ARPANET
ARPANET ou Arpanet (de l'anglais Advanced Research Projects Agency Network, aussi typographié « ARPAnet »[1]) est l'acronyme du premier réseau à transfert de paquets de données conçu aux États-Unis par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Le projet fut lancé en 1966[2], mais ARPANET ne vit le jour qu'en 1969. Sa première démonstration officielle date d'.
Pour l’article homonyme, voir Arpanet (artiste).
Le concept de commutation de paquets (packet switching), qui deviendra la base du transfert de données sur Internet, était alors balbutiant dans la communication des réseaux informatiques. Les communications étaient jusqu'alors basées sur la communication par circuits électroniques, telle que celle utilisée par le réseau de téléphone, où un circuit propre est activé lors de la communication avec un poste du réseau.
Les ordinateurs utilisés étaient principalement des ordinateurs commerciaux de 3e génération construits par Digital Equipment Corporation (DEC), International Business Machines (IBM) ou Scientific Data Systems. Peut-être comprenaient-ils encore des Univac à tubes électroniques, technologie certes désuète en 1969 (où on abandonnait déjà les ordinateurs de deuxième génération transistorisés pour d'autres à circuits intégrés comme l'IBM 1130), mais c'est précisément pour cela que ces ordinateurs étaient libres pour un usage expérimental, les autres étant saturés de travaux[3].
ARPANET a été écrit par le monde universitaire et non militaire, ce qui a probablement influencé l'Internet que l'on connait aujourd'hui[4].
Historique
En 1961, l'US Air Force confie à l'ARPA, agence de recherche technologique du département de la Défense des États-Unis, créée 3 ans auparavant, un puissant ordinateur, le seul de sa série construit par IBM, le Q-32, pour concevoir un programme destiné au commandement des bombardements stratégiques. Joseph Carl Robnett Licklider, docteur en psychoacoustique mais surtout spécialiste des technologies de l'information est engagé. Il a auparavant travaillé sur un programme d'ordinateurs envoyant des données par les lignes téléphoniques pour un système de défense antiaérien, le projet Semi-Automatic Ground Environment (SAGE)[5].
En 1962, il intègre l'Arpa et prend la direction du « bureau Contrôle-Commande » nouvellement créé. Il fait venir Fred Frick qui a travaillé avec lui au Lincoln Laboratory sur le projet SAGE. Ils sont tous les deux partisans du temps partagé sur les ordinateurs, des machines alors très coûteuses pour permettre à différents centres de recherche, universités ou entreprises de travailler sur une même machine. Ils vont donc dès 1962 commencer à réfléchir à interconnecter les ordinateurs de tous les centres de recherches américains avec lesquels travaille l'Arpa. Le but est alors de partager plus facilement ressources et données et surtout de faire baisser les coûts et limiter les doublons en recherche[5].
En 1964, le « bureau Contrôle et commande » devient « Bureau des techniques de traitement de l'information » ou IPTO (Information Processing Techniques Office). Ils recrutent alors Robert Taylor, 32 ans, psychologue et mathématicien de formation qui a travaillé pour la Nasa et Ivan Sutherland, 27 ans, qui étudie les interactions entre ordinateurs. Ce dernier succède en 1964 à Licklider, parti au MIT en 1966, et est lui-même, après son départ à Harvard, remplacé par Taylor à la tête de l'IPTO[5].
En 1966, Charles Herzfeld, le directeur de l'Arpa, accorde un budget d'un million de dollars pour que l'IPTO développe le projet de création d'un réseau informatique délocalisé, reliant les universités en contrat avec la DARPA. Il recrute Lawrence Roberts qui travaille au Lincoln Laboratory sur le transfert de données entre ordinateur. En 1968, il aura couché sur papier les plans du réseau informatique[5].
Wesley Clark suggère d'utiliser un ordinateur spécifique, appelé l'Interface Message Processor, à chaque nœud du réseau plutôt que tout centraliser sur un seul.
En , l'Arpa-IPTO lance une request for quotation (RFQ) pour le fabriquer et une consultation pour la conception d'un réseau à petite échelle pour relier l'institut de recherche de Stanford, l'université de Los Angeles (UCLA) et l'université de l'Utah. Plus d'une centaine d'entreprises et de centres d'études sont approchés mais déclinent l'appel d'offre, dont IBM. C'est finalement une société de consultants en acoustique et informatique du Massachusetts Bolt Beranek & Newman qui remporte le marché, IBM et AT&T ne s'y intéressant pas. Une équipe de sept personnes se met en place, avec Frank Heart à sa tête, qui va concevoir le réseau avec de petits ordinateurs, les Interfaces Messages Processors ou IMP (ancêtres des actuels routeurs), qui assurent la connexion des ordinateurs hôtes au réseau et permettent le transfert de données par la commutation de paquets à la vitesse alors de 50 kbits par seconde[5].
Opérationnel le , Arpanet sert de banc d'essai à de nouvelles technologies de gestion de réseau, liant plusieurs universités et centres de recherches. Les deux premiers nœuds qui forment l'Arpanet sont l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) et l'Institut de recherche de Stanford, suivis de peu par les universités de Californie à Santa Barbara et de l'Utah[5].
Le premier message, le simple mot « login », sera envoyé sur le réseau le à 22 h 30[6]. Mais, à la suite d'un bug, les trois dernières lettres mettront une heure pour arriver[6].
Le mythe veut que l'objectif fixé à Arpanet ait été de permettre aux réseaux de communication militaires (Arpanet voit le jour en pleine guerre froide) de continuer à fonctionner malgré une attaque nucléaire importante de la part de l'Union soviétique, c’est-à-dire : « garder ouvertes des voies de communication quel que soit l'état de destruction du pays » (les États-Unis). Les chercheurs, majoritairement financés par la même DARPA, peuvent utiliser les unités centrales de n'importe lequel des établissements gérés en réseau, qu'il soit universitaire ou militaire. La véritable raison est qu'Arpanet est créé afin d'unifier les techniques de connexion pour qu'un terminal informatique se raccorde à distance à des ordinateurs de constructeurs différents[7].
Les premiers essais sont concluants et le projet — considéré comme ancêtre de l'Internet, compte tenu de son mode de fonctionnement — est mené à son terme : lorsqu'un des centres (nœuds) est virtuellement détruit, les données empruntent d'autres chemins et d'autres nœuds pour atteindre les destinataires désignés. Très rapidement, la CIA conclut à l'invulnérabilité d'Arpanet, alors que dans les faits cette « invulnérabilité » est sujette à caution.
Développement
Rapidement, de nouveaux raccordements furent bientôt ajoutés au réseau, portant le nombre de « nœuds » à 23 en 1971, puis à 111 en 1977. Puis est mis au point le Network Control Protocol (NCP).
En 1974, le TCP/IP (Transmission Control Protocol et Internet Protocol) est créé pour uniformiser le réseau ; il est toujours utilisé de nos jours.
En 1980, Arpanet se divise en deux réseaux distincts, l'un militaire (MILNET, de Military Network, qui deviendra le DDN — Defense Data Network) et l'autre, universitaire (NSFnet)[5], que les militaires abandonnent au monde civil. La réflexion des constructeurs s'oriente vers une informatique décentralisée.
Le , ARPANET adopte le TCP/IP qui sera la base d'Internet[8].
En 1984, DDN (en) et NSFNET (en) comptent déjà près de 4 millions de nœuds interconnectés et plus de 1 000 ordinateurs à travers le monde y sont reliés[5].
Chronologie
- 1966 : l'Arpa accorde un budget d'un million de dollars pour que l'IPTO développe un réseau informatique délocalisé et recrute Lawrence Roberts, du Lincoln Laboratory.
- : l'Arpa-IPTO lance une pré-request for quotation (RFQ) pour un Interface Message Processor et relier Stanford, l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) et l'université de l'Utah.
- : le Network Working Group créé à l'UCLA autour de Steve Crocker.
- : première request for quotation, par Steve Crocker.
- : la requests for comments (RFC) no 9 signée de Gérard Deloche[9] lance une discussion qui aboutira à la création du protocole Network Control Program (NCP).
- : premier lien d'hôte à Interface Message Processor (IMP), à l'UCLA, et un mois plus tard, au Stanford Research Institute.
- : BBN installe le premier équipement à l'UCLA.
- : première liaison Arpanet dans la salle de calcul du département informatique de l'UCLA, reliée à distance à Stanford. Leonard Kleinrock opère sur l’ordinateur Sigma 7[10] avec son assistant-programmeur Charley Kline (CSK)[6]. À 22 h 30[6], le premier message transmis est « lo », en essayant de taper « login », mais le système plante avant de pouvoir terminer le mot. La connexion par login est complétée environ une heure plus tard[6],[11].
- fin 1969 : deux nœuds de plus, à l'université de Santa Barbara : ARPANET a déjà quatre nœuds.
- : le Network Working Group met au point le NCP, protocole de communication poste-à-poste, adopté entre 1971 et 1972 par les sites ARPANET.
- automne 1971 : Ray Tomlinson conçoit deux boîtes aux lettres sur deux ordinateurs et parvient à envoyer, à lui même, le tout premier courrier électronique.
- : le Network Working Group est rebaptisé INWG (International Network Working Group) et placé sous la direction de Vinton Cerf, lors de l'International Conference on Computer Communications (en) (ICCC), première conférence internationale sur les communications informatiques, où la France est représentée par Louis Pouzin. Première démonstration publique d'ARPANET, par Robert E. Kahn et du courrier électronique, par Ray Tomlinson.
- 1983 : le "Network Control Program" est remplacé par le TCP/IP.
Notes et références
- (en) David Streitfeld, « Opening Pandora's In-Box » [« Ouvrir la boîte de réception de Pandore »], Los Angeles Times, (ISSN 0458-3035, lire en ligne, consulté le ).
- « Timeline | Internet Hall of Fame », sur internethalloffame.org (consulté le ).
- Robert Mahl, « Réseaux d'ordinateurs », présentation à l'école d'été de l'AFCET, Neuchâtel, 1972.
- (en) « DoD TCP/IP: U.S. Department of Defense (DoD) model », sur internet-guide.co.uk (consulté le ).
- « Arpanet, le monde en réseau », de Tristan Gaston-Breton, article pour la série « Saga », ces grands projets qui ont changé nos vies, Les Échos, vendredi 3 et samedi 4 août 2012.
- (en) « The Day the Infant Internet Uttered its First Words », Leonard Kleinrock, lk.cs.ucla.edu, 2009.
- Toutain, Laurent., Réseaux locaux et internet : des protocoles à l'interconnexion, Paris, Hermes Sciences Publications, , 844 p. (ISBN 2-7462-0670-6 et 9782746206700, OCLC 77099324, lire en ligne), p. 32
- (en)TCP/IP Internet Protocol
- [PDF] « Le réseau Cyclades et Internet : quelles opportunités pour la France des années 1970 ? », par Valérie Schafer, professeur agrégée, doctorante à l'université de Paris IV-Sorbonne ; Comité d'histoire du ministère des Finances, Séminaire Haute Technologie du 14 mars 2007, p. 6 (lire en ligne)
- « Quarante ans après : mais qui donc créa l’internet ? », par Michel Elie, sur le site de l'association VCAM (lire en ligne)
- (en) « The first internet message ever sent was "LO" », Matt Novak, Gizmodo.com, 3 juillet 2014.
Annexes
Bibliographie
- [PDF] A History of the ARPANET : The First Decade, rapport no 4799 préparé par Bolt Beranek and Newman, Inc., pour la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), [(en) texte intégral].
- Katie Hafner et Matthew Lyon, Les Sorciers du Net. Les origines de l’internet, Calmann-Lévy, 1999.
- [PDF] Serres, Alexandre, Aux sources d’Internet : l’émergence d’ARPANET, thèse de doctorat sciences de l’information et de la Communication : université Rennes-II, 2000. 2 vol., 676 p [texte intégral]
Articles connexes
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- (en) Naissance de l'Internet - Smithsonian Institution / Yahoo
- (en) Site de la DARPA
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