Heure allemande

L’expression heure allemande est généralement utilisée comme synonyme de l’occupation par l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale de la France[1],[2] et de la Belgique[3] depuis la parution en 1945 du roman Mon village à l'heure allemande de Jean-Louis Bory[4],[1], qui obtiendra le prix Goncourt la même année. Cette expression est également utilisée, mais moins souvent, comme symbole de l’occupation allemande pendant la Première Guerre mondiale[5].

En France

Avant la Première Guerre mondiale

L’heure légale avait été créée en France en 1891 et définie par la loi du (en vigueur jusqu'en 1978) comme « l'heure du temps moyen de Paris retardée de neuf minutes vingt et une secondes »[6]. En fait, cette définition signifiait que l'heure en France était le temps universel, ou temps moyen de Greenwich, abrégé en GMT (Greenwich Mean Time), adopté comme temps officiel à travers toute la Grande-Bretagne en 1880.

Pendant la Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, les territoires français étaient à l’heure française ou à l’heure allemande selon qu’ils étaient ou non occupés par l’Allemagne, Mulhouse passera ainsi de l’heure allemande à l’heure française le , reviendra à l’heure allemande le 10, repassera à l’heure française le 22, retournera à l’heure allemande le 24 et ne reviendra à l’heure française que le (avant de passer à nouveau à l’heure allemande en 1940 pour revenir à l’heure française le ).

L'heure dite « d'été » a été légalisée par la « loi ayant pour objet d'avancer l'heure légale »[7] du qui disposait dans son article unique : « Jusqu'au , et à partir d'une date qui sera déterminée par décret, l'heure légale, telle qu'elle a été fixée par la loi du , sera avancée de soixante minutes. ». Le « décret pris en exécution de la loi ayant pour objet d'avancer l'heure légale »[8] pris le lendemain, , disposait que « Dans la nuit du 14 au , à vingt-trois heures, l'heure légale sera avancée de soixante minutes »[9].

Pendant l’entre-deux-guerres

Pendant l’entre-deux-guerres, la loi du disposait que chaque année, l’heure légale serait avancée de 60 minutes (GMT +1), du dernier samedi de mars à 23 heures au premier samedi d’octobre à 24 heures[10]. La loi fut appliquée jusqu’en , mais le retour à l’heure d’hiver (GMT) fut retardé et n’eut lieu que dans la nuit du 18 au [11]. De même, le retour à l’heure d’été (GMT+1) fut avancé à la nuit du 24 au .

Pendant la Seconde Guerre mondiale

Lors de la débâcle de mai-juin 1940, l’Allemagne était à l’heure d’été allemande (GMT+2). Pour éviter des problèmes, l’armée allemande imposa l’heure allemande au fur et à mesure de sa progression. L’adoption de l’heure allemande en territoire occupé sera parfois légalisée, comme par le Bulletin municipal officiel de la ville de Paris du , qui invitait « à avancer d’une heure les horloges, pendules et montres le à 23h00, de façon à les porter à minuit »[12]. Le plus souvent, la population avait été informée par des ordres des autorités militaires ou par la presse[13].

Cela a d'ailleurs posé un problème pour l'application de l'armistice du à 01h35 (heure des territoires occupés), car les soldats français encerclés dans les casemates de la ligne Maginot n'ont cessé de tirer un maximum d'obus inutilisés lors de la nuit du 24 au pour n'en rendre qu'un minimum aux Allemands. Pour eux, 01h35 était « l'heure française » (GMT+1). Les Allemands, constatant que les fortifications françaises continuaient à tirer au-delà de 01h35 (GMT+2), en ont déduit que la ligne Maginot ne respecterait pas l'armistice. À 02h35 (GMT + 2 heures) les canons français se sont tus. Il était alors 01h35, heure française des territoires non occupés (GMT+1)[14].

L’horloge parlante de l’Observatoire de Paris, qui avait provisoirement fonctionné depuis Bordeaux, puis avait cessé d’émettre, reprit son fonctionnement à « l’heure allemande »[15]. Le changement d’heure ne s’appliquera qu’en zone occupée. Paris sera ainsi en avance d’une heure sur Vichy. Le passage à l'heure allemande pour la ville de Bordeaux se fait dans la nuit du lundi 1er au mardi à 23h00.

Encore fallait-il que l’alternance des heures d’été et d’hiver françaises et allemandes coïncident. Mais les autorités de Vichy ne pouvaient deviner à l’avance le jour auquel l’Allemagne changerait d’heure, ce qui causa des problèmes inextricables et donna lieu à de multiples rebondissements pour la confection des horaires[16] de chemin de fer de la SNCF[17]. L’alternance des heures d’été et d’hiver continuera pendant la guerre, mais l’heure deviendra commune (et allemande) entre les deux zones par le décret du [18].

À la Libération

Lors de la Libération, les territoires libérés resteront d’abord à l’heure d’été allemande (GMT+2). Le , les zones libérées passent à l’heure d’hiver (GMT+1) à la suite du décret du gouvernement provisoire de la République française[19]. Le , on revient à l’heure d’été « allemande » (GMT+2). Le décret no 45-1819 du prévoyait que la France reviendrait à « l’heure française d’hiver » en deux temps :

  • de GMT + 2 à GMT + 1 le à trois heures (soit 01h00 GMT), et
  • de GMT + 1 à GMT le à trois heures (soit 02h00 GMT).

Mais le deuxième passage fut annulé par le décret no 45-2782 du [20] et la France resta à l’heure (GMT + 1) d’été, ou, en d’autres termes, à… l’heure allemande d’hiver[21]. Elle y restera jusqu’au , lorsque le régime d'heure d'été a été réintroduit en France[22].

Notons que dans les campagnes françaises, dans les années 1950, on disait "il est 15h00 à la nouvelle" ou "il est 14h00 à l'ancienne" pour ne pas parler d'heure "allemande" (la "nouvelle").

Hors de France

Des changements d’heure ont été opérés dans la plupart des pays occupés par l’Allemagne pendant les Première et Seconde guerres mondiales[réf. nécessaire]. Par exemple, les Pays-Bas avaient adopté en 1909 l’heure d'Amsterdam ou « heure néerlandaise », définie comme GMT+00 h 19 min 32 s 13 puis, pour simplifier, modifiée en GMT+00 h 20 min le . Dès son occupation en 1940, le pays passa à l’heure allemande et resta à GMT + 1 après sa libération.

L’influence de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale était telle qu’en Espagne le régime de Franco avançait son fuseau horaire d’une heure en 1942 pour s’aligner sur celui de l’Allemagne.

On peut noter que, de façon similaire, plusieurs pays d’Asie ont connu des changements horaires à la suite de leur occupation par le Japon. La Malaisie, qui avait adopté le fuseau horaire GMT+06 h 46 min 48 s, simplifié en GMT+7 en 1905, puis modifié en GMT+7 h 30 min, est passée à GMT+9 à la suite de l'invasion japonaise en 1942.

Notes et références

  1. La France à l'heure allemande par Yvonne Poulle, Bibliothèque de l'École des chartes vol. 157, Librairie Droz, 1999, (ISSN 0373-6237), p. 493-502.
  2. Par exemple, Bobet (2007) ; Burrin (1997) ; Débordes (1998) ; Lecrenier (1993) ; Reymond, (2000) ; Sweets (1997).
  3. De Launay (1977).
  4. Jean-Louis Bory, Mon village à l'heure allemande, éditions Flammarion, 1945.
  5. Allender (2008) ; Houlot & Larcher (2004) ; Rolet & Rolet (1985).
  6. Loi du 9 mars 1900 portant modification de l’heure légale française pour la mettre en concordance avec le système universel des fuseaux horaires ». Journal Officiel du 10 mars 1911, p. 1882. Voir Poulle (1999) p. 494.
  7. lire en ligne sur Gallica
  8. lire en ligne sur Gallica
  9. La loi et le décret ont tous deux été publiés dans le Journal Officiel de la République Française du 11 juin 1916, p. 905 et 909.
  10. Poulle (1999) p. 494.
  11. Décret-loi du 26 septembre 1939 paru au Journal Officiel du 8 octobre. Le changement d’heure était également appliqué dans le Benelux. Voir « Arrêté grand-ducal du 16 novembre 1939, concernant l’heure légale ».
  12. Le Bulletin municipal proposait ainsi d'avancer l'heure le jour précédant sa publication... Voir Poulle (1999) p. 495.
  13. Poulle (1999) p. 496-97.
  14. Le Cantalien « Historique de “l'heure d'été” en France ».
  15. Poulle (1999) p. 495-96.
  16. Les trains venant de la zone libre continuent de circuler avec une heure de retard dans la zone occupée, les trains venant de la zone occupée continuent d’attendre une heure supplémentaire à la ligne de démarcation, ce qui bouleverse les correspondances.
  17. Poulle (1999) p. 498-500.
  18. Loi du relative à l’heure légale, qui sera fixée par décret :
    • heure d’été le à 0h00 (décret du 16 février 1941 ;
    • heure d’hiver le à 0h00 (décret no 4161 du )
    • heure d’été le à 0h00 (décret no 581 du )
    • heure d’hiver le à 3h00 (décret no 3230 du )
    • heure d’été le à 2h00 (décret no 789 du )
    • heure d’hiver le à 3h00 (décret no 2574 du
    • heure d’été à 2h00 (décret no 922 du ).
      Voir Giret (12-1964).
  19. Décret du 2 octobre 1944.
  20. Décret no 45-2782 du 5 novembre 1945 ABROGE L'ART 2 DU DECRET DU 14 août 1945.
  21. Le Cantalien (n.d.) ; Poulle (1999) p. 500-502 ; Bordages (2013 ; 2014).
  22. Journal Officiel du 20/09/1975

Liens internes

Bibliographie

  • Roland Allender, Douai, 1914-1918 : une ville du Nord à l'heure allemande, Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton, coll. « Témoignages et récits.Témoignages et récits », , 192 p. (ISBN 978-2-84910-819-2, OCLC 259254183).
  • Jean Bobet, Le vélo à l'heure allemande, Paris, Table ronde, , 219 p. (ISBN 978-2-7103-2983-1, OCLC 152505209).
  • Bordages, Anaïs « Heure d'hiver: la France vit encore sur le fuseau horaire de l'Occupation », Slate,  ; mis à jour .
  • Jean-Louis Bory, Mon village à l'heure allemande, Paris, J'ai lu, (1re éd. 1945), 348 p. (ISBN 978-2-290-02182-8).
  • Philippe Burrin, La France à l'heure allemande : 1940-1944, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire » (no 239), , 557 p. (ISBN 978-2-02-031477-0, notice BnF no FRBNF36695071).
  • Jean Débordes, Vichy, capitale à l'heure allemande : au temps de Pétain et de François Mitterrand, Paris, Godefroy de Bouillon, , 334 p. (ISBN 978-2-84191-070-0, OCLC 39975592).
  • Jacques de Launay, La Belgique à l'heure allemande, Verviers, Marabout, coll. « Marabout histoire » (no 12), , 347 p. (ISBN 978-2-501-00781-8, OCLC 23413335).
  • Giret, André « Quelle heure est-il ? Rappel des textes définissant l’heure légale en France ». L’astronomie (Bulletin de la Société Astronomique de France), , p. 465-69.
  • Houlot, Raphaël et Larcher, Robert « Challerange à l'heure allemande : l'occupation d'un village ardennais (1914-1915) durant la Grande Guerre à travers les écrits d'Albertine Maquet », Vouziers, 2004.
  • Le Cantalien, Roger « Historique de "l'heure d'été" en France ».
  • Lecrenier, François « De 1941 à 1945. L'U.T.M.I. dans le Centre, un syndicat à l'heure allemande » Centre d’Histoire Henri Guillemin, 1993, 155 p.
  • Poulle, Yvonne « La France à l’heure allemande ». Bibliothèque de l’école des chartes, t. 157, no 157-2, 1999, p. 493-502.
  • Évelyne Reymond, Christiane Deis et Ghaouti Faraoun, Nouvelles à l'heure allemande, S.l, La Voix de Son livre, coll. « Audiolivre », (ISBN 978-2-86986-069-8, notice BnF no FRBNF38152824).
  • Rolet, Jean-Marie et Rolet, Ginette (textes choisis et présentés par) « Les Ardennes à l'heure allemande : 1914-1918 », Centre départemental de documentation pédagogique (C.D.D.P.), Édition Charleville-Mézières, 1985
  • John Sweets (trad. René Guyonnet), Clermont-Ferrand à l'heure allemande [« Choices in Vichy France »], Paris, Plon, , 285 p. (ISBN 978-2-259-18336-9, notice BnF no FRBNF36691703).
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