Nikolaï Louzine

Nikolaï Nikolaïevitch Louzine (en russe : Николай Николаевич Лузин ; né le à Irkoutsk et mort le à Moscou) est un mathématicien russe puis soviétique. Ses recherches concernent principalement la théorie des ensembles et les aspects plus particulièrement topologiques de l’analyse mathématique.

En dehors de ses travaux, Louzine a contribué à former nombre de mathématiciens devenus célèbres tels que Pavel Aleksandrov, Andreï Kolmogorov, ou encore Alexandre Khintchine, Mikhaïl Lavrentiev et Pavel Urysohn.

Biographie

Années de formation

Louzine s'inscrivit en mathématiques à l’Université d'État de Moscou en 1901, sous la direction de Dimitri Egorov. Après la fermeture de l'université, qui suivit les émeutes de 1905-06, il bénéficia d'un programme d'échange avec Paris, ce qui lui permit de suivre les conférences de Borel et d’Hadamard ainsi que de Poincaré : ces cours devaient avoir une influence profonde sur ses recherches mathématiques ultérieures. Il passa ses examens en 1910. De 1910 à 1914, à l'initiative d'Egorov, il bénéficia d'une bourse d'études qui lui permit de fréquenter pendant trois années l'université de Göttingen, où il reçut l'influence d’Edmund Landau, puis l'université de Paris. C'est en 1912 qu'il publia l'énoncé connu depuis comme le théorème de Lusin. De retour à Moscou, il y donna des cours à partir de 1914, et fit paraître l'année suivante son mémoire de thèse d’habilitation intitulé Séries entières et séries trigonométriques (Интеграл и тригонометрический ряд). Il obtint une chaire de mathématiques en 1917.

La révolution de 1917 et le léninisme

En 1918, vers la fin de la révolution d'Octobre, Louzine quitta Moscou et prit un poste d'enseignant à l'Institut Polytechnique Ivanovo-Vosnessensk (aujourd'hui université du génie chimique d'Ivanovo).

En 1922, il reprit ses cours à l'université de Moscou, et y organisa un séminaire de recherche réputé. Il eut parmi ses doctorants quelques-uns des plus célèbres mathématiciens soviétiques du XXe siècle : Pavel Alexandrov, Nina Bari, Alexandre Khintchine, Andreï Kolmogorov, Alexander Kronrod, Mikhaïl Lavrentiev, Lasar Liousternik, Piotr Novikov, Ludmila Keldych, Lev Schnirelmann, Pavel Urysohn, Ivan Privalov, Dmitri Menchov et Mikhaïl Sousline, décédé prématurément, avec lequel il développa à partir de 1917 la théorie analytique des ensembles.

En 1928, il présida une session plénière du Congrès international des mathématiciens de Bologne Sur les voies de la théorie des ensembles »). L'année suivante il devenait membre de l’Académie des sciences de l'URSS, et deux ans plus tard il était rattaché à l'Institut de mathématiques Steklov de l’Académie des Sciences soviétique.

L'ère stalinienne : l'affaire Louzine

De juillet à , Louzine fut critiqué dans une série d'articles parus dans la Pravda, et dut comparaître devant une Commission de l’Académie des sciences de l'URSS, sous l'accusation d'être un ennemi du Peuple. Avant même la campagne de presse de la Pravda, cette accusation avait frappé un certain nombre de professeurs moscovites recrutés par l'université de Moscou avant 1917.

Le , une faction de l'Association des mathématiciens de Moscou proclama qu'il y avait dans ses rangs un certain nombre de contre-révolutionnaires. Cette faction comptait plusieurs anciens élèves de Louzine, tels Lousternik, Schnirelman, Alexander Gelfond et Lev Pontriaguine. Certaines cibles furent nommément citées, comme son mentor Egorov, qui avait déjà été arrêté et qui mourut en 1931.

L’offensive politique contre Louzine n'était pas seulement le fait des autorités staliniennes, mais aussi d'un groupe d'étudiants, emmenés par Pavel Alexandrov. Quoiqu'entendu par la commission d'enquête, Louzine ne fut pas arrêté, et n'eut pas même à démissionner de l’académie, mais il ne fut jamais réhabilité non plus, même après la mort de Staline. On s'est demandé pourquoi lui n'avait pas disparu dans les goulags, mais ce point n'a jamais été éclairci ; les archives montrent toutefois que l'acte d'accusation a été nettement modéré par le Kremlin. L’affaire Louzine marque le début d'une série d'attaques politiques contre la génétique, la théorie de la Relativité et d’autres branches de la modernité scientifique de cette fin des années 1930.

L'année 1946 marqua une réplique de l'affrontement entre Kolmogorov, chef de file des « jeunes professeurs », et Louzine. Louzine ayant voté contre la candidature de Pavel Alexandrov, contrairement à ce qu'il avait promis, à l'Académie des Sciences, Kolmogorov le gifla en pleine séance de l'assemblée[1]. Kolmogorov perdit ainsi tous ses postes de professeur.

Le collectif « Lusitania »

Louzine a donné son nom au collectif Lusitania, un groupe informel de jeunes mathématiciens moscovites de la première moitié des années 1920, adeptes de l'approche ensembliste de Louzine, qui en développèrent les conséquences dans différentes branches des mathématiques.

Notes et références

  1. Masha Gessen, Dans la tête d'un génie, Globe, 2013, p. 248.

Bibliographie

Œuvres de Louzine

  • Esther Phillips, « Nicolai Nicolaevich Luzin and the Moscow School of the theory of functions », Historia Mathematica, vol. 5, , p. 275-305
  • Charles Ford, « The influence of P. A. Florensky on N. N. Luzin », Historia Mathematica, vol. 25, , p. 332-339
  • (ru) Sergeï Demidov, Alexeï N. Parchine, Sergeï M. Polovinkine, Pavel V. Florensky (éd.) Correspondance entre N. N. Luzin et P. A. Florensky, Istoriko-Matematicheskiye Issledovanyia, vol. 31, 1989, pp. 125-191 (+ introduction pp. 116-124)
  • Sergeï Demidov, The Moscow School of the theory of functions, in Smilka Zdravkovska, Peter Duren The golden years of Moscow mathematics, AMS 1993
  • A. Paplauscas, art. Louzine in Dictionary of Scientific Biography
  • ru S. Demidov, B. V. Lesvchine, L’affaire Nikolaï Nikolaïevitch Lousine, Moscou 1999
  • S. Demidov: From the early history of the Moscow school of function theory, Philosophia Mathematica, vol. 3, 1988, pp. 29-35
  • (ru) Lousine, Œuvres complètes en 3 volumes, Moscou (1953-1959)

Textes sur Louzine

  • Jean-Michel Kantor, Loren Graham, Au nom de l'infini, une histoire vraie de mysticisme religieux et de création mathématique, Belin, Pour la science, 286 pages, 2010, (ISBN 9782842451073)

Voir aussi

Articles connexes

Pour en savoir plus...

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