rivalité entre les deux royaumes d'Alo et de Sigave[10], vingt rois se succèdent à Alo et treize à Sigave entre 1900 et 1960[11].
Le clergé catholique encadre fortement la population. L'évêque en place, Monseigneur Bataillon avait réussi à transformer Wallis en une véritable théocratie insulaire et son pouvoir demeure très importante jusqu'à sa mort en 1877[12]. Les fêtes religieuses rythment le calendrier et la participation à la messe est obligatoire. Selon Jean-Claude Roux, « [la mission] donne l'exemple d'une stabilité proche du fixisme »[11]. À Wallis, le résident doit composer avec le pouvoir coutumier (Lavelua et chefs traditionnels), ainsi qu'avec l'évêque. Les tensions sont parfois fortes et les crises politiques nombreuses. Jusqu'à l'arrivée du résident Viala en 1905, le protectorat est assez instable[11]. Par la suite, les résidents restent sur l'île en moyenne quatre ans[11].
Les premiers médecins-résidents (1906-1942)
En 1906, un accord signé avec le Lavelua prévoit que le résident soit également un médecin, membre du corps de santé colonial[13]. « Pendant la première moitié du xxe siècle, les médecins affectés à l’île de Wallis (et Futuna) en étaient aussi les « patrons » sous la dénomination de Médecin-Résident. Ils remplissaient les fonctions de gouverneur avec mission de maintenir l’ordre public et de contrôler le budget qu’ils acceptaient ou refusaient »[13]. Pierre Élie Viala arrive en 1905 et est suivi de Jean-Victor Brochard (fils de Victor Brochard), qui s'oppose fortement à la mission catholique. Arrivé en , Brochard doit quitter Wallis en avril 1910 mais grâce à des soutiens à Nouméa, il peut revenir en 1912 sur l'île[13].
Projets d'annexion (1913)
Un nouveau traité de protectorat est signé avec la France le . Le texte, valide jusqu'en 1961, limite les pouvoirs du roi de Wallis, mis en situation de sujétion par rapport au résident, et ceux des missionnaires. Ce nouveau traité de 1910 est censé préparer à l'annexion, demandée officiellement par le roi en 1913, sous l'influence du résident Victor Brochard[14], Le , le croiseur Kersaint accoste à Wallis et organise une cérémonie où le drapeau français est levé devant le palais royal. Cela ne manque pas d'inquiéter les pays voisins anglophones. L'annexion devient en France un projet de loi en 1917, voté par la Chambre des Députés en 1920, mais elle est finalement refusée par le Sénat en 1924[15].
Après plusieurs « initiatives désastreuses »[13], le résident Brochard part définitivement de Wallis-et-Futuna en 1914. Entre 1914 et 1926, il n'y a pas de médecin-résident[13].
Alain Gerbault à Wallis (1926)
En 1926, Alain Gerbault s'échoue sur le récif à Wallis. Restant sur l'île pendant plusieurs moins afin de réparer son navire, il s'intéresse à la vie politique locale et critique ouvertement la mission et l'administration française. Cela provoque des troubles parmi la population locale qui proteste contre le roi Tomasi Kulimoetoke Ier et le résident en . À la suite de ces évènements, cinq meneurs sont jugés et exilés à Nouméa le à la demande du résident Barbier. Ils sont toutefois amnistiés le et reviennent à Wallis en [16].
La crise du coprah
Au début des années 1930, Wallis et Futuna sont touchées par un parasite, l'oryctes rhinoceros, qui contamine les cocotiers et entraîne un effondrement de la production de coprah, alors la principale exportation du territoire[13].
Le « roi David » (1933-1938)
Le protectorat de Wallis et Futuna a été marqué par la figure de Jean Joseph David[17],[18]. Ce médecin militaire arrive à Uvea en 1933 et prend la tête du protectorat. C'est le seul colon de l'île (hormis une quinzaine de missionnaires et deux commerçants[19]). Il fait un bref passage à Futuna, mais réside essentiellement à Wallis[18]. « David n’a pas été que médecin mais aussi résident, chef des travaux, juge de paix, « roi » ; il installe un nouvel hôpital, une école, développe le sport afin d’œuvrer à l’amélioration physique [des Wallisiens] qu’il cherche également à mettre au travail (forcé) pour développer l’île »[20]. En 1934, il construit la première école publique de l'île et en 1935 un hôpital et une maternité[13].
Il met en place de grands travaux : entretien des routes (il crée notamment la route de Mu'a à Hihifo), développement des cocoteraies, plantation de nouvelles cultures comme le manioc. Pour cela, il détourne le système de travaux collectifs présents dans la coutume wallisienne, le fatogia. « Par des alliances avec des nobles wallisiens [...], il a réussi à mettre en branle un système de corvées coutumières qu'il va détourner au profit [...] du développement des infrastructures de l'île, mais en le poussant à la limite. »[18]. Face à son autoritarisme, il est surnommé « Docteur Machette »[20] ou lea tahi (en wallisien, « celui qui ne donne des ordres qu'une seule fois », à qui il faut obéir de suite)[21]. Il entretient également des relations difficiles avec la mission catholique.
Afin d'asseoir son autorité, le résident David réussit à prendre la place du roi (Lavelua) dans la cérémonie du kava, où la première coupe lui est réservée[18]. Il obtient quasiment le statut coutumier de Lavelua, après le décès du roi précédent. Son mariage avec une princesse wallisienne lui permet de s'affirmer davantage[18]. La population l'appelle alors Te Hau Tavite, « le roi David »[22].
En 1939, il publie L'œuvre française aux îles Wallis et Futuna où il liste ses actions et ses réussites[19]. Cependant, à la fin de son séjour, une épidémie de typhoïde touche la population wallisienne, à cause de la sous-alimentation provoquée par les corvées[18]. Pour Claire Fredj, son expérience s'apparente donc à un échec[20].
Après sa période wallisienne, Jean Joseph David part au Cameroun où il met en place des méthodes similaires[17].
Seconde Guerre mondiale
Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que les autres territoires français du Pacifique se rallient à la France libre en 1940, le protectorat de Wallis et Futuna reste fidèle à Vichy. En effet, Alexandre Poncet (1884-1973)[23], évêque de Wallis-et-Futuna, est un antirépublicain et pétainiste convaincu[24]. Une première reconquête est envisagée par le Général de Gaulle en , mais éventée, elle est annulée[25]. Face à l'avancée japonaise dans le Pacifique, les Américains souhaitent investir l'île pour y installer une base militaire. Le Général de Gaulle, soucieux de préserver la souveraineté française, négocie pour que les troupes de la France libre débarquent en premier à Wallis.
Coupée des autres territoires français et des îles environnantes (Fidji, Samoa, Tonga) aux mains des alliés, Wallis et Futuna souffrent d'un isolement complet pendant dix-sept mois[24]. Ce n'est qu'en 1942 qu'un corps expéditionnaire de la France libre s'empare du territoire et arrête le résident Léon Vrignaud, sans aucune violence[26]. Le lendemain, l'armée américaine installe une base militaire sur l'île ; elle y reste jusqu'en 1946.
Le commandement américain fait débarquer 2 000 GI's sur l'île, et leur nombre s'élève à 6 000 durant les deux années suivantes[27]. En , les soldats du génie (seabees) arrivent sur l'île[28]. Les Américains construisent de nombreuses infrastructures : une base aérienne à Hihifo pour bombardiers (qui est devenue l'aérodrome de Hihifo) et une autre à Lavegahau, une hydrobase à la pointe Muʻa, un port à Gahi et un hôpital de 70 lits[29], ainsi que des routes[30]. Ils acheminent une quantité importante d'armements, DCA, avions, tanks, etc.
Cette période a de profondes répercussions sur la société wallisienne : les soldats américains introduisent de nombreux matériels et construisent des infrastructures qui aujourd'hui encore ont laissé leur empreinte Les GI's arrivent avec un fort pouvoir d'achat, et Wallis est reliée par avion et bateau aux îles Samoa. En conséquence, écrit Frédéric Angleviel, « il en résulte une extraordinaire prospérité économique à la fois inattendue, brève et sans lendemain. Une véritable folie de consommation s’abat sur l’île malgré les efforts de réglementation de la résidence »[31]. Les recettes fiscales du protectorat augmentent grandement grâce aux taxes douanières sur les produits américains. La présence des américains bouleverse l'autorité de la chefferie et des missionnaires. En effet, les roturiers (tuʻa) s'enrichissent rapidement en travaillant pour l'armée américaine. En conséquence, l'administration française se voit obligée de revaloriser de 1000% l'indemnité des chefs en 1943[32]. Les pères maristes tentent de contrôler les mœurs de la population uvéenne, mais des relations amoureuses et sexuelles se développent entre GI's et wallisiennes[33]. Plusieurs enfants métis naissent de ces unions[33].
En débute le démantèlement puis l'évacuation des bases américaines aux Samoa et à Wallis[34]. Les soldats quittent 'Uvea [35],[36],. Il ne reste plus que 300 soldats en mars et seulement douze américains en à 'Uvea[35]. En avril 1946, les derniers Américains quittent Wallis[AngB 1]. La période fastueuse de richesse et de gaspillage s'interrompt aussi brutalement qu'elle a commencé. Les Wallisiens se retrouvent face à des difficultés économiques : les cultures vivrières ont été négligées, les plantations de cocotier ont été abandonnées faute d'export du coprah, et les volailles sont menacées de disparition. Même le lagon a été abîmé par la pêche à la dynamite[AngB 2]. La population doit se remettre au travail.
En revanche, Futuna n'est pas investie par les Américains et reste largement à l'écart de ces mutations[27].
Notes et références
- Wallis et Futuna. Rapport annuel 2009, Paris, IEOM, (lire en ligne), p. 19 ("Section 2 - Repères historiques")
- Roux 1995, p. 129
- Roux 1995, p. 128
- Roux 1995, p. 131
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- Roux 1995, p. 283
- Roux 1995, p. 7
- Roux 1995, p. 14
- Filihau Asi Talatini, « "Lotu mavae" : identité religieuse en mutation à Wallis et Futuna », dans Elise Huffer, Mikaele Tui, Uvea, University of the South Pacific/Service des Affaires Culturelles de Wallis, (lire en ligne)
- Angleviel 1994, p. 206
- Roux 1995, p. 281
- Pechberty et Toa 2004, p. 39
- André Borgomano, « Le roi David », Bulletin de l'ASNOM (Association Santé Navale et d'Outre-Mer), no 127, (lire en ligne)
- Roux 1995, p. 134-138
- Angleviel 1994, p. 136
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Bibliographie
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- Frédéric Angleviel, « Wallis-et-Futuna (1942-1961) ou comment le fait migratoire transforma le protectorat en TOM », Journal de la Société des Océanistes, nos 122-123, , p. 61–76 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.541, lire en ligne, consulté le )
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- Dominique Pechberty et Epifania Toa, Vivre la coutume à ʻUvea (Wallis), L'Harmattan, (lire en ligne)
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