Histoire locale
L’histoire locale est le domaine des recherches et publications historiques centrées sur un territoire particulier, généralement limité de manière volontaire à une localité ou à une zone géographique très restreinte. L'objet des recherches peut varier et toucher simultanément à des disciplines très variées : l'archéologie, la géographie, la démographie, la généalogie, la dialectologie, la toponymie, et bien d'autres. Les études sont souvent réalisées et publiées par des sociétés savantes locales.
Définition et concept
L’histoire locale est indissociable de son lieu d’étude. Pour la définir plus clairement, certains historiens parlent « d’érudition locale ». En opposition aux historiens dits professionnels qui tendent à se spécialiser dans un domaine historique précis, l’historien local construit un savoir large sur la localité (ou la région) sur laquelle il travaille. Par cet ancrage géographique, les historiens contribuant à cette érudition participent à l’affirmation d’une identité locale. Ainsi, étudier le passé local est un moyen de prouver que le lieu est digne d’intérêt[1].
Certains événements locaux peuvent susciter cette soif de savoirs sur un lieu précis comme l’ouverture inattendue de fouilles archéologiques, la mobilisation autour d'un monument en ruine menacé, d'un site remarquable, d'un redécoupage administratif ou des commémorations en tous genres. Quel que soit l’élément déclencheur — le lieu, la période chronologique ou le thème —, la fonction essentielle de l’histoire locale consiste, en particulier par des publications (monographies, revues), à satisfaire la curiosité d’un public souhaitant connaître le passé d’une localité ou d’une région. Les études en histoire locale servent ainsi à nourrir des monographies ou des synthèses plus vastes mettant en avant des comparaisons régionales. Elles poursuivent également des objectifs locaux relevant de ce que l'on nomme aujourd'hui l'histoire publique, tels que fournir des informations d’ordre touristique sur un lieu particulier et coopérer avec des syndicats d'initiative.
Objets d'étude
Les objets d’étude de l’histoire locale sont très diversifés. Cependant, il est possible de délimiter un espace précis dans lequel ces études s’insèrent de manière récurrente. Le topos peut être de nature et d'extension variable, allant par exemple de l’histoire d’un quartier à celle d’une ville ou d’une région. À l’instar du lieu d’étude, la période embrassée par l'histoire locale peut porter sur la naissance d'une commune à la période contemporaine, ou, au contraire, s'attacher à une période plus lointaine, ou encore brosser une évolution sur le long terme[2].
Ceal dit, une part importante des études d’histoire locale concerne l’histoire du Temps présent car elle permet de solliciter les témoignages des anciens. En tant que détenteurs des savoirs, des pratiques et des traditions, ces derniers sont des maillons essentiels dans leur transmission ainsi que dans leur préservation par les historiens locaux.[3]
Du point de vue thématique, l’histoire locale ne se limite pas à la seule discipline historique, mais s'ouvre à d'autres domaines tels que les beaux-arts, l’architecture, la géographie, la littérature, le folklore, l’archéologie, etc.
Méthodologie
Comme tout courant historiographique, l'histoire locale doit répondre aux méthodes rigoureuses de la science historique. Elle comporte encore souvent des travaux réalisés par des « amateurs » peu formés aux exigences du métier d'historien. En réalité, même si l’histoire locale a tendance à moins s’interroger sur ses méthodes et ses objectifs, sa pratique comporte quelques spécificités qu’il s’agit d’éclairer.
Outre le fait de focaliser son étude sur un espace restreint dont l’historien amateur est souvent issu, l’histoire locale recourt à une démarche beaucoup plus souple et plus narrative, loin des modèles universitaires. De plus, elle a la particularité d’être en partie l’œuvre de professionnels (notaires, magistrats, banquiers, médecins, etc.) qui mettent leurs connaissances pratiques au service de la compréhension du passé.
Étant donné sa limitation géographique, l’histoire locale est davantage qualitative que quantitative. Cela est dû en partie à la dimension réduite de l'objet, mais aussi au manque de qualification dans le traitement de données statistiques. L'histoire locale est également plus concrète, plus proche de la reconstitution de la vie quotidienne des anciens d’un quartier ou d’une ville. Dès lors, elle souligne l’écart entre l’histoire générale et les réalités parfois différentes, telles que vécues dans les régions[4].
Peu d’études d'envergure internationale ont été réalisées sur l’histoire locale et la plupart des recherches scientifiques portant sur ce courant se rapportent à un événement dans un contexte national particulier[5]. Par définition, l’histoire locale est ancrée dans une localité et embrasse, tout au plus, l'espace régional. À ce stade, le courant d'histoire locale ne cherche pas à universaliser sa méthodologie et ses enjeux, car tant les recherches que les réflexions se situent au niveau local[6],[7].
Sources
À l’instar de l'histoire générale, l’histoire locale étudie une large diversité de sources, lesquelles varient selon le contexte chronologique et spatial. Les thèmes de recherche dépendent aussi des auteurs [8],[9]. La liste ci-dessous n'est donc pas exhaustive :
- Archives notariales (Répertoire de notaires, etc.)
- Registre paroissial
- Registre d'état civil
- Recensement
- Tableaux de conscription
- Cahier de doléances
- Presse écrite
- Enquêtes orales
- Archives politiques
- Archives d'organismes de charités et d'aides aux pauvres
- Archives de l'industrie
- etc.
Historiographie et spécificités géographiques
Belgique
Même si l'intérêt pour l'histoire locale est sans doute aussi ancien que le loisir permettant à certains privilégiés de s'intéresser à l'histoire générale, les origines de l’histoire locale en Belgique sont à relier à l’existence des sociétés savantes. Peu après l’indépendance du pays, un sentiment nationaliste et romantique engendre une importante prise de conscience identitaire. Dès lors, des sociétés savantes (cercles, académies, associations, etc.) ayant notamment pour objectif l’étude du passé local et la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel, font leur apparition[10]. En l’espace de dix ans, quatre sociétés savantes sont fondées en Belgique : Mons (1835), Bruges (1839), Tournai (1845) et Namur (1845)[11]. De 1830 à 1900, dix-sept sociétés sont recensées dans le sud du pays, contre seulement neuf en Flandre.
Le besoin de se coordonner et de réaliser une histoire scientifique donne naissance en 1885 à la Fédération des Cercles Archéologiques et d’Histoire de Belgique. La publication régulière des résultats de la Fédération souligne alors la diversité des études menées par les « amateurs » et les professionnels dans le domaine de l’histoire locale. D'un point de vue topologique, un rétrécissement s'opère dans le temps : si les sociétés savantes du XIXe siècle étendent leur champ d’action à l’histoire d’une province ou d’une ville, les entreprises nées durant la première moitié du XXe siècle s’intéressent essentiellement à l’histoire d’une ville et de ses habitants. Depuis 1960, le champ d’action s’est encore réduit, portant désormais son intérêt sur des quartiers, des rues, des événements ou des personnages[12]. En 1978, l’Association des Cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique se constitue parallèlement à la fédéralisation du pays[13].
Outre cette réduction géographique apparente, les sociétés savantes se distinguent par leurs préoccupations. Certaines privilégient les beaux-arts et le folklore tandis que d’autres consacrent davantage d'efforts à l’archéologie. De plus, toutes ces sociétés ne produisent pas une histoire similaire. Alors que certaines sont de véritables académies dont les productions scientifiques sont riches et inédites, d’autres ne pratiquent que des recherches de « seconde main » à la qualité parfois médiocre. Les sociétés savantes sont également investies d’une série de taches et de missions importantes :
« d’une part rechercher, collectionner, répertorier et étudier le patrimoine artistique, les archives, le matériel iconographique et les parlers régionaux, d’autre part mettre à profit toutes les occasions d’encourager de nouvelles recherches. Ils travaillent du reste généralement sur un territoire géographique restreint et bien délimité. Les résultats des recherches peuvent ainsi être publiés dans des revues, des annuaires ou des monographies qui contribuent à une meilleure connaissance de la tradition locale[14]. »
En conclusion, les sociétés savantes se positionnent en protectrices de leur patrimoine et constituent un facteur essentiel de la pérennité de l’histoire locale.
France
En Europe, c'est en Italie que les précurseurs peuvent être identifiés : Paul Émile, Du Haillan… En France, il faut attendre le XVIIe pour que certains curieux se penchent sur les antiquités régionales et en dressent un tableau. Ainsi paraît en 1609, Antiquités et recherches des villes de France par André Du Chesne, couvrant le territoire national selon le ressort des huit parlements.
Le clergé catholique acquiert un rôle central dans la production historique durant les siècles suivants. D'abord les moines, bénédictins en particulier, assurent de manière précoce une transmission et conservation de documents sans équivalents par ailleurs, mais surtout, une forte implication locale (droits, justifications des revenus, etc.) Par la suite, le clergé sentant sa prééminence toujours un peu plus exposée à des développements concurrents, voire hostiles, se préoccupe de la consolider autant que possible. Afin que leurs prérogatives en matière de justice soient davantage respectées, l'Assemblée du clergé de 1615 invite les évêques à soutenir leurs droits et donc à valoriser les preuves et l'ancienneté.
Durant ce siècle, l'histoire locale reste cantonnée une démarche de collecte des documents disponibles. Leur publication ne s'occupe de la critique des textes que d'une façon assez marginale. Les évêchés, les évêques, les monastères, sont le sujet de plusieurs ouvrages essentiellement structurés de manière chronologique. Dom Guillaume Morin, grand prieur de l'abbaye Saint-Pierre de Ferrières, élargit le champ d'investigations et donne une place aux paroisses dans son Histoire du Gastinais.
Pour une approche davantage méthodique, Luc Achery présente dans sa circulaire de 1647 un tableau des thèmes essentiels de l'histoire d'un monastère : la fondation, la vie monastique, le pouvoir de l'abbé et son rôle local, les biens, l'abbaye, etc. Un demi-siècle plus tard, Dom J. Mabillon s'adresse au public lui-même dans son ouvrage intitulé Avis pour ceux qui travaillent aux histoires de monastères, achevé en , mais seulement publié en 1724. Il participe au mouvement d'affranchissement à l'égard des documents, des faits et de leur chronologie vers une véritable historiographie.
La suite du développement de l'histoire locale est marquée par l'abbé Lebœuf (1687-1760) et le succès rencontré par son Histoire du diocèse de Paris. Il incarne le modèle du premier historien local. En effet, il va lui-même chercher les informations directement dans les paroisses, les structure autour d'un questionnaire de base (critère de « valeur charpentière » comme dirait V. Carrière[15]) et les critique en fonction des structures foncières telles que la dimension urbaine ou rurale. Conscient des moyens limités d'un seul homme face à l'ampleur de la tâche, il s'efforce de susciter l'émulation au sein des académies de province. Bien que fortement contrarié par la Révolution française, ce mouvement est durablement initié.
La Révolution bouleverse les cadres matériels — en l'occurrence par la destruction, la saisie des archives ecclésiastiques et la création de l'état civil — et conteste la place centrale du clergé qu'il occupe depuis des siècles. C'est donc quelques années plus tard, selon une certaine parenté avec les premiers efforts de consolidation de ses droits aux XVe-XVIe siècle, que le clergé, et particulièrement le haut clergé soutient l'étude du passé (proche, mais lointain) de l'Église à l'échelle locale.
Ce n'est certes pas par un intérêt historique abstrait, mais préoccupé par la qualité des bons offices de ses curés, que dès le début de son épiscopat en 1828, Claude-Louis de Lesquen, évêque de Rennes, publie une ordonnance d'environ 260 pages consacrées à la rédaction d'un registre de paroisse. Il s'agit d'un véritable journal reprenant la vie de la paroisse que chaque curé doit transmettre à son successeur pour la continuité et la qualité du service de cette dernière. Le volume donne le détail de toutes les questions à considérer, en commençant par tout ce qui touche aux origines anciennes de l'Église et de la paroisse en général. Dès lors, chaque curé, bien ou mal disposé, doit se faire historien local et traquer les événements constitutifs de sa paroisse. Cette initiative ne reste pas sans lendemain et est soutenue par ses successeurs, en particulier à travers la circulaire épiscopale du . Une vaste opération de collecte et de numérisation de ces cahiers de paroisse entreprise autour de l'année 2000 par un directeur honoraire des Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, a assuré la préservation de plus de 400 registres, concernant 280 paroisses.
Ces initiatives se multiplient au cours de la deuxième moitié du siècle et reçoivent les encouragements diocésains, tel qu'il résulte par exemple des conférences ecclésiastiques du Diocèse de Poitiers en 1847.
Entre-temps, la recherche historique s'est développée en dehors du champ religieux, même si là aussi, les troubles successifs détournent puis soutiennent le regard rétrospectif. Des sociétés savantes commencent à se développer dans les régions. Après les Comités des Chartes fondés par Moreau de Saint-Méry, Guizot établit en 1833 les Comités des travaux historiques et scientifiques. Les archives départementales sortent insensiblement de l'ombre et s'émancipent du désordre dont on les a chargées.
En 1864, l'abbé Auber participe à la 31e session du Congrès archéologique de France par son exposé De la rédaction des chroniques paroissiales. En 1874, un quart des 258 volumes de la Collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France concerne directement l'histoire locale.
Ce sont les érudits locaux du XIXe siècle qui contribuent largement à inventer la « France des pays », mis en valeur par la géographie de l'école de Paul Vidal de La Blache dans les années 1900. Ils mettent en place une mémoire et une identité locales, fondées sur la reconnaissance et l'étude du patrimoine, comme le montre l'exemple du Vendômois à partir des années 1840.
De la fin du siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale, les sociétés savantes continuent à se développer et produisent donc des travaux d'histoire locale. Qu'elles soient complémentaires ou concurrentes, les initiatives paroissiales participent toujours à l'émulation et à la production d'articles, publiés par la suite dans les bulletins paroissiaux.
À l'initiative d'André Malraux et d'André Chastel, le service de l'Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France est créé en 1962[16]. Sous la tutelle du ministère de la Culture, il a pour mission de « recenser et décrire l'ensemble des constructions présentant un intérêt culturel ou artistique ainsi que l'ensemble des œuvres et objets d'art créés ou conservés en France depuis les origines ». Ce service possède une direction centrale et des directions régionales élaborant une information de nature scientifique selon des normes nationales. Cette information (bases de données, textes, photographies, relevés graphiques, cartographie, bibliographie, etc.) fournit aux chercheurs et à toute personne intéressée, des données homogènes sur les édifices et les objets d'art en France. Ce travail aboutit à la publication par l'Imprimerie nationale d'une collection de monographies portant sur le patrimoine d'un canton. Le service de l'Inventaire a également créé les bases Mérimée, Palissy et Archidoc. En trente-cinq ans, près de 35 % du territoire a été recensé[17].
La dernière partie du XXe siècle est marquée sur ce plan par de nouvelles facilités de reproduction et de publication (photocopie, informatique et photographie numérique par exemple) et de communication, notamment grâce à l'apparition d'internet. Des colloques et des « rencontres d'histoire locale » sont organisés dans les régions. Le grand public s'intéresse à son passé et l'histoire locale permet à plus d'un amateur d'en faire une exploration active. Concrètement, la modernisation progressive des services d'archives assure de bonnes conditions de travail aux chercheurs. Il ne manque plus le plus souvent que quelques commémorations ou évènements particuliers réunissent les énergies autour d'un projet relativement ambitieux s'il veut être sérieux.
Encouragé par le ministère du Tourisme, Michel-Georges Micberth lance en 1986 la collection Monographies des villes et villages de France : en 2017, elle compte plus de 3 480 titres à son catalogue (monographies locales, dictionnaires départementaux et régionaux). Cette collection donne la possibilité de retrouver des ouvrages rares ou difficilement accessibles. À ses débuts, elle était administrée par une association (loi 1901), elle est aujourd’hui éditée par Le livre d’Histoire-Lorisse.
Grande-Bretagne
L’histoire locale en Grande-Bretagne ne concerne pas uniquement des professionnels. Il existe un véritable intérêt de la part des amateurs pour ce type d’histoire à l’instar d’autres espaces géographiques. Néanmoins, le cas britannique contraste quelque peu avec ses voisins car l’histoire locale y connait un développement universitaire très prospère. Il existe de véritables départements d’histoire locale dans les universités britanniques. La première université à couvrir ce champ est l’Université de Leicester en 1965 avec l’un des pionniers en la matière, le professeur W. G. Hoskins (en). Depuis, l’English local history s’est largement répandue en tant que discipline académique[18]. Il y a également la British Association for Local History, fondée en 1982, ayant pour but la promotion de ce type d’histoire dans les milieux universitaires, mais également chez les amateurs, davantage sous la forme de loisir. Il y a donc dans cette région une volonté de concilier le milieu académique et amateur[19].
Cette histoire peut se concentrer sur des thématiques multiples. Elle s’intéresse par exemple au passé des villes, des paroisses, du paysage, des écoles, des populations, etc. : une multiplicité d'éléments qui caractérisent la vie locale des Britanniques. Ces thèmes peuvent être étudiés pour toutes les périodes. En effet, certaines études prennent l’Antiquité comme point de départ tandis que d'autres s'attachent aux périodes les plus récentes[20].
L'Histoire orale est l'une des ramifications les plus fécondes en Grande-Bretagne. Celle-ci connait un renouveau dans les milieux professionnels et chez les historiens locaux depuis le travail de George Ewart Evans, Ask the Fellows Who Cut the Hay (1956) qui y développe les techniques principales de ce courant [21].
Allemagne
Tout comme en Belgique et en France, l’histoire locale allemande est principalement conduite par les instituts régionaux et sociétés savantes qui se sont réunis en 1852, sous la houlette de Hans von und zu Aufseß et du Prince Jean Ier de Saxe pour former la Gesamtverein der deutschen Geschichts- und Altertumsvereine. Depuis lors, elle publie chaque année la Blätter für deutsche Landesgeschichte, excepté entre 1944 et 1950[22].
L'un des premiers jalons de l’histoire locale en Allemagne sont les Dorfchroniken (chroniques de village) où sont inscrits année après année, la vie de la communauté. Ces chroniques sont des commandes émanant des États : l’édit n°14870B du Königlichen Regierung zu Minden décrète qu'à partir du , toutes les municipalités doivent se doter d’un livre de chronique et ont pour tâche de le poursuivre régulièrement. Après la Seconde Guerre mondiale, l’histoire locale tombe dans le discrédit à la suite de la montée du National-socialisme et de nombreuses chroniques de village sont abandonnées. Cependant, le mouvement de mai 1968 trouve un nouvel intérêt à ce domaine de l'histoire et se focalise dès lors sur les crimes de guerres[23].
Espagne[24]
Depuis la période médiévale, les institutions produisant des documents relatifs à l’histoire locale sont particulièrement puissantes en Espagne. En conséquence, ces documents sont donc nombreux, mais mal entretenus et dispersés. Les archives municipales se retrouvent dans les communes (conseil municipal) tandis que les institutions ecclésiastiques conservent les archives paroissiales et monastiques. Dans les institutions supérieures, les sources sur l’histoire locale gardent la municipalité comme critère de classification. Il est donc facile de trouver les documents administratifs, judiciaires et ecclésiastiques dans les archives provinciales et les archives de l’État.
Pour la période moderne, deux sources sont incontournables. La première sont les Relations topographiques de Philippe II (roi d'Espagne), qui a pour ambition d’établir une description détaillée de toutes les localités du royaume. La deuxième est le Cadastre d'Ensenada, une enquête minutieuse à grande échelle sur la population, les propriétés, les bâtiments, le bétail, les métiers, les revenus, le recensement, et même les spécificités géographiques de chaque région. Il existe également d’autres sources importantes telles que les Mémoires politico-économiques d’Eugenio Larruga y Boneta et le Diccionario geográfico-estadístico-histórico de España y sus posesiones de Ultramar de Pascual Madoz. Ces sources sont des initiatives privées, mais toujours soutenues par l’État. Il existe également dans de nombreuses localités, des travaux d’érudits locaux ayant produit des chroniques sur les faits importants de leur région.
Pour la période contemporaine, les statistiques officielles et la multiplication des sources publiques ou privées rendent abondante la documentation sur l’histoire locale. Les journaux et même l’histoire orale deviennent des sources importantes.
États-Unis[25]
Aux États-Unis, l’histoire locale se concentre sur l’histoire d’un lieu, des habitants d’un village et d’un canton particulier. Chaque ville, village ou canton ont une histoire et proposent ses propres sources. Cependant, ces dernières sont dispersées et successivement divisées par État, canton et village, ce qui rend les recherches plus complexes. L’Association américaine pour l’histoire nationale et locale a pour but de faciliter l’accès et la diffusion de ces sources, en regroupant des historiens, des bénévoles, des musées ou des sociétés historiques.
L’État et les municipalités locales ont souvent des institutions complémentaires pour couvrir des sites d’intérêt plus local. Dans le registre national américain, près de 79 000 sites historiques sont inscrits. Aujourd’hui, beaucoup de sociétés historiques recherchent activement des collections manquantes afin de compléter cette histoire locale.
Depuis peu, un nouveau mouvement émerge aux États-Unis. Il s’agit d’une nouvelle forme d’histoire locale prenant place dans plusieurs quartiers urbains du pays : If This House Could Talk. Cette nouvelle tendance à petite échelle encourage l’intérêt pour l’histoire locale et permet une participation plus large du public. Toutefois, aucun comité scientifique ne supervise ce mouvement et aucun examen n’est fait pour vérifier le contenu. Si ce mouvement tend à publier ses travaux dans des collections permanentes d’histoire locale, elles seront surement surveillées par une organisation d’historiens confirmés par la suite.
Australie[26]
De la même manière qu’aux États-Unis, l’Australie s’intéresse également à son histoire locale. Cette histoire se concentre surtout sur des villes (en se focalisant sur un quartier central des affaires (SBD), sa banlieue ou ses municipalités) ou sur des campagnes. Cependant, les limites des collectivités locales ont changé au fil du temps. En dehors des villes, l’histoire locale analyse le plus souvent les villages et les zones environnantes.
Les historiens ont observé la manière dont l’histoire locale a été traitée en Australie depuis le XIXe siècle. Dans un premier temps, il s’agit avant tout d’une histoire des pionniers et des colons, mais également des communautés autochtones. Dans un second temps, l’histoire locale s’est intéressée à l’histoire urbaine, l’histoire publique ainsi qu’à son patrimoine.
Les sources pour faire cette histoire sont généralement conservées dans les bibliothèques d’État, les bibliothèques publiques, les sociétés historiques et les dépôts d’archives publiques. Par exemple, la Bibliothèque d’État de Victoria possède une grande quantité de documents traitant de ce type d’étude pour la ville de Melbourne et d’autres localités environnantes. D’autres bibliothèques de la région offrent également des collections d’histoire locale, mais il serait absurde de se limiter à ces seules institutions. En effet, il en existe d’autres telles que la Public Record Office Victoria et la Royal Historical Society of Victoria. En Nouvelle-Galles du Sud, la Royal Australian Historical Society, créée en 1901, est l’institution de référence pour l’histoire locale.
Controverse
L'histoire locale connaît également son lot de débats. Ainsi, les historiens universitaires, c'est-à-dire des historiens professionnels formés à la science historique, ont parfois relégué l'histoire locale au second plan de la pratique historique. Ce domaine est davantage perçu comme une histoire faite par des amateurs et est donc en opposition face à des courants historiographiques encouragés dans les institutions universitaires (histoire globale, histoire intellectuelle, etc.). La pratique de l’histoire locale et régionale semble être considérée comme inférieure à d’autres types d’histoire.
Ce prétendu rapport hiérarchique repose sur la distinction du savoir des producteurs : d’une part, une connaissance produite par des historiens universitaires experts de la discipline historique, et d’autre part, celui issu d’historiens « amateurs », non-initiés aux complexités de la pratique. Les uns se tournent vers la communauté scientifique internationale, les autres vers le public ciblé plus localement. Les critiques à l’égard de l’histoire locale de la part des universitaires sont alors d’ordre méthodologique : critique historique douteuse, détails trop précis, manque de recul, bibliographies peu exhaustives, etc[27].
Malgré cette distinction apparente, de nombreux travaux d’histoire locale sont pourtant dérivés d’exercices universitaires, de mémoire de maîtrises ou de thèses[28]. De plus, certains historiens universitaires se retrouvent à la tête de comités de rédactions des sociétés savantes locales. Amateurs et professionnels de ce domaine travaillent alors en collaboration, entraînant la coexistence de recherches nuancées d'un point de vue qualitatif.
Cependant, les historiens amateurs obtiennent toute légitimité lorsque leur auteur est introduit aux bonnes méthodes de la science historique. En effet, chacun peut acquérir les compétences nécessaires à la recherche. Les archivistes et les sociétés peuvent fournir des conseils, des encouragements et des informations. Des formations et des guides d'histoire locale selon les régions sont également largement disponibles[29]. Ces historiens locaux non spécialistes peuvent alors produire un savoir pertinent et complémentaire aux études plus « générales » des universités »[30]. Il faut souligner selon Jacques Gelis : « qu’il est faux de considérer l’histoire locale comme une histoire au rabais dès lors qu’elle obéit aux règles de toute recherche sérieuse[31].
L'histoire locale met l’accent sur les variations du terrain par rapport aux épisodes historiques nationaux. Ce faisant, elle montre de façon plus concrète la diversité des particularismes locaux (coutumes, traditions, etc.) face au pouvoir central. Elle permet de comprendre l’écart entre la « grande histoire » et ce qui se passait réellement à une échelle moins large. Par ses recherches, l’histoire locale donne des travaux de première main, explorant quelquefois des champs novateurs de la discipline qui les réflexions futures des historiens universitaires. En d’autres termes, elle se présente comme une recherche en attente de futurs travaux nationaux ou généraux[32].
Notes et références
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Voir aussi
Bibliographie
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