Pari de Pascal

Le pari de Pascal est un argument philosophique mis au point par Blaise Pascal, philosophe, mathématicien et physicien français du XVIIe siècle. L'argument tente de prouver qu'une personne rationnelle a tout intérêt à croire en Dieu, que Dieu existe ou non. En effet, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant ne perdent rien ou presque. Par contre, si Dieu existe, le croyant gagne le paradis tandis que le non-croyant est enfermé en enfer pour l'éternité[1],[2].

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Le texte original du pari se trouve dans un fragment (Lafuma 418 - Brunschvicg 233)[3] des Pensées, un ouvrage de défense de la religion chrétienne contre les sceptiques et les libres penseurs.

Extrait des Pensées

« — Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien. — Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier. — Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. (...). Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »

 Blaise Pascal, Pensées, fragment 397.

Explications

Pour Pascal, il n'existe que deux possibilités : soit Dieu existe, soit Dieu n'existe pas. Cependant, notre raison n'est pas en mesure de déterminer laquelle de ces deux propositions est vraie. Pascal estime pourtant qu'il ne faut pas suspendre son jugement et devenir agnostique. Il estime au contraire que croire en Dieu est plus avantageux que ne pas y croire. La raison derrière cette dernière affirmation peut se comprendre si l'on compare la vie humaine à un jeu de hasard dans lequel vous auriez l'opportunité de parier sur l'existence de Dieu. Puisque vous ne savez pas si Dieu existe ou non, vous vous trouvez dans la même situation qu'un parieur avant le départ d'une course. Pour déterminer le pari le plus avantageux, vous devez déterminer ce que vous avez à perdre et ce que vous avez à gagner.

La question est donc de savoir ce que vous avez à gagner et ce que vous avez à perdre dans ce pari sur l'existence de Dieu. Pour Pascal, la réponse est assez simple. Supposons d'abord que vous pariiez sur l'existence de Dieu. Il y a deux possibilités : soit vous vous êtes trompé et Dieu n'existe pas, soit il existe vraiment. S'il n'existe pas, vous n'aurez presque rien perdu. Par contre, s'il existe et que vous avez cru en lui, vous obtiendrez une récompense spectaculaire puisque vous serez récompensé par une éternité de bonheur au paradis. Prenons à présent l'autre cas : vous pariez que Dieu n'existe pas. Il y a à nouveau deux possibilités : soit vous avez raison et il n'existe pas, soit il existe vraiment. Le résultat du jeu est cependant largement différent. En effet, s'il n'existe pas ; vous avez peut-être pu profiter de la vie plus librement car vous n'avez pas eu à respecter les règles religieuses. Par contre, s'il existe, le résultat est dramatique. Vous serez en effet condamné à rester enfermé en enfer pour toujours et à y subir des souffrances infinies.

En conséquence, selon Pascal, nous n'avons pas de raisons de croire que Dieu existe vraiment mais nous avons intérêt à y croire. En effet, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant ne perdent presque rien. Par contre, si Dieu existe, le croyant gagne tout, c'est-à-dire le paradis tandis que le non-croyant va en enfer pour l'éternité. Il est donc plus avantageux de croire en Dieu[2],[1].

Présentation sous forme d'un tableau

Les gains et les pertes possibles peuvent aussi se représenter sous forme d'un tableau.

  1. Si vous pariez sur l'existence de Dieu et que Dieu n'existe pas, vous subissez une petite perte car vous avez dû respecter les règles religieuses pendant votre vie. (ce n'est pas ça que dit Pascal : "parier sur l'existence de Dieu" suppose seulement d'être humble, bienveillant, respectueux, et surtout d'éviter les "plaisirs provisoires", les "concupiscences" : la recherche de la gloire, de l'argent, etc. idem pour la case n°3. )
  2. Si vous pariez sur l'existence de Dieu et que Dieu existe, votre gain est infini. Vous vivez un bonheur éternel au paradis.
  3. Si vous pariez contre l'existence de Dieu et que Dieu n'existe pas vous obtenez un petit gain car on suppose que vous vous êtes dispensé de respecter les contraintes de la religion durant votre vie.
  4. Si vous pariez contre l'existence de Dieu et que Dieu existe, votre perte est infinie. Vous êtes enfermé pour l'éternité en enfer[1].

Mathématiquement, une perte ou un gain fini est négligeable comparé à une perte ou un gain infini. En effet, si vous pariez sur l'existence de Dieu, le pire qu'il puisse vous arriver est d'avoir dû respecter les règles religieuses pour rien. Par contre, vous avez une certaine chance de gagner le paradis. Dans l'autre cas, si vous pariez contre l'existence de Dieu, le mieux qu'il puisse vous arriver est d'avoir profité d'une vie où vous ne vous êtes pas embarrassé des règles religieuses. Par contre, le pire qu'il puisse vous arriver est de brûler en enfer pour l'éternité. En conséquence, il est largement préférable de croire en Dieu plutôt que de ne pas y croire.

Dieu existe Dieu n'existe pas
Vous pariez sur l'existence de Dieu Vous allez au paradis = vous gagnez indéfiniment (−b +∞) Vous retournez au néant = vous subissez une petite perte (−b +0)
Vous pariez sur l'inexistence de Dieu Vous brûlez en enfer = vous perdez indéfiniment (+b −∞) Vous retournez au néant = vous obtenez un petit gain (+b +0)

Note : ±b, nombres réels finis, représente les plaisirs d'une vie libertine ou les privations d'une vie vertueuse, ±∞ représente le poids d'une éternité de bonheur ou d'une éternité de malheur. Dans les écrits de Pascal, b est noté ε (epsilon).

Critiques du pari

Le pari peut déplaire à Dieu

Il faut aussi considérer que l'avantage personnel est une raison de croire en Dieu qui peut se retourner contre le parieur. En effet, Dieu, étant par hypothèse omniscient, saura si le parieur a mené la vie d'un croyant par intérêt. Il est alors possible qu'il considère la motivation du parieur comme inadaptée et qu'il décide de le punir par la damnation éternelle plutôt que de le récompenser par la béatitude éternelle. Il faut cependant noter que Pascal avait conscience du problème et qu'il considérait son pari comme permettant de réaliser un premier pas vers une foi plus authentique. L'argument du pari avait pour but, non pas de convaincre le lecteur d'opter pour la religion chrétienne, mais plutôt d'occasionner en lui une prise de conscience afin qu'il se libère de l'emprise qu'ont sur lui ses habitudes terrestres[4].

Objection des dieux multiples

Pascal semble supposer qu'il n'existe qu'un seul Dieu, le Dieu catholique. Le problème semble être qu'il existe ou qu'il a existé de multiples conceptions de Dieu et que la probabilité de leur existence ne peut pas être négligée dans le cadre du pari. La question se pose alors de savoir comment on doit parier. Il semble à première vue rationnel de croire en tous les dieux. Mais cela est impossible car de nombreuses religions exigent justement de ne pas croire en d'autres dieux[1]. Diderot exprime succinctement l'argument en écrivant : « Pascal a dit: " Si votre religion est fausse, vous ne risquez rien à la croire vraie ; si elle est vraie, vous risquez tout à la croire fausse"[5].Donc, si vous croyez vraie une religion qui est fausse, vous croyez fausses les autres dont une pourrait être vraie, le pari est donc toujours perdant et Pascal avait tort. »

La croyance n'est pas un acte volontaire

Il peut être argumenté que croire ou ne pas croire ne sont pas des choix qui nous appartiennent. Il n'est pas certain qu'il soit possible d'adopter une croyance simplement parce que nous décidons de l'adopter. Si l'on nous offre 1 000 euros pour croire que le ciel est vert, il semble peu probable que nous puissions adopter cette croyance simplement car c'est dans notre intérêt. En conséquence, on pourrait argumenter que le pari de Pascal ne permet pas de nous motiver à croire en Dieu, car croire en Dieu n'est pas un acte volontaire[4].

Illusion fini/infini[réf. souhaitée]

Les symboles utilisés dans le tableau précédent (0, ±b, ±∞) tendent à faire croire que l'écart entre 0 et b est plus petit que celui entre b et ∞, et que le gain ou la perte est donc plus grand/e si Dieu existe. C'est encore plus fort avec ε au lieu de b (car epsilon désigne généralement mais conventionnellement une quantité non seulement finie mais souvent négligeable). Or cela est faux tant du point de vue du libertin que du mathématicien avancé : en effet, si Dieu n'existe pas (et donc ni le paradis ni l'enfer), alors la mort n'est rien (0) tandis qu'une vie de privations peut être vue comme infiniment pire que cette mort. De même, il y a une infinité de nombres réels entre 0 et b, tout comme entre b et l'∞. Le choix des symboles du tableau est biaisé par le préjugé que la réponse de Pascal est la meilleure (du point de vue "pieux"). C'est-à-dire que ce tableau ne démontre rien ad hoc mais seulement la chose qu'il est construit pour démontrer. Du point de vue inverse (libertin), on pourrait tout aussi bien construire le tableau inverse avec les symboles inverses (1/0=∞, 1/b, 1/∞=0) et conclure que le gain ou la perte maximal/e se trouverait dans la colonne où Dieu n'existe pas. En fait, la principale erreur de raisonnement ici semble être le fait de vouloir utiliser des symboles et une méthodologie scientifique (donc entre autres "quantifiable") pour analyser un problème qui ne l'est pas (pas quantifiable, donc pas scientifique). En effet, comment quantifier réellement, objectivement, les gains et pertes de chaque point de vue, dans chaque cas si ce n'est en raisonnant par l'absurde ou/et par le non-dit ? Ainsi, ce n'est pas tellement la représentation du pari sous forme de tableau qui est critiquable, mais les notions mêmes de gain ou perte prises comme critères de pondération de chaque cas possible pour en déduire celui ou ceux qui est/sont le plus favorable/s, et par extension la formulation même du pari en termes probabilistes [1].

Au premier ordre, le résultat dans chaque cas (ou case du tableau) pourrait n'être seulement "vous avez raison" ou "vous avez tort". Ce qui conduirait à une tautologie ("si vous avez raison, alors vous avez raison, sinon vous avez tort"). Ce que l'on retrouve d'ailleurs souvent dans des codes informatiques résultant d'une solution à un problème mal posé ("if Fonction(Compliquée)=True then Result=True else Result=False" alors qu'il aurait suffi d'écrire "Result=Fonction(Compliquée)").

Bibliographie

  • Pierre Cariou, Pascal et la casuistique, Paris, PUF, 1993.
  • Vincent Carraud, Pascal et la philosophie, Paris, PUF, 1992.
  • Benoît Chantre et Jacques Julliard, Le Choix de Pascal, Paris, Desclée de Brouwer, 2003.
  • Alan Hájek, Pascal's Wager, The Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2017.
  • Jules Lachelier, « Notes sur le pari de Pascal » dans Du fondement de l'induction, Paris, Alcan, 1924, p. 175-208.
  • Jean Laporte, Le Cœur et la Raison chez Pascal, Paris, Elzévir, 1950.
  • Pierre Magnard, « Le Principe de similitude » dans Méthodes chez Pascal, actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand, les 10-, Paris, PUF, 1979, p. 401-408.
  • Pierre Magnard, Pascal. La clé du chiffre, Mames, Presses universitaires, 1991.
  • Jean Mesnard, Blaise Pascal, l'homme et l'œuvre, Cahier de Royaumont, Philosophie n°1, Paris, Minuit, 1956.
  • Jean Orcibal, « Le fragment Infini-rien et ses sources », Études d'histoire et de littérature religieuse, Paris, Klincksieck, 1997, p. 357-383.
  • Martine Pécharmant, « Il faut parier, Locke ou Pascal », Les Études philosophiques, 2010, p. 479-516.
  • Guillaume de Tanoüarn, Parier avec Pascal, Paris, Cerf, coll. « Théologies », 2012.
  • Guillaume de Tanoüarn, L'Évidence chrétienne, Paris, Servir, 2005.

Notes et références

  1. Alan Hájek, The Stanford Encyclopedia of Philosophy, (lire en ligne)
  2. (en) J. L. Mackie, The Miracle of Theism : Arguments for and Against the Existence of God, OUP Oxford, , 268 p. (ISBN 978-0-19-824682-4, lire en ligne)
  3. Blaise Pascal et Louis Lafuma, Pensées, Seuil, (ISBN 978-2-02-004979-5, lire en ligne)
  4. « Pascal’s Wager about God | Internet Encyclopedia of Philosophy », sur www.iep.utm.edu (consulté le )
  5. Jean-Marie Tremblay, « Denis Diderot (1762), “Addition aux pensées philosophiques ou objections diverses contre les écrits de différents théologiens” », sur classiques.uqac.ca, (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Cinéma

  • Ma nuit chez Maud d'Eric Rohmer (1969)
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