Dialogue interreligieux

Le dialogue interreligieux est une forme organisée de dialogue entre représentants de traditions religieuses ou spirituelles différentes.

La 4e Journée mondiale de prière à Assise

Historique

Moyen Âge et Renaissance

Les premiers contacts entre l'islam et le christianisme donnèrent lieu à des guerres comme la conquête musulmane en Europe et les croisades au Proche-Orient. Dans le monde chrétien, on tenait les Juifs pour responsables de la mort de Jésus de Nazareth, autrement dit le peuple juif était considéré comme déicide, jusque dans la liturgie catholique, et ils étaient exclus d'un grand nombre de fonctions dans la société.

Il y eut des exceptions aux pratiques d'intolérance :

  • au haut Moyen Âge, ainsi que le montre Bernhard Blumenkranz, la population chrétienne paraît généralement coexister avec les juifs sans grand problème. Parfois même, elle les soutient.[réf. nécessaire] Lorsque le juif Priscus est tué à Paris, en 582, par Pathir, devenu chrétien depuis peu, Pathir doit se réfugier avec ses domestiques dans l'église de Saint-Julien-le Pauvre. Il réussit à s'enfuir, mais l'un de ses serviteurs est sauvagement tué par la foule[1].
  • La situation en Espagne, de 711 à 1492 donne lieu à quatre périodes connues sous le nom de convivencia.
  • François d'Assise s'interposa avec succès entre les chrétiens et les musulmans lors de la cinquième croisade ;
  • la République de Venise envoya des navigateurs et des explorateurs qui durent affronter la réalité de la présence d'autres religions dans les régions explorées (Moyen-Orient, Asie) ;
  • François Xavier vécut lors de sa mission au Japon l'importance de la compréhension de la culture du pays ;
  • Matteo Ricci vécut longtemps en Chine et introduisit des rites catholiques spécifiques dans ce pays.

Aux contacts entre les civilisations, existaient des formes d'échanges culturels que l'on peut considérer comme les prémices du dialogue interreligieux : califat de Cordoue, Sicile à l'époque de Roger II de Sicile.

Ces exemples de dialogue interculturel se fondaient, à partir de la Renaissance du XIIe siècle, sur un fondement philosophique clair : Pierre Abélard avait rédigé en 1142 le Dialogue entre un philosophe, un juif, et un chrétien, qui resta inachevé. Le philosophe dont il s'agissait était probablement un musulman. Abélard mit ainsi en scène trois monothéistes, pour qui il existe un Dieu unique. Il était en quête de tolérance religieuse, et chercha un noyau commun profondément ancré dans les cultures des trois religions abrahamiques que sont le christianisme, le judaïsme et l'islam, permettant d'établir une véritable communication.

Abélard est l'inventeur de la scolastique, avant saint Thomas d'Aquin et les grands scolasticiens du XIIIe siècle. Il mit en évidence la force de la philosophie d'Aristote, transmise par les Arabo-musulmans au monde occidental. Cette philosophie permettait de mettre en évidence les fondements métaphysiques communs aux trois grandes religions abrahamiques. La traduction des œuvres d'Aristote entre 1120 et 1190 nécessitait un travail conjoint entre Juifs, musulmans et chrétiens. Cette philosophie forma la base du savoir à partir du XIIe siècle en Occident, et fut introduite progressivement dans les universités européennes en création, au XIIIe siècle, par Albert le Grand et Roger Bacon. C'est ainsi que Paris devint la capitale intellectuelle de l'Occident (on employait peu le terme d'Europe à cette époque).

La Renaissance poursuivit cette tendance de fond.

Époque contemporaine

Renouvellement des sciences religieuses

Le développement des sciences religieuses fut issu de la philosophie allemande du XIXe siècle. Il a permis la mise en œuvre d'un savoir laïc sur le phénomène religieux qui fut perçu comme une menace par les religions. Tel fut l'enjeu de la crise moderniste durant laquelle l'Église catholique romaine combattit ce savoir sous le nom de relativisme ; tel est encore l'enjeu de bien des conflits ayant à voir avec le phénomène religieux.

Sur ce point, voir Quêtes du Jésus historique, Évangile.

En 1999 fut créée une fondation pour la recherche et le dialogue interreligieux et interculturels. Le cardinal Ratzinger a contribué à la fondation de cette organisation.

Développement des échanges

Au XIXe et XXe siècles, l'important développement des moyens de transport et de communication a permis des échanges culturels qui, s'ils ne facilitaient pas le dialogue interreligieux, en jetaient les bases.

Certains utopistes, comme les saint-simoniens, s'imaginèrent même qu'il suffisait de mettre en place des lignes de chemin de fer et de navigation entre Rome et La Mecque pour faire dialoguer le pape et les musulmans.

Après la Seconde Guerre mondiale, le dialogue fut très axé vers le judaïsme (fondation en 1948 de l'Amitié judéo-chrétienne de France). La démocratisation du voyage se fit par la méthode du voyage organisé qui permit rarement la rencontre de l'autochtone.

L'apport des travaux ethnologiques dans les années 1950 et la décolonisation favorisent le dialogue islamo-chrétien dont les principaux précurseurs sont Louis Massignon, Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, Louis Gardet et Georges Anawati[2].

Du dialogue des religions au dialogue des convictions

Si la théologie chrétienne de l'accomplissement a progressivement laissé la place à la théologie du pluralisme religieux, cette dernière a pu entrer en tension avec la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi Dominus Iesus en 2000, refusant d'adopter la position dite « pluraliste », qui sacrifie le christocentrisme au profit d'un théocentrisme radical[3].

Au Conseil de l'Europe, un dialogue a été initié entre des organisations internationales non gouvernementales (OING) se réclamant de traditions religieuses diverses (chrétiennes, juives, musulmanes, bouddhiques), et de membres qui ne se comprennent pas en référence à une problématique religieuse, et qui se sont associés à partir de croyances et de convictions communes, humanistes, philosophiques, agnostiques, ou autres.

« Très vite, au cours de nos échanges, nous avons compris que l’expression ‘dialogue interreligieux’ ne nous convenait pas, puisqu'il excluait celles et ceux d’entre nous qui ne se reconnaissent pas comme appartenant ou référés à une religion instituée : nous avons commencé à parler de nos convictions respectives, de groupes de conviction, et à nous comprendre comme pratiquant un ‘dialogue interconvictionnel » (Bernard Quelquejeu)[4].

Ce dialogue interconvictionnel permet de prendre en compte la pensée et l’expérience de groupes de convictions non religieuses et de groupes de conviction qui ont pris une certaine autonomie par rapport à leur institution. En effet « les autorités non élues des religions revendiquent le monopole de la parole et de la représentation des citoyens fidèles de cette religion et seules ces autorités sont reconnues par les États au seul titre de l’exercice du culte. »[5]

Réunis au sein du « Groupe de travail International, Interculturel et Interconvictionnel » appelé « G3i », les membres ont organisé au Conseil de l'Europe deux colloques sur les thèmes suivants : « Cohésion Sociale dans une Europe multiculturelle. Rôle et impact des courants de pensée et des religions » (2007) ; « Devenir citoyens et citoyennes d’une Europe plurielle » (2012).

Dialogues interreligieux

Parlement mondial des religions

Le Parlement mondial des religions ou Parlement des religions du Monde, est la première tentative de nouer un dialogue global interconfessionnel. Il se réunit à Chicago du 11 au , à l'occasion de l'exposition universelle, à l'instigation de Swami Vivekananda (1863-1902), un chef spirituel hindou, philosophe du védanta et Jenkin Lloyd Jones, (1843-1918), un chrétien unitarien[6]. Pour la première fois se rassemblaient des représentants de religions orientales, asiatiques et occidentales.

L'idée en est relancée en 1988 par des disciples de Vivekananda pour fêter le centenaire de cet événement et le Parlement des Religions du Monde renaît en 1993 à Chicago. Il a depuis tenu assemblée en 1999 au Cap, en 2004 à Barcelone lors du Forum universel des cultures et à Melbourne en 2009[6].

Conférence mondiale des religions pour la paix

Créée en 1970, Religions for Peace est la plus importante coalition internationale de représentants de grandes religions du monde au service de la promotion de la paix[7].

Rapports entre judaïsme et christianisme

Après les événements de la Shoah durant la Seconde Guerre mondiale, la conférence de Seelisberg, en 1947 a fait sentir la nécessité de revoir l'enseignement chrétien au sujet du judaïsme. L'historien Jules Isaac fut à l'origine de cette prise de conscience, ainsi que plusieurs personnalités chrétiennes.

Depuis une trentaine d'années, de nombreuses réflexions ont porté sur la recherche des racines chrétiennes de l'antisémitisme, ce que l'on appelle quelquefois l'antijudaïsme, afin d'établir un dialogue entre les Juifs et les chrétiens.

La liturgie catholique du Vendredi saint a été modifiée dans le missel de 1966 par Paul VI, afin de supprimer la mention offensante pour les Juifs, qui subsistait depuis le VIIe siècle.

Église catholique

À la suite de la conférence de Seelisberg, organisée en 1947 pour étudier les causes de l’antisémitisme chrétien, les catholiques sentirent l'urgente nécessité de revisiter de fond en comble la relation qu'ils avaient avec les autres religions. Un Conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux a été érigé par le pape Paul VI le 17 mai 1964.

Le thème du dialogue interreligieux fut, avec l'œcuménisme, l'un des thèmes évoqués lors du concile Vatican II entre 1962 et 1965, ce concile restant cependant marqué par la théologie de l'accomplissement[8] selon laquelle les religions non chrétiennes jouent le rôle de « préparation évangélique », le Christ venant « accomplir » tous les éléments de vérité contenus dans les religions[9]. La déclaration Nostra Ætate est le document qui assied les nouvelles relations entre les catholiques et les juifs, musulmans, bouddhistes et hindous. En 2005, des chefs religieux du monde entier se sont rencontrés pour célébrer le quarantième anniversaire de sa promulgation.

Puis, plusieurs événements ont marqué la recherche de dialogue :

L'encyclique Redemptoris missio consacre trois paragraphes au dialogue interreligieux (n° 55, 56, 57).

Plusieurs années avant l'an 2000, le pape Jean-Paul II a invité l'Église catholique à se repentir pour les erreurs commises dans le passé, notamment envers les religions non chrétiennes, et également à pardonner.

Le Parvis des gentils est une structure créée en 2011 par le Vatican pour le dialogue entre les croyants et les non croyants.

Conférence « Dialogue des religions et symphonie mondiales »

Le 6 janvier 2009, à Mahuva (en) dans le Gujarat le Dalai Lama a inauguré une conférence interreligieuse appelée « Dialogue des Religions et Symphonie Mondiales ». Convoquée par le prédicateur hindou Morari Bapu (en), cette conférence explore « les moyens pour traiter la discorde parmi les religions majeures », selon ce prédicateur. Les participants incluent le professeur Samdhong Rinpoché, Premier ministre du gouvernement tibétain en exil pour le bouddhisme, Diwan Saiyad Zainul Abedin Ali Sahib (Ajmer Sharif) pour l’islam, le Dr. Prabalkant Dutt pour le christianisme non catholique, le Swami Jayendra Saraswathi (en) pour l’hindouisme et Dastur Dr. Peshtan Hormazadiar Mirza pour le zoroastrisme[10],[11].

Lieux de culte multiconfessionnels

Dans l'histoire, en fonction des changements de majorité dans la confession des habitants d'un territoire on a pu voir des lieux de culte changer de destination : cathédrales devenant mosquées (Sainte Sophie) ou l'inverse (Mezquita de Cordoue). À Testour (Tunisie), au XVIIe siècle, le même édifice servait aux musulmans le vendredi, aux juifs le samedi et aux chrétiens le dimanche. De nos jours encore l'actuelle mosquée Jamme Masjid de Brick Lane, à Londres, a, par exemple fait office de temple protestant, au temps des huguenots, avant de se transformer en synagogue. D'autres exemples sont plus récents en GB, ou aux Pays-Bas ou encore aux USA.

Dans certains lieux particuliers, hôpitaux[12], aéroports[13], prisons[14], certains centres commerciaux[15] des lieux de recueillement multiconfessionnels ont pu être aménagés.

Une autre catégorie de lieux de culte se développe également intégrant dès la construction de l'édifice le caractère multiconfessionnel comme le Temple de Moncton au Canada ou le projet "Friday, Saturday, Sunday" des architectes britanniques Leon, Lloyd et Saleem[16].

Notes et références

  1. Jean Verdon, Le Moyen Âge. Ombres et lumières, Perrin 2013, p. 274-275
  2. Maurice Borrmans, Prophètes du dialogue islamo-chrétien.Louis Massignon, Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, Louis Gardet et Georges Anawati, Cerf, , 272 p..
  3. Elodie Maurot, « Claude Geffré expose 40 ans de dialogue interreligieux », sur la-croix.com, .
  4. Bernard Quelquejeu, « Les convictions partagées dans l'espace politique. Quelques discernements sémantiques et sociologiques », intervention au colloque « Devenir citoyens et citoyennes d’une Europe plurielle : Espaces et pratiques interconvictionnelles » le 24 janvier 2012 à Strasbourg.
  5. Programme de la Journée d’études « Devenir citoyens et citoyennes d’une Europe plurielle : Espaces et pratiques interconvictionnelles » le 24 janvier 2012 au Conseil de l'Europe (Strasbourg)
  6. Histoire du parlement Mondial des Religions sur le site du Conseil du Parlement M.R.
  7. Site internet du Worl Congress of Religions for Peace
  8. Geneviève Comeau, Le dialogue interreligieux, Éditions Fidélité, , p. 58.
  9. Geneviève Comeau, Grâce à l'autre : le pluralisme religieux, une chance pour la foi, Éditions de l'Atelier, , p. 60.
  10. Dalai Lama inaugurates 6-day world religions meet at Mahua
  11. Dalai Lama to inaugurate inter-faith conference
  12. « Hôpital Necker », sur hopital-necker.aphp.fr.
  13. espace prière de l'aéroport de Paris
  14. La difficile pratique des religions en prison, Chloé Woitier, publié le 14/04/2011,
  15. centres commerciaux de Bicester Village et Ingolstadt Village
  16. SCLAVO, O. (2013) "Juifs, chrétiens et musulmans en colocation. Le projet Friday, Saturday, Sunday" Usbek & Rica n° M01736 automne 2013, pp. 62-63.

Bibliographie

  • Geneviève Comeau, Le dialogue interreligieux, Éditions Fidélité, 2008
  • Anne-Sophie Lamine, La cohabitation des dieux. Pluralité religieuse et laïcité, Presses Universitaires de France, 2004
  • Michel Remaud, Évangile et tradition rabbinique, Lessius, Bruxelles, 2003
  • Valère Staraselski, Voyage à Assise, éditions Bérénice, 2005,  (ISBN 2-911232-59-3)
  • Le Dialogue inter religieux dans l’enseignement officiel de l’Église catholique du Concile Vatican II à Jean-Paul II (1963-2005), Solesmes, Éditions de Solesmes, 2006. (ISBN 2-85274-300-0).
  • Pierre-Yves Fux, La main tendue. Jean-Paul II en Terre sainte, L'Œuvre, 2011.
  • Pierre Diarra, Dialogue interreligieux, Marseille, Chemin de dialogue, , 190 p. (ISBN 979-10-93441-11-5)
  • Adrien Candiard, Pierre et Mohamed, Tallandier et Éditions du Cerf, (ISBN 979-10-210-3118-0).

Films

  1. "La Voie de l'Hospitalité" (2015) de Lizette Lemoine et Aubin Hellot . Parmi les expériences interreligieuses engagées dans les années qui ont suivi la publication de Nostra Aetate, l’encyclique qui ouvrit grand la voie au dialogue de l’Église catholique avec les non-chrétiens, celles des Ordres contemplatifs sont parmi les plus fructueuses et les plus avancées. En France, en Allemagne, au Japon, en Italie, au Maroc  et aux États-Unis, des moines chrétiens rencontrent et partagent des expériences de vie avec des bouddhistes, des hindouistes, des musulmans chiites et des musulmans soufis. Ce documentaire met en relief le travail mené par le DIMMID -Dialogue Interreligieux Monastique- depuis plus de 40 ans. La singularité de cette organisation monastique internationale s’exprime dans le dialogue des pratiques, de la rencontre et de l’hospitalité réciproque. Pour visionner le film : https://www.youtube.com/watch?v=BairKRUC5fc VF

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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