Brutalisme
Le brutalisme désigne un style architectural issu du mouvement moderne, qui connaît une grande popularité entre les années 1950 et 1970 avant de décliner peu à peu, bien que divers architectes s'inspirent encore des principes de ce courant. Il se distingue notamment par la répétition de certains éléments comme les fenêtres, ainsi que par l'absence d'ornements et le caractère « brut » du béton.
Les premiers exemples d'architecture brutaliste sont inspirés des travaux de l'architecte franco-suisse Le Corbusier, notamment de sa Cité radieuse (1952). Parallèle au mouvement artistique du pop art, le brutalisme s'exprime notamment à travers la réalisation de bâtiments institutionnels et d'universités au Royaume-Uni, en France, en Europe de l'Est et aux États-Unis. Généralement de dimensions imposantes, ces édifices mettent en avant leur verticalité et la rudesse du béton, constituant une réaction aux courants architecturaux antérieurs (le style Beaux-Arts notamment), marqués par davantage de frivolité.
Le terme de brutalisme a parfois servi à désigner de manière générale les édifices massifs en béton, devenus impopulaires à la fin du XXe siècle. Les principaux représentants de ce courant sont Marcel Breuer, Ernő Goldfinger, Jacques Kalisz, Bertrand Goldberg et Fernand Boukobza.
Définition
Le terme « brutalisme » vient du français « brut ». Le « béton brut » est le terme employé par Le Corbusier, qui voit dans ce matériau de construction un aspect sauvage, naturel et primitif lorsqu'il est utilisé sans transformation[1],[2],[3].
La première utilisation du terme reviendrait à l'architecte suédois Hans Asplund, qui l'aurait employé en 1949 pour décrire une villa (la Villa Göth) réalisée à Uppsala par ses pairs Bengt Edman et Lennart Holm. Il a ainsi évoqué un nybrutalism (« nouveau brutalisme » en suédois), et l'expression aurait été importée en Angleterre par un groupe d'architectes britanniques alors en visite en Suède, dont faisait notamment partie Michael Ventris[4].
Par la suite, les architectes britanniques Alison et Peter Smithson auraient utilisé ce terme par antiphrase en 1954 ; Peter Smithson se faisant même appeler Brutus en hommage au sénateur romain qui a tué César pour sauver la République romaine[4],[5].
Toutefois, le terme ne devient véritablement populaire et positif à ses débuts qu'avec la parution de The New Brutalism : Ethic or Aesthetic ?, un ouvrage de 1966 du critique Reyner Banham qui emploie le mot pour désigner la révolution architecturale en cours en Angleterre[6]. Selon Banham, le brutalisme ne servait pas tant à désigner un style architectural à part entière qu'un état d'esprit partagé par les architectes composant le mouvement. En outre, le terme provient de la critique et n'était que peu employé par les représentants de ce genre eux-mêmes.
Histoire
Origines
L'inspiration initiale de ce mouvement issu du mouvement moderne provient des formes développées par Ludwig Mies van der Rohe, ainsi que de l'œuvre architecturale de Le Corbusier[7]. Ce dernier est le principal représentant de l'architecture « proto-brutaliste », notamment à travers deux réalisations : l'Unité d'habitation (1952), développée dans divers projets dont la Cité radieuse de Marseille ; le Palais de l'Assemblée à Chandigarh en Inde (1953). Dans un entretien avec Georges Charensol en 1962, il déclare avoir créé un « romantisme du mal foutu »[7].
Dans les années qui suivent, le brutalisme voit sa popularité croître au Royaume-Uni, notamment sous l'influence d'Alison et Peter Smithson. Dans un pays encore en partie détruit par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale et qui connait une récession économique, les pouvoirs publics tentent de promouvoir des modes de construction bon marché pour l'habitat, les espaces commerciaux et les bâtiments publics. Toutefois, de nombreux architectes ont adopté le style brutaliste bien qu'ils aient disposé d'importants budgets, en raison de leur goût pour ses caractéristiques « crues » et sans ornement.
Utilisation dans le monde universitaire
Dans les années 1950, la démocratisation de l'enseignement supérieur rend nécessaire la construction rapide d'installations universitaires peu coûteuses. Les principes brutalistes sont mis à contribution à cet effet. C'est le cas de l'Institut de technologie de l'Illinois aux États-Unis, en 1956, du Centre des arts de l'université de Bochum en Allemagne, en 1966, de l'École fédérale d'architecture et d'urbanisme de São Paulo au Brésil, en 1969, ou encore de la ville de Louvain-la-Neuve durant les années 1970.
Apogée
La composition des cités par des cellules d'habitat agrégées sur plusieurs niveaux ayant des plans multiples par variation modulaire et une répétitivité de système constructif avec beaucoup de verre pour la lumière se poursuit dans ce mouvement en Europe. Des cadres de poutrelles acier et brique de remplissage sont utilisés au Royaume uni, des panneaux béton et briques apparentes sont utilisés en Scandinavie, Suisse, France. (En France ce modèle en Lego très utilisé est considéré en général comme venant de Suède).
Au plus fort de sa popularité, le brutalisme était associé à une idéologie utopique dans la mouvance « sociale » affichée par ses promoteurs, notamment Peter et Alison Smithson dans le monde anglo-saxon. L'échec en Occident des projets d'implantation de « communautés fonctionnelles » dans les ensembles urbains à architecture brutaliste, notamment en Grande-Bretagne, a jeté le discrédit et sur l'idéologie et sur le style architectural et sur le matériau qui l'incarnaient. Un des inconvénients des œuvres en béton brut de qualité médiocre est qu'esthétiquement parlant, ce matériau vieillit assez mal du fait, par exemple, de l'éclatement local du béton des façades par gonflement de l'armature acier oxydée.
En Australie la Haute cour d'Australie d'architecture brutaliste fut bâtie en 1978. En Italie, plusieurs architectes ont dessiné des œuvres importantes comme la tour Velasca à Milan du Groupe BBPR en 1958. En France la construction marquante du brutalisme fut le centre administratif de Pantin de Jacques Kalisz en 1972. Au Québec (Canada) de 1955 à 1965, le campus de l'Université Laval témoigne de ce mouvement mis de l'avant dans la Capitale-Nationale.
Un bon nombre des ouvrages architecturaux de cette époque et ultérieurs exprimant la matérialité « brute » ne se réclament pas du brutalisme, mais plus simplement de l'expressionnisme continué, du mouvement moderne continué (par exemple l'église Notre-Dame de Royan). Le brutalisme porte dès son origine une part de choc à produire entre deux esthétiques de la matière : cette démarche architecturale initiale fut philosophiquement identique à la démarche du mouvement déconstructiviste mais ce dernier mouvement s'exprime justement contre l'utopie esthétique moderne soutenue par le brutalisme.
Développement en Europe de l'Est et en Amérique latine
Le brutalisme a connu une grande popularité dans l'Europe de l'Est communiste, du milieu des années 1960 à la fin des années 1980, notamment en Bulgarie, Yougoslavie et Tchécoslovaquie[8]. Dans ce dernier pays, une variante nationale du brutalisme fut même développée (le « brutalisme tchèque »).
La philosophie du brutalisme a été poursuivie en Amérique du Sud après le Mouvement moderne, par exemple en 1982 à Sao Paulo au Brésil Lina Bo Bardi reprenant l'ancienne usine Pompeia construit des salles de sport, un château d'eau en trois bâtiments brutalistes qu'elle considère être dans l' « archittetura povera ».
Le brutalisme au XXIe siècle
Bien que le mouvement brutaliste ait quasiment disparu au milieu des années 1980, laissant la place à l'architecture high-tech et au déconstructivisme, des architectes actuels se sont néanmoins inspirés des principes du courant, tels que Tadao Andō, Jacques Herzog ou Shigeru Ban[7]. Plusieurs aspects donnant au style son caractère brut ont été réutilisés mais de manière adoucie, comme des façades en béton sablées pour donner l'impression de la pierre, couvertes de stuc ou composées d'éléments préconstruits. Ces techniques sont également employées dans la rénovation d'édifices brutalistes, comme celle du complexe immobilier de Park Hill à Sheffield (Angleterre), réhabilité entre 2008 et 2011.
Au Royaume-Uni, plusieurs bâtiments de style brutaliste ont été classés monuments historiques, comme le Séminaire Saint-Pierre de Cardross (Écosse), considéré par le magazine d'architecture Urban Realm comme le plus bel édifice écossais d'après-guerre. Plusieurs ont été détruits, comme le Tricorn Center et le parking du Trinity Square, mais d'autres ont pu être conservés grâce à la mobilisation d'associations, comme la gare routière de Preston et la Hayward Gallery.
En 2015, la Burntwood School de Londres a remporté le prix Stirling avec son style néo-brutaliste inspiré de l'œuvre de Marcel Breuer.
L'artiste français Mathias Kiss qualifie son travail sur l'ornementation de brutaliste[9].
Principales caractéristiques
Les structures brutalistes se composent de formes géométriques massives et anguleuses qui frappent par leur répétition. Le brutalisme milite pour la réunion des fonctions dans les bâtiments, mais des espaces clairement distincts les uns des autres. Fréquemment, la conception du bâtiment laisse paraître l'intérieur des locaux, ainsi que la structure ou des commodités généralement soustraites à la vue des passants, telles que des citernes ou des installations de chauffage. Par exemple, l'hôtel de ville de Boston, construit en 1968, distingue certaines parties de la façade pour refléter la diversité des usages internes du bâtiment : l'emplacement du bureau du maire ou les salles de réunion du conseil municipal peuvent ainsi être distinguées de l'extérieur.
La grande majorité des constructions brutalistes sont essentiellement composées de béton, notamment brut et sans le moindre ornement ou revêtement. Cependant, bien que le béton soit le trait caractéristique principal du mouvement, toutes les constructions brutalistes ne sont pas en béton : certaines incorporent d'autres matériaux de construction comme la brique, le verre, l'acier, la pierre grossièrement taillée, et les gabions. Plusieurs constructions d'Alison et Peter Smithson sont ainsi conçues en brique, acier et verre, telles que la Hunstanton High School (1954). Il existe également des bâtiments souvent rattachés au brutalisme en raison de leur apparence massive et sans apprêt, ou parce qu'ils exhibent des matériaux ou des équipements structurels qui sont d'habitude dissimulés.
L'usage du béton brut dans le brutalisme vise notamment à rompre avec les fioritures et le raffinement du style Beaux-Arts, en promouvant une forme de simplicité et de dénuement. Toutefois, tous les bâtiments en béton ou dont la structure est exposée ne sauraient être rattachés au brutalisme, mais peuvent appartenir à des courants tels que le constructivisme, le style international, l'expressionnisme, le postmodernisme ou le déconstructivisme. De même, le courant a fréquemment été rapproché de l'architecture soviétique en raison de son usage du béton et des grands volumes.
Réception critique
Dans les années 2000, les bâtiments brutalistes font fréquemment l'objet de critiques. L'hôtel de ville de Boston fut ainsi classé comme « le bâtiment le plus laid au monde » dans un sondage en 2008[10].
Fréquemment objets de destruction par les pouvoirs publics, certains bâtiments brutalistes font l'objet d'une protection. Les édifices brutalistes d'Angleterre sont ainsi classés depuis 2012 parmi les édifices à préserver du Fonds mondial pour les monuments[2].
Principaux représentants
- Marcel Breuer
- Fernand Boukobza
- Paul-Marie Côté
- Renée Gailhoustet
- Bertrand Goldberg
- Ernő Goldfinger
- Georges-Jacques Haefeli
- Louis Kahn
- Jacques Kalisz
- Ram Karmi
- Le Corbusier
- Sigurd Lewerentz
- Berthold Lubetkin
- Kunio Maekawa
- Jean Renaudie
- Paul Rudolph
- Alison et Peter Smithson
- James Stirling
- Kenzō Tange
- Clorindo Testa
- Vittoriano Viganò (it)
- Jean Zumbrunnen
Quelques bâtiments
- L'ambassade de la République tchèque à Berlin, sur la Wilhelmstrasse, construite de 1974 à 1978.
- La tour de la Sécurité Sociale, immeuble de bureaux de Rennes.
- La Milam Maison à Ponte Vedra Beach, réalisé par Paul Rudolph en 1961.
Notes et références
- (en) Michael McClelland et Graeme Stewart, Concrete Toronto : A Guide to Concrete Architecture from the Fifties to the Seventies, Coach House Books, , p. 12.
- (en) « British brutalism », sur Fonds mondial pour les monuments.
- Le Corbusier, « L'habitation moderne », Population, 3e année, n°3, , pp. 417-440 (lire en ligne).
- (en-GB) Jonathan Meades, « The incredible hulks: Jonathan Meades' A-Z of brutalism », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
- (en) Kenneth Allinson, Architects and Architecture of London, Routledge, , p. 358.
- (en) Romy Golan, « Historian of the Immediate Future: Reyner Banham – Book Review », The Art Bulletin, , p. 3.
- Hervé Lacrampe, « Le brutalisme, paradigme et excès », sur tripleaincorporated.blogspot.fr, (consulté le ).
- (en) Vladimir Kulić, Wolfgang Thaler et Maroje Mrduljaš, Modernism In-between : The Mediatory Architectures of Socialist Yugoslavia, Berlin, Jovis, , 271 p. (ISBN 978-3-86859-147-7).
- Thibaut Wychowanok, « Avec “Ornementation Brutaliste”, le designer Mathias Kiss illumine la NextLevel Galerie », Numéro, (lire en ligne).
- (en) « Travel Picks: 10 top ugly buildings and monument », Reuters, (lire en ligne, consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- Peter Chadwick, This Brutal World, éd. Phaïdon, 2016
- Emmanuel Rubio, Vers une architecture cathartique (1945-2001), éd. Donner Lieu, 2011
Articles connexes
- Cité idéale
- Art brut
- Architecture cycladique
- Architecture en Yougoslavie (en)
Liens externes
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