États-Unis d'Europe
Les États-Unis d’Europe sont un scénario prospectif de l'évolution politique de l'Europe et de l'Union européenne, fondé sur le fédéralisme européen, dans lequel les pays européens seraient des entités fédérées dans un super-État fédéral européen, sur le modèle, peu ou prou, des États-Unis d'Amérique[1],[2],[3].
Histoire
Au XVIIIe siècle, l'abbé de Saint-Pierre évoque déjà une unification de l'Europe dans ses Mémoires pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713)[4]. Il a l'idée d'un « grand projet de l'union des princes chrétiens pour rendre la paix perpétuelle en Europe ».
XIXe siècle
Selon Felix Markham, Napoléon aurait évoqué, lors d'une discussion à Saint-Hélène, le projet qu'il avait eu d'unir les pays d'Europe pour former les États-Unis d'Europe[5],[6].
En 1831, Wojciech Jastrzębowski présente un projet d'Europe unie en une seule entité sans frontières intérieures dans sa publication Vision d’une alliance des nations européennes[7].
En 1839, un document publié à Londres présente les États-Unis d'Europe comme un aboutissement couronnant l'alliance des peuples[8].
Après la Révolution française de 1848 due au Krach de 1847, l'idée des États-Unis d'Europe se propagea[9].
En 1848, Émile de Girardin promeut l'idée des États-Unis d'Europe :
« Nous nous sommes écrié : Confiance ! Confiance ! Parce que, de la hauteur des barricades, nos yeux voyaient déjà au loin se lever pour la France une politique toute nouvelle, une sainte alliance des peuples, une vaste confédération républicaine, industrielle, commerciale et maritime, qui pourrait s'appeler : les États-Unis d'Europe, qui aurait ses congrès, sa flotte, son armée (armée considérablement réduite, volontairement recrutée, largement soldée, sévèrement choisie), la même monnaie, le même système métrique, les mêmes impôts, le même maximum d'heures de travail, le même minimum de salaire, etc., etc., etc. »
— Émile de Girardin, Bon sens, bonne foi, 1848[10]
En 1869, le député prussien Rudolph Virchow, prône également cette union, dans une acception éminemment pacifiste.
Victor Hugo
Si Victor Hugo n'est pas le premier à défendre l'idée des États-Unis d'Europe, il en est le principal influenceur[9].
« États-Unis d’Europe » est une expression utilisée par Victor Hugo, le , à l'occasion du Congrès international de la paix de Paris[11]. C'est ensuite le titre d'une revue consacrée à la paix créée en 1867 et installée à Genève[12].
Extrait du discours de Victor Hugo :
« Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi !
Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie.
Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France.
Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées.
Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France.
Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant que cela ait pu être. »
Le , à l'Assemblé législative, Hugo argumente :
« Le peuple français a taillé dans le granit indestructible et posé au milieu du continent monarchique de l'Europe la première assise de cet immense édifice qui s'appellera un jour les Etats-Unis d'Europe (approbation à gauche- Rires sur les bancs de la majorité). »
— Hugo[13]
Les États-Unis d'Europe, dont Victor Hugo fut l'un des inspirateurs originels, constituent le premier échelon d'une entreprise se voulant universelle, censée aboutir, in fine, à une concorde planétaire entre les Hommes, quels qu'ils soient, par-delà les castes[14]. Hugo écrit :
« Elle s'appellera l'Europe, au XXe siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s'appellera l'Humanité. »
— Paris-guide, exposition universelle de 1867.
XXe siècle
Léon Trotski, en 1923, publiait l'un de ses premiers articles et militait pour des États-Unis d'Europe. Le célèbre homme politique russe souhaitait également l'entrée de son pays dans ces États-Unis d'Europe, et allait même jusqu'à proposer une union économique mondiale[15].
En 1927, dans son ouvrage Jaune, bleu, blanc, Valery Larbaud révèle sa pensée politique où il traite longuement d'un projet d'États-Unis d'Europe. Ils seraient pour lui constitués d'Etats membres qui correspondent aux « vraies nations » du continent, dont l'Occitanie qui va au nord de sa ville natale, Vichy, jusqu'à la capitale occitane rêvée qu'est Montpellier, au sud[16],[17]. Dans une optique « post-France », il imagine pour les différends peuples une « Direction centrale d’un Conseil Amphictyonique européen »[18].
Winston Churchill soutenait les États-Unis d'Europe à destination des États européens continentaux (n'y incluant donc pas le Royaume-Uni, alors à la tête de son Empire vacillant)[19]. Le , dans un discours à l'université de Zurich, il déclare[20] :
« Nous devons former un genre d'« États-Unis d'Europe ». Ainsi (et de cette manière uniquement), des centaines de millions de travailleurs retrouveront la possibilité de connaître les joies simples et les espoirs qui font que la vie vaut la peine d'être vécue[N 1]. »
Hormis Léon Trotski et Winston Churchill, le XXe siècle abrite d'autres militants des États-Unis d'Europe. Stefan Zweig, célèbre écrivain et journaliste autrichien, rejoignait l'idée d'un fédéralisme européen, ainsi qu'Aristide Briand, réussissant presque à créer les États-Unis d'Europe à l'aube des années 1930[21].
XXIe siècle
Aujourd'hui et notamment en réaction à la crise économique, financière, sociale et environnementale, de nombreux intellectuels et responsables politiques appellent de leurs vœux une fédéralisation de l'Union européenne. Selon ces partisans du fédéralisme, dont Jacques Attali est un des principaux représentants, la défense des valeurs et intérêts européens ne pourra réussir dans un monde d'États continents (États-Unis, Chine, Brésil, Russie, etc.) que si les Européens parviennent à unir leurs forces. À titre d'exemple, les défis que constituent la crise des dettes souveraines et la transition écologique ne pourraient être relevés que par une fédération européenne car les États membres de l'Union européenne ne possèdent pas individuellement la masse critique suffisante pour résoudre ces problèmes. La mise en place d'une fédération européenne répondrait aussi à la critique relative au déficit démocratique de l'Union européenne actuelle[réf. nécessaire][22].
Dans les défenseurs des États-Unis d'Europe, on retrouve également Édouard Tétreau, expert en économie, professeur à HEC Paris et chroniqueur pour Les Échos[23],[24].
En , Ségolène Royal militait à son tour pour les États-Unis d'Europe[25].
Le , le Groupe Spinelli est fondé, dans le but de relancer la recherche d'un fédéralisme au sein de l'Union européenne.
En , le quotidien français Le Figaro a publié un sondage concernant les États-Unis d'Europe. Sur 23 715 votants, 64,02 % se prononçaient en faveur des États-Unis d'Europe[26].
En , afin d'aller « au bout de l'idée de l'euro », Pier Luigi Bersani, leader de la formation du Parti démocrate (PD, centre gauche) aux élections générales italiennes, exprimait sa volonté de créer des États-Unis d'Europe, paroxysme d'un fédéralisme qui manquerait à une Europe en mal de croissance économique, mais aussi d'évolution politique[27].
Le XXIe siècle amène à nouveau dans les débats politiques la question des États-Unis d'Europe. Parmi les pays concernés, dix se prononcent pour une évolution en ce sens. Ainsi, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal et l'Espagne plaident en faveur des États-Unis d'Europe[28].
En France, on retrouve également Laurence Parisot, présidente du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) de 2005 à 2013, qui soutient l'idée d'États-Unis d'Europe[29].
La marche forcée du projet
Guy Verhofstadt affirmait en que les chefs d'États européens seraient « obligés » de créer un État fédéral européen rapidement, prenant l'exemple des États-Unis d'Amérique qui ont créé une monnaie commune après la création d'un État fédéral[30].
En , Angela Merkel annonçait être en faveur de la création d'un ministère des finances européen, avec toutefois un nombre limité d'États membres. François Hollande se montrait hésitant sur le sujet, bien conscient, d'après Europe 1, qu'il serait contraint de suivre ses voisins allemands vers le fédéralisme européen[31].
Critiques des États-Unis d'Europe
Après les louanges des États-Unis d'Europe, on retrouve également des personnalités ou encore des institutions qui critiquent cette idée. Nigel Farage, député européen, critiquait en ce projet, qualifié de « fou ». Il affirme que cette idée n'est bonne qu'en acceptant de dévaluer la monnaie européenne, en repartant sur une base moins ambitieuse. Il accuse les dirigeants européens de « carriérisme » dans la volonté de créer des États-Unis d'Europe[32].
Édouard Tétreau, dans un article pour Le Monde, dénonce le profit de l'agence de notation Standard & Poor's dans le mauvais état actuel de l'Union européenne[33].
Lénine écrivit un mot d'ordre contre les États-Unis d'Europe en 1915[34], qui sera contredit par Léon Trotski en 1923.
Revue
États-Unis d'Europe est également le titre de la revue créée par la Ligue internationale permanente de la paix après la Conférence de la paix de Genève en 1867. Cette revue paraîtra jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale, en 1939.
Notes
- L'original étant : « We must build a kind of United States of Europe. In this way only will hundreds of millions of toilers be able to regain the simple joys and hopes which make life worth living ».
Sources
Références
- Mouvement Socialiste pour les États-Unis d'Europe
- Foreign Affairs publié par le Council on Foreign Relations, article intitulé The United States of Europe: The New Superpower and the End of American Supremacy, avril 2005
- PressEurop.eu Here comes the United States of Europe, 5 juin 2012
- Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, Utrecht, A. Schouten, 1713
- Felix Markham, Napoleon (New York: Penguin Books USA Inc., 1966), 257 as quoted in Matthew Zarzeczny, Napoleon's European Union: The Grand Empire of the United States of Europe (Kent State University Master's thesis), 2
- Napoléon.org NAPOLÉON : POUR OU CONTRE L'EUROPE ?
- Traktat o Wiecznym Przymierzu Miedzy Narodami Ucywilizowanymi - Konstytucja dla Europy, 1831
- « Qu'est-ce que la loi dans une monarchie fondée sur le principe de la souveraineté nationale ? et que doivent faire les bons citoyens pour en établir le règne dans l'intérêt de la France et du roi des Français ? », sur Gallica, (consulté le ).
- https://www.jstor.org/stable/23537320?seq=1#page_scan_tab_contents
- « Bon sens, bonne foi, par Émile de Girardin. 1848. 24 février-3 avril », sur Gallica, (consulté le ).
- « Nobel Paix.ch - Les bons plans shopping de Mr Nobel », sur Nobel Paix.ch (consulté le ).
- Ligue internationale de la paix et de la liberté, Les États unis d'Europe : organe de la Ligue internationale de la paix et de la liberté, Ligue internationale de la paix et de la liberté, (lire en ligne)
- « Journal des débats politiques et littéraires », sur Gallica, (consulté le ).
- Pierre du Bois de Dunilac, « La longue marche vers les États-Unis d'Europe », Revue d'Allemagne et des pays de langue allemande, t. 35, no 3, 2003, pp. 393-407.
- http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1923/06/lt19230630.htm
- François-Bernard Michel, « Un Montpelliérain singulier : Valéry Larbaud », Bulletin de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier, Montpellier, Académie des sciences et lettres de Montpellier, , p. 241-242 (ISSN 2534-2142, lire en ligne) :
« Il [...] plaide constamment pour des Etats-Unis d’Europe Confédérée où l’Occitanie retrouverait son identité et “naturellement, la capitale serait Montpellier” »
- (oc) Domergue Sumien, « La plaça de Borbonés en Occitània », Jornalet, Barcelone, Associacion entara Difusion d'Occitània en Catalonha (ADÒC), (ISSN 2385-4510, OCLC 1090728591, lire en ligne)
- Frida Weissman, L'exotisme de Valery Larbaud, Paris, Librairie A-G Nizet, , 332 p. (ISBN 978-2-402-24323-0, lire en ligne)
- Costa et Brack 2014, p. 37
- Winston Churchill, Speech to the Academic Youth. Le 9 septembre 1946 Zürich, Suisse.
- « Informations pratiques et services en ligne », sur Loire-atlantique.fr (consulté le ).
- Guy Verhofstadt, Les États-Unis d'Europe, Bruxelles, Luc Pire, coll. « Voix politiques », , 66 p. (ISBN 978-2-87415-609-0, lire en ligne)
- http://www.etatsunisdeurope.com/auteur-edouard-tetreau/20-000-milliards-de-dollars/
- « Edouard Tétreau - 20 000 milliards de dollars » [vidéo], sur YouTube (consulté le ).
- https://www.youtube.com/watch?v=0IeED2_kHjs
- « Souhaitez-vous les États-Unis d'Europe ? », Le Figaro, (lire en ligne, consulté le )
- « Le favori des élections italiennes plaide pour les États-Unis d'Europe », Libération, (lire en ligne, consulté le )
- « Dix pays pour des Etats-Unis d’Europe - VoxEurop (Français) », sur VoxEurop (Français) (consulté le ).
- Laurence Parisot, « Créons d'urgence les États-Unis d'Europe », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- « Guy Verhofstadt : "États-Unis d'Europe" : les Européens "n'auront pas le choix" » [vidéo], sur YouTube (consulté le ).
- « L'heure des Etats-Unis d'Europe ? » [vidéo], sur YouTube (consulté le ).
- « U.S.E. United States of Europe - E.U.E. Etats Unis d'Europe » [vidéo], sur YouTube (consulté le ).
- Edouard Tétreau, conseiller de dirigeants d'entreprises, essayiste, « Les Etats-Unis d'Europe contre le monde rêvé de Standard & Poor's », Le Monde, (lire en ligne).
- « Œuvres-Lénine: du mot d'ordre des États Unis d'Europe », sur https://www.marxists.org/francais, (consulté le )
Bibliographie
- Edouard Tétreau, 20.000 milliards de dollars, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, , 275 p. (ISBN 978-2-246-74111-4)
- Olivier Costa et Nathalie Brack, Le fonctionnement de l’Union européenne, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, coll. « UBlire – références », , 2e éd., 384 p. (ISBN 978-2-8004-1547-5)
- Michel Dévoluy, Osons enfin les États-Unis d'Europe, éditions Vérone, 2019, 68 p. (ISBN 979-10-284-0851-0).
Compléments
Lectures approfondies
- Antoine Capet, Churchill : Le dictionnaire. Paris : Perrin, 2018 (862 p.), Rubrique "Les « États-Unis d’Europe » : Zurich et ses ambiguïtés", p. 367-368.
- L'unité politique de l'Europe, histoire d'une idée : les grands textes [anthologie], dir. par Patrice Rolland, Bruxelles, 2006 (Droit de l'Union européenne. Textes, 1) (ISBN 2-8027-2176-3) (table des matières).
- Du mot d'ordre des États-Unis d'Europe par V.I Lénine(Social-Démocrate, no 44, , Œuvres - T. XXI ( - )
Articles connexes
- Histoire de l'Union européenne
- Europhilie
- Fédéralisme européen
- Conseil de l'Europe
- Union européenne
- Politique en Europe
- Pan-Europe
- Empire européen
- Portail de l’Union européenne
- Portail de l’Europe
- Portail des relations internationales