Émergence du capitalisme selon Max Weber
Cet article se réfère à la façon dont le sociologue allemand Max Weber considère que le capitalisme moderne, qui a pris son essor à la fin du XVIIIe siècle avec l'industrialisation et la rationalisation du travail, est tributaire de l'éthique protestante du travail.
Le capitalisme selon Max Weber
Max Weber définit ainsi le capitalisme :
« Nous appellerons action économique « capitaliste » celle qui repose sur l'espoir d'un profit par l'exploitation des possibilités d'échange, c'est-à-dire sur des chances (formellement) pacifiques de profit. »
— (tiré de son ouvrage L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme).
Cette définition, toute formelle, est extrêmement proche de celle de Marx, qui fait de la recherche du profit le fondement de l'accumulation capitaliste. Une grande différence existe, toutefois : pour Weber, la recherche du profit à travers le calcul de la rentabilité d'un investissement, par laquelle il définit l'action capitaliste, se trouve dans un très grand nombre de sociétés : non seulement dans les sociétés que l'on qualifie habituellement de capitalistes (et dont on date l'émergence à la fin du Moyen Âge en Europe occidentale), mais aussi dans l'Antiquité et dans d'autres civilisations. Pour Weber, l'action économique de type capitaliste n'est pas le propre du monde moderne : le capitalisme se retrouve à d'autres époques et dans plusieurs cultures.
Ce qui fait la spécificité des sociétés modernes selon Weber est l'émergence d'un type particulier d'activité capitaliste: le capitalisme moderne (industriel). Le propre du capitalisme moderne tient au fait qu'il accumule les profits en exploitant le travail de salariés libres (ils ont signé un contrat) au sein d'entreprises où ce travail est organisé rationnellement. Le capitalisme moderne s'éloigne d'autres formes de capitalisme dit traditionnels, comme la quête de butin par exemple. Le capitalisme moderne est donc fondé sur le travail de salariés dirigés, de façon rationnelle, par des entrepreneurs, au sein d'entreprises qui sont organisées bureaucratiquement. C'est par l'utilisation de ce travail que les entrepreneurs cherchent à dégager un profit, et ainsi à accumuler du capital. Cette forme d'organisation économique est, pour Weber, la forme spécifique de la production économique de l'époque qu'il étudiait.
Il existe pour Weber plusieurs conditions à l'émergence de ce capitalisme moderne, conditions qui en Occident sont arrivées à un niveau jamais atteint ailleurs : la séparation de l'entreprise et du ménage, l'organisation rationnelle de l'entreprise, la comptabilité rationnelle et le travail libre.
En employant une approche sociologique, Weber tente de démontrer qu'une conduite de vie religieuse spécifique a rendu possible l'émergence du capitalisme moderne. Il utilisera entre autres exemple, des maximes utilisées par Benjamin Franklin.
Alors que Marx considère que le capitalisme moderne résulte avant tout de l'évolution des infrastructures (ou "modes de production"), Weber estime qu'il découle d'une profonde mutation dans la mentalité bourgeoise :
« Le problème central, même d'un point de vue économique, n'est pas pour nous le développement de l'activité capitaliste en tant que telle (…) mais bien plutôt le développement du capitalisme d'entreprise, avec son organisation rationnelle du travail libre. Pour nous exprimer en termes d'histoire des civilisations, notre problème sera celui de la naissance de la classe bourgeoise occidentale. (…) Car la bourgeoisie en tant qu'état a existé avant le développement de la forme spécifiquement moderne du capitalisme. Cela il est vrai en occident seulement. »
— (tiré de son ouvrage L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme).
L'influence de l'éthique protestante
Si le rationalisme de l'Occident moderne est porté par la bourgeoisie, il a trouvé, selon Weber, son impulsion originelle dans la religion et, plus spécifiquement, dans le protestantisme. Max Weber (qui écrit au tout début du XXe siècle) remarque que, en Allemagne, les protestants sont significativement plus riches que les catholiques, et qu'ils ont davantage tendance, dans leurs études, à s'orienter vers des filières professionnelles plutôt que vers les Humanités où vont préférentiellement les catholiques.
Weber remarque aussi que le protestantisme, celui de Luther et dans une moindre mesure celui de Calvin ou des autres fondateurs de la Réforme est austère et s'oppose à toute recherche pour elles-mêmes des richesses. Pour Weber, c'est pourtant dans cet esprit austère, ascétique qu'il faut chercher la source du capitalisme. (voir Histoire du capitalisme)
Chez Luther
Luther va, selon Max Weber, apporter une importante transformation dans la représentation de l'activité professionnelle. Pour le catholicisme, la réussite professionnelle dans le monde n'a pas de valeur en soi pour la recherche du salut. Le retrait hors du monde, le refus de la recherche des biens de ce monde, sont, au contraire, fortement valorisés en tant que voies de salut. À l'inverse, pour Luther, l'activité professionnelle est une tâche que Dieu a donnée à accomplir aux hommes : la profession devient une vocation (divine).
- L'unique moyen de vivre d'une manière agréable à Dieu n'est pas de dépasser la morale de la vie séculière par l'ascèse monastique, mais exclusivement d'accomplir dans le monde les devoirs correspondant à la place que l'existence assigne à l'individu dans la société, devoirs qui deviennent ainsi sa « vocation ».
La signification nouvelle que Luther donne au terme de Beruf dans sa traduction de la Bible en Allemand témoigne de cette valorisation du travail professionnel. Dans sa traduction, le mot Beruf, signifiant originellement « vocation », prend également le sens de métier. Le terme de Beruf, qui n'a d'équivalent que dans les langues des pays qui ont connu la réforme (comme les pays anglophones avec le mot calling), marque ainsi la transformation du métier en une tâche voulue par Dieu.
Luther, par sa doctrine du salut par la foi seule (et non par les bonnes œuvres), et du Beruf, réhabilite ainsi la vie laïque et fait du travail une valeur.
Chez Calvin
Si Luther a contribué à l'essor du rationalisme moderne, pour Weber, c'est dans le calvinisme que le capitalisme trouve sa véritable source. En effet, si Luther transforme la représentation du travail, il reste attaché à une vision conservatrice du monde. Le calvinisme exercera, lui, une influence proprement révolutionnaire. Weber en trouve l'origine dans les effets psychologiques exercés chez les fidèles par le dogme calviniste de la prédestination. Selon Jean Calvin, Dieu a de toute éternité destiné certains hommes au salut et condamné les autres à l'enfer (dogme du double décret ou de la prédestination). Le fidèle calviniste va alors chercher dans son activité professionnelle les signes de sa confirmation : la réussite dans la recherche des richesses lui semblera être le témoignage de son statut d'élu. Seuls, en effet, les élus peuvent avoir du succès dans l'activité que Dieu a donné à accomplir aux hommes pour sa plus grande gloire, c'est-à-dire dans le Beruf (la profession) comme vocation. Pour s'assurer de leur statut d'élu, les calvinistes vont ainsi transformer leur vie en une recherche méthodique des richesses dans le cadre de leur profession ; bien entendu, il est hors de question de transformer les richesses ainsi produites en luxe ou démonstrations ostensibles. C'est dans cette ascèse, centrée sur l'acquisition rationnelle de richesses, que le capitalisme trouvera selon Weber l'impulsion fondamentale à son essor.
Voir aussi
Articles connexes
- Histoire des bourses de valeurs
- L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme (Weber, 1904-1905)
Liens externes
- Le capitalisme selon Weber, Jean-Marie Vincent, L'homme et la société, année 1967, vol.4, n°1, pp.61-77
Bibliographie
- Catherine Colliot-Thélène, Max Weber et l’histoire, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Philosophies », 1990, 121 p. (ISBN 2-13-043133-X)
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