Ikrit (village)

Ikrit ou Iqrit (en arabe : إقرت ou إقرث, Iqrith) était un village palestinien, situé à 25 kilomètres au nord-est d'Acre, actuellement dans le nord d'Israël. À l'origine, il était inclus dans l'État arabe prévu dans le plan de partage des Nations unies de 1947. Peuplé d'environ 500 habitants, pour leur très grande majorité de culte chrétien oriental, le village fut capturé et sa population évacuée par les troupes israéliennes en 1948 lors de la Première guerre israélo-arabe. Le village fut ensuite rasé, seule l'église resta debout.

La population a par la suite mené plusieurs tentatives auprès des tribunaux israéliens pour pouvoir se réinstaller dans leur village et le cas, comme celui du village de Biram, a été médiatisé et est devenu célèbre en Israël et dans le monde entier.

Période antique et médiévale

Plusieurs sites archéologiques se trouve à proximité du village. Ikrit contient des sols en mosaïque, des restes de presse à vin, des tombes, des citernes et des instruments en granite. Quand les Croisés occupèrent le village, ils le désignèrent sous le nom d'Acref ; Açref est un nom encore couramment utilisé par les tribus bédouines voisines pour désigner le village.

Période ottomane

Ikrit passe sous domination ottomane en 1517, comme toute la région. En 1596, selon les registres fiscaux de cette année-là[1], il apparaît comme un village du nahié (sous-district) d'Akka dans le sandjak de Safed, avec une population of 374 résidents et une économie fondée principalement sur les chèvres, les ruches et l'agriculture[2],[3].

En 1875, le voyageur français Victor Guérin le qualifie de « très considérable » et indique qu'il est habité par des chrétiens maronites ou orthodoxes[4]. En 1881, l'enquête sur la Palestine occidentale du Palestine Exploration Fund nomme le village "Akrith" et le décrit comme « construit en pierre, avec une centaine d'habitants chrétiens ; il y a une chapelle moderne dans le village ; il est situé sur une colline avec des figues, des olives et des terres arables ; trois sources à l'ouest du village et quatorze citernes, creusées dans le roc, lui fournissent de l'eau[5],[6] ».

Période de la Palestine mandataire

Comme d'autres villages avoisinants, Ikrit était relié à la route côtière d'Acre à Ras an-Naqura via une route secondaire conduisant à Tarbikha. Lors du recensement de 1931, il y avait au village même 339 personnes (176 hommes et 163 femmes) vivant dans 50 maisons[7] ; 318 (161 femmes et 157 hommes) sont indiqués comme étant de religion chrétienne, et 21 de religion musulmane (19 hommes et 2 femmes)[7]. Le nombre d'habitants passe à 490 en 1945[8], tous arabes (460 chrétiens et 30 musulmans)[9], établis sur 24 722 dounams (soit 24,7 km2) de terres[10] : 458 dounams consistaient en plantations et en terres irrigables, 1888 étaient utilisés pour les céréales[11], et 68 dounams étaient occupés par des bâtiments et des maisons[12]. La surface non cultivable était couverte de bois de chênes, de lauriers et de caroubiers. Environ 600 m2 plantés de figuiers étaient utilisés par l'ensemble des habitants d'Ikrit et des environs. Les vergers couvraient la colline d'al-Bayad, et le reste de la terre cultivable était utilisé pour des cultures de lentilles, de tabac et d'arbres fruitiers. Deux sources d'eau et de nombreuses citernes, ainsi qu'un large bassin pour recueillir l'eau de pluie, se trouvaient aussi sur les terres du village. Les habitants vivaient alors en bonne intelligence avec les kibboutz du voisinage[13].

Une école privée élémentaire était administrée par l'archidiocèse melkite. La grande église melkite est un des rares bâtiments à avoir survécu à la destruction du village.

Expulsion des habitants et destruction du village

Villageois et soldats des Forces de défense d'Israël à Iqrit, 3 novembre 1948

Le , la 9e brigade des forces israéliennes, la brigade Oded, prit Tarshiha, Fassuta, Tarbikha, Ikrit et d'autres villages dans le cadre de l'opération Hiram[14]. Les habitants du village se rendirent sans combattre, accueillant favorablement l'arrivée de la brigade, et demeurèrent dans leurs maisons. Mais Ikrit (comme d'autres villages à proximité) fut affecté par une politique spécifique, celle de la « bordure sans Arabes »[15],[16] : le maintien d'une bande de cinq kilomètres derrière la frontière avec le Liban vide de tout habitant arabe[17]. Le , l'armée israélienne ordonna donc aux villageois d'abandonner le village (sauf le prêtre), officiellement pour des raisons de sécurité, en leur garantissant de pouvoir y retourner au bout de deux semaines, après la fin des opérations militaires. Quelques habitants partirent pour le Liban, l'armée emmena la majorité dans des camions vers Rama, une ville entre Acre et Safed, où ils occupèrent des maisons abandonnées par des Arabes musulmans[17]. Un certain nombre de villageois, surtout des personnes âgées, étant restés dans Ikrit, il fut décidé d'évacuer complètement le village en décembre.

La première action légale contre l'état d'Israël fut menée par cinq hommes d'Ikrit en 1951, avec Muhammad Nimr al-Hawari (en) agissant comme avocat. En , les villageois plaidèrent leur cause auprès de la Cour suprême d'Israël qui reconnut leur droit à retourner dans leur village, malgré l'opposition du gouvernement militaire. L'argument de la cour était que les terres n'étaient pas abandonnées. Un délai supplémentaire fut néanmoins accordé à l'armée[18]. Le , les forces de défense israéliennes détruisirent le village avec des explosifs. Selon le Washington Report on Middle East Affairs, les soldats israéliens emmenèrent le mukhtar d'Ikrit sur une colline voisine pour qu'il regarde les maisons du village sauter les unes après les autres[19].

La situation contemporaine

Dans les années 70, les villageois d'Ikrit firent sur une période de six ans une série de sit-ins dans l'ancienne église du village et le cas d'Ikrit (comme celui de Kafr Bir'im) fut régulièrement mentionné dans les médias israéliens[20]. Plusieurs figures israéliennes notables de la culture et de l'art soutinrent le mouvement pour rapatrier les villageois d'Ikrit et le public manifesta généralement de la sympathie pour leur détresse. Alors que les autorités israéliennes reconnaissaient en principe le droit au retour des villageois, les responsables résistèrent à l'implémentation de ce droit. Golda Meir dit en 1972 : « Ce ne sont pas seulement des considérations de sécurité qui empêchent une décision officielle à propos de Bi'rim et d'Ikrit, mais le désir d'éviter d'[établir] un précédent. Nous ne pouvons nous permettre de devenir de plus en plus empêtrés et d'atteindre un point où nous ne serons plus capables de nous en extriquer[21]. » Les commandos de Septembre noir qui organisèrent la prise d'otages des Jeux olympiques de Munich en la dénommèrent « Opération Kafr Bir’im et Iqrit »[22].

La plupart des villageois sont citoyens israéliens, mais font partie des « présents absents », ou plus officiellement « Palestiniens déplacés internes », et continuent à demander l’autorisation de retourner habiter au village. Ils continuent à utiliser le cimetière et l'église. En 2003, la requête de plusieurs d’entre eux à la Cour suprême a été rejetée[20]. Depuis 2012, après une grande manifestation à Haïfa, des jeunes du village l’occupent régulièrement[23].

Sources

  1. Rhode 1979, p. 6, conteste cette date et conclut que le registre en question date de 1548-1549.
  2. Hütteroth et Abdulfattah 1977, p. 180.
  3. Kahlidi 1992, p. 15.
  4. Guérin 1880, p. 125.
  5. Conder et Kitchener 1881, p. 148.
  6. Khalidi 1992, p. 15.
  7. Mills 1932, p. 101.
  8. Statistiques de 1945, p. 4.
  9. Des données de 1948 évoquent 491 habitants, dont 432 chrétiens melkites, alors que parmi les musulmans, certains louaient leurs maisons d'Ikrit, d'autres habitaient esh-Shafaya. Benny Morris parle d'environ 600 habitants en 1948 (Morris 2004, p. 506).
  10. Hadawi 1970, p. 40.
  11. Hadawi 1970, p. 80.
  12. Hadawi 1970, p. 130.
  13. Bidwell et Smith 1998.
  14. Morris 2004, p. 474.
  15. Kimmerling et Migdal 1998, p. 416.
  16. Morris 2004, p. 505-506.
  17. Morris 2004, p. 506.
  18. Joseph L. Ryan, S.J., « Refugees within Israel: The Case of the Villages of Kafr Bir'im and Iqrit », Journal of Palestine Studies, vol. 2, no 4, , p. 55-81.
  19. (en) Richard Curtiss, « Iqrit and Bir Am: A Christmas Tale With a Moral », Washington Report on Middle East Affairs, , p. 65 (lire en ligne).
  20. (en) « Case-owners, not land-owners » [archive], sur Ittijah, .
  21. Benvenisti 2000, p. 325-326.
  22. Black et Morris 1991, p. 270.
  23. Mélinée Le Priol, « En Israël, l’impossible retour des chrétiens d’Ikrit », La Croix, (lire en ligne)

Bibliographie

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  • (en) Meron Benveniśtî et Maxine Kaufman-Lacusta (trad.), Sacred landscape : the buried history of the Holy Land since 1948, Berkeley, University of California Press, , 376 p. (ISBN 978-0-520-23422-2, lire en ligne).
  • (en) Robin Leonard Bidwell et G. Elliot Smith, Dictionary of Modern Arab History, Routledge, , 456 p. (ISBN 978-0-7103-0505-3, lire en ligne), p. 88.
  • (en) Ian Black et Benny Morris, Israel's secret wars : a history of Israel's intelligence services, Grove Weidenfeld, (ISBN 0-8021-1159-9).
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  • (en) All that remains : the Palestinian villages occupied and depopulated by Israel in 1948, Washington, Institute for Palestine Studies, , 636 p. (ISBN 0-88728-224-5, lire en ligne).
  • (en) Baruch Kimmerling et Joel S. Migdal, Palestinians : The making of a people, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, , 396 p. (ISBN 0-674-65223-1).
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  • (en) Benny Morris, 1948 and after : Israel and the Palestinians, Oxford, Oxford University Press, .
  • (en) Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited, Cambridge University Press, , 640 p. (ISBN 978-0-521-00967-6, lire en ligne).
  • (en) Edward Henry Palmer, The Survey of Western Palestine : Arabic and English Name Lists Collected During the Survey by Lieutenants Conder and Kitchener, R. E. Transliterated and Explained by E.H. Palmer, Committee of the Palestine Exploration Fund, (lire en ligne).
  • (en) Harold Rhode, Administration and Population of the Sancak of Safed in the Sixteenth Century (Ph D en sciences politiques), Columbia University Press, (lire en ligne).

Voir aussi

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