La Malinche

La Malinche (vers 1500 - vers 1529 ou 1551), appelée à l'origine Malinalli puis Malintzin (en nahuatl) et finalement Doña Marina (ainsi que les conquistadors espagnols la baptisèrent), était une femme amérindienne, originaire d'une ethnie nahua du Golfe du Mexique et devenue esclave d'un cacique maya du Tabasco. Offerte en à des conquistadors espagnols, elle devint la maîtresse de leur chef, Hernán Cortés, avec qui elle eut un fils, et assuma auprès de lui un rôle déterminant dans la conquête espagnole du Mexique en tant qu’interprète, conseillère et intermédiaire. De nos jours, au Mexique, La Malinche est une figure très vivace qui représente différents aspects contradictoires : elle est à la fois le symbole de la trahison, la victime consentante et la mère symbolique du peuple mexicain moderne.

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Biographie

Origines

Issue d'une population nahua de l’isthme de Tehuantepec, dans le Sud du Mexique, elle est née vers 1500. Elle s'appelle alors probablement Malinalli, qui est le nom du 12e jour du calendrier sacré nahua de 260 jours, le tonalpohualli[1]. Très peu de choses sont connues sur les origines de La Malinche. La plupart de ce que les historiens pensent connaître à propos de sa vie, nous a été transmis par les récits du conquistador Andrés de Tapia, par le biographe « officiel » de Cortés, Gómara, et surtout, par les chroniques de Díaz del Castillo. Sa version de ses origines est un récit pittoresque qui semble trop romantique et biblique pour être entièrement crédible, bien qu’il n’y ait aucune preuve infirmant cette histoire. D’après Díaz, La Malinche était l’aînée du seigneur de Paynala (près de l’actuelle Coatzacoalcos, alors à la « frontière » entre l’empire aztèque et les Mayas du Yucatán). Après la mort de son père durant sa jeunesse, sa mère se remaria et donna naissance à un fils. Devenue gênante, elle aurait été vendue ou donnée à des marchands d’esclaves mayas de Xicalango, un important centre commercial, situé le long de la côte, plus au sud et plus à l’est. À un moment donné, elle fut vendue ou donnée de nouveau, et emmenée à Potonchan, où elle fut finalement donnée aux Espagnols.

La conquête du Mexique

La Malinche (extrait de la fresque "Tlaxcala a través de los tiempos y su aportación a lo mexicano" de Desiderio Hernández Xochitiotzin, réalisée entre 1957 et 1995).

La Malinche fut introduite aux Espagnols en , quand elle leur fut donnée avec vingt autres esclaves par les Mayas Chontal de Potonchan (aujourd’hui dans l’État du Tabasco). Elle est alors baptisée Marina. Son âge est inconnu, mais il semblerait qu’elle ait eu environ vingt ans (à cinq ans près) dans la mesure où elle était probablement très belle. Bernal Díaz del Castillo la décrit d’ailleurs dans ces termes[2] : « Doña Marina était de bel aspect, insinuante et fort alerte ». Cortés la donna à Alonso Hernández Puertocarrero, le membre de son expédition de plus noble naissance[3]. Cependant, peu de temps après, Puertocarrero fut envoyé en Espagne en tant qu’émissaire de Cortés auprès du roi Charles V, et Cortés, conscient de son utilité et séduit par sa beauté, la garda avec lui.

Cortés et La Malinche (José Clemente Orozco, 1926, Colegio de San Ildefonso).

D’après des sources espagnoles et indigènes, la jeune femme commença à faire l’interprète en quelques semaines. Elle traduisait entre le nahuatl (la lingua franca du centre du Mexique) et la langue maya yucatèque qui était comprise par le prêtre espagnol Gerónimo de Aguilar car il avait passé plusieurs années en captivité parmi les Mayas à la suite d'un naufrage. À la fin de l’année, quand les Espagnols s’étaient installés dans la capitale aztèque de Tenochtitlan, la jeune femme connaissait suffisamment d’espagnol pour traduire directement les conversations entre Cortés et l’empereur, Moctezuma II (Aztèques). C'est probablement à cette époque que les Nahuas se mirent à appeler Malinalli et/ou Cortés « Malintzin ».

Après la chute de Tenochtitlan vers la fin de 1521 et à la naissance de son fils Don Martín Cortés, La Malinche disparaît de la scène politique, jusqu’à la désastreuse expédition de Cortés au Honduras de 1524 à 1526. Elle servit encore d’interprète, ce qui suggère qu’elle connaissait les dialectes mayas autres que le chontal et le yucatecan. C’est dans les forêts centrales du Yucatán qu’elle se maria à Juan Jaramillo, un riche conquistador, compagnon de Cortés, dont elle eut une fille, María, née en 1526.

Sa mort, comme beaucoup d’événements de son existence, demeure une énigme : elle disparaît sans laisser de trace en 1528 : abandonnée par son mari, assassinée ou bien victime d’une épidémie ? La date de sa mort (1529 ?) reste de même incertaine. Son mari, quant à lui, épouse en deuxièmes noces Beatriz de Andrade en 1529 ou 1530.

Rôle de La Malinche dans la conquête du Mexique

La Malinche interprète dans les discussions entre Taxcaltecans et Hernan Cortés (extrait de la fresque "Tlaxcala a través de los tiempos y su aportación a lo mexicano" de Desiderio Hernández Xochitiotzin, réalisée entre 1957 et 1995).

Pour les conquistadors, disposer d’un interprète de confiance était très important, mais il existe de nombreuses preuves que le rôle et l’influence de La Malinche furent bien plus importants. Bernal Díaz del Castillo, un soldat qui, dans sa vieillesse, fit de la conquête une narration exhaustive, s’appuyant sur des témoignages directs, la Verdadera Historia de la Conquista de la Nueva España La Véritable Histoire de la Conquête de la Nouvelle-Espagne »), décrit toujours avec respect la grande Dame Doña Marina (il emploie toujours le titre honorifique de Doña). « Sans l’aide de Doña Marina » écrit-il, « nous n’aurions pas compris la langue de Nouvelle-Espagne et du Mexique ». Rodríguez de Ocana, un autre conquistador, raconte l’affirmation de Cortés selon laquelle, après Dieu, Marina était la raison principale de son succès. Les témoignages indiens sont encore plus intéressants, tant par les commentaires sur son rôle que par la place qu’elle occupe dans les fresques réalisées sur des événements de la conquête. Dans la Lienzo de Tlaxcala par exemple, non seulement Cortés est rarement représenté sans La Malinche à ses côtés, mais celle-ci est montrée plusieurs fois seule, semblant diriger les événements de sa propre autorité…

Origine du nom de La Malinche

De très nombreuses inconnues demeurent autour de La Malinche, à commencer par son nom qui a changé au long de la vie de ce personnage. À sa naissance, elle a reçu le nom « Malinalli » ou « Malinali », en l'honneur de la déesse de l'herbe. Ensuite, sa famille a ajouté le nom « Tenepal » qui signifie « qui parle avec beaucoup vitalité »[4],[5]

Quand elle est devenue esclave, Cortés a insisté pour que les vingt jeunes filles esclaves fussent baptisées avant qu'elles fussent distribuées parmi les capitaines espagnols pour satisfaire leurs désirs. À ce moment-là, La Malinche se vit attribuer le nom espagnol « Marina », auquel les soldats de Cortés ont ajouté le titre de « Doña », qui signifie « dame »[6]. Par contre, nul ne sait si « Marina » fut choisi pour sa ressemblance phonétique avec son premier nom ou s’il fut choisi au hasard parmi les prénoms féminins espagnols courants de l’époque.

De même, « Malintzin » vient sans doute de la contraction de Malinalli-tzin ou d’une erreur de prononciation de « Marina » de la part des Nahuas, auxquels ils auraient ajouté le suffixe « -tzin » (-tzin étant en nahuatl un suffixe honorifique servant à indiquer la déférence envers son interlocuteur et pouvant également signifier « seigneur ou maître », et donc être une reconnaissance du lien intime entre Cortés et Malinalli)[1] et ils l'utilisaient pour nommer les deux, Cortés et Marina, parce que lui parlait par son intermédiaire[6]. Malintzin peut être traduit comme « noble prisonnier », une possibilité raisonnable dû a sa double naissance et sa première relation avec l'expedition de Cortés.[réf. nécessaire]

« Malinche » est très probablement la déformation par les Espagnols de « Malintzin ».

Comme résultat de toutes les variations du nom de La Malinche, il est possible de penser que son nom préféré était « Marina » ou « Doña Marina », car elle l'a choisi et ce nom n'est pas chargé des connotations péjoratives qui ont caractérisé le nom « Malinche » après sa mort[7].

Figure de La Malinche dans le Mexique contemporain

Alijeo Barajas, déguisé en « Llorona » dans un film, The Mexican Dream, 2003.

De nos jours, le mot « malinchismo » est utilisé au Mexique pour identifier les compatriotes qui ont trahi leurs origines et leur pays : ceux qui mélangèrent leur sang et leur culture avec les Européens et les autres influences étrangères[8]. Certains historiens[réf. nécessaire] [Lesquels ?] pensent que La Malinche sauva son peuple : sans quelqu’un qui était capable de traduire les échanges mais également qui conseillait les deux camps de la négociation, les Espagnols auraient été encore plus violents et destructeurs durant leur conquête. Elle est aussi reconnue pour apporter le christianisme au « Nouveau Monde », et pour son influence humaniste sur le comportement de Cortés pendant la conquête. Cependant, il est argumenté que, sans l'aide de La Malinche, la conquête des aztèques n'aurait pas été si rapide, ce qui leur aurait donné le temps de s'adapter aux nouvelles technologies et méthodes de guerre. De ce point de vue, Marina est vue comme une personne qui a trahi les peuples indigènes[5].

En fin de compte, La Malinche représente un mythe mêlé de légende et symbolise l’opinion contradictoire du peuple mexicain sur la condition femme. Certains la considèrent comme la figure fondatrice de la population mexicaine. Cependant, d’autres voient en elle la traîtresse à sa patrie[9].

Octavio Paz en fait l'authentique traitresse, celle qui s'offrit à Hernán Cortés et trahit son peuple : La Chingada (es)[10].

La Malinche dans la culture populaire

Dans la chanson La maldición de Malinche (es), représentative du genre Nueva canción, Gabino Palomares (es) interprète de façon politique et contemporaine la « malédiction de la Malinche », c'est-à-dire la propension latino-américaine à se tourner vers les cultures européennes et nord-américaines au détriment des cultures populaires nationales locales.

Le groupe parisien Feu! Chatterton a rendu hommage à la Malinche dans un morceau éponyme, issu de l'album Ici le Jour (a tout enseveli). Oscillant entre crainte de l'homme trompé et véritable déclaration d'amour, les textes mettent en image le véritable paradoxe qu'incarne la Malinche : la trahison et la mère de la nation mexicaine moderne[11]. Le groupe a même interprété ce titre au Musée du quai Branly - Jacques-Chirac[12], dont la mission est de créer « une passerelle entre les cultures »[13].

Notes et références

  1. (es) Rosa María Grillo, « El mito de un nombre: Malinche, Malinalli, Malintzin », Mitologías hoy, n°4, hiver 2011, p. 16.
  2. Bernal Díaz del Castillo, La Conquête du Mexique, p. 92-93.
  3. Bernal Díaz del Castillo, op. cit.
  4. (es) Miguel Angel Menendez, Malintzin en un fuste, seis rostros y una sola máscara, Mexique, Editora La Prensa, .
  5. (en) Sandra Messinger Cypess, La Malinche in Mexican Literature : From History to Myth, Austin, U. of Texas Press, .
  6. Díaz del Castillo, Bernal, 1496-1584., The conquest of New Spain, Penguin Books, (ISBN 0-14-044123-9, OCLC 526355, lire en ligne).
  7. Helen Heightsman Gordon, Malinalli, p. 1.
  8. (en) Fortes De Leff, J., « Racism in Mexico: Cultural Roots and Clinical Interventions », Family Process, , p. 619-623.
  9. Jean-Michel Normand, « « Sexe et pouvoir » : la Malinche, mère controversée du Mexique moderne », sur Le Monde, (consulté le )
  10. .
  11. (en) Feu! Chatterton – La Malinche (lire en ligne)
  12. « La Malinche - session acoustique au Musée du Quai Branly », sur www.facebook.com, (consulté le )
  13. (en) « Missions », sur www.quaibranly.fr (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • Gary Jennings, Azteca, Le livre de poche, 1991, 1 047 pages, (ISBN 2-253-05597-2).
  • Bartolomé Bennassar, Cortés, Bibliographie Payot, 2001, 357 pages, (ISBN 2-228-89475-3).
  • Bernal Díaz del Castillo, La Conquête du Mexique, 1996, 809 pages, (ISBN 2-7427-0990-8).
  • (es) Juan Francisco Maura Españolas de ultramar, Valencia: Universidad de Valencia, 2005.
  • Kim Lefèvre, Moi, Marina la Malinche, Stock, 2004, 288 p.
  • Carole Achache, L’indienne de Cortés, Robert Lafont, 2002, 228 p.
  • Anna Lanyon, Malinche l'indienne : L'Autre conquête du Mexique, Payot, , 233 p. (ISBN 978-2-228-89861-4)

Articles connexes

Liens externes

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