Les Français parlent aux Français

Les Français parlent aux Français est une émission quotidienne radiophonique en français sur les ondes de la BBC (Radio Londres). Elle est diffusée dès le [1],[2] d'abord sous le titre Ici la France[3],[1],[2] puis, du [3],[1],[2] au [1], sous son titre le plus connu.

Les Français
parlent aux Français

Plaque commémorative
du cimetière d'Asnelles.

Ancien nom Ici la France
Langue français
Diffusion
Station BBCRadio Londres
Création
Disparition

Après la défaite française et la signature de l'armistice le général de Gaulle réfugié à Londres lance l'appel du 18 Juin pour poursuivre la bataille. Dans la foulée, une émission quotidienne, indépendante de la France libre est diffusée à partir du , date de la fête nationale française appelée « Ici la France » puis à partir du « Les Français parlent aux Français ».

Cette émission a joué un très grand rôle pour faire connaître les nouvelles du front expurgées de la propagande nazie, transmettre des messages codés à la résistance intérieure française mais aussi soutenir le moral des Français.

Les quatre premières notes[4] de la Symphonie no 5 de Ludwig van Beethoven  trois notes brèves suivies d'une longue[5] (po-po-po-pom[6]) qui frappent, pour le compositeur[7], les quatre « coups du Destin »[8]  servent d'indicatif musical de l'émission[9]. Cet indicatif est stylisé afin de pouvoir être entendu comme la lettre V en morse •••— et interprété comme le signe de la Victoire[10] (V for Victory[11]).

Participants

Ont participé à cette quotidienne :

Ils seront rejoints par : Franck Bauer, Maurice Van Moppès, Pierre Dac, Maurice Diamant-Berger et Maurice Schumann qui sera le porte-parole officiel de la France Libre.

Le général de Gaulle s'exprimait aussi dans l'émission, en moyenne une fois par semaine.

Messages personnels

« Veuillez écouter tout d'abord quelques messages personnels. »

Messages en noir

Dans un premier temps, les messages personnels diffusés par la BBC permirent aux soldats séparés de leur famille et de leurs proches d'échanger des nouvelles.

Jacques Brunius introduit ainsi l'émission du avant de lire les messages : « Ce courrier est le courrier « de ceux qui sont prisonniers en France ». Voilà sans doute le ton dominant de vos lettres et ce qui constitue la raison d'être de ce programme, c'est la plainte fière d'un peuple enchaîné, c'est la colère du prisonnier qui secoue les barreaux. »[12]

Messages codés

Tout le monde a déjà entendu ces fameux messages codés énumérés par Franck Bauer, souvent amusants, sortant de tout contexte. Mais derrière ces phrases, se cache une signification importante, telle que :

  • transmettre un mot d'ordre, dans le cadre de la préparation d'opérations de Résistance,
  • accuser réception d'envois en provenance du terrain ;
  • communiquer une information secrète sur l'action ;
  • remercier ou féliciter les agents pour leur action ;
  • permettre aux agents sur le terrain d'apporter aux personnes avec qui ils sont en contact la preuve de leur authenticité et de leur sincérité ;
  • leurrer l'ennemi : noyés sous le flot des messages, les services de renseignements allemands étaient occupés, pouvant aussi bien se concentrer sur des opérations fictives aux contours indéfinis que de passer à côté de messages importants. En effet, les Nazis ne disposaient pas d'un nombre infini de postes radios ni d'un nombre d'opérateurs suffisant.

L'idée d'utiliser les messages personnels pour transmettre des messages codés est due à Georges Bégué, officier français du service secret action britannique SOE, premier agent de ce service parachuté en France en .

Près de 2 000 agents du SOE ont été envoyés en mission sur le continent, souvent par voie aérienne mais aussi par la mer. Beaucoup furent démasqués et exécutés.

Si les Français, et les réseaux de résistance notamment, étaient à l'écoute des messages codés, c'était aussi le cas des nazis et du régime de Vichy. L'occupant mit en place un système de brouillage, mais il ne parvint jamais à couvrir l'indicatif sonore emprunté à la 5e symphonie de Beethoven. En morse, les quatre premières notes de cette mesure (trois brèves et une longue) représentent la lettre « V » pour victoire[13]. Il n'arrivait que rarement à décrypter et à comprendre la nature des messages. Quand il y parvenait, l'opération commanditée dans ces messages avait déjà eu lieu ; il décida donc de lutter contre ces messages par un autre moyen.

Opération Overlord

Pour activer la résistance juste avant le débarquement en Normandie, plusieurs centaines de messages codés ont été diffusés par Radio Londres :

  • le 1er juin, à titre de mise en alerte des réseaux,
  • le , à 21 h 15, pour déclencher l'action la nuit même.

Comme exemple célèbre souvent cité, la première strophe du poème Chanson d'automne de Verlaine a été utilisée pour le plan rail du réseau VENTRILOQUIST de Philippe de Vomécourt en Sologne (celui-ci avait pour mission de saboter les voies ferrées allant vers la Normandie, afin de les rendre inutilisables pour l’envoi de renforts allemands), sous une forme légèrement altérée[14],[15] :

  • le 1er juin « Les sanglots longs des violons d’automne… » (Verlaine écrit : «… de l'automne »), invite les saboteurs ferroviaires à commencer les sabotages.
  • le « Bercent mon cœur d'une langueur monotone. » (Verlaine écrit : « Blessent mon cœur… » – Radio Londres reprend ici la modification apportée au texte pour sa version chantée en 1939 par Charles Trenet), informe les résistants du réseau VENTRILOQUIST de passer à l'acte.
  • Le même jour un autre message a été diffusé pour prévenir tous les réseaux de l'imminence du débarquement. « Les carottes sont cuites ». Autre code à partir du même légume : « Yvette aime les grosses carottes » , qui annonce le parachutage d'armes.

Bulletins de Pierre Dac

Pierre Dac qui attaquait déjà Adolf Hitler et Joseph Goebbels dans son journal L'Os à moelle, commence à écouter les émissions françaises de la BBC à partir de 1937[16]. Quand il entend l'appel du 18 Juin, il décide de rejoindre le général de Gaulle à Londres[17]. Lorsque les Allemands arrivent à Paris, il s'enfuit à Toulouse en zone libre et écoute Les Français parlent aux Français tous les soirs[18]. Son ami René Lefèvre lui suggère en de rejoindre l'équipe de l'émission[19]. En 1941, alors que la BBC examine sa candidature, il décide d'y aller sans attendre la réponse[20]. Arrêté à Barcelone puis emprisonné, il n'arrive à destination qu'en 1943 et lit son premier texte le [21].

Sa première intervention est plébiscitée par les auditeurs français contents de l'entendre à nouveau. Il prépare alors de nouveaux textes en écoutant les radios sous contrôle allemand pour se moquer des mauvaises stratégies et des défaites de l'ennemi[22]. Il écrit aussi des textes et des chansons pour motiver la France contre l'envahisseur, avec par exemple ce quatrain sur l'air de Savez-vous planter les choux[23] :

Les agents sont des brav'gens
Quand ils aident, quand ils aident
Les agents sont des brav'gens
Quand ils aident les résistants

Le premier , alors que la victoire semble proche, il récite un texte optimiste qui se termine par : « Bonne année, mes chers copains, bonne victoire, et à bientôt »[24]. Quelques semaines après, l'armée russe entre à Leningrad et Radio Paris essaie maladroitement de masquer la déroute des Allemands. Pierre Dac répond : « Mais voilà que maintenant l'encerclement des divisions de la Wehrmacht par l'Armée Rouge prend le nom de pression concentrique. Alors, ça ne va plus et ça suffit comme ça : qu'est-ce qui est loufoque ? Est-ce Radio Paris ou moi ? »[25].

Le , un drôle de dialogue commence à travers les ondes, Philippe Henriot prend la parole sur Radio Paris et traite Pierre Dac de Juif qui a fui la France sans s'intéresser à son sort. Ce dernier lui répond le lendemain point par point, expliquant que son frère est mort pour la France. Mais Henriot continue avec des insultes. Dac, toujours calme, glisse dans son texte « Du problème de la déportation, pas un mot. De la participation des autorités d'occupation dans l'organisation du marché noir, rien non plus »[26].

Le jour du débarquement de Normandie, le général de Gaulle vient à la BBC pour faire un discours. Il va saluer l'équipe de l'émission et rencontre Pierre Dac pour la première fois : les deux hommes se saluent chaleureusement. Le Général lui écrira une lettre le 1er septembre pour le remercier d'avoir « permis de remporter la Victoire »[27].

Le , Pierre Dac quitte l'antenne estimant avoir rempli sa mission, ce que confirme Michel Saint-Denis (Jacques Duchesne), le directeur de la radio[28].

Notes et références

  1. Frédéric Veille et Frédéric Leterreux (avec le concours d'Emmanuel Thiébot et al.), Histoires insolites du Débarquement, Saint-Victor-d'Épine, City Éditions, coll. « Histoires insolites... », , 1re éd., 251 p., 23 cm (ISBN 978-2-8246-0448-0 et 2-8246-0448-4, OCLC 887575730, notice BnF no FRBNF43836638, présentation en ligne, lire en ligne), « Les Français parlent aux Français… », « Le poème de Verlaine diffusé en deux fois » [lire en ligne (page consultée le 25 juin 2016)] et « La BBC s'installe au château » [lire en ligne (page consultée le 25 juin 2016)].
  2. Jean-François Muracciole, « Français parlent aux Français (Les) », dans Jean-François Muracciole et Guillaume Piketty (dir.), Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Robert Laffont et ministère de la Défense, coll. « Bouquins », , 1re éd., XXII-1469 p., 13,2 × 19,8 cm (ISBN 2-221-11632-1 et 978-2-221-11632-6, OCLC 930781503, notice BnF no FRBNF44460096, présentation en ligne, lire en ligne).
  3. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, De Gaulle, la République et la France Libre : 1940-1945, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 547), , 1re éd., 493 p., 18 cm (ISBN 978-2-262-04382-7 et 2-262-04382-5, OCLC 879776397, notice BnF no FRBNF43825549, présentation en ligne, lire en ligne), « Les Français parlent aux Français »
  4. Julien Arbois, Histoires insolites de la Résistance française, Saint-Victor-d'Épine, City Éditions, , 1re éd., 230 p., 23 cm (ISBN 978-2-8246-0625-5 et 2-8246-0625-8, OCLC 920031841, notice BnF no FRBNF44377936, présentation en ligne, lire en ligne), chap. 7 (« La morue est salée »).
  5. Jean-Claude Pouzet, La Résistance mosaïque : histoire de la Résistance et des Résistants du pays d'Aix (1939-1945), Marseille, Jeanne Laffitte, , 1re éd., 596-[32] p., 24 cm (ISBN 2-86276-211-3 et 978-2-86276-211-1, OCLC 23927935, notice BnF no FRBNF35299611, lire en ligne), p. 23.
  6. Laurent Beeckmans, « De la logique mathématique à la logique musicale », dans Mathématiques concrètes, Bruxelles et Liège, Haute École Francisco Ferrer et CÉFAL, coll. « Les Cahiers de l'IREM de Bruxelles » (no 3), (ISBN 978-2-87130-249-0, lire en ligne), p. 74.
  7. Jean-François Mattei, Heidegger et Hölderlin : le Quadriparti, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Épiméthée », , 1re éd., 281 p., 22 cm (ISBN 2-13-050113-3 et 978-2-13-050113-8, OCLC 407019637, notice BnF no FRBNF37225127, présentation en ligne, lire en ligne).
  8. Michel Le Séac'h, La petite phrase : d'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Qu'elle est sa portée réelle, Paris, Eyrolles, , 1re éd., 269 p., 19 cm (ISBN 978-2-212-56131-9 et 2-212-56131-8, OCLC 919034706, notice BnF no FRBNF44369772, présentation en ligne, lire en ligne), p. 148.
  9. Karine Le Bail, La musique au pas : être musicien sous l'Occupation, Paris, CNRS Éditions, coll. « Seconde Guerre mondiale » (no 7), , 1re éd., 439 p., 15 × 23 cm (ISBN 978-2-271-06995-5 et 2-271-06995-5, OCLC 947054459, présentation en ligne, lire en ligne), part. 1 Sous la botte allemande »), chap. 1 (« Partitions de l'été 1940 »), sect. 2 Une scène partagée »), § 2 L'idée européenne »).
  10. Hervé Lehning, L'univers des codes secrets : de l'Antiquité à Internet, Bruxelles, Ixelles Éditions, coll. « Documents HC », , 1re éd., 319 p., 14,5 × 22,5 cm (ISBN 978-2-87515-156-8 et 2-87515-156-8, OCLC 819274042, présentation en ligne, lire en ligne).
  11. (en) Diane DeBlois et Robert Dalton Harris, « Morse code V for Victory: morale through the mail in WWII » [PDF], sur postalmuseum.si.edu, Smithsonian National Postal Museum, (consulté le ).
  12. Crémieux-Brilhac 1975, p. 10.
  13. Jacques Pessis, Radio Londres, la guerre en direct, Albin Michel, , p. 163
  14. Michael Richard Daniell Foot, Des Anglais dans la Résistance, Paris, Tallandier, 2008, (ISBN 9782847347661), p. 521.
  15. Selon le compte-rendu allemand de l’écoute des messages, visible au musée du 5 juin 1944 à Tourcoing, le texte des messages aurait été conforme au poème de Verlaine, sans altération.
  16. Dac et Pessis 2014, p. III-V.
  17. Dac et Pessis 2014, p. VII.
  18. Dac et Pessis 2014, p. IX.
  19. Dac et Pessis 2014, p. X.
  20. Dac et Pessis 2014, p. XIV.
  21. Dac et Pessis 2014, p. 12.
  22. Dac et Pessis 2014, p. 14-15.
  23. Dac et Pessis 2014, p. 61.
  24. Dac et Pessis 2014, p. 64.
  25. Dac et Pessis 2014, p. 74.
  26. Dac et Pessis 2014, p. 106-110.
  27. Dac et Pessis 2014, p. 115.
  28. Dac et Pessis 2014, p. 147.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Louis Crémieux-Brilhac (dir.), Le monde en feu : 8 décembre 1941 - 7 novembre 1942, t. II, Paris, La Documentation Française, . .
  • Pierre Dac et Jacques Pessis, Un loufoque à Radio Londres : 29 octobre 1943 - 9 août 1945, Paris, Omnibus, coll. « Bibliomnibus Humour », (1re éd. 2008), 175 p. (ISBN 978-2-258-11384-8). 
  • Dominique Decèze, La lune est pleine d'éléphants verts. Histoire des messages de Radio-Londres à la Résistance française (1942-1944), J. Lanzmann & Seghers, éditeurs, 1979.
  • Aurélie Luneau, Radio Londres - 1940-1944 - Les voix de la liberté, éd. Librairie Académique Perrin, 2005, 349 p. (ISBN 2262023875 et 978-2262023874)
  • (en) Michael Stenton, Radio London and Resistance in Occupied Europe : British Political Warfare, Oxford University Press, , 423 p. (lire en ligne)
  • (en) Nicholas Hewitt, The Cambridge Companion to Modern French Culture, Cambridge University Press,, , 353 p. (lire en ligne), p. 37
  • (en) Barrett Tillman, Brassey's D-Day Encyclopedia : The Normandy Invasion A-Z, Brassey's, , 289 p. (lire en ligne), p. 52
  • (en) Bradley Lightbody, The Second World War : Ambitions to Nemesis, Psychology Press, , 290 p. (lire en ligne), p. 214

Articles connexes

Liens externes

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