Politique linguistique

On appelle politique linguistique ou aménagement linguistique, toute politique conduite par un État ou une organisation internationale, à propos d'une ou plusieurs langues parlées sur son territoire[1], pour modifier trois composantes de leur évolution :

  • Leur statut : langue officielle ou non.
  • Leur corpus : élaboration ou reconnaissance officielle de dictionnaires, de grammaires.
  • Leur acquisition, notamment à l'école : obligation d'apprentissage ou limitation de l'expansion de langues minoritaires, ou même parfois éradication.

L'emploi de la signalisation routière bilingue est sans doute le principal instrument symbolique de perception et d'institutionnalisation de la réalité bilingue d'un territoire.

Une politique linguistique peut consister à planifier le statut d'une langue en attribuant des fonctions particulières à une langue donnée, par exemple en la déclarant langue officielle ou en en faisant la langue unique de l'administration et de la justice, ou bien au contraire, en lui enlevant ces rôles. Il y a plusieurs manières explicites ou implicites de règlementer le statut relatif des langues.

Elle peut également consister à planifier le corpus d'une langue en adoptant un système d'écriture, en fixant le vocabulaire par l'établissement de lexiques ou de dictionnaires, en arrêtant des règles grammaticales et orthographiques, en favorisant ou non la création terminologique pour limiter ou non les emprunts aux langues étrangères, etc. Des institutions ont été établies dans beaucoup de pays pour définir les normes linguistiques, comme l'Académie française dès 1635 ou la Real Academia de la Lengua Espanola (1713).

Elle peut encore consister à modifier le nom d'une langue, en le calquant sur le nom de la région ou de l'État que l'on veut distinguer (Moldavie, etc.) ou sur des références historiques, culturelles et linguistiques différentes (Hindi/Ourdou, Malais/Indonésien, Bosnien/Croate/Monténégrin/Serbe). Dans l'ex-URSS les noms de la plupart des langues minoritaires avaient été changés (Toungouses = Evenki, Zyrianes = Komi...).

Enfin elle peut même aller jusqu'à recréer une langue dont l'usage s'était perdu. Il y a alors modification du statut, du corpus et de l'acquisition. C'est le cas de l'hébreu moderne en Israël.

Politique linguistique : entre laisser-faire et interventionnisme

Tous les États ont une politique linguistique, déclarée ou non. Il y a plusieurs manières implicites ou cachées d'opérer quand les gouvernements ne déclarent pas de politique linguistique officielle, comme c'est le cas aux États-Unis. La langue majoritaire est de fait favorisée: c'est celle de l'État et de son administration, de l'enseignement, des médias , du commerce, etc. Compte tenu de l'hégémonie de ces langues dominantes dans un ou plusieurs pays, les locuteurs des langues minoritaires sont obligés ou incités fortement à apprendre ces langues dominantes pour survivre et s'intégrer, et ceci aux dépens de leurs langues maternelles qui sont généralement de plus en plus minorisées et pour beaucoup peuvent aller jusqu'à disparaître[2].

Les politiques linguistiques prennent une importance particulière dans les États multilingues, qui sont majoritaires et qui sont parfois amenés à légiférer jusque dans les détails. C'est notamment le cas en Belgique pour le néerlandais et le français. C'est aussi un sujet délicat dans nombre de pays, dont la France, face à l'hégémonie grandissante de l'anglais.

Politiques de défense des langues nationales

Les politiques linguistiques prônent souvent la protection d'une ou de plusieurs langues. On est parfois proche du "protectionnisme linguistique" pour certaines mesures qui, en France, tendent à juguler la domination de l'anglais dans l'Hexagone (quota de chansons francophones de 40 % à la radio, loi Toubon...). Ces lois peuvent être ou non appliquées selon la volonté politique des gouvernements.

Politiques vis-à-vis des langues minoritaires

L'existence d'environ 200 États reconnus , -voir Liste des États du monde par continent-, et de 7 000 langues dans le monde indique que cette question se pose dans la grande majorité des États. La Liste des langues officielles, au nombre de 140 environ, indique l'importance numérique des langues minoritaires. Le degré de répression ou de protection des langues minoritaires dans un pays peut être très variable selon les époques, les pays et les gouvernements.

  • Assimilation forcée par l'interdiction de langues minoritaires à l'école ou dans l'administration et les lieux publics (certains pays d'Amérique latine jusqu'au XXe siècle, Turquie une partie du XXe siècle), pouvant aller parfois jusqu'au linguicide, voire à l'ethnocide (une grande partie des langues amérindiennes aux États-Unis).
  • Monopole dans l'enseignement et l'administration de la langue nationale : France, notamment au XIXe siècle et au début du XXe.
  • Enseignement minoritaire des langues régionales (France, surtout à partir des années 1980).
  • Autonomie régionale forte et bilinguisme scolaire généralisé entre la langue régionale et la langue nationale principale : Espagne après 1980 - Catalogne, Pays basque -, Québec, etc.

La France ne mène officiellement aucune politique linguistique déclarée contre les langues autochtones autres que le français, ni aucune en leur faveur. Ces langues sont appelées langues régionales. L'attitude de l'administration peut être cependant parfois hostile ou à tout le moins sujette à caution.

  • Certaines langues régionales peuvent théoriquement néanmoins être choisies en LV2 (deuxième langue vivante étrangère) dans les établissements publics. On ne connaît cependant aucune section LV2 débutant, comme les langues étrangères, au niveau de la classe de 4e dans les collèges publics.

Droit et force

L'usage des langues régionales et de leur place face à une langue officielle dominante est un sujet parfois très délicat. La Diglossie ou expression alternative d'un même locuteur dans deux langues est souvent asymétrique entre une langue dominante et une langue dominée. Dans ce cas, la politique linguistique reflète souvent le rapport de force politique entre le pouvoir central et le pouvoir local : volonté d'assimilation à la "langue de la République" en France, ou bien, à l'inverse, tendances à une autonomie plus large, comme en Catalogne.

Types de politique linguistique

On peut distinguer deux grandes formules de traitement politique du plurilinguisme, bien qu'il existe des situations mixtes[3] :

  • Les politiques linguistiques basées sur le principe de territorialité, selon lequel l'État est divisé en différentes régions ayant chacune une langue officielle déterminée : c'est le cas par exemple de la Suisse, de la Belgique, de l'Inde. L'utilisation de la langue est donc liée au sol ;
  • Les politiques linguistiques basées sur le principe d'individualité, selon lequel l'État reconnaît sur l'ensemble de son territoire plusieurs langues officielles, qui sont toutes utilisées par l’administration, chaque citoyen étant en principe libre de faire usage et d'être pris en charge par les institutions dans la langue de son choix. L'utilisation de la langue est rattachée à la personne dans ce cas (d'où principe d'individualité). Le principe d'individualité est appliqué au Canada.
Enfin, le principe de personnalité collective permet aux individus de parler leur langue dans le domaine public. À nouveau, l'utilisation de la langue est rattachée à la personne et non au sol.

Les différents pays mènent une politique linguistique, qu'elle soit officielle ou implicite.

Expérimentation de politique linguistique publique

  • Politique de reconstruction d'une langue :

De la même manière, les pays (ou organisations) qui se lancent dans la concrétisation d'une politique linguistique voient plusieurs options s'offrir à eux :

  • Ils peuvent décider d'aménager le statut de la langue (types de statut possibles: officiel, co-officiel (comme c'est le cas du français, du néerlandais et de l'allemand en Belgique), national ou prioritaire). Définir le statut d'une langue implique également de déterminer dans quels domaines elle sera utilisée (ex. : dans l'enseignement, les médias, les relations commerciales, dans le monde professionnel, etc.).
Ce type d'intervention vise à promouvoir une langue, lui permettre de survivre, voire de renaître. Il permet aussi de faire respecter les droits des minorités linguistiques.
  • Il est également possible d'aménager le code. Il faut définir si l'on s'intéresse davantage à la langue générale ou à la langue de spécialité, puis choisir si l'on va s'occuper de l'écrit (création d'un alphabet, réforme orthographique, enrichissement du vocabulaire, etc.) ou de l'oral.
L'aménagement du code a pour objectif de réformer ou standardiser la langue en simplifiant la stylistique, en normalisant et en modernisant la terminologie.

Politique linguistique internationale

Les empires avant 1920

Plusieurs politiques ont été observées historiquement.

Plurilinguisme de fait dans l'empire de Charles Quint avec les langues espagnole, allemande, néerlandaise, etc.;

Imposition de la langue impériale comme seule langue administrative et souvent d'enseignement : Rome antique à l'origine des langues romanes, Amérique latine coloniale, ou à partir de l'enseignement du second degré l'anglais dans l'Inde coloniale.

Répression de ceux qui parlent une autre langue, voire Linguicide qui peut aller dans certains cas extrêmes jusqu'au génocide, comme celui des Arméniens dans l'Empire Ottoman en 1915.

Des coalitions militaires se coordonnent dans la langue dominante de l'époque, comme le français à Waterloo par les généraux prussiens, anglais, autrichiens et russes. Le français est la langue diplomatique de référence à partir de la fin du dix-septième siècle.

À la fin du XIXe siècle, les puissances économiques anglophones et germanophones sont devenues majeures. L'anglais et l'allemand concurrencent le français en tant que langue de communication internationales

La Société des Nations

Les langues internationales choisies sont le français et l'anglais, puis l'espagnol.

En , 13 pays incluant environ la moitié de la population mondiale, dont la Chine, les Indes, le Japon et la Perse votent une recommandation pour utiliser la langue internationale auxiliaire Espéranto comme langue de travail additionnelle de l'institution[4]. Cette résolution est rejetée par la délégation française qui pense ainsi mieux défendre le rôle international du français.

L'ONU

En 1945, à sa création les Langues officielles de l'Organisation des Nations unies sont l'anglais, le français, le russe, l'espagnol, le chinois. L'arabe a été ajouté en De fait l'anglais a une place prépondérante.

Les organisations dépendantes de l'ONU: OMS, UNESCO, OIT, etc. suivent son exemple.

L'UNESCO

L' Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, a notamment publié un atlas mondial des langues en danger. Il recense en 2 464 langues. Pour chacune de ces langues, l'atlas donne son nom, le degré de menace et le ou les pays où cette langue est parlée.

L'Unesco considère que les langues appartiennent au patrimoine culturel immatériel de l'humanité et œuvre pour la diversité linguistique par des programmes de sauvegarde des langues en danger. L'organisme fournit les chiffres suivants :

  • 50 % des langues sont en danger de disparition ;
  • une langue disparaît en moyenne toutes les deux semaines ;
  • si rien n'est fait, 90 % des langues vont probablement disparaître au cours de ce siècle.

Les linguistes sont préoccupés par ce phénomène, car les langues qui disparaissent sont souvent des langues qui contiennent des phénomènes linguistiques rares, voire uniques, et s'ils n'ont pas été répertoriés, enregistrés, étudiés, ils seront perdus à jamais.

Le degré de menace est mesuré avec l'échelle suivante :

- vulnérable : la plupart des enfants parlent la langue, mais son usage peut être restreint à certains domaines (par exemple à la maison) ;

- en danger : les enfants n'apprennent plus la langue comme langue maternelle ;

- sérieusement en danger : la langue est parlée par les grands-parents et les plus vieilles générations, la génération des parents peut la comprendre mais ils ne la parlent pas à leurs enfants ou entre eux ;

- en situation critique : les plus jeunes locuteurs sont les anciens et les grands-parents et ils ne parlent la langue que partiellement et non régulièrement ;

- éteinte : il ne reste plus aucun locuteur connu de cette langue depuis 1950.

Certains observateurs estiment que la promotion complémentaire de la langue internationale auxiliaire espéranto, estimée du fait notamment de l'absence d'exceptions huit à dix fois plus facile que n'importe quelle autre langue par le secrétaire général adjoint de la Société des Nations, le scientifique japonais Nitobe Inazō, permet à la fois de faciliter l'apprentissage des langues et de conserver plus facilement l'usage de sa langue maternelle en disposant d'une langue internationale neutre parallèlement à d'autres langues.

L'Union européenne (UE)

Au départ en 1958 la CEE reconnaît comme langues officielles et langues de travail les quatre langues reconnues comme langues officielles dans un ou plusieurs des six États membres. Ce principe sera conservé avec les élargissements successifs. Les Langues dans l'Union européenne (UE) sont en 2020 au nombre de 24 langues officielles et de travail. De 1958 à 1973, le français, langue diplomatique et juridique utilisée dans trois États sur six, est la principale langue de référence pour les documents introductifs de la Commission, version initiale de nombreux décrets et lois. Ce rôle va progressivement passer à l'anglais surtout à partir de 1995 et 2005, les nouveaux arrivants choisissant massivement, parfois contraints pour ceux de 2004, l'anglais comme principale langue procédurale. On distingue cependant trois langues procédurales, l'anglais, le français et l'allemand[5].

Avec le Brexit, certains considèrent que l'anglais, qui est aussi une langue officielle de Malte et de l'Irlande, soit un peu plus de 1% de la population de l'UE, deviendrait une langue « neutre ». D'autres estiment que l'anglais est la langue nationale de la superpuissance hégémonique concurrente de l'UE, et qu'il faut utiliser davantage les langues les plus parlées dans la nouvelle UE, particulièrement les deux autres langues procédurales, le français et l'allemand, ainsi que si les gouvernements le désirent d'autres langues largement parlées comme l'italien, l'espagnol, le polonais qui pourraient jouer un rôle plus actif. Enfin d'autres, actuellement minoritaires, estiment que, au côté des langues procédurales, quand certains documents ne peuvent être traduits dans toutes les langues de l'UE, la langue internationale auxiliaire parlée espéranto, neutre, facile et précise, pourrait être introduite comme langue pivot ou relais auxiliaire ce qui améliorerait l'équité et l'efficacité en interne, et éviterait de donner un avantage économique trop important à de grandes puissances concurrentes de l'UE se traduisant par des pertes d'emplois dans cette dernière. Elle pourrait aussi être introduite comme langue commune relativement facile dans l'enseignement, tremplin efficace pour l'étude des autres langues selon le Rapport Grin

Notes et références

  1. Robert Phillipson, La domination de l'anglais, Paris, Libre et Solidaire, , 360 p., P. 108-111
  2. (fr) Louis Jean Calvet, Les langues : quel avenir? Les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, CNRS editions.fr, , 272 p. (ISBN 978-2-271-09253-3), p. 111-120
    • (es) Rafael Ninyoles, Estructura social y política lingüística, Valence, Fernando Torres, , 207 p. (ISBN 84-7366-033-1), chap. 7 (« Tendencias fundamentales de la política lingüística »), p. 149-164
  3. Robert Phillipson (trad. de l'anglais), La domination de l'anglais : un défi pour l'Europe, Paris, Libre et Solidaire, , 360 p. (ISBN 978-2-37263-065-8), p. 255
  4. Robert Phillipson, La domination de l'anglais, op.cit., Paris, chap. 4 p 196-208

Voir aussi

Bibliographie

Louis-Jean Calvet, La Guerre des langues et les politiques linguistiques.
Le plurilinguisme est inconsciemment perçu dans nos sociétés à travers le mythe de Babel. Le pluralisme linguistique, loin d'être compris comme une richesse, est vécu comme confusion des langues, châtiment divin qui met fin à la construction de la Tour, en faisant obstacle à la communication entre les peuples. Cet imaginaire est celui de linguistes qui tentent d'instaurer l'usage d'une langue unique dans les frontières des États ou d'inventer des langues universelles artificielles. Cette planification est ainsi la forme concrète de la politique linguistique. Si la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, la politique linguistique est à l'inverse une forme civile de la guerre des langues. À partir d'enquêtes et d'études de cas, africains, latino-américains, européens et asiatiques, l'auteur analyse ici les enjeux de ces politiques et appelle au respect de la diversité linguistique.
Louis-Jean Calvet, Les Politiques linguistiques Que sais-je ? », 3075), Paris, PUF 1996.
Louis-Jean Calvet est professeur de sociolinguistique à Aix-en-Provence. Il est notamment l'auteur dans la collection « Pluriel » d'une Histoire de l'écriture.
Marie-Josée de Saint-Robert, La Politique de la langue française, de Que sais-je?
L'analyse de l'intervention de l'État en France dans le domaine de la langue, montre comment une volonté politique se traduit en action et comment ont été gérés, depuis ces dernières décennies, les influences et les enjeux parfois contradictoires. Le texte se limite à la politique mise en œuvre en France depuis les années 1960.
Robert Phillipson, La Domination de l'anglais, un défi pour l'Europe, préface de François Grin, Editions Libre et Solidaire, 360 p. 2019
Albert Bastardas-Boada, Contextes et représentations dans les contacts linguistiques par décision politique: substitution versus diglossie dans la perspective de la planétarisation, Diverscité Langues, 1997.

Pour le monde arabe (Liban) :

Plonka Arkadiusz, L’idée de langue libanaise d’après Sa‘īd ‘Aql, Paris, Geuthner, 2004, (ISBN 2-7053-3739-3).

Plonka Arkadiusz, Le nationalisme linguistique au Liban autour de Sa‘īd ‘Aql et l’idée de langue libanaise dans la revue «Lebnaan» en nouvel alphabet, Arabica, 53 (4), 2006, p. 423-471.

Articles connexes

Liens externes

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