Dépression du Bodélé

La dépression du Bodélé est une dépression topographique située dans le centre sud du Sahara, au nord du Tchad. Elle occupe la partie nord-est du bassin du lac Tchad. Elle est limitée au nord par la falaise de l'Angamma et plus loin par le Tibesti, à l'est par l'Ennedi et au sud-ouest par l'erg du Kanem. Elle comprend du nord vers le sud quatre petites régions, le Yayo, le Kiri, le Korou et le Toro, dont les noms sont plus usités localement que celui de Bodélé. La dépression a accueilli un lac lors de la période plus humide que le Sahara a connu au cours de l’holocène. Avec 181 m, elle compte le point le plus bas du Tchad et la partie la plus profonde de l'ancienne mer paléo-tchadienne.

Cette dépression est considérée comme l'endroit le plus poussiéreux du monde. Les diatomites issues de phases lacustres anciennes sont la source de cette poussière. Des tempêtes de poussière se produisent en moyenne 100 jours par an[1]. Le vent est canalisé entre les massifs de l'Ennedi et du Tibesti sur la dépression et engendre la principale source de poussière dans le monde (120 millions de tonnes par an et 20 % du total mondial). Un exemple de tempête massive eu lieu en , et souffla jusqu'au Cap-Vert[2],[3].

Portée par les vents, cette poussière peut atteindre le bassin amazonien en Amérique du Sud en dix jours et contribue significativement à la fertilisation de l'Amazonie. Une partie tombe dans l'océan Atlantique et, par sa composition, contribue aux nutriments indispensables des phytoplanctons[1].

Assèchement du lac Tchad

Lors de l’assèchement du Sahara, la surface du méga Lac Tchad se réduisit à la superficie actuelle du lac Tchad. Dans les années 1960, le lac atteignait une superficie variant de 20 000 à 25 000 km2 (variation intra-annuelle). Les sécheresses des années 1970 ont considérablement affecté sa superficie jusqu'à un minimum de 1 570 km2 au début de l'année 1985, phase nommée « Petit Tchad »[4]. Actuellement le lac est toujours en phase de Petit Tchad avec une surface d'eau de 2 000 à 14 000 km2. Les variations inter et intra-annuelle du lac Tchad sont de grande ampleur et dépendent essentiellement des apports du fleuve Chari.

Le retrait du méga Lac Tchad a laissé un dépôt de sédiments dans son ancien fond. Les petites particules de diatomite sont arrachées par un vent, l'harmattan, qui peut être violent et qui souffle fréquemment dans cette région. Une fois en suspension, la poussière peut être transportée sur des centaines voir des milliers de kilomètres. Durant la saison sèche, ce sont en moyenne 700 000 tonnes[5] de poussière par jour qui sont ainsi arrachés au Bodélé[1].

Des recherches, publiées le dans la revue Geophysical Research Letters, qui ont utilisé des images des satellites Terra et Aqua (instrument MODIS), indiquaient une vitesse de déplacement des tempêtes de 47 km/h dans la dépression du Bodélé, soit deux fois plus vite que ce qui était admis précédemment. La recherche a aussi mis en évidence que le vent doit atteindre un minimum de 36 km/h pour former une tempête de poussière[1],[6]. La direction du vent est si constante depuis des millions d'années que le flux d'air a creusé des marques dans le relief et laissé de grands couloirs éoliens de type yardang orientés du nord-est au sud-ouest, bien visibles par satellite[2].

Image satellite d'une tempête de poussière en entre la dépression du Bodélé en haut à droite et le lac Tchad en bas à gauche, au-dessus de la frontière entre le Tchad à droite et le Niger à gauche.

Des recherches complémentaires publiées dans la même revue par Richard Washington (Université d'Oxford) et Martin Todd (Université du Sussex) ont démontré que ces vents violents font partie d'un courant appelé Bodele Low Level Jet. Dans la revue des données comme celle d'ERA-40, ce courant engendre une pression maximale proche de 900 hPa. Cette pression maximale coïncide avec l’exutoire se situant au nord-est, entre les montagnes du Tibesti et le massif de l'Ennedi qui culminent à 3 415 m au Tibesti à l'Emi Koussi et à 1 450 mètres au Basso dans l'Ennedi, soit pour le Tibesti plus de 3 000 m au-dessus de la dépression du Bodélé. Les effets du massif du Tibesti sont révélés dans la création de flux à bas niveau au Nord-Est et au Sud de cette montagne. Bien que ce courant soit marqué au-dessus du Bodélé, il est absent dans le reste de l’Afrique de l'ouest sous les mêmes latitudes. C'est donc un phénomène unique engendré par le relief montagneux du nord du Tchad[7].

Ce "Bodele Low Level Jet" suit un cycle saisonnier. Il est actif d'octobre à mars et relativement inactif de juin à août. Cela coïncide avec les émissions de poussières. De grandes tempêtes de poussières observées dans cette recherche comme un renforcement du "Bodele Low Level Jet" associé au courant "Libyan High", et à la "subtropical High Pressure belt"[1],[7].

Les mêmes chercheurs qui en 2004 ont déterminé plus précisément la vitesse du vent dans la dépression ont aussi publié en 2006 un article démontrant que plus de la moitié de la poussière nécessaire pour fertiliser la forêt pluviale amazonienne est fournie par la dépression du Bodélé, soit plus de 50 millions de tonnes par an[8],[9],[10]. Ces chercheurs ont aussi démontré que contrairement à ce qui était admis jusque-là, la majeure partie de la poussière saharienne parvenant sur la côte Est des États-Unis provient de cette même source, la dépression du Bodélé[11].

Expérimentations

En , la première expérimentation de terrain, la "Bodele Dust Experiment" ou BoDEx 2005, a eu lieu dans la dépression de Bodélé. Les vents de surface et la concentration en poussière et l'influence de la poussière sur le niveau de radiation ont été mesurés pour la première fois[1]. Ce travail coïncida avec une émission majeure de poussière durant laquelle le Bodele Low Level Jet a induit des vents de surface d'une vitesse de 16 m/s. La cartographie du cœur du "Bodele Low Level Jet" a été réalisée pour la première fois avec des données concernant le vent. Il a aussi été montré un cycle journalier bien marqué, avec un pic de vent ayant lieu à la mi-matinée. Durant la nuit, le "Bodele Low Level Jet" connait une inversion de flux à proximité de la surface du sol mais celle-ci s'essouffle quelques heures après le coucher du soleil, une fois que l'intense chaleur de surface induit des turbulences dans les couches d'air les plus basses.

La poussière du Bodélé semble être une simple coïncidence de deux facteurs clé : de forts vents de surface et des sédiments érosifs. Mais les récentes recherches expliquent que des liens durables existent entre la topographie, le vent, la dépression et les poussières. La topographie agit comme le facteur contrôlant la durabilité de cette source de poussière. La cohabitation spatiale de forts vents et de poussières n'est pas fortuite mais résulte d'un processus spécifique :

  • la dépression contemporaine du Bodélé est démarquée par la topographie soumise au stress éolien, le maximum de poussière émise et le minimum altimétrique sont localisés au même endroit ;
  • la topographie des massifs du Tibesti et de l'Ennedi joue un rôle clé dans la génération du "Bodele Low Level Jet" ;
  • une accentuation de la dépression, du fait d'un Bodele Low Level Jet plus fort durant les climats secs, tel que le dernier maximum glaciaire, a probablement suffi pour créer une cuvette d'un lac peuplé de diatomites durant les phases plus humides (Holocène pluviale).

Le contexte éolien qui creuse actuellement dans les sédiments renforce la dépression qui s'est mise en place depuis des millions d'années. Au lieu d'une simple coïncidence de la nature, la plus grande source de poussière résulte d'un système opérant à l'échelle des paléoclimats[12].

La ville de la zone est Faya-Largeau, située au nord-est de la dépression.

Notes et références

  1. (en) Richard Washington, Martin C. Todd, Sebastian Engelstaedter, Samuel Mbainayel et Fiona Mitchell, « Dust and the low-level circulation over the Bodéle ́ Depression, Chad: Observations from BoDEx 2005 », Journal of Geophysical Research, no 111, (ISSN 0148-0227, lire en ligne).
  2. "Dust Storms from Africa's Bodélé Depression". Natural Hazards, Earth Observatory, NASA. URL accessed 2006-12-29.
  3. "Dust in the Bodélé Depression". Natural Hazards, Earth Observatory, NASA. URL accessed 2006-12-29.
  4. Alain Beauvilain,"Nord Cameroun, crises et peuplement", 1989, 625 pages, p.92-96.
  5. Fisher, Richard. "Amazon forest relies on dust from one Saharan valley". NewScientist Environment online. 3 Jan 2007. URL accessed 2007-01-04.
  6. Koren, Ilan; Yoram J. Kaufman (2004). "Direct wind measurements of Saharan dust events from Terra and Aqua satellites". Geophysical Research Letters (American Geophysical Union) 31 (6). Bibcode:2004GeoRL..3106122K. doi:10.1029/2003GL019338. Retrieved 2007-01-01.
  7. Washington R., and Todd M.C., Atmospheric Controls on Mineral Dust Emission from the Bodélé Depression, Chad: The role of the Low Level Jet, Geophysical Research Letters 32 (17): Art. No. L17701, 2005.
  8. "Dust to gust". EurekAlert!. AAAS. 28 Dec 2006. URL accessed 2006-12-29.
  9. Koren, Ilan et al. (2006). "The Bodélé depression: a single spot in the Sahara that provides most of the mineral dust to the Amazon forest (abstract)". Environmental Research Letters (Institute of Physics and IOP Publishing Limited) 1 (1): 014005. Bibcode:2006ERL.....1a4005K.doi:10.1088/1748-9326/1/1/014005. Retrieved 2007-01-01.
  10. Ben-Ami, Y., et al (February 12, 2010). "Transport of Saharan dust from the Bodélé Depression to the Amazon Basin: a case study". Atmospheric Chemistry and Physics (European Geosciences Union) 10 (2): 4345–4372. doi:10.5194/acpd-10-4345-2010. Retrieved November 2013.
  11. "New Earth Science Journal Highlights the Work of Climate and Radiation Branch Scientists". Climate News. NASA GSFC. 1 Nov 2006. URL accessed 2006-12-29.
  12. R. Washington, M. C. Todd, G. Lizcano, I. Tegen, C. Flamant, I. Koren, P. Ginoux, S. Engelstaedter, A. S. Goudie, C. S. Zender, C. Bristow and J. Prospero, Links between topography, wind, deflation, lakes and dust: The case of the Bodélé depression, Chad, Geophysical Research Letters vol. 33, L09401, doi:10.1029/2006GL025827, 2006.

Voir aussi

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