Giovanni Vincenzo Gravina

Giovanni Vincenzo Gravina (né le à Roggiano Gravina, dans la province de Cosenza, en Calabre – mort à Rome, ) est un homme de lettres et un juriste italien de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle qui fut l'un des fondateurs de l’Académie d'Arcadie. Gravina découvrit le poète et librettiste Pietro Metastasio, qu'il adopta et auquel il dispensa une formation littéraire de qualité. Son œuvre juridique majeure s'intitule Originum juris civilis libri tres (Naples 1701, pour le premier livre, Leipzig 1708, pour les deux suivants et Naples 1713, pour l'édition définitive). Elle sera traduite en français par Jean-Baptiste Requier (1715-1799) sous les titres L’esprit des loix romaines (Amsterdam/Paris, Saillant, 1766 ou 1776) et Origines du droit civil (Paris, Bavoux, 1822).  Gravina applique à l'histoire des institutions les concepts du droit naturel, condamne la tyrannie comme antijuridique et met le contrat social au cœur de la société civile en soulignant que celle-ci ne peut se fonder que sur le droit.

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Biographie

Scritti critici e teorici, 1973

Giovanni Vincenzo Gravina naquit à Roggiano, petite ville peu éloignée de Cosenza, dans la Calabre Ultérieure, le 20 janvier 1664. Ses parents, qui par leur état et leur fortune tenaient le premier rang dans cette ville, ne négligèrent rien pour sa première éducation. Mais l’esprit précoce, la vivacité d’imagination, l’ardeur de leur fils pour s’instruire, leur firent sentir bientôt qu’il lui fallait d’autres soins. Gregorio Caloprese, son oncle, après avoir cultivé avec succès, dans Naples, la poésie et la philosophie, s’était retiré à Scalea, sa patrie, ville maritime de cette partie de la Calabre. L’éducation d’un neveu qui donnait de si belles espérances lui parut une occupation agréable, et il voulut bien s’en charger. Vincenzo apprit chez son oncle le latin, la rhétorique, l’histoire, et les principes de la géométrie ; ses connaissances lui aplanirent la route pour l’étude de la philosophie, qui commençait à secouer le joug sous lequel elle avait langui dans les écoles. Vincenzo atteignit ainsi sa seizième année ; Caloprese reconnut alors qu’il fallait ouvrir aux dispositions de ce neveu chéri et à l’éducation duquel il avait donné tant de soins une plus vaste carrière ; il voulut le conduire lui-même à Naples : mais des embarras domestiques s’étant opposés à ce projet, ce bon parent lui assura une pension suffisante pour vivre honorablement, et l’envoya dans la capitale, où il le recommanda à la bienveillance de Serafino Biscardi, de Cosenza, qui était regardé comme le chef du barreau napolitain pour son savoir et son éloquence. Charmé des dispositions qu’annonçait le jeune Gravina, Biscardi partagea ses soins entre lui et Gaetano Argento. Biscardi dirigea particulièrement son application vers l’étude du grec, dont Vincenzo n’avait reçu chez son oncle que de légères notions, mais dont il acquit une parfaite connaissance par les leçons de Gregorio Messere, qui passait pour le premier helléniste de Naples. Biscardi leur enseigna tous les secrets de l’art oratoire, sans oublier celui de la déclamation. Gravina, qui cultivait en même temps la poésie, ne l’abandonna pas pour se livrer exclusivement à l’éloquence ; ce fut vers ce temps qu’il composa, sur le sujet de la Passion, un drame intitulé Tragedia di Cristo. Comme cette pièce n’a pas été imprimée, on ne peut dire si elle était entièrement de son imagination, ou s’il l’avait seulement traduite du grec de celle qu’on attribue à St-Grégoire de Nazianze. Il ne reste que le titre de l’autre drame de Gravina, intitulé San-Atanasio. Les parents de Gravina l’avaient destiné à la jurisprudence : le temps approchait où il fallait qu’il en fit une étude sérieuse, et il avait conçu pour cette science une aversion qui paraissait insurmontable. Le langage barbare de la chicane lui paraissait une offense faite au culte des muses, et la richesse que le barreau procure un moyen sordide d’existence. Biscardi eut bien de la peine à lui démontrer la différence qui existe entre la science des lois et la poursuite des procès. Il lui répétait en vain que cette science repose sur une étude approfondie des classiques, et que, si les jurisconsultes modernes avaient corrompu la latinité des écoles, on pouvait la ramener aux beaux temps d’Alciat et de Cujas. Enfin les préventions de Gravina se dissipèrent ; il se livra constamment à l’étude du droit civil et canonique, et se rendit en même temps habile dans la théologie par la lecture attentive des Pères de l'Église. Il rechercha les conversations érudites, et ne cessa jamais de lire les cinq ouvrages qu’il regardait comme la base des connaissances auxquelles il aspirait ; ces livres fondamentaux étaient la Bible, le Corpus juris civilis, les œuvres de Platon, celles de Cicéron et les poèmes d’Homère. Gravina désirait depuis longtemps d’aller à Rome ; mais son oncle Caloprese, qui dirigeait toujours son éducation, s’y opposa jusqu’à ce qu’il eût fini le cours de ses études. Gravina se rendit dans cette capitale du monde en 1689. Paolo Coardo, de Turin, qui devint ensuite camérier d’honneur de Clément XI, le reçut dans sa maison, où il demeura plusieurs années, et lui procura l’amitié des hommes les plus célèbres, Ciampini, Fabretti, Bianchini, Buonarroti, Manuel Martí, et le P. de Miro. Leur conversation l’accoutuma à discuter les questions les plus importantes. On s’y était souvent entretenu du relâchement de la morale : Gravina entreprit de traiter ce sujet, en y appliquant les connaissances théologiques qu’il l’avait acquises. Il fit paraitre un dialogue intitulé De corrupta morali doctrina, Cologne (Naples), en 1691, in-4°, sous le nom supposé de Priscus Censorinus Photisticus. Son but est de démontrer que les corrupteurs de la morale font plus de mal à l’Église que les plus hardis hérésiarques. Il n’avait alors que vingt-six ans. L’élégance du style, la solidité des raisonnements, procurèrent un grand succès à ce livre, qui excita aussi un vif mécontentement parmi les partisans nombreux des doctrines relâchées. Le P. Daniele Concina a inséré ce dialogue presque en entier dans son traité De incredulis. Le goût de la belle poésie s’était altéré comme la pureté de la morale : un seul écrivain, Carlo Alessandro Guidi, ami de Gravina, luttait à Rome contre le torrent ; il avait écrit sous le nom arcadien de Erillo Cleoneo, à la demande de la reine Christine de Suède, une comédie intitulée Endimione. Cette pièce devint l’objet de satires virulentes. Gravina, sous le nom de Bione Crateo, entreprit la défense de son ami ; il lut publiquement son apologie dans une assemblée littéraire, et elle fut imprimée sous le titre de Discorso sopra l’Endimione, etc., Rome, 1692, in-16 Cet opuscule, dans lequel il établissait d’excellents principes, lui attira de nouveaux adversaires, qui trouvèrent étrange que Gravina voulût se constituer à la fois le réformateur de la morale et du goût. Une jalousie presque furieuse se manifesta contre le jeune Napolitain. Son penchant à censurer les ouvrages des autres, la confiance qu’il paraissait avoir dans ses propres idées, n’étaient pas faites pour calmer ses envieux. Gravina louait quelquefois, mais il blâmait le plus souvent, et ses décisions étaient exprimées dans des termes méprisants. Ce caractère lui fit un grand nombre d’ennemis. On épia ses moindres actions pour les calomnier ; on l’accabla de traits malins et d’invectives. Ce fut alors que parurent successivement, sous le nom supposé de Quinto Settano (Lodovico Sergardi), seize satires contre Philodème, nom sous lequel y était désigné Gravina. Ces satires, aussi spirituelles que mordantes, obtinrent un grand succès, et furent répandues avec profusion. Gravina affecta d’abord beaucoup d’indifférence. C’était, disait-il, un défaut du siècle de se plaire à outrager le mérite. Mais comme cette tranquillité né réduisait pas ses ennemis au silence, il ne put contenir plus longtemps son dépit, et il composa, pour le soulager, quelques déclamations dans le genre des verrines, et quelques iambes : cependant il n’a jamais publié ces écrits, qu’il jugea probablement lui-même inférieurs aux satires de Settano. La malignité des ennemis de Gravina ne diminua pas l’estime qu’il avait inspirée, et ne ralentit pas son zèle pour le rétablissement des bonnes études. Il se joignit à plusieurs autres littérateurs qui se réunissaient pour cultiver en silence la poésie. Ils étaient quinze : leur nombre s’étant accru, Gravina les rassembla pour la première fois en novembre 1695 dans une maison qu’il avait destinée à cet usage sur le mont Janicule. Ils se donnèrent une constitution démocratique, et prirent le nom d’Arcadiens (Arcadi). Les vacances d’été et d’hiver furent choisies pour se réunir dans des jardins, où ils invoquaient les muses et tâchaient, par leur manière de vivre et la simplicité de leurs écrits, d’imiter les anciens bergers, sans distinction de fortune ni de rang. Chacun adopta un nom pastoral. Leur nombre s’étant encore augmenté, il fallut donner des lois à cette association, qui nomma des décemvirs pour les rédiger ; Gravina, appelé à cette fonction, revit les règlements nombreux et incohérents que les Arcadiens avaient adoptés, et les réduisit en un seul corps. Ces lois, écrites en latin avec une élégante concision et une rare propriété de termes, à l’imitation de celles des douze Tables, furent bientôt répandues dans l’Europe, où elles firent à leur auteur le plus grand honneur. Enfin, le 20 mai 1696, les Arcades tinrent une assemblée générale sur le mont Palatin. Gravina, après un discours éloquent, présenta les tables de marbre qui contenaient ces lois, et les établit avec les expressions consacrées dans la jurisprudence romaine : il prit dans cette occasion le nom d’Opizio Erimanteo. Pendant ce temps, Gravina avait composé plusieurs dissertations qu’il recueillit sous le titre d’Opuscula, Rome, 1696. On y trouve :

  • Specimen prisci juris ; c’est un préliminaire du grand ouvrage qu’il a écrit depuis sur l’origine du droit ;
  • De lingua latina Dialogus. Il y démontre l’excellence du latin, son utilité et la nécessité d’en associer l’étude à celle du grec.
  • Epistola ad Gabrielem Reignerium a Gallo. Il s’y plaint de la décadence des lettres en Italie.
  • De contemptu mortis. Il loue la constance que François Carafa venait de montrer dans une maladie grave.
  • Epistola ad Trojanum Mirabellam. Il cherche à le consoler de la mort de son fils.
  • Delle Favole antiche. Ce dernier traité, écrit en italien, a été traduit en français par Joseph Regnauld.
Caricature de Giovanni Vincenzo Gravina par Pier Leone Ghezzi

Après la mort d’Alexandre VIII, Antonio Pignatelli obtint le trône pontifical sous le nom d’Innocent XII. Il voulut élever Gravina aux plus grands honneurs ecclésiastiques ; mais celui-ci refusa d’embrasser le sacerdoce ; toute son ambition se bornait à enseigner les lois, et son goût le portait vers l’érudition profane. Il obtint en 1699 la chaire de droit civil. Il traça, dans son discours d’ouverture, l’histoire de cette science, et pour mieux faire connaître sa méthode d’enseignement, il composa le traité De instauratione studiorum, qu’il dédia au nouveau pontife Clément XI. Le discours qu’il prononça en 1700, De sapientia universa, est relatif au même sujet. Dans celui qui est intitulé Pro legibus ad magnum Moschorum regem, après avoir parlé de la prééminence et de la dignité des lois romaines, il les considère sous le rapport de l’influence qu’elles doivent avoir sur la civilisation des États du Tsar. Nous ne pouvons indiquer les sujets des autres dissertations de Gravina ; elles ont été recueillies dans ses œuvres. Nous citerons seulement celle la règle intérieure, parce qu’elle fait connaitre sentiments religieux dont son âme était pénétrée. Gravina passa en 1703 de la chaire de droit civil à celle du droit canonique. Il avait, dès son entrée dans la carrière de l’enseignement, aboli l’usage de l’argumentation scolastique. Chaque année amenait des changements utiles. Il pensait que le seul moyen d’établir les bonnes doctrines était de remonter aux sources. C’est le sujet de son traité De repetendis doctrinarum fontibus. Ces petits traités, qu’il composait avec une extrême facilité, ne l’empêchèrent pas de continuer son grand ouvrage sur les origines du droit civil, De ortu et progressu juris civilis, dont le premier livre avait paru à Naples en 1701, qui fut imprimé complet, en trois livres, aussi à Naples en 1713, et traduit en français par Jean-Baptiste Requier, sous le titre : Esprit des lois romaines, Paris, 1766 ou 1776, 3 vol. in-12 ; Paris, 1824, in-8°. L’Europe retentit des éloges que chacun donnait à ce grand travail : le célèbre Maffei en fit un abrégé, et l’original fut réimprimé plusieurs fois en différents lieux. Les écrits de Gravina attestent l’étendue de son savoir, son ardeur pour l’enseignement ; mais la plus grande preuve qu’il en ait produite a été de donner aux lettres Pietro Metastasio, qui lui dut sa fortune et son éducation, et qui, dans ses écrits et surtout dans sa poétique, se plaît à témoigner la reconnaissance qu’il doit non-seulement aux soins, mais encore aux leçons de son père adoptif. L’année 1711 vit s’élever une sédition littéraire parmi les Arcades. Il s’agissait d’une des lois établies par Gravina, à laquelle celui-ci donnait un sens tout à fait différent de celui dans lequel la majorité de la compagnie l’entendait : jamais loi ne fut plus soigneusement examinée. Les plus beaux esprits de Rome, parmi les jurisconsultes, prirent part à cette dispute. La cause fut portée devant les tribunaux, et l’affaire se termina par une scission de l’Académie. Les amis et les élèves de Gravina le suivirent, et il établit sous la protection du cardinal Lorenzo Corsini l’Academia della Quirina, qui s’assemblait l’hiver dans son palais et l’été dans son jardin, sur le mont Janicule. Pendant le temps qui s’écoula de 1711 à 1714, Gravina perfectionna et publia plusieurs ouvrages, ses Discours, son livre De Romano imperio, Naples, 1712, in-12 ; ses tragédies, Palamède, Andromede, Appius Claudius, Papinianus et Servius Tullius, Naples, 1712, in-12, et son traité Della ragione poetica, Rome, 1708 (Requier en a publié une traduction française, Paris, 1755, 2 vol. in-12), et enfin le traité Della tragedia, Naples, 1715, in-4°. Gregorio Caloprese mourut à Scaleam dans l’été de 1714 : Gravina courut y rendre les derniers devoirs à un parent auquel il avait tant d’obligations. Il passa près de deux ans dans la Calabre, et ce ne fut qu’en 1716 qu’il revint à Rome, où il mourut le 6 janvier 1718, laissant à sa mère, Anna Lombarda, les biens qu’il possédait dans la Calabre, et à Metastasio tout ce qu’il avait acquis à Rome, en substituant cette partie de son héritage à ses autres élèves, Giuliano Pier-Santi, Lorenzo Gori et Horazio Bianchi, qui tous se sont fait une réputation dans les lettres.

Œuvres

Les ouvrages de Gravina ont été réunis en 3 volumes sous le titre de Opere del Gravina, Leipzig, 1737, in-4° ; et Naples, 1756, avec les notes de Mascovius, qui en a été l’éditeur. Giovanni Battista Passeri donna une notice sur la vie de Gravina, son maître, en tête de la traduction du traité de cet écrivain, De disciplina poetarum (voy. Calogerà, Raccolta nuova, année 1718, t. 17). Sa vie a été écrite plus amplement et avec beaucoup d’élégance par Giovanni Andrea Serrao, de l’ordre des Hiéronymites : De vita et scriptis J. V. Gravinæ commentarius, Rome, 1758, in-fol. Angelo Fabroni en a donné une autre dans ses Vitæ Italorum, t. 10. Ces deux biographies contiennent un catalogue des ouvrages publiés et inédits de Gravina. A.-M. Meneghelli a publié son Éloge funèbre, Venise, 1815, in-8° et F. Valdrigi son Éloge historique, Milan, 1816, in-8°. Ces deux éloges sont en italien. Son portrait a été gravé d’après un masque pris sur son visage après sa mort.

Bibliographie

Liens externes

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