Omelette de la mère Poulard
L’omelette de la mère Poulard est une spécialité culinaire normande du Mont-Saint-Michel.
Pour les articles homonymes, voir Poulard.
Il s’agit de nos jours d’une omelette soufflée, quelquefois additionnée de crème fraîche, dont le blanc et le jaune ont été, le plus souvent, battus séparément[1] et cuite à feu vif.
Histoire
La mère Poulard développa cette recette après avoir remarqué que les pèlerins arrivaient affamés au Mont Saint-Michel. Il lui fallait donc un plat facile et rapide à préparer à toute heure.
Une bonne omelette classique
Selon l'historien André Castelot (1979) le secret de l'omelette de la mère Poulard réside « principalement dans l'emploi d'une poêle à long manche placée sur un bon feu de bois. De ce fait l'omelette cuit de tous les côtés »[2]. Il poursuit: « on a parlé de quelques blancs d'œufs battus en neige et ajoutés aux œufs entiers », « d'un verre de crème dans les œufs ». A quoi la mère Poulard répondait « j'aurais perdu tous les blancs, quand à la crème pure invention, ce qui est vrai est que nous avons le meilleur beurre du pays »[2]. A l'origine il ne s'agit pas d'une omelette soufflée.
Ces omelettes aux blancs en neige serait inspirées selon Curnonsky, d'une recette de La Rabouilleuse (1842)[3], d'Honoré de Balzac: « Il a découvert que l'omelette était beaucoup plus délicate quand on ne battait pas le blanc et les jaunes ensemble avec la brutalité que les cuisinières mettent à cette opération. On devait, selon lui, faire arriver le blanc à l'état de mousse, y introduire par degré le jaune… » (Un ménage de garçon, chapitre V, Horrible et vulgaire histoire). En réalité les omelettes avec apport de blanc en neige sont une vieille tradition déjà citée par Menon (1742), ou De Buchoz (1780)[4],[5]. Dans la cuisine genevoise c'est une omelette au plat déjà en 1814[6]. Escoffier(1934) nomme une omelette dans laquelle entre du blanc en neige omelette mousseline[7].
Lorsque le restaurateur parisien, Robert Viel, écrit à la mère Poulard pour lui demander sa recette, celle-ci lui envoya cette réponse [8]:
« Monsieur Viel, Voici la recette de l’omelette : je casse de bons œufs dans une terrine, je les bats bien, je mets un bon morceau de beurre dans la poêle, j’y jette les œufs et je remue constamment. Je suis heureuse, Monsieur, si cette recette vous fait plaisir. »
— Annette Poulard
Notoriété, célébrité
En 1884, Jules Prével écrit dans le Figaro qu'il existe au Mont Saint-Michel d'autres merveilles tout aussi inoubliables: les omelettes de Mme Poulard[9]. Rapidement c'est la célébrité. Le Figaro propose d'appeler le mont Saint-Michel: Mont Poulard (1890)[10]. En 1888, Mme Poulard fait 40 omelettes de 30 œufs chaque jours, succès qui la contraint à déménager, la maison perd son caractère d'auberge et un concurrent, M. Larroumet, s'installe dans son ancien local tandis que la dissension durable s'installe dans la famille Poulard[11]. L'animosité est entendue jusqu'au parlement qui intervient dans la restauration du Mont Saint Michel[12]. En 1889, la maison Poulard Ainé (« Maison de 1er ordre, réputée pour sa bonne tenue et l'affabilité de ses propriétaires renommée pour la délicieuse omelette de Mme Poulard aîné ») est contrainte à la publicité[13]. Ce qui augmente encore la notoriété: « on trouvera bientôt des omelettes Poulard au sommet de l'Elbrouz »(1893)[14].
A la fin du siècle, l'omelette Poulard dépasse les Poulard: « La renommée de Poulard est européenne. Miais quel Poulard? Il y a Poulard aîné ou Poulard-omelette. Il y a Poulard jeune, qui est omelette aussi. II y a Poulard-confiance. Il y a encore Poulard-souvenir, mais celui-ci n'est pas aubergiste.Il y a aussi Ridel, vieil émule de Poulard, et dont la réputation est également universelle. Il y a de plus Duval, [ ]. Pour nous, homme de tradition, nous voulûmes Poulard. Mais quel Poulard? Un de nos bons amis prétend que nous n'avons pas choisi le Poulard authentique et que l'omelette que nous avons mangée, confectionnée, nous l'attestons, par les soins d'une Ridel, épouse d'un Poulard, était une omelette usurpatrice. Mais nous ne nous rendons pas. Nous soutenons mordicus que l'omelette était excellente » (1896) [15].
L'expression mère Poulard apparait en 1920[16]. L'omelette de la mère Poulard est à sa notoriété maximale dans l'apogée gastronomique (1921-1936) avant un nouveau sommet en 2013[17]. Au point qu'elle devient un rituel voir un luxe : « ...l'auberge de la mère Poulard si renommée pour ses omelettes. Mais Yves ne s'arrêta pas là. Il n'était pas avare, mais seul, il ne voulait pas payer trois fois sa valeur une omelette » (1938)[18]. Le dessinateur et scénariste Christophe la mentionne dans les aventures de La Famille Fenouillard, lors de son passage au Mont-Saint-Michel.
L'omelette de la mère Poulard actuelle
Aujourd’hui, sa préparation fait l'objet d'un véritable spectacle: des batteurs en costume traditionnel fouettent les œufs en rythme avec un long fouet, dans un grand récipient de cuivre nommé cul de poule[19].
Frederick Elles et Sacha Sosno dans leur 99 Omelettes originales donnent une Omelette à la poulard (1976)[20]:
« Séparez les blancs des jaunes. Battez-les séparément au fouet. Faites grésiller le beurre, jetez-y les jaunes salés et poivrés. Incorporez immédiatement une bonne cuillerée de crème double battue elle aussi. Puis ajoutez les blancs. Mélangez en remuant la poêle sur le feu toujours vif. C'est l'omelette la plus facile du monde à faire et à rater mais, réussie, elle est exceptionnelle par son aspect un peu soufflé, par sa légèreté et sa saveur. »
Notes
- Dans la recette originale de la mère Poulard, on n'ajoute pas de crème fraîche, pas plus que le blanc et le jaune ne sont battus séparément. Annette Boutiaut insistait, en revanche, sur le fait qu’elle ne lésinait pas sur le beurre, d’excellente qualité, et auquel elle ne laissait jamais prendre couleur.
- André Castelot, L'histoire à table: Si la cuisine m'était contée..., (Perrin) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-262-08466-0, lire en ligne)
- Titre définitif d’Un ménage de garçon.
- Menon, Nouveau traité de la Cuisine, Paulus du Mesnil, (lire en ligne), p. 223
- Buchoz, Histoire Generale et Economique des Trois Regnes de la Nature, (lire en ligne), p. 401
- La cuisinière genevoise: enseignant les manières de préparer toutes sortes de viandes [...], (lire en ligne), p. 96
- Auguste (1846-1935) Auteur du texte Escoffier, Ma cuisine. 2 500 recettes / A. Escoffier, (lire en ligne), pp. 120 et 121
- Thierry Marx et Bernard Thomasson, Chefs à la carte, Editions du Seuil, (ISBN 978-2-02-137557-2, lire en ligne)
- Jules Prével, « Le Figaro du 29 juillet 1884 », sur gallica
- Compagnie de Jésus Auteur du texte, « Etudes religieuses, historiques et littéraires / par des Pères de la Compagnie de Jésus », sur Gallica, (consulté le )
- « Le Panthéon de l'industrie janvier 1893 », sur bnf
- « La Justice / dir. G. Clemenceau ; réd. Camille Pelletan », sur Gallica, (consulté le )
- Le Mont Saint-Michel et ses merveilles : L'abbaye, le musée, la ville et les remparts / par l'ermite de Tombelaine..., (lire en ligne)
- André Blaz, « Chronique », sur bnf
- Marius (1845-1925) Auteur du texte Sepet, En congé : promenades et séjours / Marius Sepet, (lire en ligne)
- (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le )
- (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le )
- Claude Merand, Deux dames en noir, FeniXX réédition numérique, (ISBN 978-2-402-33160-9, lire en ligne)
- Olivier Mignon, À la découverte du Mont-Saint-Michel. Guide de la baie, du village et de l'abbaye, Siloë, , 135 p. (ISBN 978-2-84231-110-0), p. 44.
- Frederick Auteur du texte Elles et Sacha (1937-2013) Auteur du texte Sosno, 99 omelettes originales / Frederick Elles, Sacha Sosno, (lire en ligne)
Article connexe
Liens externes
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