Louis Mouttet
Louis Guillaume Mouttet, né à Marseille le et mort à Saint Pierre le , est un administrateur colonial français qui était le gouverneur de la Martinique lors de l’éruption de la Montagne Pelée. Il trouva la mort, ainsi que son épouse, lors de cette catastrophe.
Origines et début dans la carrière coloniale
Issu d’une famille marseillaise protestante, Louis Mouttet[1] exprime dans sa jeunesse provençale des opinions plutôt radicales. Classé à l’extrême gauche, il collabore à la « Revue socialiste » et y côtoie notamment Benoît Malon.
Exilé à Paris pour terminer ses études de droit, le jeune Mouttet, devenu plus modéré dans ses opinions politiques, intègre par la petite porte de la comptabilité le Cercle Saint-Simon que Gabriel Monod a créé en 1882. Dans cette association, qui jouera une forte influence sur la vie politique nationale car fondée pour « maintenir et étendre l'influence de la France par la propagation de sa langue », il se lie d’amitié avec Alfred Mayrargues ainsi que Frank Puaux[réf. souhaitée].
Trésorier-adjoint, Louis Mouttet présente un début de parcours prometteur lorsqu’une maladresse, confinant au scandale mondain, perturbe cette trajectoire et l’oblige à s’éloigner rapidement de Paris[réf. souhaitée][2]. Avec le soutien de Félix Faure, il entre dans l’administration coloniale pour être envoyé en au Sénégal comme sous-chef de bureau de 2° classe[3]. Il grimpe très vite les échelons par son intelligence, son sens de l’initiative mais aussi les appuis dont il dispose en métropole. En deux ans, il réussit à devenir directeur de l'Intérieur (aujourd’hui secrétaire général), auprès du Gouverneur de la colonie.
En , Mouttet part pour l’Asie. Chef de cabinet du nouveau gouverneur général de l'Indochine, Georges Jules Piquet, il voit dès alors sa carrière s’accélérer avec ce changement de continent mais surtout après son mariage, contracté en avec Hélène de Coppet (1867-1902), fille de pasteur, nièce de Jules Siegfried suscité, député-maire du Havre et futur ministre[4].
Après son séjour en Indochine, en 1892, Mouttet est nommé directeur de l'intérieur à la Guadeloupe puis, en 1894, rejoint dans ces mêmes fonctions le Sénégal, région qu’il connaît très bien pour y avoir déjà exercé. À ce poste, il exerce en 1895 les fonctions de gouverneur par intérim, et mène d'une certaine façon la transformation du gouvernement particulier du Sénégal en gouvernement général de l'Afrique occidentale. En , en effet, est créée une nouvelle entité territoriale – l'Afrique-Occidentale française – par l'union du Sénégal, du Soudan français, de la Guinée et de la Côte d'Ivoire.
En , nommé Gouverneur de 4° classe dans ce dernier territoire, il laisse une empreinte durable sur les conditions locales d’enseignement puisqu’il en fixe l’organisation pédagogique ainsi que les programmes. Très bien noté par sa hiérarchie, Mouttet quitte l’Afrique à la fin de 1898 par une nouvelle promotion. Gouverneur de 3° classe, il préside dès lors aux destinées de la Guyane, poste dans lequel il lui revient de gérer la fin de captivité du capitaine Dreyfus. C’est en effet en , peu de temps après le débarquement du Gouverneur dans la colonie que le célèbre prisonnier quitte l’Ile du Diable où il était détenu depuis 1895.
Mariage/enfants
De son union avec Hélène de Coppet, Louis Mouttet a trois enfants. Restés à Fort-de-France lors de la catastrophe, ils seront ainsi sauvés. Élevés par leur grand-mère maternelle, ils bénéficieront d'une aide gouvernementale :
- Lucie Alice dite "Lucette" (née à Paris 17ème, - décédée à Mantes-la-Jolie, ). Elle épouse à Paris 7ème, le [5], Pierre Warnod (1891-1986[6]), ingénieur du génie maritime, frère d'André Warnod, écrivain, et postérité : Solange et Alain Warnod[7] (1918[8] - 1973) ;
- Hélène Renée Louise (née à Saint-Louis du Sénégal, le ) ;
- Jacques Louis Jean Henri (né au Vézinet, le - mort à Paris 13ème, le [9]). Il épouse Jacqueline Mathilde Maret[10].
Éruption de la montagne Pelée et la mort en poste
En , quittant Cayenne, Louis Mouttet, promu cette fois-ci à la deuxième classe de son corps, prend ses fonctions à Fort-de-France. Le nouveau gouverneur, qu’accompagnent son épouse et ses trois jeunes enfants, fait immédiatement preuve d’une grande activité, visitant l’île en profondeur. Ce dynamisme lui attire, avec sa relative jeunesse – il n'a alors que 44 ans – une évidente sympathie de la part de la population autochtone.[réf. souhaitée]
Louis Mouttet arrive dans une Martinique où, si l'oligarchie béké a réussi à maintenir son pouvoir économique après l'abolition de l'esclavage[11], elle en a pour autant perdu le pouvoir politique avec l’extension du droit de vote à tous les habitants décidée par la République en 1870. Ce clivage n'échappe pas à certaines tensions au tournant du siècle. La prépondérance d’un parti républicain local soutenu par la petite et moyenne bourgeoisie de couleur, parfois alliée à quelques républicains blancs, réclame du pouvoir et tout particulièrement du gouverneur, une attention de chaque instant.[réf. souhaitée]
Dans ce contexte politique compliqué, au printemps 1902, Louis Mouttet, qui doit organiser des élections législatives considérées comme vitales par le gouvernement républicain[réf. souhaitée], est informé de l'apparition des premiers signes du réveil de la montagne Pelée. Depuis le début de l'année, on note ainsi la plus forte fréquence des fumerolles qui s’échappent du volcan. En avril, ces manifestations s'accélèrent, des mouvements sismiques sont enregistrés sur tout le nord de l'île. Le , une éruption provoque la rupture du barrage naturel de l'étang Sec situé dans le cratère du volcan provoquant des lahars brulants qui dévalent la vallée de la rivière Blanche et écrase au passage l'usine sucrière Guérin et par la suite provoquent un raz de marée qui inonde les quartiers bas de la ville. On déplore alors des dizaines de victimes. Cette catastrophe pousse les paysans des environs, inquiets, à se réfugier en grand nombre dans Saint-Pierre afin de s'éloigner du volcan.
Les autorités, perplexes, tentent de mesurer les risques courus par la population à une époque où la volcanologie est balbutiante mais surtout dans une région où, la conquête européenne, récente, affaiblit la connaissance du passé volcanique de l'île. En effet, les précédentes éruptions, en 1792 et 1851, étaient restées mineures. À l’aune de cet historique, on s’attend à de simples coulées de lave en espérant qu’elles seront, comme ces dernières fois, canalisées par les vallées.
Le , Louis Mouttet, accompagné de son épouse et de quelques hauts fonctionnaires, s’établit à Saint-Pierre pour juger de la situation au plus près. Le soir même, il appuie de son autorité le communiqué rassurant que publie la commission scientifique qu’il a constituée une semaine plus tôt. Il s’agit pour lui aussi d’assurer dans le calme la tenue du second tour des élections générales prévu pour le [12].
Mais le , vers 8h00 du matin, dans une formidable explosion, le volcan projette sur Saint-Pierre une nuée ardente – coulée pyroclastique - faite de cendres, de pierres et de gaz enflammés qui recouvre la ville et toute la rade. Le choc et la chaleur sont tels que tous les habitants trouvent une mort immédiate[13] tandis que la cité devient en quelques minutes un impressionnant tas de ruines et de cadavres calcinés. Dans cet instant, 28 000 personnes trouvent la mort au pied de la montagne Pelée dans l'une des plus meurtrières éruptions volcaniques de l'histoire.
Selon certains témoins[Lesquels ?], le gouverneur aurait péri avec son épouse, submergé par une trombe d'eau bouillante au moment où, dans un canot, il se dirigeait vers la montagne pour observer l’éruption de plus près. D'autres sources semblent indiquer qu’il est mort, dans la matinée du , comme la plupart des Pierrotins, dans le bâtiment où il était logé.
Après la catastrophe, beaucoup de reproches sont faits au gouverneur quant à sa gestion de la situation. Quelques témoins[14] et historiens critiquent son refus d'évacuer la ville afin de ne pas alarmer l'opinion, ni donner des arguments à l'opposition locale qui réclamait des mesures d'urgence.
Aujourd'hui[Quand ?], l'analyse est plus nuancée. D'une part, Louis Mouttet disposait d'assez peu de moyens pour anticiper la gravité d'une éruption que les scientifiques vont qualifier de « péléenne » - du nom donc de la propre montagne, faute de précédents historiques pour la nommer. De l'autre, l'évacuation rapide de toute la population de Saint-Pierre - 30 000 personnes - dépassait les capacités des autorités et se serait peut être heurtée au bon vouloir des habitants. Enfin, le gouverneur croyait ce qu'il disait puisqu'il a assumé jusqu'au bout ses propres choix, laissant, comme preuve de cette sincérité, sa vie et celle de son épouse dans la catastrophe[15].
Sources
- Dossier de Légion d'honneur de Louis Mouttet.
- Gabriel Hanotaux, « Mon Temps », 1938, Paris, Plon, Tome 2.
- Jean Hess, Catastrophe de la Martinique : notes d’un reporter, Paris, Charpentier et Fasquelle, , 300 p. (lire en ligne)
- Lambolez Charles, Saint-Pierre – Martinique 1635-1902 : Annales des Antilles françaises : journal et album de la Martinique naissance, vie et mort de la cité créole, Paris, Berger Levrault et Cie, , 519 p. (lire en ligne)
Notes et références
- Son père, Jean-Louis Victor Mouttet, est mort en février 1884 tandis que sa mère Augustine Rosalie Chandellier est décédée en mars 1881.
- Selon Gabriel Hanotaux, Mouttet, alors qu’il était au siège du Cercle, surpris en galante compagnie, n'aurait eu comme ressource que de cacher la jeune femme qui l’accompagnait dans une armoire, laquelle s'étant ensuite renversée et brisée, aurait révélé la situation au prix d'un grand scandale.
- Gabriel Hanotaux, qui œuvrait au Cercle, sollicita Félix Faure, alors sous-secrétaire d’État aux colonies, pour qu’on trouvât à Mouttet un emploi très loin de Paris. Faure lui répond qu’il a une proposition possible mais qu’elle est « au diable, sur le Haut Niger, dans un pays où nous pénétrons à peine. Ni ressources, ni sécurité. Des caïmans et la fièvre jaune. Cela conviendrait-il à votre amoureux ? ». Hanotaux ajoute « Je revins vers (Mouttet et lui) dis tout : la distance, la sécurité, les caïmans, la peste et la fièvre jaune. Il me répondait à chaque trait : « ça ne fait rien ! Ça ne fait rien ! Je suis de Marseille. La fièvre jaune ? Je suis de Marseille. Les caïmans ? Je suis de Marseille ! » Et ainsi de suite. La chose s'arrangea. Il partit. »
- Le mariage a lieu à Etretat sur les terres de Siegfried. Issue de la bourgeoisie protestante, Hélène, née en janvier 1867, est la fille d’Auguste de Coppet, pasteur de l'église réformée (1836-1906) et de Louise Puaux (1837-1914), sœur de Julie, célèbre féministe épouse de Siegfried. Les témoins du marié sont Gabriel Monod, alors professeur l'École normale supérieure et Alfred Mayrargues, trésorier du Cercle Saint-Simon. Ceux de l’épouse sont Jules Siegfried et Louis de Coppet, ses deux oncles.
- http://archives.paris.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo2OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMTktMDctMTkiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6NDtzOjQ6InJlZjIiO2k6Mjg3MzkzO3M6MTY6InZpc2lvbm5ldXNlX2h0bWwiO2I6MTtzOjIxOiJ2aXNpb25uZXVzZV9odG1sX21vZGUiO3M6NDoicHJvZCI7fQ==#uielem_move=-457%2C-302&uielem_islocked=0&uielem_zoom=207&uielem_brightness=0&uielem_contrast=0&uielem_isinverted=0&uielem_rotate=F
- https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2016/03/jr-414-osd.pdf
- Alain Jean-Loup Warnod, administrateur des colonies. Breveté ENFOM (promotion 1938), Diplômé de sciences politiques, Licence de lettres et Docteur en droit. Il effectue son service militaire (1939-1941), lieutenant de réserve.
- http://archives.paris.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo2OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMTktMDgtMjAiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6NDtzOjQ6InJlZjIiO2k6MzAzNzI1O3M6MTY6InZpc2lvbm5ldXNlX2h0bWwiO2I6MTtzOjIxOiJ2aXNpb25uZXVzZV9odG1sX21vZGUiO3M6NDoicHJvZCI7fQ==#uielem_move=-644%2C-1026&uielem_islocked=0&uielem_zoom=236&uielem_brightness=0&uielem_contrast=0&uielem_isinverted=0&uielem_rotate=F
- https://deces.politologue.com/mouttet-jacques-louis-jean-henri.uOvYVOL0UOLkVGvjrO9jUpvXKOvjRO7jhGL0RG9-MGv0
- 1972 , Décès , 13 - Visionneuse - Archives de Paris.htm
- En 1900, Saint-Pierre, le « Paris des Antilles », est une ville très prospère, premier exportateur de rhum du monde.
- Le premier tour a eu lieu sans encombre le 27 avril. Les élections donneront en France la victoire au bloc des gauches.
- Hors quelques marins - sur des navires qui ont tous sombré - qui échappent à la mort, on ne retrouvera dans la ville que deux miraculés : un cordonnier, Léon Compère-Léandre et un prisonnier qui obtient aussitôt une célébrité planétaire, Louis-Auguste Cyparis, ce dernier enfermé au cachot pour des troubles à l’ordre public survit protégé par l’épaisseur des murs et l'orientation de sa cellule.
- En premier lieu, dès le lendemain de la catastrophe, l'industriel créole conservateur Fernand Clerc, opposant au camp républicain, candidat aux élections législatives de 1902 contre Louis Percin et Joseph Lagrosillière. Arrivé en tête au premier tour, Clerc sauva sa famille en choisissant à l'aube du 8 mai, par précaution, de se rendre dans une propriété qu'il possédait hors de Saint-Pierre. Ses critiques envers Louis Mouttet ont eu une grande audience dans les jours qui ont suivi la catastrophe.
- Leurs trois enfants - Lucie (1891-1976), Hélène (1895), Jacques (1901-1972) - demeurés à Fort de France, donc saufs, rapatriés en métropole avec l'institutrice alsacienne qui les enseignait, recueillis par leur grand-mère de Coppet, recevront une pension du gouvernement.
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