Forêt du Mundat

Le terme de forêt du Mundat désigne deux régions forestières directement aux alentours de la ville de Wissembourg en Alsace à la frontière franco-allemande. Une partie de cette forêt (679 ha) présente la particularité d'être la seule forêt domaniale française située à l'étranger.

À la frontière sud du Pfälzerwald allemand, la forêt de l'Obermundat (à gauche).

Géographie

Le château de Guttenberg dans l'Obermundat.

Forêt de l'Obermundat

La forêt de l'Obermundat (allemand : Oberer Mundatwald) mesure environ 40 km2 et fait géographiquement partie de la Vasgovie (allemand : Wasgau), petite région à cheval sur la frontière franco-allemande dans les Vosges du Nord et dans le sud de la forêt du Palatinat. La zone s'étend le long de la rivière Lauter (sur le cours supérieur de la Wieslauter) au nord et à l'ouest de Wissembourg, c'est-à-dire sur la partie amont de la rivière. À 561 m d'altitude, son point culminant est le Hohe Derst, qui est situé au centre près du hameau de Reisdorf, à proximité de Bad Bergzabern. Les ruines du château de Guttenberg se situent au sommet du Schlossberg, à environ km du Hohe Derst. L'Obermundat appartient à la réserve de biosphère transfrontière des Vosges du Nord-Pfälzerwald.

Forêt de l'Untermundat

La forêt de l'Untermundat (allemand : Unterer Mundatwald) a une superficie de près de 20 km2 et fait géographiquement partie du Bienwald. La forêt se situe également sur la Lauter, mais à l'est de Wissembourg et donc sur la partie aval de la rivière, dans la vallée du Rhin Supérieur partagée à cet endroit entre le Palatinat et l'Alsace. Son point culminant est une colline de 141 m de haut au sud-ouest.

Histoire

Weissenburg sur une gravure du XVIIe siècle.

Le Mundat de Wissembourg

Au Moyen Âge, les forêts faisaient partie du Mundat de Wissembourg, les biens privilégiés de l'abbaye de Weissenburg (aujourd'hui Wissembourg), dont l'abbé était un magnat du territoire, prince-abbé du Saint-Empire romain germanique. Le terme inhabituel, Mundat, fait référence à l'immunité (emunitas[1],[2],[3]) accordée par le transporteur royal de biens[4], qui a mis l'abbaye à l'abri des obligations de service pour l'octroi de vastes domaines privilégiés situés dans le diocèse de Spire[1].

Wissembourg était à l'origine un monastère (abbaye de Weissenburg), fondé vers 630-660[5] et faisant partie de l'ordre bénédictin du VIIIe siècle.

En 760, le père de Charlemagne, Pépin le Bref offrit au cloître de Wissembourg un territoire d'environ 320 km2 qui, sous le nom de Mundat, reçut l'immunité donnée par l'empereur Otton II. De nombreuses localités en faisaient partie aux environs immédiats de Wissembourg avec leurs champs et leurs forêts. Les possessions du Mundat avaient des dimensions d'environ 20 km × 16 km et comprenaient les villages d'Altenstadt, Schleithal, Oberseebach, Steinseltz, Oberhoffen, Cleebourg, Rott, Weiler, Sankt Germanshof, Bobenthal, Schlettenbach, Finsternheim, Bärenbach, Schweigen et Schweigen et Rechtenbach, Kapsweyer et Steinfeld[1]

La forêt du Mundat était connue à l'époque carolingienne sous le nom de Sylva immunita[6]. En 974, le monastère, avec le Mundat, a obtenu le statut indépendant d'une abbaye impériale dirigée par un prince-abbé.

En 1524, le monastère était lourdement encombré, de sorte que le pape Clément VII l'a transformé en église collégiale[1] et, à partir de 1546, il était sous l'autorité de Spire.

Le Mundat après la sécularisation

Les zones boisées sont restées la propriété de l'église, en indivision avec la ville de Wissembourg jusqu'à ce qu'elles soient sécularisées après la Révolution française. Les forêts devinrent alors indivises entre la ville de Wissembourg et l'État français.

Quand en 1815 au traité de Paris fut fixée la frontière entre la France et le Palatinat bavarois, toute la région au nord de la Lauter revint au Royaume de Bavière, sauf la partie rive gauche de la ville de Wissembourg restée française (article 1er, § 1 du Traité de Paris du 20 novembre 1815), une partie de la forêt de l'Untermundat ainsi que la totalité de la forêt de l'Obermundat. Le traité plaça environ 3 150 ha sous souveraineté bavaroise en copropriété entre la ville de Wissembourg et l'État bavarois et 1 995 ha sous souveraineté française en copropriété entre la ville de Wissembourg et l'État français[7].

Après la guerre franco-allemande de 1870, en 1871, Wissembourg fut détachée de la France avec tout le département du Haut-Rhin jusqu'en 1919, alors que l'Obermundat resta à la Bavière jusqu'en 1945.

Ligne Siegfried : chalet en bois rond camouflé (1940, Bundesarchiv).

Devant les coûts de gestion inflationnistes de l'administration forestière bavaroise, la ville de Wissembourg demanda en 1930 à se séparer de ses propriétés en Allemagne. Un système d'échanges croisés fut réalisé entre la ville et l'État français (loi du 9 juillet 1938, le contrat n'étant effectivement signé, pour cause de guerre, que le 17 février 1959 avec effet au 1er octobre 1938) et entre les deux États français et allemand (accord franco allemand du 16 décembre 1937). Par ces accords, l'État français reçut de la ville ses droits d'indivision sur les forêts en Allemagne sur 3 150 ha (et les vendit simultanément au Troisième Reich), et céda en contrepartie à Wissembourg ses droits d'indivision sur 1 995 ha à l'exception de la maison forestière de la Scherhol demeurant indivise, 458 ha de la forêt domaniale de Sickingen, l'ancienne forêt de la paroisse catholique de Dahn (127 ha), située antérieurement en territoire français de propriétaire allemands jusqu'à l'accord du 16 décembre 1937 qui en admit la cession à la France contre une indemnisation[7].

La ligne principale fortifiée de la ligne Siegfried construite à partir de 1938 passait dans le secteur du Hohe Derst entre Oberotterbach à l'est et Bundenthal à l'ouest[8]. Le Hohe Derst a été l'objet de combats en 1945 pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après la Seconde Guerre mondiale

En 1946 une partie de l'Obermundat, sur km2, fut annexée par l'administration française d'occupation pour assurer l'approvisionnement en eau de Wissembourg. Juridiquement cela fut confirmé par le décret 212 sur les rectifications de frontière du dans lesquelles le général Kœnig, chef du haut commandement français en Allemagne, précisait quelques modifications provisoires de la frontière occidentale de l'Allemagne. Cette date, au vrai, était bien tardive : ce qui aurait passé pour un simple malheur de plus en 1945, année Zéro de l'Allemagne, ne semblait déjà plus admissible en 1949, année où renaissait la République allemande, et où le Bundestag enfin réuni se hâta de proclamer l'intangibilité des frontières.

C'est que, si la question de ces km2 était considérée comme essentielle dans toute l'Allemagne, traumatisée par ses pertes territoriales, l'immense majorité des Français en ignoraient tout et ne s'y intéressaient pas. Ainsi, quand commencèrent les négociations de 1956 sur le retour de la Sarre à l'Allemagne de l'Ouest, le problème de l'Obermundat ne fut même pas posé comme monnaie d'échange ; il est probable qu'on n'y pensât même pas. Ce n'est qu'en 1962 que s'ouvrirent des négociations sur le statut de cette petite région, dans le cadre d'un accord général que l'on cherchait entre la France et l'Allemagne pour régler les problèmes de frontières. Il fut alors entendu que l'Obermundat reviendrait à la France, l'Allemagne obtenant en échange la restitution d'importants biens fonciers confisqués après la guerre. Mais comme seule l'Assemblée nationale accepta ce compromis et que le Bundestag le rejeta, l'accord ne put être ratifié[9],[10].

Au cours des années qui suivirent il fallut donc reprendre les négociations. Mais la France se trouva en situation de faiblesse quand les Malgré-Nous commencèrent à exiger d'être indemnisés pour l'incorporation de force pendant la guerre. Les Allemands mirent alors comme préalable absolu la rétrocession de l'Obermundat. On ne parvint à un accord qu'en 1984, les deux gouvernements convinrent alors dans un échange de notes que la souveraineté territoriale serait transférée à la République fédérale. En échange la France devait recevoir la propriété foncière d'une grande partie de l'Obermundat. Cela ne devait pas léser les propriétaires privés d'avant 1949 et la ruine de Guttenberg n'était pas non plus concernée[11].

En 1986 le décret 212 fut abrogé après accord des gouvernements britannique et américain (on sait que le régime d'occupation n'a disparu complètement qu'en 1990). Le sommet du Hohe Derst marquait l'extrême nord de la zone de la forêt de l'Obermundat sous administration française de 1946 à 1986. Depuis cette date l'Obermundat est sans restriction sous autorité allemande. Le processus fut complété par le transfert des droits de propriété foncière à la France en 1990. En même temps de riches vignobles du nord de l'Alsace furent restitués à leurs propriétaires allemands d'avant-guerre ou à leur famille.

Les droits de propriété de la France sur la forêt du Mundat ont été confirmés par un contrat établi à Nancy le 28 août 1990 entre les représentants de la République fédérale d'Allemagne, du Land de Rhénanie-Palatinat et de la République française. La propriété française en territoire allemand comprend des terrains forestiers avec leurs chemins de desserte ainsi que des captages d'eau de plusieurs sources, le tout pour une contenance de 679,5655 ha. Ce contrat a fait l'objet du décret n° 94-524 du 21 juin 1994 publié au J.O.R.F. le 28 juin 1994.

Notes et références

  1. Jacques Baquol et Paul Ristelhuber, L'Alsace ancienne et moderne, ou Dictionnaire topographique, historique et statistique du Haut et du Bas-Rhin, Strasbourg, Salomon, , 642 p. (lire en ligne), pages 593-598.
  2. Béatrice Weis, « L'anthroponymie alsacienne au XIIe siècle d'après le codex Guta-Sintram », Nouvelle revue d'onomastique, vol. 3-4, , p. 131-156 (lire en ligne, consulté le ).
  3. Jean-Claude Boulanger, Actes du XVIe Congrès international des sciences onomastiques, Laval, Presses de l'Université Laval, , 594 p., page 578 "...Schwartzenthann dans le Haute-Alsace, dans le Mundat (< immunitas), c'est-à-dire dans le temporel de l'évêque de Strasbourg...".
  4. Jacques Baquol et Paul Ristelhuber ont suggéré Dagobert III.
  5. Son cartulaire est parmi les premières sources de l'histoire sociale du royaume mérovingien à Metz (Rolf Sprandel "Struktur und Geschichte des merowingischen Adels," Historische Zeitschrift, 193 (1961) p 54f; Guy Halsall, Settlement and Social Organization: The Merovingian Region of Metz (1995) p. 50.
  6. G. Huffel: Economie forestière. Volume I. Paris 1904. Page 332.
  7. Ville de Wissembourg, « La gazette de Wissembourg, d'Altenstadt et de Weiler », sur http://www.ville-wissembourg.eu/, (consulté le ).
  8. Jean-Louis Burtscher, « Face à la Ligne Maginot ou Les événements de 1939/40 vus du côté allemand », sur http://lignemaginot.com/, (consulté le ).
  9. Marcel Neiss, « Chasseurs français en Palatinat », article paru dans l'édition du Vendredi 3 octobre 2008 des Dernières Nouvelles d'Alsace et consultable dans son intégralité moyennant rétribution.
  10. (de) Gouvernement fédéral allemand, « Deutsch-französische Ausgleichsverhandlungen; hier: Abtretung des Mundatwaldes », sur Archives du Gouvernement fédéral allemand, (consulté le ).
  11. Jacques Myard, « L'accord du 10 mai 1984 sur le Mundat », Annuaire Français de Droit International, vol. 31, , p. 884-892 (lire en ligne, consulté le ).

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • J. Rheinwald, L'Abbaye et la Ville de Wissembourg, avec quelques châteaux-forts de la Basse Alsace et du Palatinat, Wissembourg, Fr. Wentzel Fils, (lire en ligne).
  • Jacques Myard, « L'accord du 10 mai 1984 sur le Mundat », Annuaire Français de Droit International, vol. 31, , p. 884-892 (lire en ligne).
  • Ansbert Baumann: Entre le Palatinat et l’Alsace. Fin de controverse dans la forêt du Mundat. In: Documents – Revue du dialogue franco-allemand, 1 (2009), 50–52.
  • (de) Karl Bertzel: Das völkerrechtliche Verhältnis zwischen Deutschland und Frankreich: zugleich ein Beitrag zu den Entschädigungsansprüchen elsaß-lothringer früherer Wehrmachtsangehöriger und zu den derzeitigen französischen territorialen Forderungen gegen Deutschland im Mundatwald. Kuratorium zur Erhaltung des Mundatwaldes, Zweibrücken 1979.
  • (de) Heidi Dünisch: Der Mundatwald - zur Bereinigung letzter Kriegsfolgenprobleme zwischen Deutschland und Frankreich. Lang, Francfort sur le Main 1989, (ISBN 3631419007).
  • (de) Das Deutsche Reich und die Bundesrepublik Deutschland im Streit um den Mundatwald? In: Archiv des Völkerrechts. Mohr, Tübingen, ISSN 0003-892X (1989), 27 (1989).
  • (de) Dieter Blumenwitz, « Das Deutsche Reich und die Bundesrepublik Deutschland im Streit um den Mundatwald? », Archiv des Völkerrechts, vol. 27, , p. 1.
  • (de) Siegfried Jutzi, « Weht die Fahne des Deutschen Reiches wieder im Mundatwald? », Neue Juristische Wochenschrift, , p. 2998.
  • (de) Siegfried Jutzi, « Mundatwald und Sequesterland. Bereinigung letzter Kriegsfolgen zwischen Deutschland und Frankreich », Archiv des Völkerrechts, vol. 24, , p. 277.
  • (de) Siegfried Jutzi, « Das Deutsche Reich gegen die Bundesrepublik Deutschland wegen des Eigentums am Mundatwald? », Archiv des Völkerrechts, vol. 27, , p. 81.
  • (de) Volker Pilz: Der Mundatwald bleibt deutsch! Wie das deutsch-französische Grenzabkommen vom 31. Juli 1962 am Auswärtigen Ausschuss des Bundestages scheiterte, in: Zeitschrift für Parlamentsfragen, 43. Jg. (2012), Heft 4, S. 816–830.
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