Histoire des Juifs en Corse

L'histoire des Juifs en Corse commence en l'an 800, lorsque plusieurs immigrations juives se sont produites. Au cours des siècles, ils sont venus d'Égypte, de plusieurs villes d'Italie et de Palestine.

Première immigration Mizrahim

Autour de l'an 800[1], une immigration venue d'Égypte se serait installée dans le Sud de la Corse, principalement à proximité de Levie, village situé environ à 20 km de Porto-Vecchio. Par la suite, les membres de la communauté se seraient dispersés un peu partout dans l'ile en devenant partie intégrante de la population autochtone[2].

Immigration des juifs de l'Italie méridionale

Entre les années 1500 et 1530, des juifs venus de Naples et de l'Italie méridionale fuyant les persécutions, se seraient établis dans les montagnes du centre de la Corse[2].

Immigration des Ashkénazes de Padoue et de l'Italie du Nord

Ashkénazes de Padoue

Nom de famille Padovani

Entre l'an 1590 et l'an 1684, les juifs ashkénazes de Padoue sont obligés de vivre dans un ghetto depuis 1516. Cette période est marquée par de multiples violences contre la communauté juive et une grande partie d'entre elle décida après ces désastreux événements d'émigrer en Corse[2]

Un mythe persistant veut que les habitants les nommèrent Padovani, ce qui signifie : venus de Padoue[2]. En réalité, le nom de famille Padovani, très répandu de nos jours en Corse, est une référence au saint éponyme[3].

Ashkénazes de l'Italie du Nord

Le phénomène de la persécution s'est poursuivi dans le nord de l'Italie et l'immigration juive la plus connue s'est développée entre les années 1750 et 1769, lorsqu'à la fin de la domination génoise qui a duré quatre cents ans, un nombre de 5 000 à 10 000 juifs sont arrivés en Corse, principalement de Milan, Turin et Gênes, ainsi que de Padoue. Pasquale Paoli écrit le 26 juin 1760 au fils de Domenicu Rivarola, consul du Piémont à Livourne : « si les juifs voulaient s’établir parmi nous, nous leur accorderions la naturalisation et les privilèges pour se gouverner avec leurs propres lois, parlez–en à quelque rabbin accrédité »[4]. « Paoli (passe) un accord semblable avec des entrepreneurs français au moment de la guerre de Sept ans (1756-1763), pour l’exploitation des forêts »[5]. En 1763, Paoli qui se propose d’installer toute une colonie juive dans l’île[4], accède à la requête d'un juif nommé Modigliani installé parmi les premiers habitants de la cité d’Ile Rousse, de bénéficier du même droit de vote que les habitants nationaux selon la promesse du général[5]. La Première République française a ainsi accueilli les Juifs arrivés en Corse en leur reconnaissant les mêmes droits que les autres citoyens, pouvant pratiquer librement leur religion (ce qui n'était pas le cas à l'époque dans de nombreux pays).

Alors qu'auparavant, seuls les marins napolitains et autres pêchaient le corail, Paoli autorise les Juifs de Livourne à le pêcher sur les côtes corses en 1767, occasion pour lui de développer l'économie portuaire et commerciale de la Corse[5].

Le climat de tolérance a favorisé un grand nombre de mariages mixtes, ce qui a conduit à l'assimilation presque totale des juifs aux chrétiens.

Juifs venant de Palestine, de Syrie et d'Afrique du nord

Synagogue Beth Meier à Bastia

Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, des familles juives de la Syrie et du Liban sous mandat français arrivent en Corse[6], chassées par les ravages de la campagne du Sinaï et de la Palestine que mènent les armées de l'empire ottoman et de l'empire allemand. Après cette arrivée au port d'Ajaccio le 14 décembre 1915 de 744 personnes, c'est au tour de quelque 700 juifs d'Algérie et du Maroc, ayant refusé de renoncer à leur nationalité française ou à leur statut de protégés français ou anglais, de faire escale en Crète pour débarquer ensuite en Corse, l'été de la même année[7].

Elles s'établissent dans les grandes villes de la côte, à Bastia et à Ajaccio, et sont bien accueillies par l’administration et la population corses[8], dans les villages ou couvents comme Oletta, Coti-Chiavari, Cervione, Morsiglia, Luri ou Corte, soit onze villages au total où l'on avait besoin de main d'œuvre, qui y accueillent également d'autres réfugiés[9],[10]. La plupart repartent en Palestine après la fin de la Grande Guerre mais quelques-unes s'établissent en Corse[11]. Elles dressent en 1934 la synagogue Beth Meir de Bastia[12].

Dans l'Entre-deux-guerres

Les esprits commencent à être « travaillés dans l’île, durant l’Entre-deux guerres, par la presse d’extrême droite et la presse irrédentiste comme «A Muvra». À la fin des années trente, ce journal justifie les agressions auxquelles nazis et fascistes se livrent contre les peuples en avançant que les dictateurs fascistes luttent « contre la grande offensive hébraïque ourdie à Moscou et à Londres ». « Si les Juifs et les francs-maçons veulent la ruine de Hitler et de Mussolini qu’ils y aillent eux-mêmes », peut-on lire dans ce journal à la veille de la guerre »[13].

Seconde Guerre mondiale

Ces familles Ebrei Juifs » en langue corse) au nombre de 210, soit 600 à 800 juifs de Corse et quelques dizaines d'autres venant du continent[14], sont en quelque sorte « protégées » par des particuliers. À Asco, 57 d'entre elles sont assignées à résidence[13], et sauvées de la déportation dans les camps d’extermination nazis pendant le deuxième conflit mondial[15]. In fine, on ne déplorera qu'un seul juif de Corse déporté et assassiné dans un camp de l'est.

Le régime de Vichy reproche au préfet Paul Balley (qui sera décoré de la Francisque puis révoqué sans pension[16]) de ne pas être assez diligent pour recenser les Juifs de l’île, qu'en réalité il les protège, et des sous-préfets semblent également traîner les pieds ; celui de Bastia, Pierre-Henry Rix, gaulliste, F.F.L., s'entretient à Marseille en mars 1942 avec Bedi Arbel, consul général de Turquie (neutre dans le conflit), pour faire déclarer sujets turcs tous les juifs de son arrondissement, auxquels sont délivrés des passeports[17], afin de n'en recenser aucun[18],[13]. « Dans la seule région de Marseille, le chiffre de 20 000 passeports est avancé. Le consul Beli Arbel disposait également de laissez-passer turcs pour traiter les cas les plus urgents »[17].

L'historien Iannis Roder, responsable de la formation à la Fondation pour la mémoire de la Shoah, rappelle toutefois qu'à cette époque, des Corses manifestent leur hostilité aux Juifs en distribuant des tracts antisémites et en maculant les vitrines de commerce leur appartenant. La presse pétainiste et judéophobe corse comme «Bastia journal» du 21 juin 1941 fustige « les fauteurs de discorde, Juifs échappés des ghettos, francs-maçons chassés de leurs termitières, communistes impénitents, apatrides saboteurs »[13]. La presse catholique à travers le «Bulletin diocésain» d’août 1941 justifie la persécution que les Juifs subissent «…parce qu’ils commençaient à trop s’identifier avec les peuples au milieu desquels ils vivaient et qu’ils étaient en train de perdre leur originalité ; alors Dieu a permis qu’ils fussent ramenés durement à leur destinée ». Juste après la rafle du vél d’Hiv, l'année suivante, cette même publication diocésaine du 24 août 1942 récidive en justifiant les persécutions du peuple juif qui n’aurait pas reconnu Jésus comme le Messie[13].

Filmographie

Le secret de Zia Maria, un film écrit et réalisé par Isabelle Balducchi en 2012 : ce film parle du secret de la grand-mère de la réalisatrice, qui a caché un membre de la communauté juive de Bastia pendant la Seconde Guerre mondiale[19].

Bibliographie

  • Simon Giuseppi (contribution), Corse terre d'accueil, terre d'exil 1914-1918, Editions Alain Piazzola, 2017, pp. 288, (ISBN 978-2364790759)

Notes et références

  1. Brigitte Peressini, « Heureux comme un Juif en Corse ? », N° 62, sur calameo.com, Tribu 12, (consulté le ), p. 20-21
  2. Tribune Juive, « L'histoire des juifs en Corse », sur Tribune Juive, (consulté le )
  3. Ghj. P., « HISTOIRE. Les Juifs en Corse, la destruction d'un mythe », Corse-matin, 21 septembre 2017.
  4. Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli : Père de la patrie corse, Taillandier, 2002, (ISBN 2847341692)
  5. « LES JUIFS DE PAOLI », sur memoria ebraica di a Corsica, (consulté le )
  6. En 1915, 750 Juifs syriens débarquent à Ajaccio. Lire en ligne
  7. Meïr Long, « Des Juifs palestiniens et marocains en Corse (1915-1920) », sur memoria ebraica di a Corsica, (consulté le )
  8. « Conférence de Simon Giuseppi « Les Juifs en Corse» | Cercle de Généalogie Juive », sur www.genealoj.org, (consulté le )
  9. « Quand la Corse était la terre d’accueil de milliers d’étrangers déplacés par la guerre », sur France 3 Corse ViaStella, (consulté le )
  10. Jean-Marc Raffaelli, « La Corse, terre d'accueil d'exil et de captivité », sur Corse Matin, (consulté le )
  11. Florence Bercéot, « Une escale dans la tempête. Des Juifs palestiniens en Corse (1915-1920) », Archives juives, vol. 38, (lire en ligne)
  12. Antoine Albertini, « Le kaddish perdu des juifs de Corse », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
  13. Antoine Poletti, « La Corse île Juste ? Un excês d’honneur selon Yad Vashem – ANACR 2A », (consulté le )
  14. Hélène Chaubin (correspondante en Corse du Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, de l'Institut d'Histoire du temps présent et du Centre d'histoire sociale du XXe siècle), conférence prononcée à Ajaccio le 15 avril 2009 au Palais des Congrès d'Ajaccio, voir note 5 dans La Corse île Juste ? Un excès d’honneur selon Yad Vashem
  15. Charles Monti, « « Corse, terre d’accueil, terre d’exil : 1914-1918 » le nouveau livre de Simon Giuseppi », sur Corse Net Infos - Pure player corse (consulté le )
  16. Gérard Bonet, « Balley (Paul, Louis, Emmanuel) », dans Nouveau Dictionnaire de biographies roussillonnaises 1789-2011, vol. 1 Pouvoirs et société, t. 1 (A-L), Perpignan, Publications de l'olivier, 2011, 699 p. (ISBN 9782908866414)
  17. Jean-Pierre Girolami, « Mars 1942 : les Juifs de Corse sauvés par un passeport turc », sur Corse Matin, (consulté le )
  18. « RIX, le sous-préfet Résistant de Bastia – ANACR 2A », Extrait de Libération de la Corse par le Général Gambiez, Ed Hachette littérature, 1973, p. 63. (consulté le )
  19. « Le Secret de Zia Maria », sur www.film-documentaire.fr (consulté le )

Annexes

Articles connexes

Liens Externes

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