Bataille des Trois Rois
La bataille des Trois Rois, bataille de Oued al-Makhazin ou bataille de l'Alcazar Kébir[3] () a été une bataille décisive ayant mis fin au projet d'invasion du Maroc du roi portugais Sébastien Ier. Elle eut lieu sur les rives du fleuve Oued al-Makhazin, affluent du Loukos arrosant Ksar El Kébir dans la province de Larache. La bataille a opposé d'un côté l'armée du sultan marocain nouvellement porté au pouvoir, Abu Marwan Abd al-Malik, composée majoritairement de cavaliers et de fantassins marocains répondant à l'appel de la guerre sainte et renforcée par une participation ottomane, rangée sous la bannière saadienne, composée de cavaliers zouaouas[4], d'artilleurs turcs et d'arquebusiers andalous, et de l'autre côté l'armée portugaise du roi Sébastien Ier assisté de son allié le sultan marocain déchu, Muhammad al-Mutawakkil, principalement composée de mercenaires italiens, flamands et allemands qui lui avaient été accordés par son oncle Philippe II d'Espagne.
Ne pas confondre avec la bataille des Trois Empereurs.
Date | |
---|---|
Lieu | Oued al-Makhazin à côté de Ksar El Kébir |
Issue | Victoire décisive marocaine |
Maroc, renforcé par des soldats ottomans | Royaume de Portugal Rebelles marocains Mercenaires anglais Mercenaires du pape Mercenaires castillans Mercenaires allemands |
Abd al-Malik † Prince Ahmed Mohammed Zarco | Sébastien Ier de Portugal † Muhammad al-Mutawakkil † Thomas Stukley † |
14 750 fantassins[1] 35 250 cavaliers[1] 26 canons | 14 800 fantassins[1] 1 550 cavaliers [1]36 canons |
environ 3 000 hommes | environ 15 000 hommes[2] 20 000 prisonniers |
Tentative portugaise de conquérir le Maroc
Coordonnées 35° 01′ 00″ nord, 5° 54′ 00″ ouestLes trois principaux protagonistes périrent au cours de cette bataille.
Contexte
Le bassin méditerranéen était, en cette seconde moitié du XVIe siècle, disputé par trois grands empires : le Portugal et l'Espagne d'une part, alliés selon les circonstances, et l'Empire ottoman à la fin de son apogée après le règne de Soliman le Magnifique d'autre part[5]. Ces trois entités œuvraient toutes dans le même but qui était de s'assurer des routes commerciales les plus sûres, tout en pillant celles de ses rivaux. Ainsi, les côtes marocaines, agissant à la fois comme tampons mais également comme bases corsaires, permettaient au Royaume du Maroc de faire tirer à l'Empire ottoman le meilleur de cette lutte indirecte. Les galions espagnols en provenance d'Amérique étaient ainsi pillés par des corsaires chérifiens trouvant refuge à Salé, à l'embouchure du Bouregreg[réf. nécessaire].
En plus de telles actions à l'encontre des intérêts ibériques, l'expansion ottomane en Afrique du Nord inquiétait particulièrement les puissances méditerranéennes, l'emprise de la Sublime Porte s'étendant à présent aux frontières du Maroc après l'annexion de la régence d'Alger. Philippe II, excédé, envoya 12 000 hommes à Alger afin d'en chasser les Ottomans. Ce fut l'expédition de Mostaganem, véritable désastre qui vit l'ensemble de la force d'expédition annihilé (tués ou faits prisonniers, leur bateau coulé par la marine turque, aucun Espagnol ne rentra d'Algérie).
Le problème ottoman n'était donc toujours pas réglé. L'invasion de Chypre par les Ottomans fut l'occasion de la création de la Sainte Ligue, entre Espagnols, Vénitiens et papauté, permettant de frapper au niveau du maillon faible de la machine de guerre ottomane, sa flotte. Les galères chrétiennes détruisirent la flotte ottomane lors de la bataille de Lépante. Considérée comme la bataille navale la plus importante après celle d'Actium, car ayant pu stopper l'inexorable avancée ottomane, elle inaugura de manière brutale la phase de stagnation ottomane qui allait suivre[réf. nécessaire].
Il fallut alors sécuriser le détroit de Gibraltar, en neutralisant les bases corsaires du Maroc[réf. nécessaire]. Sébastien Ier de Portugal, dans une croisade contre l'infidèle mais également pour étendre l'Algarve d'Outre-Mer, décida de mener lui-même une expédition, contre l'avis de tous ses proches et conseillers[6]. Son oncle Philippe II lui apporte son soutien après l'entrevue diplomatique de Guadaloupe, sous conditions que l'expédition doit se dérouler courant 1577, et ne pas aller plus loin que Larache[7]. Mais le roi d'Espagne finit par faire faux-bond au roi du Portugal, sans doute en partie à cause de la reprise des hostilités en Flandres, et en partie également à cause du manque de préparatifs du côté portugais[7]. Côté espagnol, cette expédition venait de compliquer un peu plus les pourparlers entre l'Espagne et le Maroc au sujet d'une alliance visant à contrecarrer l'influence ottomane en Afrique du Nord[8].
Du côté marocain, Muhammad al-Mutawakkil succède à son père Abdallah el-Ghalib en 1574. Or la succession au pouvoir devait normalement revenir au frère le plus âgé du sultan décédé, à savoir Abu Marwan Abd al-Malik. Ce dernier, avec ses frères, trouve refuge auprès des Ottomans[9] auxquels il demande une aide afin de reconquérir le pouvoir. Abd al-Malik participera par la suite aux côtés des Ottomans lors du siège de Tunis de 1574 contre les Espagnols[10].
Abd al-Malik, qui finit par chasser son neveu du pouvoir avec l'aide des Turcs lors de la bataille d'al-Rukn en 1574[10], a conscience que cette aide est également une menace hégémonique étant donné que ces derniers contrôlent déjà Tunis et Alger[10]. Il pense qu'il doit se défaire de l'influence turque, ces derniers lorgnant sur le Maroc afin d'obtenir une base atlantique permettant d'assurer un harcèlement maritime optimal. Le sultan leur accorde, après un compromis des plus âpres à négocier, le port de Salé qui devint alors une base corsaire notoire[8]. Il fait ensuite connaître à Philippe II ses intentions pacifiques, afin d'obtenir une certaine neutralité du côté de l'Espagne[10].
Si Abd al-Malik reconnait l'autorité de la Sublime Porte pendant les premiers mois de son règne, frappant monnaie et faisant prononcer le prêche du vendredi au nom de Murad III tout en versant un tribut quasi-semestriel en contrepartie d'un statut spécial –du moins c'est ce que laisserait entendre la correspondance du Padishah–, les relations du sultan marocain avec les Ottomans restent très ambiguës et évoluent vers une forme de rupture[11], Abd al-Malik concevant cette alliance comme temporaire car potentiellement fatale à sa dynastie.
Le roi Sébastien Ier du Portugal, en plus d'appuyer le prétendant Muhammad al-Mutawakkil, voit une expédition au Maroc comme un moyen de freiner l'avancée « turque », en effet une occupation du pays par les ottomans risquerait d'asphyxier économiquement le royaume du Portugal. Cette expédition serait aussi une occasion de reprendre les ports marocains.[11]Abu Marwan Abd al-Malik se prépare à l'arrivée des Portugais en proclamant le jihad dans tout le pays et en recrutant au moyen des réseaux confrériques jazulites et zarruqides. Une dernière tentative de dissuasion des Portugais par le roi d'Espagne échoue, et ce dernier se retire de l'affaire sous la pression des Ottomans[11].
Préparatifs
Malgré les avertissements de son entourage qui tentait de le dissuader de mener l'expédition, l'année 1578 vit le roi Sébastien Ier, âgé de vingt-quatre ans, regrouper dans le port de Lagos, la plus grande baie portugaise, capable de rassembler toute la flotte portugaise en eaux profondes, une armée chrétienne forte de seize mille hommes (15 500 fantassins, plus de 1 500 cavaliers et quelques centaines de surnuméraires[12]) capable selon lui de conquérir le Maroc, de remettre son allié sur le trône, permettant enfin de contrôler le détroit de Gibraltar, chose déjà amorcée par l'occupation portugaise de Ceuta, et ainsi stopper l'expansion militaire continentale vers l'Atlantique de l'Empire ottoman. L'armée portugaise se composait principalement de mercenaires « allemands » (en fait flamands[13], envoyés par Guillaume de Nassau, ou d'autres provenances[14]), italiens (devant être envoyés par le grand-duc de Toscane, et finalement subtilisés au pape[Note 1]) et castillans[15] (enrôlés directement par Sébastien)[16]. La moitié environ des troupes n'est pas portugaise[17]. Nous pourrions également évoquer les opérations de recrutement en Andalousie, qui permirent de lever près de deux mille hommes. Ces différentes parties s'articulaient autour d'un corps de deux mille arquebusiers portugais et de quelque deux mille cavaliers portugais[réf. nécessaire]. Les non-combattants, regroupant religieux, domestiques et prostituées, forment un train très important[14].
Après plusieurs mois d'escarmouches se soldant par une nouvelle retraite dans les montagnes du Rif, al-Mutawakkil parvint enfin à Tanger, les deux souverains s'étant alliés. Les Portugais avaient conquis depuis 1415 toutes les places fortes côtières atlantiques et leur arrière-pays : Ceuta, Tanger, Mazagan, Assilah, Alcácer-Quibir, etc.[réf. nécessaire] Partie de Lisbonne le (ou le 24, jour de la Saint-Jean[18],[14]), l'expédition portugaise s'arrête à Tanger le , où le roi et le sultan déchu se rencontrent[19].
Trois jours après Tanger, les troupes s'embarquent pour Arzila, où elles attendent encore douze jours les fournitures de l'expédition[20]. Abd al-Malik, après un court affrontement avec les Portugais, envoie par lettre des remarques à Sébastien, notamment sur le fait que le roi de Portugal soutient celui qui a assiégé Mazagan, et y a massacré des chrétiens ; malgré les promesses de Mulay Muhammad, ce dernier n'a aucun territoire sous son autorité alors qu'Abd al-Malik peut proposer, en échange de la paix, de donner certains territoires et villes mineurs au protégé du Portugal[21]. Sébastien voit cette missive comme une preuve de la terreur que ses troupes susciteraient chez l'ennemi[22][23],[24],[23], et convoque aussitôt un conseil de guerre pour décider de la conduite à tenir.
Trois options sont examinées lors de ce conseil : transporter par bateau la troupe et débarquer à Larache pour prendre la ville, conduire la troupe le long de la côte sans perdre de vue la flotte, passer par l'intérieur des terres afin d'abréger le trajet et de rencontrer l'ennemi directement. La dernière proposition est celle que retient le roi, malgré les recommandations du comte de Vimioso (pt), qui recommande la prise rapide de Larache, afin d'y avoir un havre qui rendrait plus simple toute autre opération[25],[26],[27],[26]. Mais Sébastien souhaite partir au plus court, directement sur l'armée ennemie, prendre au besoin Alcácer-Quibir et ensuite se rabattre sur Larache. La flotte a pour ordre de rejoindre directement Larache par la mer[28]. Ne prenant que pour quelques jours de vivre, l'armée terrestre quitte Arzila le , et, après un détour pour se ravitailler en eau, progresse désormais difficilement dans le territoire africain, en butte à la chaleur et aux harcèlements des troupes autochtones[29]. Il est rapidement décidé de rentrer sur Arzila, mais la flotte a déjà quitté ce point, et ne peut donc les secourir : Sébastien ordonne le de reprendre la marche en avant, suivant l'Oued al-Makhazin, affluent du Loukkos, qui n'est pas encore à sec[29].
Encombrée par un lourd convoi de charrettes et de personnes non-combattantes (évaluées à 13 000, soit équivalente à la force combattante[30]), l'armée portugaise se dirige d'Assilah ou Arzila[Note 2] (ville récemment à nouveau dévolue au Portugal par le sultan détrôné en payement de son aide pour récupérer le trône), vers la ville intérieure marocaine de Larache. Pendant ce temps, Abu Marwan Abd al-Malik, malade, demeurait à Marrakech avec son armée forte de 30 000 hommes[14], envoyant pas moins de trois propositions de paix très favorables (la dernière accordant Larache aux Portugais), mais Sébastien les rejeta[31]. Pressés par la difficulté de traverser le Loukkos, les Portugais préfèrent franchir le Makhazin afin de s'affranchir des contraintes de la marée[32]. Après ce franchissement, fait le , l'armée se trouve dans une position très favorable, couverte par le Makhazin et les différents bras du Loukkos. Deux choix s'offrent à eux : traverser à son tour le Loukkos, en direction d'Alcácer-Quibir, où se trouve l'armée d'Abd al-Malik, ou se diriger sur le gué en direction de Larache. Malgré les exhortations de Mulay Muhammad, qui se retrouve bientôt menacé directement par les favoris royaux, la troupe se dirige vers les forces ennemies, qui font de même : la confrontation se fait aux heures les plus chaudes de la journée, celles qui sont les moins favorables aux Européens[33].
Dispositif de combat portugais
Le , l'armée portugaise campe sur les bords du Makhazin[15], avec la rivière dans le dos et sa droite bloquée par le Loukos. L'armée de Sébastien, outre les 15 000 fantassins qui avaient débarqué à Tanger, compte désormais plus de 2 000 cavaliers grâce aux fidèles de Mulay Muhammad, ainsi que trente-six canons[34]. Toutefois, cette armée est composée essentiellement de troupes fortement armées, alors qu'il aurait fallu pour combattre dans ces conditions des troupes bien plus légères[35]. En face, l'armée d'Abd al-Malik est forte de plus de 14 000 fantassins et plus de 40 000 cavaliers, et accompagnée également de troupes irrégulières d'une quarantaine de canons[34]. Mais si les espions maures sont parfaitement au courant de la composition des troupes portugaises, l'inverse n'est pas vrai, car le roi de Portugal et son état-major ignorent totalement la présence de l'artillerie dans le camp adverse[36]. L'infanterie chrétienne est disposée en carré, formation empruntée aux Espagnols (le tercio) avec de chaque côté une ligne de charrettes pour protéger ses flancs. L'avant-garde était composée des trois régiments étrangers, qui protégeaient les flancs du bataillon d'aventuriers portugais (régiment d'élite de piquiers/arquebusiers). L'artillerie fut placée en avant des fantassins en ligne continue de 36 pièces et la cavalerie aux deux ailes. Cette dernière se divisait en deux corps. Le premier, sous le commandement personnel du Roi, se situait à gauche, avec environ mille cavaliers, ses « chevaliers », tandis qu'il plaçait sur l'aile droite deux détachements de cinq cents cavaliers chacun dirigés par Duarte de Menezes et le duc d'Aveiro, qu'appuyait le corps du sultan renversé, soit cinq cents fantassins et six cents cavaliers. Le nombre excessif de charrettes fit que même après en avoir garni les flancs, il en restait une bonne partie. Sébastien les plaça au centre de sa formation, afin de les protéger d'une part, et d'autre part pour éviter une débandade chaotique du personnel pouvant entraîner son armée au premier coup de feu. Le tout formait un carré compact[réf. nécessaire][2].
Dispositif de combat marocain
Abu Marwan Abd al-Malik, dans le but d'encercler la formation compacte portugaise, dispose son armée en large croissant. À la corne droite, soit en face de Sébastien, se tenaient l’émir Ahmed (ou Ahmad[37]), frère et héritier d'al-Malik, plus tard connu sous le nom d'Ahmed al-Mansour, et ses mille arquebusiers à cheval, épaulés par dix mille cavaliers-lanciers. À la corne gauche, soit en face de la cavalerie du duc et de Menezes, et en face du détachement du sultan déchu, il plaça Mohammed Zarco et ses deux mille cavaliers lanciers[réf. nécessaire][2].
Ces deux ailes s'articulaient autour du centre. Ce dernier, composé d'arquebusiers et de la garde personnelle du sultan du capitaine Moussa (dite plus terrifiante que les janissaires[38]), comptait environ quinze mille fantassins. En arrière-garde, Abu Marwan plaça le reste de sa cavalerie régulière, soit vingt mille lanciers, qu'il disposa en dix contingents de deux mille cavaliers et en ligne continue derrière la ligne d'infanterie. Notons également que le Sultan disposait ce jour là de près de quinze mille cavaliers irréguliers en provenance des tribus marocaines, venus répondre en masse à son appel au djihad contre l'Infidèle. Il les disposa au niveau des collines bordant le flanc droit de la formation, passant ainsi inaperçues. Enfin, le sultan disposa son artillerie, vingt-six pièces fondues à Marrakech et servies par des artilleurs experts, en demi-cercle s'emboîtant avec son centre. Il regagna sa tente, fébrile, après un discours exhortant ses hommes à repousser l'infidèle.
Déroulement
Une première offensive marocaine, repoussée, est suivie de près par une contre-offensive victorieuse des Portugais. L'armée marocaine reprend le dessus et remporte la victoire[37].
Sébastien fait défense à ses troupes d'attaquer sans son ordre[39], et monte à l'assaut avec l'avant-garde, laissant le reste de son armée sans chef pour la commander, ce qui le prive de la majeure partie de ses hommes[40]. Après le succès de l'assaut, qui conduit les Portugais à crier à la victoire trop tôt[39], Abd al-Malik succombe à sa maladie[41], et la rumeur de son décès se répand. Mais l'avant-garde portugaise est très avancée dans le centre du dispositif marocain, et un cri de retraite se fait entendre, afin de refaire la jonction avec le gros des troupes royales, se changeant rapidement en débandade devant la charge des troupes maures[40]. L'artillerie portugaise est rapidement réduite au silence, et prise par l'ennemi[42]. La bataille se change en mêlée, et Sébastien, qui a refusé la proposition de sauver sa personne en retournant à Arzila ou Tanger[43] finit par être tué, peut-être après avoir tenté de hisser le drapeau blanc, signe mal compris par ses ennemis qui le prennent pour cible[39]. Environ 7 000 autres combattants portugais suivent son exemple, le reste étant fait prisonnier, et moins d'une centaine de Portugais peuvent rentrer à Lisbonne[44],[45]. Abd al-Malik meurt durant la bataille, tout comme Mulay Muhammad qui se noie dans l'oued Makhazin en s'enfuyant[46]. Le corps de ce dernier, retrouvé dans l'oued, est écorché (ce qui lui vaut le surnom d'Al-Mâslukh) et empaillé, pour être promené dans plusieurs villes du royaume[37].
Conséquences
Les conséquences de cette défaite pour le Portugal sont considérables. Celle-ci sonne déjà le glas de son expansion outremer, l'empire colonial portugais n'ajoutant plus aucune contrée à ses colonies existantes alors, se contentant d'étendre ou de restreindre ces dernières. La mort de Sébastien, sans héritier, vient fragiliser la lignée d'Aviz, et le Portugal va perdre sous peu son indépendance, passant sous le contrôle de l'Espagne pour une soixantaine d'années. Le pays perd, en même temps que son roi, sa noblesse et son armée. L'expédition portugaise est également considérée comme la dernière croisade des Chrétiens en Méditerranée[37].
Du côté marocain, la victoire permet d'affirmer ses possibilités de résister à la pression ottomane, tandis que le butin enrichit considérablement les troupes musulmanes[47]. Ahmad al-Mansour n'oublie d'ailleurs pas d'envoyer des cadeaux considérables à la Sublime Porte, pour l'aide qu'elle lui a apporté[48]. Elle règle aussi la lutte de succession, Ahmad, en taisant la mort de son frère, prend à la tête de l'armée le statut d'héritier légitime, excluant ainsi ses deux neveux, son ennemi al-Muttawakkil et le fils d'al-Malik, présent aux côtés de son père durant la bataille[49].
Historiographie
Si les premiers écrits concernant la bataille et l'expédition paraissent dès 1578 en Occident, ce n'est qu'en 1607 qu'est édité le premier témoignage d'un Portugais y ayant participé[Note 3],[50]. Les récits précédents reflètent souvent un parti pris soutenant ou s'opposant à l'expédition et son chef, et ce indifféremment de la nationalité de ou des auteurs[51] ; qui plus est, l'historien Henri de Castries estime que les Portugais ont le plus grand mal à faire l'inventaire de cet événement au XVIe siècle, et que les Espagnols ne sont pas non plus enclins, ayant annexé le Portugal, à rouvrir ces plaies[52]. Le travail de deuil est donc amorcé par le récit de 1607 de l'auteur Hieronymo de Mendoça, Jornada de Africa.
Le retour dans son pays du corps du roi Sébastien, qui se fait en plusieurs étapes et sur plusieurs années, rend également difficile l'introspection, et insinue de nombreux doutes quant à la véracité de cette mort, surtout dans le cadre de sa difficile succession, puis de l'ingérence espagnole. L'attente du retour du roi Sébastien donnera lieu au Portugal à une croyance messianique, le sébastianisme.
En Afrique, Ahmad se fait appeler al-Mansour (le victorieux) quelques années après ce succès militaire, dans lequel il s'attribue dans ses relations avec le sultan Mourad III le meilleur rôle, reléguant son frère Abd al-Malik au second plan[53]. La désignation dans le monde musulman de cette bataille varie entre jihad (lutte pour rester dans le chemin de Dieu) et ghazwa (conquête)[54], la comparant parfois à la bataille de Badr, première bataille victorieuse de Mohammed[55].
Notes et références
Notes
- La troupe avait été recrutée par un Anglais, Thomas Esternulie (d'Antas 1866, p. 28) ou Stukeley (Valensi 2009, p. 23), créé récemment marquis par le pape, et doit servir à lutter contre Élisabeth Ire, en Irlande. Sébastien convainc le marquis de se joindre à son expédition.
- Asilah/Arzila est portugaise entre 1471 et 1550, et à nouveau entre 1577 et 1589.
- Les autres récits sont de témoins d'autres nationalités ou dont l'identité est douteuse.
Références
- Berthier 1985 (cité dans Lugan 2016).
- Lugan 2016
- Également orthographiée « bataille d'Alcácer-Quibir » (en portugais), « bataille de l'Alcácer Quibir » (en français) et « bataille d’Alcazarquivir » (en langue castillane)
- Nekrouf 1984, p. 87.
- Nekrouf 1984, p. 33.
- Édouard Monnais (dir.) et Auguste Descroizilles, Éphémérides universelles : Tableau religieux,politique, littéraire, scientifique et anecdotique, présentant un extrait des annales de toutes les nations et de tous les siècles, vol. 8, Paris, Corby, , 2e éd. (lire en ligne), p. 52-55.
- d'Antas 1866, p. 21.
- Nekrouf 1984, p. 47.
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- Nabil Mouline, Le califat imaginaire d'Ahmad al-Mansûr: Pouvoir et diplomatie au Maroc au XVIe siècle, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-074021-6, lire en ligne)
- de Oliveira Marques 1998, p. 44.
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- d'Antas 1866, p. 26.
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- Valensi 2009, p. 27.
- d'Antas 1866, p. 61.
- Valensi 2009, p. 25.
- Valensi 2009, p. 64.
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- Valensi 2009, p. 32.
- Valensi 2009, p. 34.
- Valensi 2009, p. 38.
- Valensi 2009, p. 59.
- Valensi 2009, p. 72.
- Valensi 2009, p. 73.
Voir aussi
Article connexe
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- « Une victoire mémorable : la bataille des Trois Rois (4 août 1578) », dans Michel Abitbol, Histoire du Maroc, Paris, Perrin, [détail de l’édition], p. 182-188.
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- Pierre Berthier, La Bataille de l'oued El-Makhazin dite bataille des trois Rois (4 août 1578), Paris, éditions du CNRS,
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- De Montpleinchamp et Aimé Louis Philémon de Robaulx de Soumoy, Histoire de l'archiduc Albert : gouverneur général puis prince souverain de la Belgique, Bruxelles, Société de l'histoire de Belgique, , 651 p. (lire en ligne).
- Younès Nekrouf, La Bataille des Trois Rois, Albin Michel, , 286 p..
- António Henrique Rodrigo de Oliveira Marques (trad. Marie-Hélène Baudrillart, préf. Mário Soares, postface Jean-Michel Massa), Histoire du Portugal et de son empire colonial, Karthala Editions, , 2e éd., 615 p. (ISBN 978-2-86537-844-9, présentation en ligne).
- Luís Augusto Rebelo da Silva, Invasion et occupation du Portugal en 1580 : Introduction à l'histoire du Portugal au dix-septième et au dix-huitième siècles, Paris, Durand, .
- Lucette Valensi, « Silence, dénégation, affabulation : le souvenir d'une grande défaite dans la culture portugaise », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 46, no 1, , p. 3-24 (lire en ligne).
- Lucette Valensi, La Glorieuse Bataille des Trois Rois, Le Seuil, coll. « Univers historique », .
- Lucette Valensi, Fables de la mémoire : la glorieuse bataille des trois rois, 1578 : souvenirs d'une grande tuerie chez les chrétiens, les juifs & les musulmans, Editions Chandeigne, coll. « Péninsules », , 383 p. (ISBN 978-2-915540-59-8, présentation en ligne)
Liens externes
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