Ceinture fléchée

La ceinture fléchée est un élément des costumes traditionnels canadien-français, québécois et métis, historiquement associé à la traite des fourrures. Il s'agit d'une ceinture de laine tissée aux doigts, traditionnellement portée par les hommes. La largeur d'une ceinture peut varier de 15 cm à 25 cm et sa longueur peut facilement dépasser 2 mètres.

Ceinture fléchée faite à la main en 2007 (avec détail des motifs)
Une ceinture fléchée fabriquée au métier à tisser
Quelques styles régionaux de fléché

Histoire

Auparavant, des ceintures servaient à enserrer et décorer les capots d'hiver masculins en étoffe grise ; elles sont connues ensuite chez les voyageurs-canoteurs qui les utilisent pour soutenir leurs dos lors du transport des lourds ballots de peaux. Les ceintures aidaient aussi à prévenir des hernies chez ces voyageurs-canoteurs[1].

La ceinture fléchée fit partie du costume traditionnel de l’habitant du Québec dès 1776. À cette époque les visiteurs britanniques ou les mercenaires allemands qui la remarquent la qualifient de « ceinture colorée ». (Le motif d’alors évoluera avec les années.) C’est ainsi que Thomas Anbury, en 1776, écrit dans ses récits de voyage que lorsqu’il visite Charlesbourg et Beauport l’habitant porte une ceinture de laine colorée[2].

Plusieurs personnes témoignent de sa présence au Québec. En 1777, Charlotte Luise de Riedesel venue d’Allemagne rejoindre son mari le major général Frederick, raconte que lorsqu’elle rencontre son mari à Chambly, il porte une ceinture rouge et bleue avec franges sur le costume traditionnel des Canadiens pour se garder au chaud car il souffre d’une grippe[3]. La même année, un militaire logé à Sainte-Anne(-de-la-Pérade) relate comment dans les chaumières, les gens tissent les ceintures colorées de leur laine domestique[4]. E.V. Germann en 1778, en dessine une qui indique une ceinture colorée au motif chevron[5]. Une autre occasion permet d’en savoir plus sur les motifs. Elisabeth Simcoe qui fait un séjour à Québec de 1791-1792, rapporte des Canadiens «…their coats are tied round with a coloured sash. » Lorsqu’elle accompagne son mari au bal chez le gouverneur Haldemand au Château Saint-Louis, elle écrit : « The Canadian coats with Capots and sashes look very picturesque ».

On fait mention des ceintures fléchées en 1798 dans les livres de la compagnie du Nord-Ouest. La compagnie de la Baie d'Hudson contribue en effet à les faire connaître auprès des Autochtones et des Métis de l'Ouest canadien, depuis son poste de traite situé à L'Assomption au Québec, où elle en fait confectionner, à bas prix, par des artisanes locales[6]. On en achètera ensuite des versions mécanisées produites sur métier en Angleterre, tarissant ainsi progressivement la production et l'expertise artisanales.

En 1798, à Verchères, on trouve le corps d’un voyageur noyé et Labadie écrit dans son journal personnel que ce noyé porte « une jolie cinture à flesche »[7] Également en 1798, en lisant l’inventaire après décès des articles du commerce de madame Chaboillez dont le mari Charles fut un des fondateurs du Beaver Club, sont inscrites « deux cintures à flesches »[8].

En 1806, le visiteur britannique John Lambert après avoir visité plusieurs villages du Bas Canada écrit que 5 habitants sur 6 portent une ceinture colorée. Il spécifie que cette ceinture est parfois décorée de perles[9]. On constate ainsi que la ceinture évolue dans son apparence sans qu’on puisse en attribuer le mérite à qui que ce soit.

Les motifs apparaissant sur ces ceintures évolueront graduellement jusqu'en 1850, lorsque la forme traditionnelle des ceintures se fixe. Le tissage long et exigeant de ces ceintures les rendent très coûteuses pour ceux qui souhaitent en porter une. À la fin du XIXe siècle, les bourgeois des villes en récupèrent l'usage et la mettent au profit d'un sport populaire : la raquette. On se procurait ces ceintures surtout dans la région de l'Assomption, au Nord-Est de Montréal.

Les clubs de raquette ont perdu leur popularité au début du XXe siècle avec l'arrivée du hockey sur glace, du ski et du patinage. Les ceintures fléchées sont alors passées dans le folklore, car elles étaient devenues obsolètes.

Aujourd'hui, plusieurs artisans s'efforcent de faire revivre l'art et la technique de la ceinture fléchée, afin qu'ils ne disparaissent pas dans les anciennes mœurs des Canadiens, Québécois et Métis. On retrouvera plus souvent qu'autrement des ceintures fléchées à la taille des danseurs de groupe folklorique ou de musiciens de musique traditionnelle.

Le port de la ceinture colorée sera transporté vers l’ouest du pays avec le commerce des fourrures par les habitants engagés par la compagnie du Nord-Ouest. Ils partent vêtus de leur traditionnel costume et leur ceinture colorée suscitera le désir de diverses nations autochtones d’en posséder. Les Autochtones ne connaissant pas la laine, n’ayant pas de moutons, ne tissant pas de la façon traditionnelle européenne, la compagnie du Nord-Ouest en fait tisser au Bas Canada en important d’Angleterre de grandes quantités de fine laine worsted. Un agent de la compagnie de la Baie d’Hudson fait des démarches auprès de l’Angleterre pour qu’on fasse quelque chose pour répondre à ce désir : « …worsted of colour to make sashes of the latter I have got sample of from my neighbor which will sent home »[10]. Les deux compagnies s’assurent donc de répondre à la demande.

Les ceintures adoptées par les Autochtones et les Métis, restent présentes encore de nos jours et conservent la faveur des Métis. Éventuellement on la qualifia de symbole identitaire des Métis. (première session, trente-septième législature, 49-50 Elisabeth 11,2001, Sénat du Canada Projet de loi S-35) La plupart des ceintures dites métis ont été tissées sur métier, bien souvent en Angleterre, pour imiter les ceintures tissées aux doigts du Bas Canada. Bien des musées qui exposent ces ceintures omettent de mentionner ce fait. La ceinture évolue dans son motif et arrive à un motif élaboré qui prend nom Assomption parce que les agents de la HBC (Hudson Bay Company) qui viennent les chercher au Fort l’Assomption la nomment ainsi dans les livres de compte de la compagnie. La confection des ceintures fléchées se concentre dans l’Assomption selon l’historien Mason Wade à partir de 1835[11]. Les ceintures fléchées, dont les styles et couleurs varient de région en région, servent aussi à identifier l'origine du porteur. Par exemple, la ceinture de la région de Québec met le bleu en valeur, celle de Montréal est plus rouge et celle de l'Ouest (historiquement entre Ottawa et la région de la rivière rouge) arbore le noir pour se distinguer.

Malgré sa popularité et sa présence autant au Bas Canada que dans l’ouest du Canada survient un ralentissement et de sa production et de sa mode. Probablement dû au déclin du commerce des fourrures vers 1870[12] et de la suggestion du curé Tancrède Viger, vers 1890, qui encouragea les tisseuses à cesser de travailler pour les commerçants, étant bien peu rémunérées[13].

La ceinture fut portée par des raquetteurs et par des bourgeois retraités du commerce des fourrures installés à Montréal ou autour de l’île. Plusieurs artistes ont laissé des œuvres, toiles, croquis, dessins où les ceintures fléchées sont bien représentées. Jusqu’en 1968, quelques femmes ont continué à tisser les ceintures fléchées et ont pu transmettre la technique. Depuis 1968 plusieurs personnes ont appris à tresser la ceinture fléchée sous la bannière d’une association provinciale fondée par Lucien Desmarais: l'association des artisans de ceinture fléchée du Québec. Des associations régionales sont ensuite créées pour favoriser les activités des flécheurs. En 1986, l'association des artisans de ceinture fléchée de Lanaudière s'incorpore pour fonder une association indépendante. Seule association encore active de nos jours, elle travaille à promouvoir et conserver le savoir-faire de la technique du fléché. Des chansonniers, des danseurs de folklore et particulièrement le Bonhomme Carnaval contribuent grandement à la faire connaître aux visiteurs ainsi que dans divers pays soit lors de spectacles ou pour la promotion du Carnaval de Québec.

Marius Barbeau s’est intéressé à la ceinture fléchée pour en trouver l’origine. Il n’y est pas arrivé mais a laissé des pistes à reprendre pour en savoir plus sur sa popularité sinon son origine[14]. E.Z. Massicotte, archiviste à la ville de Montréal a fait des recherches et à la suite de ses observations du tissage exclusif au Québec de la ceinture fléchée, il la qualifia de chef-d’œuvre de l’industrie domestique du Canada[15].

La ceinture fléchée est le symbole régional de Lanaudière. C'est en 1985 que le symbole régional de Lanaudière faisant référence à la grande ceinture fléchée de l'Assomption aux motifs d'éclairs et de flammes, fut adopté. Ces motifs représentent l'énergie et l'ardeur des Lanaudois. Le concept nous vient du Joliettain Guy Jobin et est composé de trois éclairs représentant les trois secteurs majeurs d'activités de la région soit : l'agroalimentaire, la culture et le tourisme et enfin l'industrie et le commerce. Le symbole est complété par des flammes rouges, à l'extérieur du triangle, signifiant l'exportation, source d'alimentation de l'énergie de la région.

Le , le fléché est inscrit au Registre du patrimoine culturel du Québec à titre de patrimoine immatériel.

Confection

La réalisation d'une ceinture fléchée se fait en plusieurs étapes. D'abord, l'artisan (appelé flécheur ou flécherand selon l'OQLF) sélectionne les fils de laine qui lui conviennent. Lors de la conception d'une ceinture de facture traditionnelle ancienne, il faut des fils suffisamment longs pour que la ceinture fasse une à deux fois le tour de la taille. De plus, il faut ajouter à cela la longueur des franges de chaque côté de la ceinture. Les franges servent à bloquer le tissage ou tressage de la ceinture sans abîmer le

Enfin, l'artisan termine sa pièce en torsadant ou en tressant la longueur de fil restant afin de faire les franges. Traditionnellement, les franges se composaient d'une tresse de 1 ou 3 pouces et le reste étaient torsadées.

La création d'une ceinture fléchée peut demander de 80 à 500 heures de travail. Ceci explique la complexité et le coût de l'objet en question.

Il arrive souvent que les gens confondent les ceintures fléchées faites à la main avec des ceintures tissées fabriquées en série au métier à tisser, dites de type Coventry. Une ceinture tissée à la machine ne coûte généralement pas plus de 50 $. Toutefois, une authentique ceinture fléchée est de bien meilleure qualité et beaucoup plus durable qu'une ceinture fabriquée à la machine, qui elle est souvent faite de fibres synthétiques (nylon, polyester).

La ceinture faite à la main demeure une extraordinaire pièce de grande valeur, qui évidemment est aussi un vêtement qui se porte encore aujourd'hui. On peut retrouver des ceintures, mais aussi des foulards, des signets et autres affichant le même style. Pour faire la distinction entre une ceinture faite aux doigts d'une ceinture faite sur un métier mécanique, il suffit de regarder les extrémités du tressage, là où la frange commence : les ceintures de moindre qualité (de type Coventry) auront un tissage droit sur toute la largeur, tandis qu'une ceinture de grande qualité faite à la main aura une pointe au centre du tissage, un peu comme un V inversé.

La tradition orale fait mention que certaines ceintures fléchées faites à la main étaient tissées tellement serré qu'elles pouvaient retenir l'eau[16].

Notes et références

  1. (en) « Le Carnaval de Québec: la grande fête de l'hiver », Commission de la capitale nationale du Québec, (consulté le )
  2. Anbury, Thomas, Voyage dans les parties intérieures de l’Amérique, pendant le cours de la dernière guerre. Paris, Briand, 1790, 2 vol.
  3. Riedesel, Charlotte Luise de, « Letters in Memoirs » Die Berufsreise nach Amerika. Briefe von Frederick Riedesel. Berlin, Haude and Spenersche, 1827, version anglaise, New York, 1925, 348 p.
  4. Anonyme, Vertraulich Briefe aus Kanada Ste-Anne, 9 marz-April 1777, Eingelaufen in Niedjadsen 1 aug. 1777, copie au Public Library of Congress, Washington (D.C.), Eh111 (Heft xv 111), p. 337 « (dichten Scharpen von wolle gewirkt, die lange troBen haben ; diese Scharpen sind von allerlie farben nach eines jeden Phantasie »
  5. Ein Canadischer Bauer, de Frederich von Germann, aquarelle, 1778Photo :(New York Public Library) image reproduite dans « Une jolie cinture à flesche » Les Presses de l’Université Laval, 2003, p. 69
  6. michelprince.ca
  7. Louis Généreux de Labadie, « Journal de 1794-1817 », Archives du Petit Séminaire de Québec, M.G.-23 G3-18, p. 153
  8. Inventaire après décès de madame Chaboillez, 1798. (greffe du notaire J.G.Beek, 24 décembre 1798, ANQ.)
  9. John Lambert, Travels through Lower Canada and the United States of America in the year 180,1807 and 1808, vol. 1 p. 1586
  10. HBCA, B-105A, 1796-1797, p. 8 (doer)
  11. Mason Wade, L’encyclopédie du Canada français à nos jours 1760-1967. Traduit par Adrien Venne avec le concours de Francis Lubeyrie, Montréal, 1963, 3 vol.
  12. Rosemary Neering, Fur Trade, 1974, Toronto, Fitzhenry and Whiteside, 64p. p. 52
  13. Marius Barbeau, Ceinture fléchée, Montréal : Éditions Paysana, 1945, 110 p. p. 25
  14. Marius Barbeau, Ceintures fléchées, Montréal, Éditions Paysana, 1945, 110 p.
  15. E.Z.Massicotte, Mémoires de la Société royale du Canada, Montréal, section 1, série 111, vol. xviii, mai 1924
  16. http://medias-balado.radio-canada.ca/diffusion/2012/balado/src/CBF/hobjets-20120307-945.mp3

Annexes

Bibliographie

  • Michelle Beauvais, Le tressage au-delà du trois brins, Granby : M. Beauvais, 2006, 137 p. (ISBN 2-9809125-0-6)
  • Joanne Renaud, Anne-Marie R. Poirier : Le génie de la ceinture fléchée, Sainte-Marcelline-de-Kildare : Fondation Pierre-Bélanger, Lanaudière, 1997, 53 p. (ISBN 2-9805692-0-8)
  • Lise St-Georges, Histoire et origines de la ceinture fléchée traditionnelle dite de L'Assomption, Sillery : Septentrion, 1994, 125 p. (ISBN 2-89448-002-4) (aperçu)
  • Denise Verdeau-Hemlin, Évolution des motifs de fléché, Montréal : Association des artisans de ceinture fléchée du Québec, 1990, 26 p. (ISBN 2980118915)
  • Association des artisans de ceinture fléchée de Lanaudière, Le Fléché : phase 1, Montréal : Association des artisans de ceinture fléchée du Québec, 1988, 28 f. (ISBN 2980118907) [en collab. avec Denise Verdeau-Hemlin et Pauline Roy]
  • Véronique L. Hamelin, Le Fléché authentique du Québec par la méthode renouvelée, Outremont : Léméac, 1983, 256 p. (ISBN 276095353X)
  • Hélène Varin Brousseau, Le fléché traditionnel et contemporain, Montréal : La Presse, 1980, 133 p. (ISBN 2890430464)
  • Monique Genest LeBlanc, Parle-moi de la ceinture fléchée!, Montréal : Fides, 1977, 107 p. (ISBN 0775506613)
  • Monique Genest LeBlanc, J'apprends à flécher, Montréal : R. Ferron Éditeur, 1974, 127 p.
  • Monique Genest LeBlanc, Mémoire de Maîtrise : La ceinture fléchée au Québec, 1991, un. Laval, Québec
  • Monique Genest LeBlanc, Thèse de doctorat : Introduction de la ceinture fléchée chez les Amérindiens : création d’un symbole de statut social, 1996, Un. Laval, Québec, Ethnologie des Francophones en Amérique du Nord, département d’Histoire, faculté des Lettres.
  • Monique Genest LeBlanc, « Une cinture à flesche » Sa présence au Bas-Canada, son cheminement vers l’Ouest, son introduction chez les Amérindiens. 2003, Les Presses de l’université Laval, Québec
  • Françoise Bourret, Lucie Lavigne. Le fléché : l'art du tissage au doigt, Montréal : Éditions de l'Homme, 1973, 222 p. (ISBN 077590399X)
  • Marius Barbeau, Ceinture fléchée, Montréal : Éditions Paysana, 1945, 110 p. (ISBN 0885150341) [traduction de Assomption Sash, 1934]

Liens externes

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