Adam et Ève (Dürer, 1504)

Adam et Ève est une gravure sur cuivre d'Albrecht Dürer réalisée en 1504. Dürer y présente les modèles de la beauté humaine, masculine et féminine, tels qu'il les conçoit à ce moment de sa vie. Il s'attache dans ces deux figures à respecter essentiellement les proportions de Vitruve et à figurer des contrapposto classiques tout en déterminant le plus grand nombre possible de contours par construction géométrique [1].

Ne doit pas être confondu avec le tableau homonyme peint en 1507 par Dürer.

Dürer a travaillé tout au long de sa vie à la représentation du corps humain et à l'étude de ses proportions, mais avec différentes orientations et visées [2],[3]. Après avoir rencontré Jacopo de Barbari en 1500 à Nüremberg [4], lu Vitruve et alors qu’il adhérait au platonisme esthétique, il a cherché dans les années 1500-1505, par des méthodes géométriques, des proportions humaines absolument belles [5]. À son retour d’Italie en 1507, deux panneaux peints, conservés au Prado, ont figuré de nouveau Adam et Ève mais par des figures plus élancées. Les Quatre livres sur la proportion Humaine publiés en 1528, après le décès de Dürer, présentent eux le corps humain dans la diversité de ses proportions et pas dans sa plus grande beauté[6],[7].


Le grand Livre du peintre

Ce Livre du peintre ne fut jamais publié. On en connaît le plan rédigé de sa propre main qui stipule : je veux d’abord parler de la mesure humaine, puis de la mesure du cheval, - de la mesure du bâtiment, - de la perspective et de l’ombre et de la lumière, - des couleurs et comment imiter au plus près la nature.

Tout porte à croire que ce projet avait déjà pris forme, car Christoph Scheurl (1481-1542), un lettré humaniste ayant étudié à Bologne, ami de Dürer et Willibald Pirckeimer, en parle dans sa Vita reverendi patris domini Anthonii Kressen, écrite en 1513 et parue à Nuremberg en 1515 (Ref : Hans Rupprich Schriftlicher Nachlass, Deutscher Verlag Für Kunstwissenschaft, Berlin 1969, livre I. p. 294), comme d’un ouvrage en voie d’être publié.

On sait combien les artistes de la Renaissance on fait du corps humain le plus noble objet de leur investigation picturale. C’est, enveloppé de cette gloire, que Dürer se rendra en 1505 à Venise avec, dans ses bagages, un lot de gravures d‘Adam et Eve.

Discours sur la dignité de l’homme

En 1504, l’année même de l’exécution de la gravure d’Adam et d’Eve, paraît chez Grüninger à Strasbourg le Discours sur la dignité de l’homme de Jean Pic de la Mirandole en introduction aux 900 Thèses, discours qui débute par ces termes «Très vénérables Pères, j'ai lu dans les écrits des Arabes que le Sarrasin Abdallah, comme on lui demandait quel spectacle lui paraissait le plus digne d'admiration sur cette sorte de scène qu'est le monde, répondit qu'il n'y avait à ses yeux rien de plus admirable que l'homme… Il prit donc l'homme, cette œuvre indistinctement imagée, et l'ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : Si nous ne t'avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c'est afin que la place, l'aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée…» (ref : De la Dignité de l’Homme, Giovanni Pico della Mirandola, Yves Hersant, Éditions de l’Eclat, 1993).

Retrouvé et afficher les proportions idéales de l’Homme coïncide ici avec l’affirmation du libre-arbitre qui fait de l’homme l’artisan de sa propre destinée. Dürer ne pouvait ignorer ce texte si l’on se réfère à la dédicace que Willibald Pirckeimer lui a dédié sur la page de garde des Caractères de Théophraste où Pirckeimer spécifie avoir reçu ce livre de Jean-François Pic de la Mirandole, le neveu légataire et éditeur des œuvres de Jean Pic de la Mirandole.

Description de la gravure

Adam et Eve, dans la position classique du contrapposto qu’affectionne la renaissance, se détachent harmonieusement sur le fond sombre d’une forêt dans laquelle se profilent les quatre animaux symbolisant, selon l’antique théorie des quatre humeurs, les quatre tempéraments à l'image des quatre fleuves irriguant le paradis terrestre :

  • le chat pour l’humeur colérique,
  • le lapin pour le sanguin (un chaud lapin),
  • le cerf mélancolique,
  • le bœuf lymphatique.

Hildegarde de Bingen abbesse bénédictine de Disibodenberg, voit dans la chute de l’homme une conséquence du déséquilibre de ces quatre humeurs entraînant consécutivement la maladie et la mort. Le sorbier auquel s'accroche Adam représente l'Arbre de vie, tandis que l'arbre du fruit défendu est un figuier. Il existe entre ces deux arbres un opposition parallèle à celle du perroquet (bienveillant) et du serpent (diabolique)[1].


Le jeu des regards

Ce que le regard désigne la main le dessine. Ce constat de l’artiste Frank Morzuch circonscrit le mystère de cette gravure. Tout est dans le regard. Et le nôtre est attiré et dirigé, pris dans le rets triangulaire qu’amorce la trajectoire du regard d’Adam porté sur Eve dont les yeux baissés passent par l’œil du serpent jusqu’au sexe de l’homme. Si l’on trace avec une règle un trait qui va d’une pupille à l’autre il se dessine entre l’homme, la femme et le serpent un triangle isocèle qui présente la même aire que celle d’une des 49 cases de la grille d’ordre 7 qui pourrait, selon l’artiste , structurer cette gravure (ref : en bas affaire dürer). Dürer, inspiré par Vitruve, nous en livre le canon dont la proportion coïncide avec celle de la grille.

Adam et Eve, gravure de Dürer vue à travers la grille du carré de Vénus d'après le parcours des 7 premiers nombres.

De la mesure du corps humain (notes de Dürer)


Or la grille d’ordre 7 correspond à celle du carré planétaire de Vénus. Ce qui pourrait placer cette gravure dans une suite de quatre gravures comprises comme une tétralogie fondée sur les quatre tempéraments et les carrés magiques appelés carrés planétaire qui leur correspondent. Si l’on relie dans l’ordre croissant les sept premiers nombres de la table de Vénus il se dessine un triangle qui reporté sur la gravure suit la trajectoire du regard d’Adam et pointe la petite souris, comme pour souligner la tension perceptible entre Adam et Eve.

Ce regard d’artiste posé sur l’œuvre du vieux maître allemand ouvre la voie à une approche nouvelle de quatre gravures de Dürer, comprises comme une tétralogie. Une thèse déjà évoquée par Peter-Klaus Schuster pour qui, s’il existe bel et bien une suite supposée de gravures liées à Melencolia § I, celle-ci ne peut exister que sous forme d’une tétralogie fondée sur les 4 tempéraments. L’originalité de cette hypothèse est qu’elle correspond tout à fait à la vision philosophique qui avait cours à cette époque.

Un trop grand écart entre les dates

L'écart entre les dates d’exécution d’ Adam et d’Eve (1504) et une supposée suite, en 1513, avec Le Chevalier, la Mort et le Diable, Melencolia § I (1514) et Saint Jérôme dans sa cellule (1514) est expliquée par Joachim Camerarius, qui signale que Dürer s’est fait voler dans son atelier toute sa recherche sur la mesure idéale du cheval, lors de son séjour de 1505 à 1507 à Venise. En 1528, tout de suite après son décès, est apparu un petit livre sur la construction du cheval que le Conseil municipal de Nuremberg a derechef fait saisir, sur l’instigation de Willibald Pirckeimer et d’Agnès Dürer, au prétexte que ce matériel appartenait à Dürer. Or, selon le plan du Livre du peintre la construction du cheval arrive en deuxième position après celle de l’homme et de la femme. Tout laisse croire que Dürer, en 1505, à la veille de son départ pour Venise, maîtrisait déjà parfaitement cette construction. De retour à Nuremberg, et mis devant le fait accompli, il est compréhensible que l’artiste ait d’abord dû faire face à d’autres priorités et n’aurait repris cette tétralogie que neuf ans plus tard, avec le burin magistral du Chevalier, la Mort et le Diable, faisant de la Melencolia I une illustration des arcanes des bâtisseurs doublée d’une géométrie secrète de l’âme, et de Saint Jérôme le modèle d’une perspective rayonnante sous l’égide du carré d’ordre 6.

Postérité

En , une copie de l'Adam et Ève estimée à 600 000 dollars disparaît de la bibliothèque publique de Boston, ainsi que d'autres œuvres[8].

Notes et références

  1. Erwin Panofsy, La Vie et l'Art d'Albrecht Dürer. Hazan collection 35/37. page 136.
  2. Ludwig Grote, Dürer. Skira. pages 88 / 90 / 127
  3. Jacques Peter, « Dürer et l'étude des proportions (1992) » (consulté le )
  4. Ludwig Grote, Dürer. Skira. page 88
  5. (en) « Exposition Zirckel und Rychtscheyt » (consulté le ), figure 19
  6. Dürer. Lettres écrits théoriques et traité des proportions. Textes présentés par Pierre Vaisse. Miroirs de l'Art / Hermann Paris.
  7. Erwin Panofsky, La Vie et l'Art d'Albrecht Dürer. Hazan collection 35/37. chapitre VIII.
  8. Clément Solym, « La bibliothèque de Boston égare pour 600.000 $ d'œuvres d'art », sur ActuaLitté (consulté le ).

Annexes

Bibliographie

  • (de) Albrecht Dürer, Adam und Eva, Die Gemälde, ihre Geschichte und rezeption bei Lucas Cranach d. Ä. und Hans Baldung Grien, Christian Schoen, Éditions Reimer, 2001 (ISBN 9783496012443).

Articles connexes

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