Politique de l'enfant unique
La politique de l'enfant unique, ou politique de planification des naissances (en chinois : 计划生育政策 / 計劃生育政策, , « politique de planification des naissances ») est la politique publique de contrôle des naissances mise en œuvre par la république populaire de Chine de 1979 à 2015.
Destinée à éviter la surpopulation du pays, elle se manifeste essentiellement par la pénalisation des parents de plus d'un enfant, mais aussi par la réalisation d'avortements et de stérilisations par la force.
Assouplie pour les familles paysannes dans les années 1980, elle introduit en 2013 une nouvelle exception pour les couples dont l'un des membres est lui-même un enfant unique, puis est remplacée en 2015 par une politique fixant le nombre maximal d'enfants à deux par famille. En 2021, l'assouplissement est porté à trois enfants par famille.
Historique
Contexte
Afin de contrôler la démographie du pays, le gouvernement de la république populaire de Chine a lancé deux politiques majeures de contrôle des naissances : la politique du « wan-xi-shao » (chinois : 晚稀少 ; pinyin : ; litt. « mariage tardif, naissances peu rapprochées et peu nombreuses »), lancée au début des années 1970 et la politique de l'enfant unique, mise en application en 1979[1]. Les minorités ethniques (à l'exception des Zhuang, la plus importante minorité ethnique de Chine) ne sont pas concernées.
La mise en place de la « politique de l'enfant unique », la politique de contrôle des naissances la plus autoritaire mise en place à l'échelle d'un pays, est difficile à justifier sur un plan purement démographique. En effet, la fécondité chinoise a fortement chuté entre 1970 et 1978, passant de 5,75 à 2,75 enfants par femme[2] ce qui montre que la politique démographique précédente (wan-xi-shao) fut particulièrement efficace.
L'origine de la politique fait débat. Certains, dont Susanne Greenhalgh, sont d'avis qu'elle trouve ses racines dans la peur malthusianiste d'une surpopulation[3]. D'autres auteurs, notamment Pascal Rocha da Silva, avancent l'hypothèse que la politique ait eu avant tout une motivation économique. En effet, elle est mise en place par Deng Xiaoping concomitamment avec les Quatre Modernisations. Celles-ci indiquent que la nouvelle légitimité de l'État chinois se trouve non plus dans le dogme mais dans l'amélioration concrète du niveau de vie. Limiter drastiquement le nombre d'enfants permet d'allouer les maigres ressources de l'État plus pleinement à la croissance économique. En 1995, l'État indique que tel est le but de la politique en ces termes : « le planning familial doit servir et être subordonné à la tâche centrale du développement économique ». Une raison secondaire est que les Quatre Modernisations vont entraîner, de manière prévisible, une baisse de la supervision étatique des campagnes : il n'est dès lors plus possible de poursuivre la politique de wan-xi-shao, qui repose sur la structure de la période maoïste (qui permet de surveiller chacun en tout temps)[4].
Mise en œuvre
Elle s'appuie sur des méthodes autoritaires dans les années 1980[5], ce qui entraîne des résistances inégalement réparties dans le territoire chinois.
En 1984, face au constat que la politique est insupportable pour les paysans, l'État publie le document 7 qui autorise certaines familles rurales à avoir un second enfant dans certains cas[6]. Cette préférence pour les garçons découle surtout du simple fait que les assurances sociales (et notamment vieillesse) sont quasi inexistantes à la campagne. Lors du mariage, l'épouse entre dans la famille de son mari et s'occupera de ses beaux-parents et non pas de ses parents biologiques.
Depuis 2002, le versement d'une somme de 510 euros (5 000 yuans, à rapporter au salaire moyen urbain de 1 200 yuans) permet la naissance légale d'un deuxième enfant. Dans le cas de naissances illégales, des pénalités sont prévues : amendes et non délivrance du hukou, petit livret permettant, entre autres, la gratuité des transports, scolarité, etc.
Fin de la limite à un enfant
Le 15 novembre 2013, l'agence Chine nouvelle annonce que le plénum du Comité central a décidé d'assouplir progressivement sa politique de l'enfant unique : alors que jusqu'ici les Chinois n'étaient autorisés à avoir un deuxième enfant que s'ils vivaient à la campagne et que leur premier nourrisson était une fille ou lorsque les deux parents étaient enfants uniques, désormais les couples qui ne comptent qu'un seul parent enfant unique pourront avoir deux enfants ; la politique des naissances sera ajustée et améliorée progressivement pour promouvoir « l'accroissement équilibré à long terme de la population de la Chine », a indiqué l'agence qui parle d'une « réforme majeure »[7].
Le 29 octobre 2015, lors du 5e plénum du Comité central du Parti communiste chinois, un nouvel assouplissement de cette politique est annoncé[8] : tous les couples seront autorisés à avoir deux enfants à partir du [9]. Il n'est pas certain que cette décision amène les familles chinoises à opter pour un deuxième enfant ; en effet, en 2013, l'assouplissement précédent n'avait pas donné les résultats escomptés puisque, sur 11 millions de couples potentiellement concernés par la réforme, seuls 700 000 d'entre eux avaient, demandé l'autorisation d'avoir un deuxième enfant un an et demi plus tard (et 620 000 l'ont obtenue)[10],[11], bien loin des deux millions attendus par les autorités. « Dans cette Chine devenue hyper-matérialiste, l'enfant est souvent perçu comme une charge susceptible de gêner les parents dans le déroulement de leur carrière et d'entraîner des coûts tels que beaucoup préfèrent renoncer »[12].
Le 31 mai 2021, « pour faire face à la forte baisse du taux de natalité et au vieillissement de la population dans le pays »[13], la Chine annonce porter la limite à trois enfants par famille[14],[15]. La date d'entrée en vigueur de la mesure n'est pas encore annoncée[16].
Fin du contrôle des naissances
En 2018, un projet de code civil chinois envisage la fin du contrôle des naissances[17],[18]. Le code civil, promulgué en 2020 et entrant en vigueur le , ne mentionne pas le contrôle des naissances. D'après le journal chinois Global Times, cela signifie que cette disposition finira par être abandonnée. D'après le journal, la décision pourrait être prise après la fin du septième recensement de la population (en), en 2021[19].
Selon la CIA, le taux de natalité est estimé à 11,6 pour mille en 2020, le taux de mortalité à 8,2 pour mille et le taux d'émigration à 0,4 pour mille ; la progression de la population est donc d'environ 3 pour mille[20].
Méthodes mises en œuvre
Toujours dans le but de ralentir l'accroissement naturel, la constitution chinoise limite les mariages en imposant l'âge minimal de 22 ans pour les hommes et de 20 ans pour les femmes. En retardant la formation des foyers, elle espère réduire la période de fécondité.
Stérilisation et avortement
En république populaire de Chine, 13 millions d'avortements étaient réalisés chaque année avant 2009[21], et plus de 70 % des femmes déclaraient souhaiter plus d'un enfant, dans le cadre d'une enquête conduite par le planning familial chinois en 2006[22].
La politique de l'enfant unique a conduit à des stérilisations et des avortements forcés[23]. L'avocat Chen Guangcheng a défendu la cause de femmes forcées à être stérilisées ou à avorter, parfois à quelques jours de l'accouchement[24].
Le respect des quotas ayant une incidence politique sur les responsables des cantons, certaines exactions auraient été observées dans ce sens au Tibet, entraînant là aussi des stérilisations et avortements forcés[25]. En 2005, la Commission de la population nationale et du planning familial reconnait l'existence de nombreux cas d'avortements et de stérilisations forcées dans la province du Shandong ; des villageois qui essayaient de protéger leurs familles ont par ailleurs été battus à mort[26]. Ces exactions faisaient suite à des reproches adressés à des responsables locaux à propos d'une natalité jugée trop importante.
D'autre part, après une échographie pour déterminer le sexe de l'enfant, certaines familles choisissent d'avorter quand il s'agit d'une fille. D'après Isabelle Attané, ces avortements ciblés « seraient responsables de l'élimination de 500 000 à 600 000 filles chaque année »[27].
Conséquences
Effet sur le taux de fécondité
Dans les années qui suivent la mise en œuvre de la politique de l'enfant unique, la fécondité en Chine augmente légèrement, mettant fin à la baisse continue observée au cours des années précédentes. À la suite de cela, la baisse de la fécondité reprend, suivant la tendance observée dans les pays voisins ayant adopté une politique moins autoritaire de réduction de la natalité[28],[29]. Ce constat a conduit plusieurs démographes à remettre en cause l'idée que cette politique ait eu un effet sensible sur la croissance de la population chinoise[30],[31].
En raison d'une fécondité particulièrement élevée lors des années pro-natalistes, la densité du nombre de femmes en âge de procréer progresse jusqu'au début des années 1990[32] et la natalité demeure donc très élevée pendant plusieurs décennies après la mise en application de la politique de l'enfant unique.
Le , Zhang Weiqing, responsable de la commission nationale de la population et du planning familial, affirme dans une interview accordée au site web du gouvernement chinois que la politique de l'enfant unique aurait permis d'éviter quatre cents millions de naissances en un peu plus de trente ans[33].
Enfants cachés
Un nombre inconnu d'« enfants noirs » – ou enfants cachés par les familles par peur de représailles – existe en RPC, privés d'école, de soins médicaux ou d'emploi déclaré, sans acte de naissance ni papiers d'identité (notamment le hukou) ; la plupart des études officielles, s'appuyant sur le recensement de 2010, font état de 13 millions d'« enfants noirs »[10],[34].
Infanticides et abandons des bébés de sexe féminin
Des infanticides et des abandons de filles à la naissance, par des parents désireux que leur unique enfant soit un garçon, ont été rapportés[35]. La tradition chinoise veut en effet « qu'une fille soit « perdue » pour ses parents biologiques au moment de son mariage. Entièrement dévouée à sa belle-famille, elle ne doit plus rien à ses propres parents, pas même l'obligation de s'en occuper une fois âgés »[12]. Par ailleurs, la Chine est un pays de culture essentiellement patrilinéaire, et la lignée familiale y revêt une grande importance[36]. La perception des filles s'est toutefois améliorée au fur et à mesure qu'elles devenaient plus rares[37].
Déséquilibre garçons-filles
La politique de l'enfant unique a engendré un fort déséquilibre hommes-femmes à la naissance, se prolongeant tout au long de la vie : en moyenne, la population chinoise compte 108 hommes pour 100 femmes en 2014[38]. En 2005, le rapport de masculinité à la naissance était de 120 garçons pour 100 filles[39]. Outre les infanticides, ce déséquilibre est le résultat d'avortements sélectifs[12].
Trafic d'êtres humains
Ce déséquilibre entre les sexes a pour conséquence la mise en place d'une traite des êtres humains, notamment dans le cadre de la prostitution en république populaire de Chine. Les femmes de ces réseaux viennent notamment de pays d'Asie du Sud-Est[40]. Ainsi en 2002, un homme a été condamné à mort pour avoir enlevé puis vendu une centaine de femmes à des Chinois célibataires dans la province du Guangxi. Dans la province du Yunnan des dizaines de femmes ont pu être libérées avant d'être vendues à des réseaux mafieux de la prostitution. Elles étaient destinées à alimenter les lieux de prostitution comme esclaves sexuelles dans les centres urbains de l'Asie du Sud-Est. D'autres femmes devaient rejoindre Taïwan afin de s'y marier.
Le chef adjoint des services d'enquêtes sur les crimes indique qu'entre 30 000 et 60 000 enfants disparaissent chaque année en Chine sans pouvoir indiquer toutefois le pourcentage attribué au trafic humain. En août 2009, le ministère chinois de la Sécurité publique a mis en place un programme pilote destiné à informer les populations migrantes de ce trafic[41].
Vieillissement de la population
Malgré l’assouplissement de la politique de l’enfant unique (dans les années 1980, puis en 2013 et 2015), le taux de natalité reste en dessous du seuil de renouvellement de la population. Le vieillissement de la population chinoise est aussi une des conséquences de cette politique[42]. Il se traduit par une baisse de la part de la population en âge de travailler (15–59 ans) dans la population totale, passée de 70 % en 2011 à 65 % en 2018[43],[44],[45],[46].
Notes et références
- Yves Blayo, « Événements politiques et fécondité en Chine depuis 1950 », Population, no 6, Hommage à Roland Pressat : Méthodes et applications de l'analyse démographique, , p. 1589-1615 (DOI 10.2307/1533527, lire en ligne).
- Peng X., « La fécondité chinoise : constats et perspectives », dans Attané I., La Chine au seuil de XXIe siècle, INED, , p. 61.
- (en) Susanne Greenhalgh, « Missile science, population science: The origins of China's one'child population policy », China Quarterly (en), vol. 182, , p. 253-276.
- Pascal Rocha da Silva, La politique de l'enfant unique en république populaire de Chine, Université de Genève, , p. 22-28.
- Isabelle Attané, « La fécondité chinoise au seuil de XXIe siècle : constats et perspectives », Population, vol. 55, no 2, , p. 233-264 (lire en ligne).
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- « Fin de l'enfant unique, investissement privé... un vent de réformes souffle sur la Chine », sur La Tribune, (consulté le ).
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- Isabelle Attané, « La Chine, un géant démographique aux pieds d'argile », sur Institut national d'études démographiques, (consulté le ).
- Grégoire Normand, « La Chine confrontée au vieillissement de sa population », La Tribune, .
Annexes
Bibliographie
- Lucien Bianco (en collaboration avec Hua Chang-Ming), « La population chinoise face à la règle de l'enfant unique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 78, , p. 31-40 (lire en ligne).
Articles connexes
- Démographie de la Chine
- Contrôle des naissances au Tibet
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